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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
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Quand le discours environnementaliste masque l'expropriation et la servitude des usagers : le cas de VNF (Voies Navigables de France)

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 07-08-2020 15:33
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 07 août 2020 / Dernière modification de la page: 17 novembre 2020 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



On trouve pléthore de chercheurs, de penseurs, de militants qui s’affirment contre le capitalisme, le patriarcat, la techno-science, la société industrielle, le numérique, le racisme, le nouvel ordre mondial, la maltraitance animale, etc. Même si je partage certaines de ces causes - pas toutes -, une chose me dérange profondément dans leur démarche. Ils s’en prennent toujours préférentiellement à des « ennemis » invisibles, à des concepts abstraits, à des forces tapies dans l’ombre qui œuvrent sournoisement ; délaissant par là-même des problèmes et des « ennemis » bien concrets. J’entends par là des pratiques, des dispositifs, des organisations profondément ancrées dans le terrain et qui ont pour particularité, et comme mission quasi-divine, de nous « pourrir la vie », de menacer au quotidien nos libertés individuelles et qui sont les fers de lance de nouvelles servitudes.

L’impact de ces dispositifs sur nos vies n’est pas « conceptuel ». Il est facilement mesurable. Il est tangible et manifeste. Et en outre, il est souvent impossible d’y échapper et de s’en dépêtrer. Il devraient donc faire l’objet d’un traitement prioritaire. Et pourtant, il sont très souvent délaissés par la critique sociale au profit de ces « entités abstraites » dont on peine à comprendre la « substance » et à mesurer les effets.

L'hypothèse du « darwinisme intellectuel »

Je fais l'hypothèse qu'il existe, à l’origine de cette curieuse asymétrie, un « darwinisme intellectuel » ayant deux sources.

La première est que si, par malheur, le « méchant » venait à disparaître, c’est l’objet même de la contestation qui serait anéanti, et il entraînerait dans sa chute une myriade de penseurs, de militants, d’organisations et de marchands de papiers qui vivent à ses dépens. « L’existence du prédateur dépend de celle de sa proie » ! Les intellectuels suivent donc « instinctivement » une « stratégie de conservation ». Dans la mesure où il est peu rentable de s’en prendre à un ennemi trop précis, mieux vaut rester vague et exciter la foule contre de grandes entités abstraites – certes invisibles, mais la personnification spontanée leur donnera l’apparence d’une entité ou d’une substance palpable (les bourgeois, les capitalistes, les industriels, l'Homme, etc. ; ou de l’autre côté de la barrière, l’immigré, le terroriste, le juif, le franc-maçon, l’écolo, etc.) – si vastes et si éloignées - et en même temps si proche - de notre expérience quotidienne, qu’elles ne pourront jamais être éliminées et concerneront potentiellement un très grand nombre de personnes – ou du moins, nombreux sont ceux qui se sentiront opposés à elles. La maltraitance animale, le patriarcat, le capitalisme, voilà bien des concepts qui n’ont pas fini de créer de l’emploi et qui constituent à ce titre de véritables mines d’or pour l’industrie du savoir et l’industrie du changement qui travaillent main dans la main.

La deuxième est qu’il est beaucoup moins risqué de s’en prendre à un concept qu’à une organisation qui mène une politique claire et bien identifiée.

  • D’abord, parce que sur le plan épistémologique, il faut être précis et rigoureux dans ses critiques. L'intellectuel ne peut plus dire n’importe quoi, car l’auditeur peut vérifier, notamment grâce à son expérience, si ce qu'il avance est valide.
  • Ensuite, l’organisation peut contre-attaquer, que ce soit sur le terrain conceptuel ou sur le terrain juridique, et ruiner littéralement une carrière d’intellectuel ou de youtubeur engagé. Le patriarcat et l’immigration en revanche, ça va ! Pas de risques qu’ils entament une procédure…
  • Enfin, depuis les égarements macabres et monstrueux du nazisme et du stalinisme, il paraît désormais plus raisonnable d’éviter de trop stigmatiser et attaquer frontalement une population ou une organisation particulière. La plupart des militants l’ont bien compris, consciemment ou non, et ont opté pour une stratégie de canalisation de la haine vers des ennemis vagues et impalpables. Ainsi, l’Histoire ne leur en tiendra pas rigueur. À priori...

Reste que le risque de dérive n'en a pas pour autant disparu, parce qu'une fois la catégorie identifiée et reconnue coupable de tous les maux, ils disposent d'un cadre interprétatif si flou, adaptable à l'infini, irréel, que la redescente peut s'avérer douloureuse. Il faut dire qu'ils peuvent désormais y intégrer ce qu'ils veulent, suivant leurs affinités, leurs petites tracasseries ordinaires, le temps qu’il fait et la taille de leurs chaussures. Le mal est - presque - partout. Les méchants sont dans tous les coins. « Tenez ! Regardez ! Starbucks, Vinci, Total, Amazon et Goldman Sachs, voyez comme ils sont vilains ! Ouhhhhh ! C’est de leur faute s'il y a de la malbouffe, de l’agriculture industrielle et du capitalisme ! ». Mais il y a un hic. Si je me réfère à mes expériences, Starbucks n’a jamais entravé mes libertés au quotidien et ne m'a jamais forcé à déguster ses cafés imbuvables. Il faut dire que j’ai dû y aller une ou deux fois dans ma vie, grand maximum. Vinci est en revanche nettement plus envahissant… mais on peut encore lui résister et prendre la Nationale - et paradoxalement, en ce qui me concerne, le principal allié de Vinci, ce sont les covoitureurs de BlaBlaCar qui me mettent la pression pour que je prenne l’autoroute… Bref, responsabilité partagée. Il est certain que Total n’est pas exempt de pratiques environnementales douteuses (lol !), mais en France, rien de bien significatif au quotidien - ce qui n’excuse en rien sa politique étrangère immorale. Et Amazon ? Il n’y a rigoureusement rien qui oblige à utiliser cette plateforme et l'entreprise ne dispose pas du pouvoir d'empêcher les insatisfaits de créer ou utiliser une plateforme libre remplissant les mêmes fonctions que les siennes. Quant à Goldman Sachs, je laisse aux adeptes de la théorie du Nouvel Ordre Mondial le soin de m’expliquer en quoi il impacte sur leur vie quotidienne. Je sens que ça va être passionnant.

Je ne suis pas adepte du darwinisme social et encore moins du darwinisme intellectuel ; et n’ayant ni réputation ni emploi à sauver, je vais déroger à la règle et partir au front contre une organisation peu connue du grand public, mais néanmoins très active dans son domaine : VNF (Voies Navigables de France). Cette organisation n’a fait l’objet, à ma connaissance, d’aucune critique argumentée provenant des dissidents de l’ordre établi. Il faut dire qu’à gauche, tout va bien, VNF, ce sont des fonctionnaires et un établissement public à caractère administratif composé de gens du peuple. A droite, il y a France dedans, donc tout baigne. Et pour les libéraux ? Rien pour l’instant, mais tôt ou tard, l’Europe se mettra en tête de déréglementer et privatiser le marché de la navigation fluviale ; si ce n’est pas déjà fait…

Et pourtant, VNF complique la vie au quotidien de milliers de gens, sans qu’il leur soit possible de s’affranchir de son emprise ! Eh bien là, bizarrement, pas de soucis ! Immunité diplomatique ! Au passage, on pourrait en dire autant de la SNCF...

A quoi servent les voies de circulation ?

Alors revenons aux faits. Les rivières, les lacs, les canaux, sont, à l’instar de la mer, des routes, des sentiers, des pistes cyclables, des voies de circulation qui remplissent plusieurs fonctions, à travers des usages élémentaires :

  • Circuler. À pied, à la nage ou grâce à des « outils » ou véhicules dont des bateaux de petite, moyenne et grande taille.
  • Stationner. Car on ne peut être en permanence en mouvement.
  • Habiter. Nombreux sont celles et ceux qui, aujourd’hui, vivent dans leurs camions, leurs bateaux, leurs péniches.
  • Produire. Toutes ces voies de circulation sont intrinsèquement des espaces de vie très productifs, notamment en terme de ressources naturelles.
  • Socialiser. Ces voies de circulation font se rencontrer des personnes, créent des liens symboliques et réels entre les villes.
  • Commercer. La route fluviale sert à transporter des marchandises.
  • Guerroyer. Bien que ce ne soit plus d’actualités, cela a longtemps été une de ses fonctions principales.
  • Se promener. Eh oui !

Ce qui pose trois questions de fond.

  • Comment concilier différents usages parfois antagonistes ? C’est à dire, comment faire en sorte qu’on puisse les utiliser à des fins et avec des moyens très différents ? Et comment maximiser certains de ces usages ?
  • Comment faire en sorte qu’ils demeurent libres, accessibles au plus grand nombre ? En d’autres termes, comment garantir la liberté de circulation, la liberté de résider, la liberté de se promener, etc. ?
  • Comment les entretenir et les améliorer à cet effet ?

A ces questions, VNF a trouvé une réponse on ne peut plus simple :

  • Faire payer la circulation et, quand c’est possible, quasiment tous les autres usages,
  • Exclure les usages non rentables et les usagers refusant de payer leurs « services », en les stigmatisant au besoin,
  • S’accaparer l’entretien et les ressources tout en limitant les améliorations non-rentables.

Les objectifs de VNF

La création de VNF remonte à 19911 et consacre une orientation « lucrative » de l’organisation, encouragée, notamment par son statut temporaire d’établissement public à caractère industriel et commercial. Elle va de fait œuvrer à renforcer la perception des péages de navigation, la gestion commerciale de l’eau et la valorisation domaniale. Actuellement, trois missions lui sont attribuées : 1. la promotion de la logistique fluviale, 2. le concours à l'aménagement du territoire et 3. la gestion globale de l'eau2.

Retraduisons :

  1. La promotion de la logistique fluviale. Elle se concrétise dans la perception du péage et de taxes sur le stationnement qui frappent désormais toutes les embarcations de plus de cinq mètres.
  2. Le développement du tourisme fluvial marchand dont elle tire quelques avantages économiques notables et qui lui permet surtout de promouvoir ses activités : le développement de l’offre touristique commerciale et surtout du « tourisme fluvestre qui englobe les différentes activités sur la voie d’eau (plaisance, kayak) mais également le long des fleuves, rivières et canaux »3, la valorisation du patrimoine4, les partenariats et bénéfices indirects5 et plus généralement, tous les revenus issus de la valorisation du domaine et des services dont les tarifs sont consignés dans une liste particulièrement édifiante : « Tarifs Domaniaux et Services »6 où l'on peut constater l’ampleur de la marchandisation du domaine exploité par VNF.
  3. La perception d’une taxe hydraulique, désormais appelée redevance qui constitue une part importante de ses ressources financières (23% en 20197).

Derrière le discours idéologique verdoyant de VNF se cache donc une gestion privée et commerciale d’une voie de circulation et de ressources naturelles vitales dont elle s’arroge un quasi-monopole. Voyons ces points plus en détail.

La privatisation et la commercialisation d’une voie de circulation vitale et incontournable

En France, sur plus de 6700 kilomètres8, et à l’encontre d’intérêts environnementaux ou sociétaux globalement évidents, le droit à circuler librement n’existe pas. Il est entravé par VNF qui peut toujours refuser de vous accorder une autorisation de circulation et il est soumis au versement d’un péage. Cette restriction d’une liberté élémentaire est d’autant plus aiguë que les possibilités de contournement pour une embarcation d’une certaine taille en France sont très limitées pour ne pas dire inexistantes. Par exemple, un bateau fluvial ou une embarcation nautique de cinq à huit mètres n’a souvent pas d’autres choix pour circuler dans les terres ou rejoindre un autre plan de navigation que d’utiliser la voie fluviale.

La situation de monopole dont jouit VNF est donc de deux ordres. D’une part, elle exerce un quasi-monopole sur l’accès à une catégorie de bien (les routes fluviales et les canaux), à l’intérieur du territoire français. D’autre part, elle l’exerce sur un bien, ou un service, dont il n’existe quasiment pas de biens ou services de substitution. Il s’agit donc d’une situation bien plus grave sur le plan des libertés individuelles que celle tant décriée dans l’économie numérique, où des firmes n’exercent une pression monopolistique que sur des segments de marché très étroits.

Cette entrave au droit de circulation impacte par ricochet sur d’autres droits tout aussi fondamentaux. Le droit à stationner librement sur les rivières et les canaux, qui est limité à quelques jours. Le droit à habiter librement dans son embarcation qui, sans être vraiment remis en question, est grevé par une taxe sur le stationnement de longue durée dont le prix croît année après année. Le droit à commercer et à échanger librement, puisque là encore, VNF prélève une taxe sur les marchandises9. Enfin, VNF exerce une mainmise croissante sur le tourisme fluvestre et sur le droit à se promener librement sur les canaux et les rivières.

L’action de VNF nuit donc à des libertés individuelles fondamentales, et elle s’exerce sur un bien public qui ne devrait en aucun cas faire l’objet d’une confiscation par un établissement de quelque nature que ce soit. L’idée même paraît inacceptable. À la rigueur, de telles limitation des libertés individuelles fondamentales pourraient se justifier dans le cas d’un impact environnemental ou sociétal extrêmement négatif, et à partir du moment où cette évaluation reposerait sur un constat sans équivoque. Mais, dans le cadre de ces restriction des droits d’usage des canaux et rivières navigables de France, il n’en est rien et ce pour plusieurs raisons.

Le droit de péage constitue à priori un frein significatif à la navigation10. Or, d’un point de vue environnemental, il est aujourd’hui reconnu que la navigation fluviale est une solution très efficace dans la lutte contre la pollution liée au transport. Une mesure environnementale cohérente consisterait donc à rendre la circulation sur les rivières et canaux « gratuite »11, de façon à encourager leur usage, même s'il est commercial, par les petites et les grosses embarcations, au détriment du transport routier ou aérien, nettement plus polluants. Par contraste, il existe des voies de circulation payantes dont les gestionnaires justifient les restrictions qu’ils font peser sur le droit de circuler librement par la nécessité de limiter la présence des véhicules motorisés sur un territoire (cas du péage de l’Île de ré par exemple). Cela peut s’entendre. Mais, du point de vue environnemental, ce n’est pas l’objectif souhaité pour la navigation fluviale. L’argumentaire environnementaliste affiché par VNF paraît donc plus opportuniste que crédible, d’autant que les péages sont une part très réduite de ses recettes et que l’impact négatif supposé du péage sur la circulation des bateaux grève les coûts d’entretien des canaux, du moins s'il s'avère exact que plus les bateaux circulent sur un canal, moins il est nécessaire de le draguer régulièrement12.

Autre point, les restrictions qui pèsent sur la liberté de stationnement constituent une barrière forte à l’utilisation des canaux et des rivières par les petites embarcations pour l’hivernage. Or, en allouant gratuitement les canaux à cet usage, on solutionnerait partiellement les problèmes environnementaux liés aux nouvelles constructions portuaires en mer destinées à la plaisance. De plus, quelques règles d'usage des berges permettraient un entretien continu des berges par les usagers - ce serait la « contre-partie » exigée. A supposer alors qu’on puisse héberger en moyenne cent bateaux de faible dimension tous les kilomètres, les rivières et canaux navigables seraient en mesure d’accueillir près de 600 000 embarcations en hiver ! Ce qui permettrait d’absorber une partie non négligeable des bateaux immatriculés en France. Certes, nous n’en sommes pas là ! Et cela nécessiterait de repenser de fond en comble le rapport entre les ports maritimes et le stationnement fluvial. Mais n’est-ce pas indispensable quand on sait qu’un grand nombre de bateaux dans les ports ne naviguent quasiment plus ? Les ports maritimes pourraient ainsi recouvrer leur fonction originelle : offrir une escale gratuite, un havre de paix à des navires qui naviguent, en leur offrant temporairement une protection et un confort qu’ils n’ont pas en mer. Dans le fond, cette idée n’a rien d’original, puisque les fleuves, les rias, les graux, ont de tout temps été des zones d’hivernage pour les bateaux.

Écologiquement, l’impact d’une privatisation des voies de circulation n’est pas défendable, mais il l’est encore moins d’un point de vue sociétal quand il restreint par ricochet le droit à résider librement sur son bateau. Cette forme d'habitat alternatif, assez peu connue en France, constitue une excellente solution de secours pour des sans-abris. C’est une réalité qu’on ne saurait nier et qui, sur le canal du midi, est loin d’être anecdotique13. L’ayant sillonné de long en large, j’ai pu constater qu’une population significativement nombreuse vit sur des embarcations. Pour certains, il s’agit d’une forme d’habitation originale et luxueuse, mais pour d’autres, qui sont en situation économique précaire, cela constitue bien souvent leur dernière bouée de sauvetage avant une dégringolade parfois irréversible dans le monde de la rue. Mais quelles que soient leurs difficultés, ces personnes vivent sobrement sur leurs bateaux, développent des liens de fraternité remarquables et entretiennent les berges quand elles ont la possibilité de le faire. Et comment VNF les remercie pour ce travail bénévole ? Disons les choses clairement, elle les expulse, les poursuit ou les relègue dans des « ghettos fluviaux », aggravant ainsi leur situation déjà précaire. Pourquoi ? Rien n’est explicitement dit, mais on peut penser que VNF vise ainsi à entériner l’obligation de payer le stationnement qui n’est pas encore tout à fait acquise14 et à expulser des populations dont les rites et les allures ne conviennent pas forcément au cadre idyllique et bien propret tant vanté dans les brochures touristiques !

Toujours en ce qui concerne l’impact sociétal, VNF prétend promouvoir le développement territorial. Or, concernant la fonction de mise en relation des territoires à travers les voies navigables, la moindre des choses serait, à ce titre, de proposer des avantages concrets aux habitants d’une ville ou d’un village traversée par une rivière ou un canal, de façon à ce qu’ils puissent relier facilement et gratuitement d’autres territoires et s’approprier librement leur environnement fluvial pour des usages locaux. Hélas, il n’en est rien et aucun indice ne laisse présager une évolution qui aille dans ce sens. Il n’y a pas de tarifs préférentiels (à la différence du péage de l’Île de Ré par exemple) et il n’y a quasiment aucun aménagement facilitant un usage récréatif ou fonctionnel. Le canal passe, les bateaux passent, les vélos passent, mais les habitants des villes et villages qu’ils traversent n’en profitent guère… Certes, VNF tente de valoriser son domaine en rénovant des bâtiments jouxtant les rivières ou les canaux. Mais où va l’argent ? Outre le fait que cette privatisation de l’espace public est très contestable, je doute qu’il bénéficie aux habitants du coin…

Enfin, d’un point de vue éthique, la rémunération d’une entreprise ou d’un particulier pour un bien, un service, un ouvrage qu’il a produit, paraît tout à fait légitime. Ce qui est déjà plus contestable, c’est la revente d’un bien d’occasion ou d’un service qu’une personne aurait produit « quoi qu’il arrive » sans qu’on la rémunère. Plus généralement, si la perception d’une rente sur des ressources soulève de nombreuses questions éthiques, son caractère « injuste » est atténué lorsque la rente porte sur une ressource « artificielle », faiblement « sacralisée15 », aisément reproductible ou substituable. Que l’on tente de rentabiliser un lave-linge ou un livre qu’on a écrit, pourquoi pas. En revanche, l’appropriation marchande des rivières et des canaux sur lesquels l'être humain a de tous temps circulé et résidé librement, constitue un vol pur et simple du patrimoine commun de l’humanité ; la subtilisation d’un bien public et naturel, c’est à dire produit sans l’intervention de l’être humain (comme certaines rivières) ou qui est le fruit de l’action énergique de nos ancêtres souvent astreints à creuser les canaux dans des conditions difficiles. Et c’est sur cet héritage collectif que VNF entend légitimement prospérer pour protéger l’environnement. C’est ce bien public qu’il privatise, sans considération pour tous ces milliers d’ouvriers qui se sont épuisés à la tâche par le passé et qui n’apparaissent nulle part sur la « propagande officielle » de ses tracts touristiques, tandis qu'en revanche, le visage des « seigneurs » comme Pierre-Paul Riquet, caracole dans tous les ports fluviaux du midi !

La privatisation et la commercialisation du domaine et des ressources naturelles

Cette confiscation illégitime et vénale d’un bien public ne rencontre malheureusement aucune résistance active. Elle ne se limite pourtant pas aux entraves extrêmement lourdes qu’elle fait peser sur le droit de circuler, le droit de stationner et le droit d'une personne à habiter comme il lui convient. La politique d’expropriation des ressources qui sont produites par les canaux et les rivières a également des conséquences terriblement néfastes.

Tout d’abord, rappelons que VNF fait payer aux agriculteurs une eau qui n’a subi aucun traitement de sa part. C’est un problème potentiellement grave pour plusieurs raisons.

  • La légitimité d’une telle pratique est en soi contestable, puisqu’en définitive, à la différence d’une entreprise de distribution d’eau potable, VNF n’apporte aucune plus-value. Lorsqu’il s’agit d’une entreprise privée ou d’un particulier, il est déjà difficilement admissible qu’ils puissent vendre une ressource aussi vitale que l’eau. A la rigueur, on peut l’entendre s'il s'agit d'un service de purification et de distribution de l’eau à grande échelle. Mais s’agissant d’un organisme public qui n’apporte aucune plus-value à la ressource, la démarche est tout bonnement inacceptable.
  • Bien que je ne dispose pas de données sur le sujet, en rendant la ressource payante, il y a fort à parier que VNF incite directement les agriculteurs à se procurer une eau moins chère en pratiquant des forages et en puisant l’eau des nappes phréatiques déjà bien mal en point.
  • Tout cela contribue forcément à renchérir le prix du produit final. Songez au coût exorbitant qu’atteindraient les denrées alimentaires si toute l’eau nécessaire à l’agriculture devenait payante...

Enfin, si la politique de VNF est rationnelle d'un point de vue économique, elle ne peut que privilégier les cultures très rentables mais gourmandes en eau - la ressource va en priorité vers ceux qui payent le mieux. Or, en France, dans les zones que les canaux et les rivières traversent, excepté dans le midi, la nécessité de l’irrigation est difficilement légitime d’un point de vue écologique. La période sèche est brève. Seules des cultures hautement consommatrices en eau, comme le maïs, cultures qui ne favorisent évidemment pas une agriculture paysanne et biologique mise au service d’une démocratisation alimentaire, mais qui, en revanche, sont économiquement très rentables, nécessitent un arrosage fréquent en été. Ce sont donc, à priori, de telles cultures que VNF soutient. Alors qu’il pourrait au contraire rationner l’eau d’irrigation pour la distribuer gratuitement à des cultures sobres, mais parfois vulnérables en cas de sécheresse prolongée. On peut dire les choses différemment. Faire payer l’eau d’irrigation, c’est potentiellement faire peser un risque de pénurie alimentaire sur une population. Et le paiement de l’irrigation se heurte toujours au risque que la privatisation d’une ressource aussi vitale que l’eau fait peser16.

Cette finalité antagoniste aux intérêts collectifs ne se limite pas à ce réservoir d'eau que VNF confisque, elle concerne également les berges des rivières et canaux. Celles-ci constituent en effet potentiellement une zone de culture vivrière exceptionnelle. A l’heure où nombre d’habitants des villes et des villages rêvent de cultiver un potager mais peinent à trouver un petit lopin de terre à cet effet, pourquoi ces espaces ne sont-ils pas aménagés dans cette optique ? Encore une fois, ils pourraient l’être, à condition de payer ! VNF propose en effet une grille tarifaire adaptée aux besoins des jardiniers amateurs ! Tout comme il propose une grille tarifaire adaptée aux artistes qui souhaitent prendre en photo son domaine si vaste et diversifié de 40 000 hectares17 ! C’est donc ça le bien public ? On imagine pourtant le potentiel qu’il y aurait à proposer gratuitement une telle superficie qui longe 6 000 kilomètres d’une excellente réserve en eau d’irrigation, à des jardiniers volontaires qui le convertiraient en jardins libres. Mais allez dire ça aux cadres de VNF...

VNF opère donc sur tout un ensemble de ressources naturelles qu’il a en sa possession une expropriation d’usage. Or il s’agit pourtant de ressources utilisées pour des usages fondamentaux comme la circulation fluviale et l’alimentation humaine. Le tout, il convient de le mentionner, sur la base d’une gestion environnementale désastreuse. Le long des canaux, les berges sont en effet encore fauchées mécaniquement, parfois brutalement terrassées, au détriment de la faune et de la flore sauvage qui y trouve refuge. Sur le canal du midi, les platanes, atteints par une maladie incurable sont coupés à ras et brûlés sur place. Politique végétale sanitaire nécessaire ? Peut-être. Mais force est de constater qu’on réitère ensuite les mêmes erreurs : planter des alignements d’arbres similaires et « inutiles »18, au lieu de privilégier la biodiversité et des espèces utiles aux usagers, comme des espèces fruitières. Mais cela traduit-il une malencontreuse erreur de gestion de la part d’une institution pleine de bonne volonté, comme elle se plaît à s’afficher, ou le signe d’un certain mépris envers la question environnementale au profit de l’économie et de l’emploi, seuls objectifs véritablement valables ?

Il me semble que le masque environnemental que VNF aime exhiber lorsqu’il vante ces projets de tourisme fluvestre, tombe dès qu’on se penche sur un projet comme la réouverture du canal de Condé-Pommeroeul. Là, VNF a choisi d'égrener des chiffres nettement moins sympathiques que ceux qu'il vante pour ses péniches électriques : 1,3 millions de mètres cubes de sédiments à draguer, 440 000 mètres cubes de terre franche à terrasser, 27 hectares de zones humides à réaménager… avec pour objectif d’assurer « la navigation de grands automoteurs (…) avec des capacités pouvant atteindre 3 000 tonnes, vers et depuis les grands centres économiques de Gand, Anvers, Rotterdam... »19. On est loin donc de la petite pénichette qui remontera le canal du midi pour aller livrer des carottes bios aux villages qu’elle traverse. Ça, c’est juste du bla-bla durable… Et d’ailleurs, s'il n’en existe pas, c'est aussi sans doute qu'avec le prix des taxes soutirées par VNF, un tel commerce est devenu tout bonnement impossible.

Le discours idéologique de l'expropriation

Un autre aspect de la politique de communication de VNF est également très problématique. Il cherche à faire reporter l’origine de ses erreurs de gestion environnementale sur les usagers indésirables. C’est ainsi qu’on peut lire sur une plaquette d’information de son cru portant sur le chancre coloré20 les conseils suivants :

  • « ne pas amarrer les bateaux aux arbres,
  • privilégier le stationnement dans les ports ou haltes nautiques21 ».

« C’était donc ça ! » Si les platanes sont décimés, c’est à cause de ces usagers inconscients et irrespectueux qui stationnent sauvagement le long du canal au lieu de payer chèrement et bien sagement les ports aménagés. L'accusation a bien pris, puisqu'un tel discours est aujourd’hui complètement banalisé et rabâché sur le canal, alors que je n'ai trouvé aucun article scientifique le corroborant. En revanche, plusieurs articles mettent clairement en cause l'impact indéniable du débroussaillage, du terrassement ou de l'élagage22. Comme toutes les institutions manipulatrices, au sens d’Illich23, l'institution VNF a donc elle aussi son discours idéologique et son ennemi invisible vers lequel elle peut mobiliser ses troupes pour partir en croisade. Et cet ennemi, évidemment, finit par être associé à tort à l’usager récalcitrant qui ne veut pas payer ses services et écouter sa bonne parole… A tort, puisque malheureusement, rien ne paraît pouvoir stopper la propagation de l’épidémie et l’amarrage n’a qu’un effet très incertain et secondaire sur celle-ci24.

Sauf qu’en réalité, au lieu d’être « criminalisé » dans une politique sanitaire végétale habile mais grossière, et puisqu’il s’agit de se le représenter selon sa valeur économique potentielle (voir notes ci-dessus), l’usager lambda devrait plutôt être payé pour les nombreux bienfaits qu’il apporte au canal (voir Annexe) ! En naviguant sur le canal, il le drague ; en stationnant sur les berges, il participe à leur entretien ; en résidant sur le canal, il offre un joli spectacle dont raffolent les touristes : des alignements de péniches bariolées et pittoresques qui tranchent avec la monotonie des alignements de platanes ; en se promenant, il participe à la socialisation du lieu ; en installant des plantes sur les berges, il les enjolive ; Et cetera. Pourquoi ces services ne sont-ils pas rémunérés ? Pourquoi le seraient-il moins que l’éclusier qui, dans certains zones, est visiblement installé sur place pour amuser la galerie et rassurer les touristes ? A preuve, sur de nombreuses portions de canaux, en France, les écluses sont manuelles (en Bretagne, c’est à l’usager de les ouvrir à l’ancienne, avec une manivelle !) ou automatisées (sans éclusiers). La différence en terme de coût de fonctionnement doit alors être colossale. La vérité est donc que VNF fonctionne comme une bureaucratie qui cherche à perdurer à tous prix, sans cesse menacée par la mécanisation, quitte à produire des services qui ne servent plus à rien et à vendre au plus offrant ses compétences imaginaires qui ne sont en fait que le produit des usagers du canal. A l’opposé, toutes les améliorations proposées, les initiatives qu’elle ne contrôle pas, tombent systématiquement à l’eau, surtout si elles n’ont pas passé le test de la rentabilité, valeur ultime d’une organisation qui ne jure plus que par le marché et par la valorisation économique de son domaine.

De Mad Max à Marx

J’en reviens à mon introduction. Le pouvoir détenu par VNF me fait peur. Il constitue une dystopie anarcho-capitaliste moyenâgeuse, où le voyageur canalisé passe de marinas privées rutilantes à des décors post-apocalyptiques à la Mad Max. Et comme je l’ai montré, nul besoin d’aller naviguer dans l'océan des concepts pour la rencontrer… Pour peu que vous habitiez près d’une rivière ou d’un canal, VNF est sûrement là, près de chez vous. Bien souvent, vous piétinez son territoire sans même le savoir.

Est-il alors vraiment pertinent de râler contre le capitalisme numérique parce que votre smartphone vous envoie une énième notification vous demandant si la terrasse du café auquel vous êtes attablé vous a plu ? Je ne le crois pas. Car c’est bien mal comprendre la perversion des États modernes qui savent masquer leur présence mieux que je ne sais quelle appli que personne ne vous à obliger à installer (essayez F-Droid25...). Le problème n’est pas là où vous le croyez. Il est à l’endroit où vous êtes assis. Sur la terrasse en question qui est une concession payante sur le domaine public. Parce qu’en somme, vous achetez indirectement le droit de stationner en payant votre café. Vous croyez être libre, insouciant ! Sûrement pas ! Vous êtes un serf. Et votre seigneur saura prélever la taille, quoi qu’il arrive !

Quant à dormir sur les bancs ? N’y songez même pas ? Avez-vous pensé à l’effet sur le tourisme, les commerces, l’image de la ville ? Et à tous ces honnêtes citadins qui payent pour être au calme !? Et votre droit à vous balader ? Certes, on vous le concède, mais à condition que ce soit dans une magnifique artère commerçante, où vous pourrez à nouveau vous faire prélever quelques deniers. Ou alors, dans un parc aménagé, où vous viendrez enrichir avec vos pas les statistiques de fréquentation dont se serviront les entreprises prospérant sur le marché de l’aménagement urbain pour légitimer et vendre leurs opérations auprès de leurs investisseurs. Certes, vous aurez le droit de vous socialiser, mais dans des lieux prévus à cet effet : dans des écoles qui génèrent presque un million d’emploi (alors surtout, ne vous avisez pas de dire que ça ne sert à rien), dans des bars payants et sur des applis payantes !

Et là-dedans, où se trouvent le capitalisme, le patriarcat, le nouvel ordre mondial, l’immigration, la bourgeoisie ? Nulle part ! Ça ne sert à rien d’accuser des choses qui ne se voient pas, qui n’existent pas ; de tourner autour du pot sans jamais s’arrêter, comme la lune autour de la terre… le problème, c’est l’État. Et l’État, c’est nous qui l’alimentons. Tant que nous continuerons d’accepter la spoliation de nos ressources par des organisations étatiques comme VNF, tant que nous accepterons de sacrifier nos libertés sur l’autel de leur efficacité économique imaginaire (« ben oui, si c'est gratuit, qui va payer l’entretien des canaux… ? »), tant que nous continuerons à croire à leurs salades, à consommer les pseudo-services qu’ils prétendent nous dispenser avec bienveillance, nous resterons leurs serfs.

Mais dans le fond, rien ne nous oblige à le faire. Car à la vérité, nombreux sont celles et ceux qui ont leur bateau sur le fief de VNF et qui résistent… Et après tout… Qu’est-ce qu’ils risquent ? Que VNF confisque leur bateau ? Peu importe... S’ils les veulent, ces bateaux, qu’ils viennent les prendre. On les invite à dormir dessus ! Parce que la mer, les rivières, les canaux, c’est chez nous ; et ce sera toujours chez nous. C'est le domaine des êtres humains épris de liberté. Il est ouvert à tou.te.s. Nul n'a le droit d'en exclure quiconque. Alors, en définitive, le seul intrus dans l’histoire, n'est-ce pas VNF ?

Annexe : quelles alternatives pour VNF ?

Comme le dit l'adage, « la critique est facile, créer beaucoup plus difficile » ! Comment aider VNF à sortir du marasme dans lequel il s'est lui-même embourbé ? Voici cinq propositions :

  • Opérer un renversement culturel et ne plus considérer l'usager comme un élément « extérieur » au domaine, qui est défini exclusivement par sa valeur marchande ou comme une source potentielle de désordre et de mésusage. L'usager doit être perçu comme un acteur utile, dont l'usage doit être valorisé, encouragé et même rétribué au besoin, au même titre que l'éclusier par exemple. Ce qui n'exclut pas qu'il puisse être guidé vers de bonnes pratiques. Par exemple, le résident pourrait être symboliquement rétribué, de même que les bateaux qui circulent en raison des bienfaits qu'ils génèrent. Quant au transport de marchandises, il doit être subventionné et non taxé. Et s'agissant du photographe d'art, il doit pouvoir être libre de photographier le canal sans devoir rétribuer le propriétaire auto-proclamé de l'image de la nature ancestrale !
  • Développer des systèmes autonomes ou automatisés dans lesquels l'usager prend une part accrue à l'entretien et au fonctionnement des canaux et des rivières. À l'opposé, la participation des professionnels doit diminuer progressivement pour laisser la place au volontariat, au même titre que dans la SNSM par exemple. Pour le dragage, on pourrait ainsi imaginer des systèmes de dragage posées sous les péniches de location. Ce serait une contre-partie logique.
  • Favoriser l'implantation de pratiques écologiques le long du canal. Par exemple, en délimitant de vastes zones où les usagers peuvent développer des jardins libres, d'autres où ils peuvent développer des jardins partagés ou des jardins privés, d'autres où ils peuvent venir faire pâturer leurs animaux ou réaliser des activités de loisirs libres, variées, non-mécanisées (accrobranche, baignades, etc.) et gratuites.
  • Orienter l'allocation des ressources produites par les écosystèmes fluviaux vers des projets utiles et écologiques, en les offrant gratuitement et préférentiellement à des projets, des organisations, des particuliers qui ont des usages respectueux de l'environnement. En revanche, ces ressources pourraient être vendues plus chèremenent dans les autres cas.
  • Arrêter la course au gigantisme et les projets pharaonesques qui plombent les finances de l'organisation, et promouvoir à la place des systèmes de transports mobiles, réticulaires et fluides à taille humaine.

Ces mesures auraient pour effet de rééquilibrer rapidement et de manière durable et solide les finances de l'organisation, de limiter considérablement les travaux d'entretien en se basant sur des techniques de gestion très anciennes et éprouvées (comme le dragage naturel), de renforcer la protection de l'environnement et de revaloriser le rôle des usagers tout en accroissant leurs libertés d'action.

Notes

4 Voir à ce sujet l’article de Anne Galitzine « Voies navigables de France entreprend de valoriser son patrimoine », Le Moniteur, 31 mars 2000. Comme elle l’explique, « Le patrimoine de VNF ne se limite pas aux 6 700 km de canaux, rivières et fleuves navigables de France (...), mais englobe aussi les chemins de halage, les plates-formes intermodales, des terrains et des installations industrielles, des immeubles d'habitation et, bien sûr, d'anciennes maisons d'éclusiers. Ce foncier, acquis ou constitué au fil du temps par l'Etat et autrefois géré par les Domaines, est désormais du ressort de VNF. Il représenterait 80 000 ha de terrains et 3 500 immeubles. ». Depuis l’année 2000, date de rédaction de l’article, cette valorisation du patrimoine a suivi son chemin et les recettes domaniales représenteraient 5,2 % du financement de VNF en 2019. Source : < https://www.vnf.fr/vnf/accueil/qui-sommes-nous-vnf/politiques-publiques/nos-ressources-financieres/ > consulté le 06 août 2020. Voir également ce lien : < https://www.vnf.fr/vnf/dossiers-actualitess/valorisation-touristique-des-maisons-eclusieres/ > consulté le 06 août 2020.

5 Voir ce lien : < https://www.vnf.fr/vnf/accueil/tourisme-fluvial/offre-touristique-fluviale/nouveaux-produits-ecotouristiques/ > consulté le 06 août 2020. Il n’est pas évident de saisir, vu de l’extérieur, comment VNF s’y prend, pour structurer ses partenariats, mais ses communiqués laissent entendre qu’il y a bien une manne économique qu’il tente d’exploiter. C’est ainsi qu’on peut lire dans une brochure que VNF édite et qui est consacrée aux chiffres du tourisme fluvial que celui-ci est « dans un contexte toujours très favorable avec un total de 11,3 millions de passagers (...) et 2,4 millions de nuitées (...). Le retour de la clientèle étrangère se confirme et profite en premier lieu au segment des bateaux promenade (...) et à celui de la croisière avec hébergement (...). Avec des fréquentations qui retrouvent ou dépassent le jalon que constitue l’année 2015, les perspectives de développement du tourisme fluvial en France se renforcent. Les retombées économiques atteignent 180 M€ sur le petit gabarit, couramment appelé réseau Freycinet, en 2017, dont un tiers générées par le vélo, au succès continu. ». Plus loin, on y apprend qu’« en 2018, le taux d’avancement des itinéraires cyclables inscrits au schéma national vélo et à moins de 150 m du réseau VNF atteint 90 %. Suite à l’adaptation du référentiel « site touristique », la marque Accueil Vélo est ouverte aux sites de plaisance. Des progrès salués par la clientèle française et favorables à l’essor des péniches hôtels et des bateaux de location. Ces derniers, avec le soutien de VNF, poursuivent par ailleurs leurs expérimentations de motorisation innovante. Parallèlement, avec l’élaboration de contrats de canal, l’organisation de comités d’itinéraire ou encore l’harmonisation des méthodes, VNF est, plus que jamais, un acteur clé du développement du tourisme fluvial. ». Sur le contrat de canal, on pourra consulter ce lien en exemple : < https://www.bourgognefranchecomte.fr/sites/default/files/2018-10/Contrat%20Canal%20de%20Bourgogne.pdf > consulté le 06 août 2020.

8 L’association Canaux de Bretagne qui « gère » une partie des canaux situés en Bretagne et en Loire-Atlantique s’inscrit dans la même logique commerciale, même si le phénomène est un peu moins prégnant. La fiche « Tarif des redevances domaniales » de 2020 laisse apparaître plus de souplesse, des prix moins prohibitifs, et peut-être davantage d’exemptions envers les associations à but non-lucratif notamment pour les frais de stationnement. Néanmoins, globalement, la logique reste la même : faire payer tout ce qui peut l’être. Voir < https://voies-navigables.bretagne.bzh/wp-content/uploads/2019/12/DVN_2020_Tarifs.pdf > consulté le 06 août 2020.

9 En cela d’ailleurs, il suit une logique qui ne diffère guère des pratique courantes au moyen-âge. Voir par exemple l’article de Josiane Teyssot, « Navigation et péages sur l’Allier à Moulins à la fin du Moyen Âge », in Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (dir.), Ports maritimes et ports fluviaux au Moyen Âge : XXXVe Congrès de la SHMES (La Rochelle, 5 et 6 juin 2004), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2005. < http://books.openedition.org/psorbonne/12825 > consulté le 06 août 2020.

10 A titre d’exemple, le droit de circulation à l’année pour un voilier démâté de 10 mètres souhaitant se rendre de l’Atlantique à la Méditerranée est de 290€ environ. Source : < https://cmed.fun/tarif-vignette-vnf-2020/ > consulté le 06 août 2020. Le passage par le détroit de Gibraltar est-il moins cher ? A priori oui, mais les frais sont à coup sûr moins maîtrisables en mer.

11 Il semble que cette revendication ne soit pas neuve. Dans l’ancien régime, un débat oppose ceux qui veulent une gestion patrimoniale des fleuves et rivières et ceux pour qui la circulation doit être gratuite. Comme le note Pierrick Pourchasse, « Le système des concessions qui se traduit par la patrimonialisation des canaux, usage néfaste au développement économique, est très critiqué. (…) En juillet 1764 (…) Bertin établit un plan de navigation fluviale pour mettre un terme aux déséquilibres spatiaux, sociaux et économiques préjudiciables à l’ensemble du royaume. Une circulation gratuite sur les voies d’eau entre les différentes provinces assurerait un rééquilibrage des disparités de production, ferait baisser le prix des grains et mettrait fin aux disettes. De plus, le développement des voies d’eau et celui des chemins de terre doivent être indissociables et complémentaires. », « La navigation intérieure sous l'Ancien Régime », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-1 | 2016. < http://journals.openedition.org/abpo/3234 > consulté le 06 août 2020.

12 Bien que ce point manque à ma connaissance de données expérimentales vraiment fiables, il aurait pour origine le passage des navires qui crée des remous qui maintiennent les sédiments en suspension et qui les évacuent vers les rives des canaux et l'ouverture plus régulière des écluses qui crée des courants les chassant plus efficacement. Lorsque ces conditions sont remplies, le canal est donc un bien qui s'améliore à l'usage. D'où l'idée d'encourager cet usage. Ce problème est évoqué par Catherine Jauffred dans un rapport de recherche daté de 2013. Elle note que « l'absence de navigation de péniches de commerce a supprimé le système de dragage « naturel ». Le passage fréquent des bateaux remuait les vases permettant leur évacuation. » < https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Connaissance-des-patrimoines/Files/Allocations-de-formation-et-de-recherche/Archives-des-Allocations-Formation-recherche-du-Patrimoine-ethnologique/Allocataires-2013/Les-derniers-mariniers.-Histoire-et-anthropologie-d-une-disparition-sur-le-canal-du-Midi-JAUFFRED-Catherine > consulté le 08 août 2020.

13 Voir notamment à ce sujet Patrice Ballester, « Tourisme de masse et tourisme responsable en période de crise paysagère : le canal du Midi (France) », Études caribéennes, 31-32 | Août-Décembre 2015. < http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/7566 > consulté le 07 août 2020.

14 Et que diront ceux qui acceptent de payer si certains y échappent ?

15 Elle n'est pas l'objet d'une sacralisation, d'un investissement culturel et symbolique fort par une population.

16 Au Maroc, par exemple, les modèles communautaires traditionnels de distribution et de répartition de l’eau ont subi de plein fouet les déséquilibres engendrés par la colonisation. Néanmoins, comme le soulignent Thierry Ruf et Mina Kleiche-Dray, « des solutions existent pour tenter de concilier les antagonismes et refonder des territoires hydrauliques viables en mutualisant les différentes ressources et en instituant une gestion juste, équitable et opérante de l’eau avec de véritables associations assises sur un périmètre défini, avec des règles constitutionnelles et opérationnelles claires », « Les eaux d’irrigation du Haouz de Marrakech : un siècle de confrontations des modèles de gestion publics, privés et communautaires », EchoGéo, 43 | 2018, < http://journals.openedition.org/echogeo/15258 > consulté le 06 août 2020.

18 Il n’est pas inutile de remettre ces pratiques dans une perspective historique. Ainsi, dans un rapport commandité par VNF, Veronique Mure et al. remarquent, « l’architecture des arbres a été très fortement marquée, durant tout le XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème, par l’exploitation des bois, branches et fagots. Des arbres d’émonde, mutilés par ces tailles répétées (...). Le XXème siècle est marqué par une tentative d’équilibre entre la rentabilité économique des alignements, pour palier le peu de moyens disponibles pour les plantations, et la préservation de leur qualité esthétique (…). Malgré certains inconvénients pour la voie d’eau et sa faible valeur économique, le platane maintient sa suprématie. L’élément majeur qui distingue la fin du XXème siècle et le début du XXIème de tous les siècles précédents est l’arrêt de l’exploitation du bois des arbres d’alignement pour ne plus considérer que la valeur esthétique des alignements. », Cahier de référence. Pour une approche patrimoniale et paysagère des plantations du canal du midi, jonction et robine. Diagnostic et projet. 20 Juillet 2012. Et qu’en est-il du paysage comestible ? Le rapport, il est vrai rédigé en 2013, n’aborde pas la question, alors que pourtant, les berges du canal étaient autrefois sans doute mises en culture. En réalité, « le déroulé de l’histoire des plantations du canal du Midi nous enseigne que si le platane se taille aujourd’hui la « part du lion » dans la palette d’essences (95% des alignements), celui-ci n’occupe cette place que depuis assez récemment au regard des 3 siècles d’existence de l’ouvrage. » (Ibidem).

20 Maladie cryptogamique qui décime les platanes du midi.

22 Point de vue qui est d'ailleurs relayé par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Sur la page consacrée au chancre colorée, il affirme : « Le déplacement du champignon par ses organes de dissémination, par des débris de bois contaminés ou par le biais de l’eau ou d’outils et d’engins de travaux (véhicules, dispositifs d’accrochage ou de fixation dans les arbres, outils et engins utilisés pour les travaux d’élagage, fauchage, débroussaillage, terrassement, etc.) constitue un risque majeur de dissémination de la maladie. ». < https://agriculture.gouv.fr/le-chancre-colore-du-platane-0 > consulté le 09 août 2020.

23 Voir l'article de Marcela Gajardo sur Ivan Illich pour introduction. < http://www.ibe.unesco.org/sites/default/files/illichf.PDF >

24 Le rapport Mure indique, « en milieu naturel la propagation de la maladie le long d’un cours d’eau serait impossible à stopper. En effet la maladie se propage principalement par les spores véhiculées par l’eau qui pénètrent dans les arbres sains par des blessures naturelles aux racines. Les crues, la faune et les multiples accidents naturels sont à l’origine de très nombreuses plaies qui apparaissent tout au long de l’année et permettent la contamination des arbres sains. Dans le bassin de la Sorgue en Vaucluse les derniers peuplements et plantations de platanes sont morts au cours de la dernière décennie au terme d’une épidémie ayant duré près de quarante années. L’épidémie ne s’éteint qu’avec la disparition complète des arbres sensibles à la maladie à proximité des foyers. » (Ibid.).

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