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Ivan Illich et Jacques Ellul : quel rapport à la technique ?

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 09-05-2020 10:00
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 09 mai 2020 / Dernière modification de la page: 04 juillet 2021 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Ivan Illich et Jacques Ellul ont-ils une approche similaire du phénomène technique ? Je pose ici quelques jalons pour une réflexion ultérieure.

Ivan Illich est volontiers perçu comme un continuateur, voire comme un suiveur de Jacques Ellul. Cette position, courante dans les milieux militants écologistes de gauche, est surprenante à bien des égards et, il faut bien le dire, peu étayée. On en cherchera en vain des signes, des preuves tangibles, dans les textes d'Ivan Illich, qui ne cite que très rarement Jacques Ellul, et surtout, ne lui emprunte quasiment aucun concept.

Certes, dans une communication donnée en 19931, Ivan Illich a reconnu sans détour le tribut qu'il devait à Jacques Ellul. Néanmoins, celle-ci se doit d'être contextualisée. Le vibrant hommage qu'il lui adressait se faisait à Bordeaux (fief de Jacques Ellul) et sans doute en présence... de Jacques Ellul. Autrement dit, Illich s'adressait probablement à l'un de ses confrères (ou si ce n'est pas le cas, à des « proches ») en tant qu'« invité », confrère avec lequel il partageait de surcroît de nombreux points communs, notamment un goût prononcé pour la théologie. Ce serait donc une erreur de considérer cette présentation, au demeurant fort intéressante, comme réellement représentative de son œuvre. Étant donné les us et les coutumes du petit monde universitaire, nul doute qu'il ait pu se montrer exagérément flatteur !!

De plus, inspiration ne veut pas dire copie conforme et les deux penseurs diffèrent en réalité sur de nombreux points. Le plus important est peut-être la place qu'ils accordent au déterminisme technique. Pour Ellul, la technique - et il s'éloigne assez peu en cela d'une certaine littérature qui domine les années 1950 - est l'instance déterminante. De la technique découle l'évolution des sociétés, l'état de nos libertés, l'économie, la structure sociale, le Droit, etc. Tout est subordonné à la Technique. C'est une vision en partie marxiste, pour qui le mode de production est l'instance déterminante, sauf qu'elle est complètement amputée de la dialectique de la lutte des classes.

A ma connaissance, ce n'est pas le cas chez Illich pour qui, d'une part, la confrontation entre les classes est primordiale (sauf qu'il déplace la domination de la « classe bourgeoise » sur la domination de la « classe professionnelle qui contrôle les outils dans son intérêt »), et pour qui, d'autre part, l'élément déterminant, l'élément stratégique, est l'appropriation sociale des techniques, des outils par le biais de l'action politique. A cet endroit, on sent clairement l'influence de son temps. L'esprit des seventies !! Et peut-être, mais là je m'avance un peu, l'influence situationniste, dans la mesure où on retrouve la même volonté de faire en sorte que le peuple se réapproprie l'espace, les situations vécues, pour ne plus les subir.

Chez Ellul, par contre, le discours politique manque de clarté. L'action politique est censée être vaine (cf. l'illusion politique), mais après l'élection de Mitterrand, quelque peu opportuniste, il change son fusil d'épaule et prône une politique interventionniste assez conventionnelle. On voit donc que sa position est bien plus conservatrice que celle d'Illich. Quand Illich défend la pauvreté volontaire et l'action politique directe contre les institutions manipulatrices, Ellul prône, à l'instar de Bernard Charbonneau, un personnalisme que je rapprocherais volontiers d'un « libéralisme traditionaliste et spirituel » (même s'il s'en serait assurément défendu). La personne qui s'épanouit dans un environnement naturel, communautaire, traditionnel et spirituel, est dressée contre le capitalisme, l'Etat bureaucratique et la technique qui veut la transformer en individu interchangeable et la réduire à une pure fonction productive.

Reste que si Ellul s'est par la suite assez peu risqué dans des recommandations politiques concrètes, c'est peut-être que la croyance des personnalistes en l'avènement d'un ordre nouveau était loin d'être incompatible avec l'idéologie du régime de la Révolution Nationale2... Et d'ailleurs, quelques figures phares du mouvement, dont Emmanuel Mounier, ont montré quelques accointances dérangeantes avec le régime de Vichy... Certes, on ne peut en dire autant d'Ellul qui s'est indéniablement situé du côté de la résistance, mais il n'en demeure pas moins qu'il penche vers un certain conservatisme traditionaliste, également présent dans les milieux plus à droite à l'époque, voire très à droite ! Je pense qu'à l'opposé, la seule chose qui rapproche Illich du personnalisme, tout au moins à ce niveau, est sa volonté de s'appuyer sur les communautés pour contrer les institutions manipulatrices. Position à priori non-marxiste, qu'on retrouve d'ailleurs chez certains libéraux comme Friedrich Hayek, mais aussi dans la pensée libertaire, notamment le courant fédéraliste. Sauf qu'Illich oscille, ou même tente de faire le pont, entre deux positions : 1. le peuple, le vernaculaire, contre la société industrielle et les institutions dominatrices (position marxiste), 2. la communauté comme outil d'action, de déploiement de la personne (position plus personnaliste). D'où un certain vide dans sa pensée politique. Comment concilier les deux en pratique ? Comment mettre en place dans les faits une société conviviale qui s'appuie sur les communautés, mais qui a besoin de l'Etat pour protéger ces communautés ? Comment remettre l'Etat au service du peuple alors qu'il agit intrinsèquement contre le peuple ? Si Illich n'a certes pas répondu, il a ouvert des pistes de réflexion et d'action très profondes, en introduisant par exemple les concepts de « réseaux du savoir » ou de « chômage créateur ».

A l'opposé, Ellul s'en tient à une analyse essentiellement critique et bien plus fataliste, où la seule voie envisageable est le néo-luddisme. Mais s'agit-il vraiment d'une solution politique ? N'est-ce pas plutôt, ou bien une solution technicienne, puisque paradoxalement, on axe les transformations sur un changement technique en négatif (et comment réaliser ce changement sinon par des institutions manipulatrices ?), ou bien une voie individuelle, spirituelle, proche de certains courants mystiques qui prônent le renoncement de l'être aux choses matérielles (position qu'on retrouve dans les essais d'Aldous Huxley, assez proche du mouvement personnaliste), un certain retrait du monde ? Là on voit bien son influence sur les courants autonomistes.

Notes

1 « To Honor Jaques Ellul », Based on an address given at Bordeaux, November 13, 1993. Il en existe une traduction en français.

2 Voir Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France, 2013, Gallimard.

Catégories: De tout et de rien




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