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Le serpent de la subvention

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : Décembre 2020
Rubrique: Le journal de la culture libre et du non-marchand
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 21 juillet 2025 / Dernière modification de la page: 21 juillet 2025 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé : Ce petit texte était un support dans le cadre d'une intervention radiophonique de l'émission Entrez sans payer de décembre 2020.



« C'est gratuit ? Mais alors, comment faites-vous pour vivre ? » « Il est financé comment votre local ? »

De telles questions, je les entends régulièrement quand je m’occupe du magasin gratuit de Limoux1. Et il est toujours intéressant de voir l'étonnement, parfois même la stupeur des gens quand je leur réponds que c’est une initiative privée et non-subventionnée.

Pourquoi la subvention questionne ?

Elles nous dit quoi cette question ? Et aussi cette réaction ?

Pour y réfléchir, observons déjà que pour le don dans les espaces de gratuité, il y a matière. On s’appuie sur des formes de don vernaculaires. Dans les espaces de gratuité, passées les appréhensions liées à la peur de passer pour un pauvre, ça donne, ça prend... tout va bien.

En revanche, là où ça coince, c’est sur la gestion et la création citoyenne et spontanée des espaces de gratuité. Il y a comme une barrière mentale de fond. Le contenant, ce qui est censé relever du bien commun, du public, devrait forcément s’insérer dans un « bizness model ». Et on ne pourrait commencer à entreprendre, à agir dans l’intérêt de tous, qu’à partir du moment où on est aidés, où on est payés, car l'intérêt collectif serait forcément en opposition avec l’intérêt privé. Ils seraient tous deux comme l'eau et l'huile ! Voilà pourquoi il faut un bizness model réaliste. Car il est censé permettre de transformer une action individuelle agréable et autonome en action pénible et aliénée... Et c'est ainsi que l'action individuelle peut se mettre au service du bien commun. On troque une sorte d'aversion à ne pas taffer pour soi, contre quelques billets compensatoires. Tout va bien. La morale est à nouveau sauve.

Ce qui fait qu'en pratique, pour une bonne partie de la population - pas toujours à l’avant-garde, je précise2 - les espaces de gratuité seraient inenvisageables, impensables, en dehors d’une économie de la subvention.

Pourquoi ? Est-ce parce qu’un espace de gratuité coûte cher ?

Clairement non ! Construire ou installer une boîte à livre coûte moins cher que de se séparer d’un bouquin  !

On entend aussi souvent ces arguments fallacieux : « oui mais il faut un local ! », « oui mais moi, je n’ai pas la chance d’avoir eu une maison en héritage ». Argument débile et de mauvaise foi. Rien n’empêche de faire un espace de gratuité dans la rue, ou chez soi, même si on est locataire.

En réalité, comment on peut financer un espace de gratuité ?

Il y a quatre voies possibles. Soit on :

  • pioche dans son patrimoine et on s’appuie sur ce que l’on fait soi-même ;
  • demande de l’aide volontaire à des bénévoles ;
  • fait de la vente ;
  • recourt directement, ou indirectement à la force pour faire participer les autres à son projet.

Dans le cas de la vente, de l’appel à volontaires ou du faire soi-même, il n’y a rien, mais alors rigoureusement rien qui empêche de faire un espace de gratuité avec des moyens dérisoires.

Ca n’est donc pas la vraie raison.

En fait, la seule chose qui explique que ça coince ainsi, c’est qu’avec les espaces de gratuité, on entre dans la sphère du travail et des activités subventionnées, où le seul modèle valable, pensable, c’est celui de la contrainte, de la servitude. Aujourd’hui, dans ce secteur, concrètement, l’idéologie portée par l’économie sociale et solidaire colporte le mensonge selon lequel on ne peut rien entreprendre pour la collectivité sans subventions. Alors quand je parle de subventions, je parle ici d’aides conditionnelles proposées par les pouvoirs publics. Et, entre nous, il est bien rare qu’elles ne soient pas conditionnelles...

La plupart des personnes qui gravitent dans ces alternatives, et surtout dans l’ESS, trouvent complètement naturels ce recours à la force et cette légitimité. Ils trouvent légitimes que leurs actions soient rémunérés via la redistribution de l’impôt obligatoire. En jeu leur salaire, leur rôle, leur statut. Et quiconque n’est pas d’accord avec eux est un affreux néo-libéral! En d’autres termes, ils vénèrent, souvent de façon terriblement dogmatique, le dieu Subvention, source de tous les bienfaits. Mais ils l’adorent sans jamais vraiment oser le nommer explicitement. Il est tabou. Chuuuut... Surtout ne pas en parler... ne pas prononcer le mot interdit...

Démonologie de la subvention

Qu’est-ce qui cloche dans la subvention ? Pourquoi ce n’est pas la panacée ? Pas facile d’y répondre. Pas facile d’en parler.

Alors parlons-en indirectement. Sub, ça commence par un S. S comme... ?

  • S comme servitude.

Rapidement, on devient dépendant de la subvention. On devient le serf de celui qui paye.

  • S comme SSSSerpent.

La subvention, c’est la tentation, c’est la perte du paradis originel où tout est gratuit. A partir du moment où on mord dedans, c'est l'innocence non-marchande qui s'évanouit. Pour toujours... C’est aussi le serpent qui ne se voit pas, qui se faufile partout, qui guette dans l’ombre. Invisible...

  • S comme standardisation.

Standardisation interne, pour répondre aux appels avec l’ingérence de celui qui vous subventionne dans la gestion de l’organisation. Standardisation globale, avec la mise en concurrence des structures3.

  • S comme symbole.

La forêt de symboles qui apparaissent sur les sites ou les plaquettes... Et l’encastrement des relations spontanées dans des symboles, dans une représentations symbolique. C’est aussi le monopole du pouvoir confié à ceux qui maîtrisent ces symboles.

  • S comme système.

Parce que c’est entrer dans un engrenage, dans un système économique, dans un systèmes de relations qui prend en otage.

  • S comme secret.
  • S comme salariat.

Avec la subvention, où s’arrête la limite avec le salariat. Le prestataire fait-il autre chose qu’obéir à une commande ?

  • S comme soumission.

Soumission au financeur.

  • S comme SS.

On finit par se décharger de toute responsabilité au prétexte qu’on ne fait que son boulot.

  • S comme sourire.

L'hypocrisie du sourire feint.

  • S comme Si.

C’est l’entrée dans l’obligation, dans la conditionnalité. « Si je ne fais pas les chiffres, je n’aurais pas la subvention ». « Si je ne suis pas payé, je ne travaille pas, je ne fais plus rien. »

  • S comme segmentation, sectorisation.

À chaque subvention sa fonction, sa structure. On est enfermé dans une cause, dans une case. Séparé du reste par une identité sociale artificielle. Et séparés des autres.

Et le s du Sans subvention :

  • S comme sevrage.

Apprendre à se libérer des subventions... Pas simple...

  • S comme sobriété.

Repenser ses besoins, reconsidérer l’origine des ressources qu’on va utiliser.

  • S comme solidarité.

Sortir de la concurrence entre organisations pour renouer des liens de fraternité.

  • S comme synergie.

Considérer que l’action pour moi et pour le bien public, pour moi et les autres, ne sont pas forcément incompatibles.

  • S comme Soi.

Renouer avec l’autonomie.

Bon ! Mais malgré tous ces beaux discours, on ne va pas se mentir... Agir collectivement sans subvention est un vrai casse-tête chinois...

Notes

1 Voir la page.

3 Voir par exemple Fabrice Raffin, « Les subventions culturelles menacent-elles la liberté de création ? », The conversation, 26 novembre 2024, 16:22 CET. Cet article, assez médiocre, rappelle que les discours sur la subvention sont souvent très politisés et teintés d'idéologie. En simplifiant, on pourrait distinguer quatre courants. Un courant libertaire, qui remet en cause l'existence même de la subvention (le présent article s'inscrit bien sûr dedans !) en tant qu'elle crée de l'aliénation, de la dépendance, qu'elle repose sur l'impôt, etc. Un courant néo-libéral qui, pour aller vite, dénonce l'impact fiscal généré par la subvention sur la collectivité. Un courant « socialiste » qui milite pour que les subventions soient allouées prioritairement vers des secteurs liées à l'économie sociale et solidaire, l'environnement, la culture, etc. Un courant étatiste et technique qui, sans remettre en question la subvention en tant que telle, cherche à améliorer son efficacité.




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