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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire.
 

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Je hais la Francé (hé hé)

Auteurs : Manuel J Grotesque (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2008
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : non éditable
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 novembre 2013 / Dernière modification de la page: 26 novembre 2013 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Il y a quelque temps, je sentais mon énergie quotidienne bouffée par l’Empire de la Haine, cette contrée à la fois moralisatrice, culpabilisante, rationnelle jusqu’à la robotisation, structurée jusqu’à la mesquinerie, méfiante jusqu’à la pathologie, étouffante, sexuellement atrophiée, diplomatiquement tyrannique, veule et insidieusement ultraviolente, autrement dit notre si paradoxalement « douce » France. Elle était douce, oui… comme une douce mort ou un doux mensonge. Je me disais qu’il n’y avait plus rien à faire ici, émettant par exemple l’hypothèse que la deuxième guerre mondiale et la collaboration avaient dû casser quelque chose au cœur de la culture Française, l’enfermant sous une lourde chape de non-dit et d’hypocrisie. D’autres jours, je penchais plutôt pour le syndrome du « pays de vieux », sanctuaire du gâtisme où la moindre petite fête attire des bataillons de policiers armés jusqu’aux dents, où l’on cultive une violence sourde en l’arrosant avec le fameux engrais insécurité. Pas moyen de construire quelque chose dans les parages : l’homme est un animal incurablement social, qui tient compte de ses congénères, alors quand ces derniers vous susurrent continuellement en substance : « Chuuuut, faut pas éxagéréer quand mêêêêêêême » ça vous tranche légèrement les testicules, si vous voyez ce que je veux dire. On se beaufise très vite entouré de tels persiffleurs, on sent monter en soi un personnage volontiers vulgaire et gueulard, ostentatoire metteur de pieds dans le plat, qui peut aller de Bigard et Dieudonné au punk à chien. Et on n’a pas forcément envie non plus de ressembler à ça.

Donc Kasssssoooooooooooooooos !

Pour un Français qui souffre d’une telle situation, l’arrivée dans un pays un peu plus décontracté du gland ressemble aux promesses d’Oussama à ses petits bomber men. Bon, les douze mille filles ne sont plus vierges depuis longtemps, mais ça on s’en fout. Hé, mais c’est le paradis ! La tendance sédentaire et autocentrée des Français ne les aide guère à envisager la possibilité d’une vie autre, c’est donc par surprise qu’ils découvrent le jackpot de l’étranger. Après 30 ans de vie en France, l’idée qu’un voisin n’avait pas forcément l’œil sur moi en permanence pour me juger et me condamner avait presque disparu du mon cerveau. Et non d’un chien, oui, on peut vivre sans traîner le boulet d’une morale étriquée, sans porter la croix du jugement d’autrui! Cela peut sembler outrageusement individualiste, c’est pourtant une bien agréable règle de vie en collectivité, qui permet au corps social de respirer, de se relaxer, précisément ce qui fait défaut à cet hexagone constipé.

« Rien à foutre !» est la pensée hilare qui me vient le plus souvent en tête en Argentine. C’est vraiment bon de se sentir libre de parler à qui l’on veut, comme on veut, sans froisser qui que ce soit. De ne pas répéter tout le temps « Oh pardon excusez-moi je suis désolé ça ne vous dérange pas trop ? ». De saluer chaleureusement le chauffeur du bus parce qu’on en avait envie et de taper le bout de gras avec lui sur des sujets complètement débiles. De voir les gens rire, gueuler, se laisser aller. D’aborder une fille qui ne va pas aussitôt appeler la police parce qu’on l’aurait prise pour une pute «Oh, faut pas exagérer quand mêêêêême». La sensualité française semble avoir été minutieusement traquée sur des générations comme une tare haïssable, au profit d’un sadomasochisme de rigueur dans lequel certains trouvent leur compte. Le mépris, pour beaucoup de Français, c’est ultra sexe.

Passée cette première étape d’euphorie, on se rend compte que tout ce qui est écrit là est un peu un tissu de conneries. Pas que ces constatations – de toute façon subjectives – soient totalement à côté de la plaque. Mais parce que RIEN A FOUTRE! Aucune ambiance culturelle ne devrait être la clé de voûte d’une destinée ; notre travail personnel est donc de regarder ailleurs pour inventer une vie autre, de se défaire des pesanteurs sociales qui bouffent notre énergie et pas de lutter éternellement contre des moulins.

Je haïssais compulsivement la France, ça me dévorait de l’intérieur. Ce faisant, je passais complètement à côté de mon véritable ennemi : mon propre caractère obsessionnel, ma propre absence de sensualité. Cette aigreur rigide était en effet liée à mon surmoi tyrannique, certes implanté par mon environnement culturel Français, mais qui n’était pas à proprement parler «la France ». Il est des subtilités sémantiques qui peuvent changer la trajectoire d’une vie. En haïssant de la sorte, j’étais au fond parfaitement fidèle au « modèle Français » que je haïssais. Je ne pouvais séparer ma colère de l’objet de cette colère, étant plongé dedans en permanence. Dans le lieu même de mon aigreur, j’étais incapable d’exprimer cette dernière pleinement, et ceci pour deux raisons: d’une part le coincement général de cette société m’influençait, me bâillonnait, m’incitait à garder une certaine réserve (voir le « Faut pas exagérer quand mêêêêêême ») ; d’autre part l’objet de ma haine se mélangeait de façon insidieuse avec ma haine elle-même -je croyais vraiment, dans ma confusion, que la France était par essence haïssable. Ces deux éléments s’entretenant et se potentialisant, il a fallu que je puisse les séparer pour me débarrasser de l’un d’eux. Là où ça devient subtil, c’est que j’ai d’abord fait disparaître temporairement la France et son immobilisme mesquin (en la quittant) pour me retrouver seul avec ma haine, la sortir de mon cœur, la regarder et m’en moquer (voir mon titre), puis éventuellement revenir en France, « guéri ». Rien à voir avec le fait d’accepter une telle société, de se résoudre à la supporter: comme je le dis plus haut, ma haine s’exprime désormais sans réserve, ce qui lui ôte son caractère véritablement haineux. En hurlant de façon aussi virulente, l’énergie circule et j’en ressors apaisé, serein.

Il s’agit d’un processus hautement psychanalytique, même si je n’en connais pas le jargon –j’ai déjà utilisé le mot « surmoi » un peu à la légère. Je pourrais aussi comparer cela à un exorcisme, expulsion d’un démon indésirable et encombrant, de cette partie superflue qui entrave le corps. Sans ce déroulement relativement complexe de séparation qui conduit à la clairvoyance, l’exorcisme n’aurait pas fonctionné en profondeur. Je peux désormais dire tout ce que je déteste profondément en France tout en me marrant, sans passer par la case «haine ». Après plusieurs années hors de France, j’ai pu opérer ce processus de séparation et d’expulsion. Et puis maintenant je vois aussi ce que, malgré tout, j’aime bien au pays des fromages qui puent (à commencer par les formages qui puent eux-mêmes). A la bonne vôtre et allez tous vous faire foutre (oh non faut pas exagérer quand mêêêêêêêême).

Manuel Hainaut, 2008, sur la revue de sociologie underground.

Catégories: Culture libre




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