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Réflexion sur l'Etat, Internet et les organisations à but politique

Auteurs: (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2013
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert sur invitation
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 17 juin 2013 / Dernière modification de la page: 29 mars 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé:


On ne peut penser les organisations à but politique, telles que les boîtes à idées, les collectifs militants, les associations engagées dans une cause ayant des répercussions politiques fortes1..., sans examiner leur positionnement par rapport à l'Etat. En tant qu'organisations dont l'objectif est l'influence des politiques publiques, elles se placent en effet à l'intérieur même de la question politique ; question qui, aujourd'hui, paraît littéralement phagocytée par ce puissant appareil qu'est l'Etat. Et, si l'on veut saisir la logique, les caractéristiques des dynamiques qui affectent les organisations à but politique, soit dans leur mouvement collectif, soit dans leur action individuelle, on est inévitablement conduit à le faire en rapport avec les dynamiques qui ont influencées l'Etat au cours de ces dernières décennies.

Ces deux points sous-tendent deux réalités significatives des sociétés industrielles. La première est que le politique – soit l'action collective – y est presque exclusivement contrôlé, régulé, par une puissance, par une « force » technique, sociale, économique, que l'on se représente métaphoriquement sous la forme d'une entité, l'Etat, « dotée » d'intention et poursuivant une finalité2. La deuxième est que cette « force », loin d'être statique, immobile, est inscrite dans le changement. Elle est en mutation perpétuelle, elle est l'un des principaux moteurs du changement et elle dépend du changement pour pouvoir s'exercer.

L'Etat et la technique

Arrêtons-nous sur ce deuxième point. Que le changement soit anticipé qu'il le combatte ou qu'il soutienne, ce qui caractérise l'Etat, c'est bien la volonté de transformer le corps social, de le changer, de l'orienter intégralement ou partiellement dans une direction donnée. Mais, comme l'Etat fait lui-même partie du corps social, il faut penser son évolution comme un processus récursif. L'Etat produit, contrôle du changement social, technique, et produit et contrôle ses propres changements, qui impactent à leur tour sur le changement social et technique. Autrement dit, c'est en produisant ou en contrôlant les changements, que l'Etat produit ou contrôle ses propres changements, eux-mêmes sources de changements. Et c'est là, soulignons-le, sa raison d'être. L'Etat et le changement sont consubstantiels. Sans changement à produire, sans idéal à atteindre, sans société à transformer, à assainir, sans changement à combattre, il n'y a pas d'Etat.

Le rôle joué par ce processus de changement récursif est crucial sur deux points.

  • Il impacte sur le processus global d'escalade technique.
  • Il détermine la nature « réticulaire » et « totalitaire » de l'Etat.

Examinons ces deux points. L’État n'est pas seulement intention de changement, il est aussi mise en œuvre du changement. Ces deux propriétés de l'Etat en font un appareil pourvoyeur et utilisateur de techniques. C'est en effet grâce à la maîtrise de techniques que l'Etat peut penser, prévoir, mettre en œuvre, contrôler et faire accepter le changement. L'application d'un programme de changement dans un domaine a alors deux conséquences.

L'escalade technique

Elle induit un processus d'escalade technique, en terme de développement et d'usage des techniques.

  • Phénomène exogène. La maîtrise d'une technique et son application dans un domaine nécessite le plus souvent la maîtrise de techniques relatives à d'autres domaines. La mise en œuvre d'une politique sanitaire ne se limite pas à des questions purement médicales, elle recquiert une infrastructure communicationnelle conséquente, un réseau de transport pour acheminer le matériel médical, un système de veille sanitaire pour la maîtrise de techniques de collecte et de traitement de l'information.
  • Les effets de cette interdépendance des techniques sont aussi accentués par un processus endogène, produit par la technique elle-même, bien illustré aujourd'hui par les problématiques de pollution environnementale. Lorsqu'une technique se développe, elle induit généralement3: 1. le développement de nouvelles techniques, 2. l'ouverture de nouvelles possibilités d'action et de changement, 3. des problèmes inédits qui nécessitent pour être solutionnés, d'inventer et de mettre en œuvre de nouvelles techniques.

L'expansion, la professionnalisation et la réticularisation de l'Etat

Que l'Etat appuie son action sur des techniques a plusieurs conséquences sur sa nature expansionniste et réticulaire.

  1. La complexité qui en découle interdit la possibilité d'un Etat entièrement centralisé, qui incorpore l'ensemble de ses actions dans une même unité directive. La conséquence en est que l'Etat se morcelle en sous-services et délègue ses actions à de multiples organisations, voire à l'ensemble des citoyens, d'où sa nature réticulaire.
  2. Les techniques, pour se déployer, requièrent, le plus souvent, l'instauration de standards et une application à l'ensemble des éléments sur lesquels les processus vont s'appliquer. Une politique de veille sanitaire nécessite un contrôle total des populations afin d'éviter la dissémination d'agents pathogènes. Contrôle qui peut s'étendre à plusieurs champs : contrôle intégral dans le temps, dans l'espace, sur des objets vecteurs, sur des populations animales, etc. Ce qui signifie que les techniques produites et utilisées par l'Etat ne peuvent fonctionner, ne peuvent, tout au moins, satisfaire les objectifs des politiques de contrôle du changement, qu'à la condition qu'elles investissent l'intégralité du champ social. Et cette extension est double. 1. Elle induit, du fait de l'escalade technique, une extension à des champs d'action de plus en plus diversifiés ; ce qui a pour effet de renforcer ce que j'appellerai les processus de tentacularisation et aussi de renforcer la complexification de l'Etat. 2. L'extension se fait sur des populations de plus en plus larges, chaque dysfonctionnement créé par un « vide » nécessitant de le combler par la mise en œuvre de nouveaux dispositifs ou l'extension des anciens dispositifs.
  3. Le fait que l'activité de contrôle du changement requiert la maîtrise de techniques a un coût et implique un processus de professionnalisation qui joue un rôle central dans l'expansion de l'Etat. En effet, l'Etat rémunérant des personnes pour agir dans son sens, celui-ci ayant une nature réticulaire, ces personnes dépendent pour le maintien de leur position socio-économique, des techniques qu'elles contrôlent et sur lesquelles elles peuvent, notamment, imposer un monopole.

Dès lors, la politique de contrôle du changement a besoin, pour se déployer, de trois éléments :

  • Une population cible, composée aussi bien d'objets que d'êtres humains.
  • Un dispositif technique appuyé par des ressources matérielles.
  • Des opérateurs humains qui savent l'utiliser.

Parmi ces trois éléments, seuls les opérateurs et la population cible peuvent déterminer le partage des décisions. Pour les opérateurs, il s'agit donc de légitimer le contrôle sur la technique, sur les outils du changement et sur les ressources matérielles. Et il s'agit aussi d'appliquer le changement sur les populations cibles. Ce qui peut se voir comme la source de deux processus :

  • Une complexification croissante des techniques, du fait : 1. de la fermeture du champ professionnel sur les outils et les techniques, 2. de l'escalade technique, 3. de la nécessité pour la profession d'établir une barrière à l'entrée (ici la barrière technique).
  • L'expansion de l'Etat à de nouvelles populations et à de nouveaux champs. En effet, le maintien de la profession repose sur le maintien de la politique de contrôle du changement. Or, celle-ci a besoin de plusieurs éléments. Premièrement, il faut faut qu'elle puisse monnayer les ressources dont elle dispose, à la fois pour en acquérir d'autres nécessaires à la politique, et également, pour valoriser son action. D'où la nécessité de standardiser la valeur. Deuxièmement, la population cible peut décroître. Il y a plusieurs possibilités. 1. Si la population décroît suite à l'application du changement, on peut envisager : a. Une conservation de la population, mais une extension des procédures à d'autres champs ou une extension de la profondeur du changement. b. Une extension populationnelle (application à de nouvelles populations). 2. Si la population croît ou se renouvelle, l'extension suit le mouvement déjà enclenché.

Reste qu'il ne faut pas considérer la population cible comme un acteur passif du processus. Si les institutions d'Etat peuvent se déployer avec autant de facilité, c'est parce qu'elles rencontrent un terrain propice – qu'elle contribuent certes à formater – ; et parce qu'elles sont épaulées par une participation active de la population cible, devenue relais institutionnel, qui ne se contente pas de subir l'action institutionnelle, mais au contraire, la relaie, l'amplifie, joue comme une force institutionnelle à part entière.

Dernier point, l'Etat, engagé dans ce processus est un puissant levier de la marchandisation et de la privatisation. A double titre.

  • En ouvrant la voie à la professionnalisation, il envahit toujours plus un champ d'action qui pourrait être fondé sur des pratiques collectives d'auto-production. Par conséquent, il restreint le champ des possibles et l'autonomie des acteurs qui n'entrent pas en son sein.
  • Engagé dans la professionnalisation, il doit collecter des ressources pour appuyer son action. Il n'a donc pas intérêt à s'opposer à la marchandisation.

Les modalités d'appropriation des outils

Le rapport entre technique et Etat est donc consubstantiel. L'Etat est avant tout un dispositif technique visant à contrôler le changement, un ensemble d'outils appropriés de manière exclusive par la catégorie sociale des opérateurs.

Mais en quoi l'Etat se distingue-t-il d'autres organisations qui s'approprient les ressources ? La réponse est simple. Ce qui le différencie, c'est qu'il oblige la population cible à contribuer au fonctionnement des outils, le cas échéant, à la consommation des extrants produits par l'usage de ces outils ; et enfin, il lui ferme l'accès à ces outils.

Ce qui a deux conséquences imédiates. Premièrement, il est faux d'affirmer qu'il existe des services d'Etat gratuits, car ils sont financés par la population cible qui est mise à contribution. Deuxièmement, en greffant le processus de contribution à des activités données, en particulier, les activités marchandes, l'Etat fait entrer dans sa dynamique l'ensemble des citoyens. Ceux-ci se retrouvent, pour ou contre leur gré, en position de travailler pour l'Etat ; et surtout, les activités qu'ils réalisent, entrent dans la logique de changement contrôlé par l'Etat, puisqu'elles la soutiennent indirectement ou directement. Voyons ces points plus en détail.

Tout d'abord, que doit-on entendre par appropriation de l'outil ? Le concept peut renvoyer aux types d'interaction que des personnes peuvent avoir avec l'outil. Classons-les comme suit :

  • Les usages, catégorie qui concerne l'interaction directe avec l'outil, incluant le maintien, l'amélioration, la production, la reproduction ou la destruction de l'outil4.
  • La « consommation » des effets qui résultent des usages (l'accès à l'outil).
  • La « contribution » à l'usage de l'outil, par apport d'entrants qui y sont nécessaires5; elle renvoie à la sphère de l'échange.

Notons dès lors P(A), la situation où une personne peut agir (action A) sur un outil, ou être agie par cet outil ; autrement dit, où elle peut l'utiliser, ou bénéficier de ses effets (ou les subir), ou encore contribuer à son usage. Dans la situation opposée, P(A), la personne ne peut réaliser A. Mais il y a un troisième cas : la personne peut ou non ne pas réaliser A. Ce qui définit une situation d'obligation ou, à contrario, de liberté. Il y a donc quatre situations d'interaction :

Tableau 1 : Quatre situations d'interaction avec l'outil6

 P(A)P(A)
P(A)Situation libreSituation d'exclusion
P(A)Situation d'obligationSituation paradoxale

Prenons la « consommation » de ce livre. Dans la situation libre, je peux le lire ou non. C'est un outil en libre-accès. En revanche, si on m'empêche de le lire, l'outil est excluant. Enfin, je peux aussi ne pas pouvoir ne pas le lire! Parlons alors d'outil contraignant. Enfin, il peut y avoir une situation paradoxale : je ne peux pas le lire mais je dois le lire. Situation qui peut découler de la pluralité des contraintes qui pèsent sur la consommation7. Parlons alors d'outil paradoxal.

Il doit être bien clair que le mode d'appropriation des outils ne peut s'évaluer qu'en fonction du contexte sociologique8, qu'au regard des forces9 qui déterminent les niveaux de pouvoir. C'est donc une notion relative qui dépend de plusieurs paramètres :

  • La structure de la répartition du pouvoir. Sur quelle personne, dans un contexte micro-sociologique, ou quelle catégorie sociales, dans un contexte macro-social, pèsent les forces d'obligation, d'exclusion ou de facilitation (c.-à-d., qui rendent l'outil plus libre) ?
  • La source sociologique du pouvoir10. Qui exerce le pouvoir ? Qui a le droit de l'exercer ? Qui en décide ? Comment se diffuse-t-elle ?
  • La nature de la force qui alimente ou restreint les différents pouvoirs . Est-on face à une force de nature « technique » (dans son sens courant), légale11, sociologique (coutumière), purement physique (un mur, une contamination virale...), informationnelle (liée par exemple à la complexité inhérente à l'action à réaliser), directe ou indirecte12 ?
  • L'intensité des forces en action. Prenons une force d'exclusion de nature physique et directe, elle peut s'exercer faiblement, s'il s'agit d'une simple barrière à franchir ou de manière plus intense, s'il s'agit d'un mur en pierre surmonté d'un barbelé électrifié.
  • L'interdépendance des actions. L'action de « consommation » de l'outil dépend-elle de l'action d'usage et de l'action de contribution ? L'usage de l'outil est-il à l'origine de la force d'exclusion pour d'autres personnes (rivalité d'usage) ? Ou encore, de la force d'obligation, dans le cas d'une dépendance à l'outil, qui se renforce à l'usage.
  • Le système d'action et d'outils' à l'intérieur duquel l'action s'insère. Paramètre « socio-technique » se focalisant sur les complémentarités entre les outils, les degrés de substitution, les interdépendances entre les outils, etc. Il est crucial dans les situations de monopole.

Mais, bien qu'elle dépende du contexte sociologique, à chaque type d'interaction peut correspondre une situation d'interaction dominante, voire exclusive. Par exemple, un texte est en libre-accès si on a accès à sa lecture. Il ne l'est plus si on doit payer pour cela. Il se peut aussi que l'outil de publication du texte, ou de lecture, ne soit pas ouvert. Je peux seulement le lire, mais je ne peux le modifier, le produire, le travailler, en créer de nouveaux. Le tableau 2 propose une appelation – arbitraire – des outils, qui correspond à chaque situation-type.

Tableau 2. Situations, type d'interaction et mode d'appropriation des outils.

Situation d'interactionLibre Obligatoire Fermé
Types d'interaction
Contribution Outil gratuit Outil payant Outil réservé
Usage Outil ouvert Outil aliénant Outil fermé
Consommation Outil en libre-accès Outil contraignant Outil excluant

Sur cette base, on peut envisager différentes combinaisons. Par exemple, un outil peut être gratuit, contraignant et fermé. Ce qui correspond à de nombreux services publics, comme l'Education nationale, l'éclairage public. Un outil peut également être aliénant, libre et payant. Typiquement, c'est le cas de la comptabilité obligatoire.

Il y a en tout 27 combinaisons possibles13. Le tableau 3 illustre le croisement entre consommation et contribution ; le tableau 4, entre usage et consommation.

Tableau 3. Usage et de contribution

ContributionLibre Obligatoire Fermé
Consommation
Libre Outil gratuit en libre-accès.
Publication libre.
Outil payant en libre-accès.
Quelques services publics.
Outil réservé en libre-accès.
Obligatoire Outil gratuit et aliénant.
Outil privé avec effets externes.
Outil très aliénant.
Eclairage public, énergie nucléaire.
Outil réservé contraignant.
Politiques de développement.
Fermée Outil gratuit à accès fermé.
Outil caritatif, outil marchand.
Outil spoliant.
Certains services publics, mafia.
Outil-club privé.
Technologie confisquée.

Tableau 4. Usage et consommation

UsageLibre Obligatoire Fermé
Consommation
Libre Publication libre et ouverte. Comptabilité obligatoire Revue académique en accès libre
Obligatoire Vote. Sa propre voix14 ! Certains outils scolaires Radio dans la rue
Fermée Enquête d'opinion privée Espionnage ! Technologie propriétaire15

L'appropriation des outils par l'Etat

Comment l'Etat s'approprie-t-il les outils. Imaginons pour le voir un « spectre des modalités d'appropriation ».

  • A la droite du spectre, il y a une appropriation exlusive, totale et massive des outils. L'Etat est totalitaire. L'usage des outils est rendu obligatoire. Il peut s'agir d'une situation de guerre.
  • Plus à gauche, l'appropriation est plus tempérée. La contribution est obligatoire, mais la consommation par la population cible reste libre, ou au pire, fondée sur le modèle de l'outil spoliant (ce qui domine aujourd'hui) tandis que l'usage de l'outil est réservé aux opérateurs.
  • Au centre, domine un modèle d'appropriation non-contraignant à la contribution, mais privatif. Avec les nombreuses variantes qu'on lui connaît. La contribution est libre, ou fermée, l'usage est privé et la consommation est privative.
  • Plus à gauche, on peut volontiers situer un modèle d'appropriation non-contraignant, avec accès libre mais usage fermé. C'est un modèle qui domine dans le secteur caritatif.
  • Enfin, à l'extrémité gauche du spectre, le modèle d'appropriation est entièrement ouvert. L'usage, la consommation et la contribution sont libres.

Les zones du spectre où se situe l'Etat sont exclusivement à sa droite. Car l'outil est toujours payant, du fait de la taxation. Quant aux modalités d' usage, l'outil est soit fermé soit aliénant. Dans la plupart des cas, l'usage des outils publics, du moins dans leur intégralité, est réservée à la catégorie sociale des opérateurs. Ceci n'est d'ailleurs pas, sauf exception, l'objet d'une revendication politique. La seule question politique socialement légitime est le niveau de contribution, et de savoir si les outils appropriés par l'Etat sont « spoliants », « en libre-accès » ou « paradoxaux » lorsqu'ils sont à la fois contraignants et fermé16. En définitive, seules varient les modalités de consommation.

Contrôle de l'information et Internet

Comment s'y prend l'Etat pour exercer une contrainte d'obligation sur les acteurs ? Pour les enrôler dans les changements qu'il organise ? Il dispose de plusieurs voies possibles :

  • Enrôlement de la population cible, transformée en relais institutionnel ou en consommatrice forcée de produits que dispensent les outils mis au service du changement.
  • Enrôlement des contributeurs par le biais de la contribution obligatoire.
  • Enrôlement des « opérateurs » par le subventionnement ou par la privatisation des outils.

Mais dans les « forces » qui assurent l'exercice du pouvoir d'exclusion et de contrainte sur les outils – fermeture ou aliénation des outils qui est indispensable pour la réalisation des objectifs suivis par l'Etat –, un des piliers fondamentaux sur lequel s'appuient ces dynamiques étatiques, c'est le contrôle et l'appropriation exclusive de l'information, et donc, des outils communicationnels17. Les raisons en sont nombreuses.

  • L'intention et la stabilité du changement reposent sur le contrôle de l'information. L'Etat doit déceler des problèmes, leur conférer le statut de problème et élaborer des solutions pour les résoudre. A tous les stades, l'information est omniprésente.
  • Le contrôle des outils, leur fermeture, soit la professionnalisation, repose sur deux éléments : une idéologie professionnelle qui légitime la fermeture ; une structure symbolique qui assure la fermeture de la profession, via des diplômes, une complexification de l'activité sous-jacente à la profession.
  • La consommation des outils, leur déploiement sur la population cible, requiert une adaptation, une éducation de celle-ci18.
  • Le contrôle du savoir, de la communication et de l'information constitue l'architecture fondamentale dans le déploiement des pouvoirs19.

Jusqu'ici, le contrôle de ces éléments par l'Etat allait de soi. Il s'exerçait via la presse, les universités, le système de publication papier, le contrôle des revues scientifiques par l'enseignement supérieur, le contrôle de la comptabilité, le notariat, etc. Il reposait sur la maîtrise de l'écrit et le contrôle de l'accès aux outils de communication légitime. Toutefois, cet équilibre a été rompu avec l'apparition d'Internet. Pourquoi ? Car, comme nous allons le voir, Internet, en tant qu'outil de communication libre, gratuit et ouvert, est antagoniste à l'Etat.

Mais il faut d'emblée nuancer ce propos. Car Internet est aussi une technique au service de l'Etat. En soi, tout d'abord, c'est un puissant outil au service du changement et une technique qui génère des changements endogènes propices à l'intervention de l'Etat. A cet égard, l'Etat a joué un rôle prépondérant dans son développement : raccordement à la fibre optique, rôle de l'armée américaine et des universités dans le développement initial du réseau. Plus généralement, l'Etat est un grand consommateur de NTIC. Et affirmer qu'il a joué un rôle moteur dans leur propagation n'est en rien exagéré20. D'autant plus qu'aujourd'hui, de plus en plus de services sont accessibles via Internet ; ce qui favorise les interactions numériques entre les populations cibles et l'Etat. Enfin, l'Etat est de plus en plus appelé, quand il n'en prend pas « l'initiative » sous l'impulsion de services internes, à jouer le rôle de régulateur du réseau Internet. Le dispositif Hadopi s'inscrit ainsi dans le prolongement d'une longue série de mesures visant à fermer et contrôler l'outil Internet.

Du point de vue des dynamiques de changement, Internet et l'Etat sont donc imbriqués. Internet est une technique largement propulsée par l'Etat. Et il est générateur de besoins inédits pour l'Etat, et de nouvelles techniques. En ce sens, il accentue l'escalade technique. Internet est un terrain vierge à s'approprier dans lequel les institutions existantes (police, justice, médecine, relais associatifs...) peuvent se déployer et amorcer une nouvelle vaguer de changement.

Au point qu'un bref regard en arrière nous montre que petit à petit, la mécanique étatique, fondée sur l'appropriation exclusive des outils, s'est translatée dans les sphères virtuelles et réelles, liées aux NTIC, tout en conservant la même structure. Cette homologie est flagrante dans la publication scientifique académique. Là où on pouvait observer un modèle communicationnel ouvert et égalitaire, significatif dans USENET et les forums, est venu se greffer un modèle de communication rigide, fermé, hiérarchique, marchand, mettant l'acccès sur la rareté de la « bonne évaluation » – le coût de la publication ne pouvant plus être mise en avant – caractéristique des revues académiques en ligne, et sur lequel les acteurs de l'Etat viennent surajouter la thématique faussement « libératrice » du libre-accès aux données scientifiques.

Ce qui signifie, plus généralement, que sur la thématique de la fracture numérique, promesse de vastes changements, se superpose un « programme » ambitieux de reconstruction de la pénurie culturelle, fruit du jeu décentralisé d'une multitude d'acteurs qui évoluent dans la sphère étatique. Programme bien connu des services d'Etat qui nécessite d'un côté, un dispositif de construction de la pénurie, et de l'autre, un dispositif de lutte contre la pénurie.

  • Construction de la pénurie par la fermeture de l'outil et son appropriation exclusive par les opérateurs, la survalorisation de la ressource produite, rendue difficilement accessible.
  • Lutte contre la pénurie par la construction sociologique et l'encadrement d'une population cible, désignée et stigmatisée comme souffrant d'un « manque » auquel il faut remédier.

Cette invention perpétuellement renouvellée du « problème » social, car il y aura toujours de nouveaux manques, de nouveaux effets pervers d'une technique21, de nouveaux besoins à combler, de nouvelles fermetures possibles, est dépendante du mode d'appropriation de l'outil. Sans compter la capacité à structurer et contrôler l'information pour fermer l'accès aux outils, d'une part, mais aussi, pour légitimer la fermeture de cet accès, et enfin, pour « naturaliser » la pénurie.

Seulement, cette dynamique de fermeture initiée par l'Etat, se heurte à la culture et aux caractéristiques techniques d'Internet. Sa culture est en effet celle du partage non-marchand de l'information, à égalité et en libre-accès. Conséquence, il est conçu pour rester ouvert22 et il rend complexe la validation des informations sociales (identité individuelle, validité des informations transmises, création de sites parallèles...) sur lesquelles l'Etat appuie ses actions. Autant dire, donc, que c'est paradoxalement une technique qui échappe à l'Etat. En outre, en provencance du réseau, des acteurs privés viennent contester le monopole qu'exerçait autrefois l'Etat sur certains domaines, rendant manifeste l'hypocrisie de son discours sur la gratuité d'accès aux services qu'il fournit, dans la mesure où les acteurs privés remplissent souvent mieux ce rôle.

Internet est donc une terre promise, dans la mesure où il constitue un terrain de changement au potentiel quasiment illimité, mais c'est aussi un territoire menaçant. Il apporte de nombreux changements incontrôlés et incontrôlables, sur lesquels l'Etat perd son monopole ; il desserre l'emprise de l'Etat sur un domaine qui lui est traditionnellement dévolu : le bien public.

La menace est réelle au sens où l'Etat perd son rôle exclusif d'intermédiaire entre le citoyen et le champ politique. Ceux-ci réinvestissent les outils, deviennent les opérateurs privilégiés de ces outils et court-circuitent les dispositifs étatiques. La menace est aussi symbolique et potentielle. Symbolique, car le fait que les initiatives citoyennes se suppléent efficacement à l'Etat, ou occupent des terrains qu'il n'occupe pas (par exemple, le logiciel libre), le délégitime23. Sans compter les mouvements réticulaires qui peuvent entraver ses actions, du moins symboliquement, par exemple, par la diffusion d'images en tant de conflit. Potentielle, car le développement technique endogène permis par Internet (communication, organisation, pilotage et fabrication d'objets à distance...) est spectaculaire. Au point que la plupart des dispositifs communicationnels intermédiaires pourraient potentiellement disparaître au profit de structures auto-gérées

Ces quelques remarques montrent à quel point Internet, du fait de son caractère ouvert, est antinomique à la logique d'Etat. On peut même avancer qu'il a longtemps été un échappatoire à l'Etat, permettant par exemple de contourner la censure, de s'exprimer à égalité sur des sujets exclus du champ académique, bref de se soustraire à la main-mise exclusive de l'Etat sur les canaux de circulation de l'information. Symétriquement, le principal rempart à une cyber-démocratie, à une société ouverte, c'est l'Etat.

On comprend alors pourquoi Internet est l'objet d'une réappropriation par l'Etat qui y voit, d'une part, un outil qui peut servir comme un amplificateur des dynamiques dans lesquelles il est engagé, comme par exemple, la dynamique de réticularisation examinée plus haut, et d'autre part, un champ d'investigation illimité pour de nouveaux changements.

Je pense qu'il n'y là rien de très surprenant. Une fois qu'une structure sociale étatique vient se greffer sur un outil, structure sociale comprenant les opérateurs, la population cible et le cadre idéologique qui légitime l'action (du côté des opérateurs et de la population cible), elle va tenter de se pérenniser. C'est en tous cas ce qu'on observe pour la plupart des services fournis par l'Etat.

Les organisations à but politique au croisement de deux dynamiques

En résumé, il se profile, dans la maîtrise des outils communications, deux dynamiques de fond. Une dynamique d'ouverture et une dynamique de fermeture. Mon hypothèse est que le développement des boîtes à idées se situe à la croisée de ces deux mouvements.

Le flou qui entoure la notion de boîte à idées ne peut en effet se réduire qu'à la condition de régler la focale sur les dynamiques globales qui sous-tendent leur émergence et leur développement. Si la forme sociale, institutionnelle, des organisations à but politique, est aussi peu cristallisée, c'est qu'elle n'est qu'une émanation sociologique, encore faiblement institutionnalisée, étant donné le faible avancement de la dynamique de réappropriation et de fermeture par l'Etat des outils communicationnels et de la dynamique d'extension qui le structure, des processus macro-sociaux, et surtout politiques, qui se déroulent en arrière-plan. A savoir, la réappropriation des outils communicationnels (construction, légitimation, publication, diffusion de l'information) par l'Etat, laissés temporairement ouverts ; l'extension des processus de changement initiée par l'Etat, ou sur lesquels il se greffe, et qui est largement appuyée par Internet, à de nouveaux espaces d'investigation ; la tentacularisation et la totalitarisation de l'Etat, qui en fait, non plus une entité isolée au sein de l'espace social, spécialisée dans certains domaines bien précis (l'Etat régalien, par exemple, ou à la rigueur, l'Etat providence), mais une entité tentaculaire, qui étend son influence, sa puissance d'action, à l'intégralité du corps social ; et surtout, qui convertit les populations cibles, en relais institutionnels, ou encore, en « pseudo-opérateurs », au service des dynamiques de changement.

Il faudrait peut-être, à cet égard, considérer Internet comme une sorte de « Movida » qui a frappé brutalement, et sans crier gare, la dictature particulièrement puissante que faisaient régner les Etats sur l'information. Sa principale force, en la matière, est de contrarier les mécanismes qui permettaient jusqu'alors aux forces de coercition et d'exclusion de restreindre le champ des libertés de communication.

Cette ouverture de l'outil a été le premier facteur de l'émergence et du développement des boîtes à idées sous leur forme moderne, et plus généralement, de l'éclosion spectaculaire des nouvelles sources d'information sur Internet. Vaste bouillonnement qui dévoile la dynamique, les transformations et la puissance de segments idéologiques24 qui étaient autrefois cantonnés dans l'obscurité25. De ce point de vue, on a pu constater, avec Internet, une percée spectaculaire de courants idéologiques parfois très minoritaires, qui, temporairement, avant que les acteurs institutionnels ne reprennent le dessus, ont pu jouir d'un espace de publication et de diffusion massive dont ils étaient autrefois privés de facto.

Le deuxième facteur de l'émergence et du développement des boîtes à idées, se situe dans les dynamiques de l'Etat contemporain examinées plus haut. D'abord, la complexification croissante des techniques et les processus d'expansion rendent de plus en plus indispensables la délégation des tâches à des opérateurs spécialisés. Cela d'autant plus que l'usage des techniques ne peut être réductible à une connaissance purement formelle. La construction, in situ, de savoir-faire, de routines, requiert une connaissance approndie des outils et des contextes dans lesquels ils s'inscrivent. Connaissance dont le maniement devient de plus en plus ardu pour deux raisons. 1. La technique se complexifie. 2. Au fur et à mesure que les structure socio-techniques du changement produisent du changement, elles doivent se déplacer pour perdurer, en identifiant de nouveaux problèmes, ou en déportant leurs actions vers des domaines de plus en plus spécialisés. Et il n'est pas rare que seule une excellente connaissance du terrain et du champ de connaissance parfois très vaste, permet de progresser véritablement dans la voie du changement26.

Dès lors, le processus de recherche n'est plus localisé dans les hautes sphères de l'Etat, par exemple, dans le champ universitaire, il est disséminé dans une multitude d'entités agissantes. L'émergence assez récente de la science citoyenne, portée, notamment, par la diffusion massive des techniques de traitement et de collecte des données, est un indice en faveur de cette thèse. Mais elle n'est sans doute que l'arbre qui cache la forêt. Car derrière le mariage entre la recherche citoyenne et académique, qui suscite d'ailleurs une certaine résistance de la part de cette dernière, se profile un processus de dissémination de la pratique de recherche, fortement couplée, notons-le, avec l'action.

La question qu'il convient de se poser, dès lors, c'est comment l'Etat se positionne par rapport à ce processus ?

Il y a un premier constat qui est aisé à établir. L'Etat n'a pas suivi le processus d'ouverture. Au contraire, lorsqu'il a investi Internet, il ne l'a pas fait en explorant les possibilités offertes par cet outil conçu pour être ouvert, il est resté, à peu de choses près enserré dans la logique privative qui est la sienne, devenant l'un des plus puissants moteurs à la fermeture d'Internet.

Mais il ne faut pas s'enfermer dans une vision trop manichéenne. Car, que ce soit sous la pression des nouveaux acteurs du changement, ou du fait d'une dynamique qui lui est propre, celle de la délégation, Internet est pour l'Etat un outil efficace de contrôle et d'intégration du changement. En prenant appui sur la réticularisation massive que permet Internet, il peut étendre le contrôle sur les populations cibles et les transformer, pour ou contre leur plein gré, en relais institutionnel27.

En somme, l'ouverture des outils de communication est à double tranchant. D'un côté, elle bouscule les frontières de l'Etat, faisant croire à une réappropriation des outils de transformation sociale par les population cibles. Mais de l'autre, elle renforce, au moins potentiellement, le contrôle de l'Etat sur la société. Elle peut induire une évolution insidieuse vers un Etat de plus en plus totalitaire, au sens où il peut exercer un contrôle massif sur la quasi-totalité des communications, des outils et des éléments qui constituent la réalité sociale, via, notamment, la multiplication des outils d'observation et de traitement des données, et au sens où les appuis nécessaires à l'établissement de sa puissance de changement, sont désormais inclus dans la société civile. Il n'y a plus, pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Pierre Clastres, de société contre l'Etat28, mais bien une société de l'Etat, une société qui pense et agit à travers l'Etat. Les deux entités finissant par se confondre.

On peut observer le phénomène dans le secteur associatif français. Au départ, puissance civile autonome, les associations se sont désormais mutées en relais institutionnel de l'Etat. Dès qu'elles atteignent une certaine taille, elles sont subventionnées, évaluées, bref, insérées dans une structure de contrôle, de quadrillage au sens de Foucault.

Seulement, les associations ne sont pas de simples éxécutants. L'adoption des techniques sociales de recherche-action ou de management participatif, les rend désormais producteur et diffuseur de recherches. Au point, me semble-t-il, que la barrière entre les think tanks et les associations n'a plus qu'une pertinence limitée. Nombreuses, aujourd'hui, sont les associations qui produisent des rapports, des recommandations, à destination des pouvoirs publics, devenant ainsi, un prolongement direct de l'Etat dans le domaine du contrôle et de la production d'information. Devenant, de fait, des organisations au service de l'Etat.

Conclusion

J'ai tenté dans cet article d'éclairer les organisations à but politique à la lumière d'une problématique plus générale qui est à mon avis indétachable de la question politique : celle de la modalité d'appropriation des outils de création, de diffusion et d'usage de l'information.

Je conclurai sur ce point en montrant qu'elle peut prendre deux formes :

  • Celle d'outils fermés mis au service du bien commun. C'est le modèle actuellement dominant. Seulement, par ricochet, on peut craindre que les outils seront principalement mis au service d'une élite d'experts, d'opérateurs détenant le pouvoir exclusif de définir et de contrôler ce bien commun ; ou encore, au service de la catégorie sociale plus générale des opérateurs. Car il n'y a aucune raison de supposer qu'ils seront spontanément orientés vers la réalisation du bien commun. Celui-ci étant de toute façon une convention.
  • Celle d'outils conviviaux, simples, ouverts, libres d'accès, gratuits, qui demeurent sous le contrôle de leurs usagers.

Deux points me semblent ici importants. Premièrement, le contrôle de l'information et des outils de communication est l'un des éléments clés dans ce processus de réappropriation conviviale des outils au sens large. Si ces outils ne sont pas ouverts, il est vain d'espérer une évolution vers davantage de convivialité. Deuxièmement, il est structurellement impossible que l'Etat soit le moteur de ce mouvement. Car un Etat convivial, c'est un oxymore.

Je crois qu'il importe à ce sujet d'abandonner le point de vue selon lequel l'Etat serait « bienveillant » et n'aurait pour finalité que de proposer des services gratuits et libérateurs, comme l'éducation, la culture et la justice. Il faut l'abandonner, car il est contre-factuel. L'Etat se structure, et c'est inhérent à sa nature, sur la base d'une appropriation fermée et contraignante des outils. Et, tandis que les bénéfices de cette appropriation pour la population cible sont loin d'être évidents, ceux qu'en tirent les opérateurs sont clairs et observables29.

Sur le plan de la praxis, la voie ouverte par les défenseurs de la culture libre et ouverte30 et de la culture non-marchande, me paraît être une des pistes les plus prometteuses qui va dans le sens d'une appropriation conviviale des outils. Car elle touche à deux éléments-clés du processus d'appropriation. D'une part, le contrôle de l'information, nécessaire, comme nous l'avons vu, au contrôle des outils, d'autre part, le processus de marchandisation des outils, qui est l'un des éléments clés de la dynamique d'appropriation du changement par les opérateurs.

C'est peut-être une voie qui gagnerait à être explorée par les organisations à but politique, à condition, toutefois, que le rapport qu'elles entretiennent envers le politique ne soit plus seulement pensé par le biais de l'Etat. Car somme toute, il n'y a rien qui, fondamentalement, les oblige à envisager la politique sous cet angle. Nombreuses sont les organisations qui, aujourd'hui, ont choisi de s'engager politiquement en court-ciruitant l'Etat. Par exemple, la Sea Shepherd Conservation Society qui entrave, par divers moyens, le pillage des mers. Il ne fait pas de doute, pour moi, qu'elles représentent l'avant-garde d'une nouvelle forme d'action politique. Face à la défaillance des Etats, face à leur inaptitude à défendre le bien commun, ce sont désormais les ONG ou les initiatives citoyennes qui prennent le relais. Et leur logique est tout à fait compréhensible. Pourquoi s'embarasser de l'Etat, alors qu'il est souvent plus simple et efficace d'agir sans lui ?

Voilà une évolution de l'action politique et de sa représentation, qui pourrait bien marquer celle des organisations à but politique dans les années ou les décennies à venir.

Notes

1 Par exemple, la défense de l'environnement, le droit des minorités, la pratique du vélo, etc.

2 Sur le sujet, on lira avec bénéfice l'excellent l'ouvrage de G. Lakoff et M. Johnson, Les métaphores dans la vie quotidienne, Éditions de Minuit, 1986.

3 Sur la plupart de ces points, je renvoie à J. Ellul, La technique ou l'enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954.

4 Je n'utilise pas le concept plus classique de production, pour bien mettre l'accent sur l'utilisation de l'outil.

5 Interactions intimement liées. Ex : un financement conditionné à une évaluation fondée sur le nombre d'usagers.

6 Pour un modèle plus complexe, je renvoie à cet article <lien>.

7 Cf. les travaux de l'Ecole de Palo Alto sur la double contrainte.

8 Ex : il y a de nombreuses raisons pour qu'un outil soit excluant. Elles ont trait aux caractéristiques physiques de l'outil, aux caractéristiques du consommateur ou à une caractéristique « situationnelle ».

9 Emanant bien sûr de personnes et d'objets en action.

10 On tombe ici dans les problématiques soulevées par la sociologie de la régulation. Cf. J.-D. Reynaud, Les Règles du jeu : L'action collective et la régulation sociale, Armand Colin, Paris, 1997.

11 Donc s'appuyant sur des faits institutionnels. Cf. J. Searle, La construction de la réalité sociale, Gallimard, 1998.

12 Directe : la force induit (barrière, attaque corporelle, déplacement forcé, saisie), transforme, facilite ou limite directement l'action en cours. Indirecte : la force peut s'exercer une fois l'action enclenchée (menace, promesse) et c'est ce qui la rend efficace.

13 Pour simplifier, j'ai ignoré les situations de dépendance entre les types d'interaction. Par exemple, où la contribution est nécessaire à la consommation (si et seulement si je contribue, je peux consommer). Dans ce cas, s'il y a contribution libre, on reconnaît la structure logique d'un échange marchand ou d'une coopérative. Seul le contributeur peut bénéficier des extrants.

14 Lorsque l'on parle, on est généralement obliger de s'écouter ! Concernant le vote, on peut noter que l'électeur est libre de contribuer au vote final, mais il est contraint en tous les cas de l'accepter. Bien sûr, comme de nombreuses actions collectives, la question du rapport entre la « quantité d'usage fournie », la « quantité de consommation effectuée » et la « quantité de contribution fournie », est crucial.

15 Je reprends ici l'opposition courante chez les libristes entre logiciel ou matiérel libre et propriétaire.

16 Le fait qu'on évolue vers une configuration paradoxale se comprend fort bien à l'aune des dynamiques examinées plus haut. D'abord, on demande désormais de plus en plus à la population cible d'être un relais institutionnel actif. Ensuite, on peut constater un glissement insidieux de la frontière de la population cible. L'outil n'en vient plus à servir la population cible humaine (par exemple, les humains qui veulent être transportés d'un point A à un point B) pour ses besoins propres, mais une population cible abstraite, sur laquelle on calque des besoins abstraits, définis par des experts, par exemple, l'environnement, la croissance, la culture... Dès lors, la population cible endosse le rôle d'opérateur. Elle est mise au service d'une cause supérieure. Par exemple la croissance ou l'emploi public qui la soutient. Enfin, il est sans doute vrai que la logique d'expansion de l'Etat conduit, d'une part à une raréfaction des ressources contributives disponibles, d'autre part, à un accroissement de la production de ressources produites à des fins utiles, augmentant de fait, le prix de l'acquisition finale. Plusieurs mécanismes peuvent être à l'oeuvre. 1. la surcroissance informationnelle, 2. la surcroissance technique, 3. le détournement des finalités (coûts superflus). <voir lien>

17 Ce pilier est tellement central qu'il n'est pas exclu qu'il soit inscrit dans la génétique même de l'Etat. Autrement dit, on peut se demander si l'Etat n'est pas la simple résultante d'une privatisation et d'une aliénation des outils communicationnels. C'est une thèse sur laquelle je travaille actuellement.

18 Ce qui ouvre au passage des possibilités de changement quasiment inépuisables. Il suffit pour le voir d'appliquer le modèle exposé plus haut : la population en âge d'être éduquée se renouvèle constamment, de nouveaux champs de savoir et de nouveaux outils techniques nécessitent de nouveaux apprentissages, des populations non-éduquées sont toujours susceptibles d'être décelées (d'où la multiplication des écoles dans le tiers-monde), la connaissance peut toujours être approfondie.

19 Les philosophes du XVIIe siècle, à cet égard, l'avait bien compris. Si le pouvoir ne peut contrôler l'information, il perd sa capacité à agir. Et je rejoins ici J. Searle dans ses conclusions (Ibid.). L'Etat ne penser en dehors de la maîtrise de la communication, du langage, qui constitue l'armature du fait institutionnel.

20 On pourra lire avec intérêt minc et simon.

21 A cet égard, un champ d'investigation particulièrement prometteur, et largement exploité dans le milieu universitaire, est celui du traitement et de la mise en évidence des effets indésirables (voire désirables) d'Internet. Il faut bien voir, à cet égard, qu'une technique ne nourrit pas seulement les techniciens proprement dit, elle génère une quantité signifative de dépenses et de consommation d'énergie grise de nature informationnelle. Il s'agit en effet de penser la technique, de la faire valoir (marketing, publicité...), de l'encadrer juridiquement, etc. Le tout nécessitant le déploiement d'une grande force de production, de diffusion et d'assimilation de l'information <voir lien>.

22 Il est techniquement conçu pour que des machines individuelles ou des réseaux puisse aisément s'y connecter.

23 C'est ce qui explique, à mon sens, le succès rencontré par des initiatives comme le Parti Pirate ou les Indignés.

24 Je renvoie à ma thèse pour cette notion et à A. Strauss, La Trame de la négociation, Paris, L'Harmattan, 1992.

25 Peut-ête ce mouvement d'expression s'appuie-t-il sur une dynamique auto-entretenue. Les interactions communicationnelles de plus en plus intenses et fréquentes constituent un terrain propice à l'émergence de nouvelles idées, à l'approfondissement, la critique d'idées déjà bien établies.

26 Qu'il y ait, d'ailleurs, intention ou non de changement de la part des opérateurs. Les innovations pouvant être portées et défendues par de simples « citoyens », du fait, comme nous venons de le voir, du caractère ouvert de certains outils. Là où le statu quo pouvait être auparavant la règle, le bouillonnement intellectuel d'Internet et l'interconnexion des organisations au réseau, rend presque banale la prise de parole, l'intervention des acteurs de la vie civile, dans la maintenance, l'évolution, la mise en évidence des effets pervers des outils.

27 Par exemple, par le fait de la surveillance sur Internet.

28 P. Clastres, La société contre l'Etat, éd. de Minuit, Paris, 1978.

29 Face à ce décalage entre le discours et les faits, il y a tout un travail de déconstruction à effectuer. En sachant que cette idéologie de l'Etat puise ses racines loin dans l'histoire. Et, sans verser dans la théorie du complot, le fait que ceux qui ont détenu les outils de communication légitime étaient, pendant longtemps, les opérateurs, n'est sans doute pas étranger à son succès ! Il s'agirait en tous les cas de ne plus penser la logique d'appropriation des outils à travers le prisme du bien commun, ou du mythe d'une minorité sociale dominante qui en « profiterait », comme c'est courant dans la critique marxiste, mais à travers le prisme de la logique professionnelle portée par les opérateurs qui sont les principaux bénéficiaires de la privatisation des outils. Bien des caractéristiques de l'Etat et des services qu'il dispense s'éclairent quand on adopte cette posture de recherche. Il s'agirait aussi de ne plus penser le marché comme une entité détachée ou génératrice de l'Etat – alors qu'il lui est complètement subordonné et qu'empiriquement il ne fonctionne pas sans lui. Etat lui-même considéré comme une force qui génère et subordonne les institutions qui veillent au contrôle de l'information. Ma position, là encore, est qu'on gagnerait à inverser la causalité du processus, en considérant les institutions de contrôle de savoir comme étant inscrite dans la génétique de l'Etat, lui-même inscrit dans la génétique du marché. Mais je précise bien ici que je ne fais qu'ouvrir une porte de recherche. Il n'y aucune affirmation de ma part sur ce point précis.

30 En particulier les mouvement du matériel libre et de la publication ouverte qui étendent la désappropriation aux outils sociétaux (groupes, prises de décision, etc.) et aux outils « matériels ».

Catégories: Culture libre / Libertés



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