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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques. Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire. |
Chroniques de la fascisation contemporaine. Partie 5. Les tiers-lieux : un outil de contrôle du changement social ? Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 05 juin 2023 / Dernière modification de la page: 07 juillet 2023 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau
Résumé : Cet article a fait l'objet d'une intervention radiophonique sur Radio Ballade début juin 2023, juste avant une intervention de Hugues Bazin.
Il fut un temps où la contre-culture était portée par les vagabonds, les poètes, les marginaux, les révoltés, les clochards célestes... Bref, par tous ceux qui, un beau matin, de gré ou de force, ont troqué leur porte-monnaie et leur carrière contre un bout de nuage. Dans chacun de ces bouts de nuage, une graine de révolution. Le ferment de la contestation radicale et véridique d’un ordre établi, qu’il soit marchand, étatique ou populaire. La contre-culture se construisait alors contre la famille, le travail, le marché, l'école, l’autorité, la police, l’hypocrisie du jeu social, les concerts payants, les subventions, les artistes vénaux... ; autrement dit, contre tout ce qui constitue encore aujourd'hui, la société oppressive. La contre-culture n'est pas morte. Bien au contraire. Elle constitue sans aucun doute la seule alternative à l'avenir morose et totalitaire que tentent de nous imposer des pouvoirs publics fascisants mus par des pulsions marchandes irrépressibles ! Seulement, comme dans les visions cauchemardesques de Philip K. Dick1, elle doit faire face aujourd'hui à un simulacre redoutable. Il a l’apparence du « fait contre-culturel », il lui ressemble à s’y méprendre... Sauf qu'il s'agit en réalité d'un outil de domination et de normalisation de l'innovation ; un outil d’asservissement - voire d'élimination2 - de la contestation, désormais sommées de se mettre au diapason de la société marchande ! Connect or perish !Ils ont l’air cools, hypes, branchés, créatifs, généreux, bienveillants... En vrai ? Ils sont super conformistes, individualistes et ultra-compétitifs. Soyez les bienvenus dans le monde hyper-connecté de l’économie hyper-libérale. Tellement libérale qu’elle s’autorise à s'approprier des figures de l’extrême gauche3. Tellement révolutionnaire, qu’elle espère faire la révolution à coup de réunions, d’imprimantes 3D, de coworking, d’espaces partagés, de lien social, de subventions, d’accompagnements de projets innovants et émancipateurs... Adieu la lutte des classes ! Pas assez fun... On va plutôt faire un fablab, un repair café, une ressourcerie tendance, un espace de gratuité,... Le tout inféodé au système technique4. Se donner bonne conscience en développant l’économie circulaire. Comme ça, on touche à rien, tout en continuant à faire son beurre... La green technique sauvera la dark technique ! Voilà donc le nouvel espace qu’il s’agit désormais d’occuper. Le nouveau continent à coloniser. L'« Ailleurs » ! Ce nouvel espace mental, géographique, professionnel, qui centralise tout en se disant acentré ; qui capte et par là-même formate les flux de l’innovation populaire pour les rendre convenables, les épurer et les neutraliser ; espace qui se veut ouvert et « fluide » tout en étant systématiquement fermé et géré par l'équipe qui l'occupe5 ; espace qui se dit hors du travail tout en étant dédié au coworking6 ; espace hors de la maison où on se recrée une famille de substitution7... C'est dar, c'est frais ! Comme des vacances apprenantes pour les grands. En d’autres termes, un tiers-lieu. Lieux hors du réel. Ghettos bobos où s’invente un imaginaire traversé par des mythes, comme celui de la transition environnementale. Espaces clos qui parviennent à distiller l’illusion de l’ouverture et du voyage tout en restant immobile. Fausse « anti-chambre » de l’industrie du changement8 qui feint de mettre en branle des institutions paralysées dans leur délire de pérennisation à tous prix et de contrôle absolu de leurs usagers et de leur environnement. Le degré de totalitarisme des États modernes ne franchit-il pas un palier supplémentaire lorsque, comme dans l’Allemagne nazie ou les États fascistes technophiles, autrefois imprégnés du futurisme9, il veut contrôler l’imprévu, mettre la main sur le processus même du changement contestataire10 ? L’État qui devient innovant, cool, est incontestablement plus dangereux qu’un État clairement conservateur. N’est-ce pas chose faite avec les tiers-lieux subventionnés qui représentent une des plus formidables ingérences de l’État dans la sphère de l’innovation et de la contestation ? Tous ensemble vers la transition durableÀ grands coups de formations, de portages de projet et de programmes d’insertion dans le monde du travail, de transitions vers un avenir durable, de subventions et de coworking, on arrive à concentrer et à contrôler très efficacement un maximum de collabos, d’opportunistes et de bureaucrates en herbe. Tous caporaux. C’est le principe de la « gouvernance partagée ». Tous compétents. « Tu ne le sais pas encore, mais il y a un expert et un travailleur qui sommeillent en toi ». Tous reliés dans une coopération bienveillante, sous l’œil bienveillant des pouvoirs publics bienveillants. On est potes et on s’éclate. C’est mieux que la colo ! Certains tiers-lieux se posent en héritiers de la culture libre11. Sans doute conservent-ils quelques traces. Mais non ! La culture libre est trop libertaire, trop rigide, trop radicale. Les tiers-lieux héritent plutôt de l’économie sociale et solidaire dans sa version technophile, c’est à dire, l’économie collaborative12. Finie la lutte. Finie l’utopie. Voici venu le temps d’être sérieux, de prendre les choses en main, d’œuvrer main dans la main pour partir loin, loin, loin… vers la « transition ». Transition vers quoi ? Après tout, qu’importe ! Tant qu’on suit la tendance. Un peut de C dans le nez et tout paraît limpide ! Mais cette tendance à s’aligner sur la tendance est révélatrice. Elle signale une normalisation, une standardisation de ces tiers-espaces dans lesquels les « mêmes » - les dispositifs innovants qui sont tendances - se disséminent de façon descendante. Ce qui n’est possible que sur un terrain déjà « aplani » ; travaillé, pour ainsi dire. Ce « terreau » est celui d’une innovation qui devient exclusivement limitée à sa dimension marchande. Elle se confond avec. Plus d’autres horizons possibles. Le modèle entrepreneurial schumpétérien triomphe au détriment d’un modèle hacker, situationniste, dadaïste, où l'innovation s’élabore et prend sens localement. Le « désencastrement de l’innovation » qui accompagne sa transformation en marchandise monnayable, conduit inexorablement à subordonner le changement social, et par là-même, les artistes du quotidien qui le portent, à une structure pyramidale (hiérarchie marchande13) qui va le formater (uniformisation du produit), l’instrumentaliser ou le retourner contre leurs intentions initiales (aliénation). Cette mise au pas de l’innovation est subtile, sournoise. Elle n’a pas la rudesse de l’institution scolaire ou policière. Elle consiste plutôt en une mise à l’écart, en un déplacement dans un espace isolé, gardé sous contrôle14. Michel Foucault décrivait un processus similaire à propos des campus universitaires. Isoler l’étudiant pour mieux l’endoctriner15. Dès lors, loin d’être des lieux de dissémination d’un élan révolutionnaire, les tiers-lieux deviennent des outils de colonisation de l’innovation et d’enfermement de la contestation au service de la domination de puissantes « pyramides culturelles »16. Dans ces espaces, l’innovation, ordinaire ou non17, devient marchandise en soi, source de prestige. Elle s’ emplit d’une « valeur-signe18 » presque absolue qui la rapproche de la valeur sacrée de l’oeuvre du Créateur autrefois réservée à l’artiste19, et en particulier à l’artiste bohème20. Devenir créateur ! Un rêve commun aux mythologies capitaliste et scolaire... De la marchandisation du videCette nouvelle marchandise, le concept, l’idée, semble tout « annihiler », dynamiter les vieilles distinctions entre travail et loisir, jeu et corvée, barrière et ouverture, chef et participants. Et cette fusion collective, symbolisée par l'open space, s’opère à travers le partage d’une même finalité qui réunit les protagonistes. En général, il s'agit de la transition. Concept flou, mal défini, ce qui le rend fédérateur. Il promet une conversion individuelle et collective vers un monde meilleur ; ou invite, dans sa version « collapsologue » et décliniste, à s’unir contre un ennemi commun tel l’apocalypse climatique ! Il s’emboîte en outre parfaitement avec l’idéologie néo-libérale dans laquelle les intérêts collectifs convergent avec les intérêts individuels. Comment ? Le « dispositif tiers-lieu » est justement censé être un élément clé du processus. Comme le souligne Michel Simonot : « le tiers lieu est (...) devenu une sorte de modèle idéal d’outil et de fonctionnement qui, par appropriation des valeurs alternatives des friches (le provisoire, le souple, le décloisonnement, etc.), donc séducteur, développe un exemple de lieu parfaitement néolibéral : indistinction entre initiative publique, initiative de droit privé, initiative marchande ; fonctionnement par appels à projets à durée limitée sans garantie de continuité de moyens de fonctionnement ; missions à la fois éducatives, sociales, d’économie libérale ; souplesse de gouvernance conditionnée à l’arbitraire des ressources et partenariats ; pas d’exigences dans la rémunération des initiateurs et acteurs21 ». De fait, si l’on en croit l’agence nationale de la cohésion et des territoires qui a créé le label Fabrique des territoires22, récompensant d’une généreuse enveloppe les tiers-lieux bien dociles, ce sont des : lieux de faire ensemble, du lien social, de l’émancipation et des initiatives collectives qui contribuent à la vitalité des territoires. Mais aussi des lieux qui permettent des rencontres informelles, des interactions sociales qui favorisent la créativité, l’apprentissage pair à pair, tout en offrant convivialité et flexibilité. Derrière ce « charabia », cet empilement pédant de « mots valises », se cachent, d’une part, un processus de colonisation de l’informel23 - l'usage d'un discours abscons étant un moyen de lui imposer une expertise formelle -, et d’autre part, une réalité sans doute moins rose : une hiérarchie bien établie entre des salariés, l’équipe d’animation et les bénévoles ; des usagers instrumentalisés pour remplir des rapports d’évaluation qui permettent de reconduire des subventions ; une ouverture toute relative... ; et une centralité qui permet de capter des flux pouvant être rentabilisés d’une façon ou d’un autre - Starbucks, qui a utilisé le concept de tiers-lieu, l’a bien compris24. Tout ce flou masque, des rapports de pouvoir disséminés au sens foucaldien du terme. Ils se manifestent par une imposition de règles jugées inévitables, presque naturelles25 par ceux qui les appliquent et les font appliquer, sous couvert d’un management participatif faussement cool ou d'une auto-gestion horizontale qui appartient de toute évidence à la dimension imaginaire de l'analyse complexe ! Dans les systèmes totalitaires et dans les institutions totales, comme les asiles psychiatriques analysés par Erving Goffman26, il y a toujours un maquillage sémantique qui masque ou floute la réalité d’un système oppressif27. Ainsi, on parlera de conseil de bienveillance... pour ne pas dire équipe dirigeante28. Le positionnement politique des tiers lieuxLe mouvement porté par les tiers-lieux se situe à l’exact opposé de la révolution prônée par le freudo-marxisme29, le librisme30, le situationnisme31 ou le convivialisme32. Car loin de vouloir modifier la société, ils acceptent bien volontiers le travail et la famille (symbole de la maison) en prenant ces structures oppressives comme des données qui doivent perdurer en vertu d’un principe de réalité qui fait écho aux idéologies conservatrices. Ce sont soit des impensés, soit des espaces que le tiers-lieu permet justement de préserver, de fludifier en oeuvrant au développent d'un tiers-espace censé reléguer positivement, contrôler et confiner des formes de travail marchand atypiques et des structures de socialisation « familiales » dites secondaires. C'est donc, paradoxalement, des dispositifs de conservation et de valorisation de ces valeurs traditionnelles soudées à l'espace résidentiel ou à l'espace professionnel33. Et c'est précisément parce qu'ils « ne veulent pas y toucher » qu'ils les « sacralisent » en leur offrant un espace inviolable. Chacun son rôle ! La division du travail se déplace, avec la confusion induite par le télétravail et la numérisation, en une gestion globale et totale de l'espace ! Dont l'espace de l'activité humaine au sens large qui est désormais concerné dans son ensemble par le processus de division du travail qui n'est plus circonscrit au travail salarié. Le travail fantôme34 dans les tiers-lieux finit par tout coloniser - même les esprits puisqu'il est érigé en projet de vie ! En résumé, apologie et préservation du travail, de la famille... Travail, famille..., il ne manque que le mot Patrie ! En fait, il n’est pas vraiment absent, mais comme nous l'avons vu, il est remplacé par une mosaïque floue de mots valises qui n’ont aucun sens. Du Deleuze en action !! Aussi, la question peut être posée : les tiers-lieux sont-ils les chevaux de Troie d’une révolution néo-conservatrice, d’une forme sournoise et souterraine de « post-totalitarisme » ? Cette question, en apparence provocatrice, se doit d'être très sérieusement examinée. Retenons en effet les points suivants :
Réformer le travail et réformer la famille pour mieux les préserver et les mettre au service d'une cause commune (la transition environnementale) dans une adoration technophile à peine dissimulée. Voilà l'objectif. Confiner l'innovation dans des camps d'expérimentation, voilà le moyen. Et voilà résumé le programme post-totalitariste auquel les tiers-lieux sont conviés. Et, même si certains s'y refusent, l'opportunisme de leurs participants, l'appât du gain, le coût d'entretien des locaux et les mirages du salariat, finiront bien par avoir raison de leurs réticences. Parce qu'après tout, « il faut bien se nourrir ». Un nouveau rouage de la société oppressiveDemeure toutefois la question de l'oppression. Où faut-il la chercher ? Encore une fois, il convient de bien voir qu'elle est sournoise. Elle n'est pas frontale. Elle s'apparente à l'oppression scolaire. Les tiers-lieux, en intégrant le changement social dans le modèle dominant de l'industrie du changement, marqué par la marchandisation des compétences et de l'innovation, ou bien, dans le modèle de l'industrie universitaire, marqué par la massification38 et la « pyramidisation » culturelle, rendent inopérante, ringarde, la contestation qui naît et se déploie dans le contre ou le tiers-espace au sens large39. Ils la déligitiment et lui subtilisent ses maigres ressources. Car un des effets de l’assujettissement de la contestation et des espaces informels à une logique gestionnaire, à une logique marchande et scolaire, est que les ressources allouées aux espaces informels de la contestation sont littéralement happés par ces espaces supposés favoriser une « socialisation alternative ». C'est cette colonisation du vernaculaire, cette marchandisation insidieuse du quotidien, cette invasion de la sphère populaire par l'élite gentrificatrice mais bienveillante, qui constitue en tant que telle une ingérence dans la capacité même des acteurs à contrôler leur propre destin et à inventer des voies inattendues du changement, c'est à dire, qui ne rentrent pas dans le moule réductionniste et réducteur des appels à projets ou du marché de la créatique. C'est précisément ce processus d'expropriation, d'aliénation, tant décrié dans les années 1970 par des auteurs comme Paulo Freire40, qu'il s'agit de contrer. La Révolution n'a pas à être enfermée dans des camps, dans des cages dorées, dans des espaces séparés du monde réel ; elle doit au contraire libérer la rue, réinventer le quotidien, mettre l'art et la création au coeur même de la praxis. C'est bien l'enjeu de la révolution situationniste, ou de la révolution hacker qui vise à libérer le code, l'information, la machine, et par extension, la société dans son ensemble ; à en faire un art accessible à toutes et à tous (« coding is art »), au service de la réappropriation des outils techniques, et non une compétence qui sera vendue sur le Marché du travail. Enfin, il faut bien voir qu'en créant l'illusion du changement et de la liberté au sein même du travail marchand, les tiers-lieux contribuent de toute façon au renforcement d’une société oppressive. Pour faire un parallèle, rappelons comment Herbert Marcuse dénonçait les activités libérées qui s'en tiennent à une transformation superficielle de la société oppressive41 : « Il est évident qu’on peut pratiquer les activités non-répressives dans le cadre de la société donnée, par exemple (…) dans l’attirail de la vie hot ou cool (…). Mais dans la société actuelle, ce genre de protestation devient facilement le véhicule de la stabilisation et même du conformisme, non seulement parce qu’il laisse intactes les racines du mal, mais aussi parce qu’il cautionne l’opposition générale en montrant qu’on peut exercer dans ses cadres les libertés personnelles. » L'alternative yippieMais alors que proposer en échange ? Tout simplement l’inverse même du tiers-lieu ! D'une manière générale, il faut agir pour l’abolition des frontières, et notamment des frontières marchandes. La contestation du travail marchand et de la société marchande doit être profonde, radicale et s'incarner dans la praxis, libérer le quotidien, libérer notre environnement en repensant les usages et la façon dont nous nous approprions les usages et les activités humaines. Il est absurde que le changement social et la « vie sociale » soient confinés dans des « camps » contrôlés par des équipes dirigeantes d'experts qui captent les ressources, les institutionnalisent et contribuent ainsi à leur « épuration » ou à leur purification. Personne ne désire réellement cette nouvelle forme de technocratie verte ; seulement, le risque est grand qu'elle perdure car il y a de gros marchés qui se profilent derrière elle... Résister à une telle récupération marchande est un enjeu politique majeur. L'Histoire ne peut que se répéter. Quand le Marché s'empare d'une technologie, même si elle paraît soft et bienveillante, il n'y a plus d'humanité qui vaille, il ne reste que des intérêts marchands et des carrières. En d'autres termes, il faut 1) déconfiner le changement et la création - mouvement auquel contribue l'Internet libre - 2) abolir notre rapport marchand au monde matériel, immatériel et social, 3) résister systématiquement à la mise en place des structures oppressives (le critère le plus simple pour cela étant actuellement d'éviter le financement public ou de boycotter les organisations qui s'en servent). Ce sont les trois axes à suivre. Arrêtons-nous sur le deuxième. Une des pistes les plus prometteuses, pour rompre la logique marchande qui nous asservit, est de passer, comme le prône Erich Fromm42, d’une société dominée par l’Avoir à une société qui se libère en donnant à l’Être toute son importance. Ainsi, peu importe qu’on possède des compétences, ce qui compte, c’est ce que l’on est, ce qu’on développe librement dans l’instant présent. Jerry Rubin, un des fondateurs du mouvement yippie, a parfaitement résumé un tel programme43 : « Les rues sont faites pour les Affaires, par pour le Peuple. On a pas le droit de s’asseoir à la terrasse des cafés sans « consommer » ; on n’a pas le droit de lire des journaux sur un étalage ; il faut acheter, payer, payer, - circuler, circuler. Et qu’est-ce qui se passe quand on est au milieu de la ville et qu’on a brusquement envie de chier ? On est dans une sérieuse merde. Nous libérons les villes, les rues deviennent nos salles de séjour. Nous y vivons, nous y travaillons, nous y mangeons, nous y jouons et nous y dormons en compagnie de nos amis. Le pouvoir au peuple, c’est notre capacité de rester toute la journée au coin de la rue sans rien faire. Nous créons des ghettos de la jeunesse dans toutes les villes, et nous détournons vers ces ghettos tous ceux qui se font chier chez eux, à l’école, au travail. Et tout le monde cherche « quelque chose à faire ». Pour nous, les poches vides, c’est la liberté. Nous sommes libérés des papiers militaires, des carnets de chèques, des cartes de crédit, des cartes grises, des cartes d’étudiants – nous sommes plus près de nos corps nus. (...) Nous envisageons l’avenir avec optimisme et idéalisme . Notre 1984 sera formidable. (…) Nous voulons un monde communaliste où l’imagination soit au poste de commandement et où les institutions humaines satisfassent les besoins humains. Les sentiments, les émotions pourront s’y donner libre cours. Tout y sera gratuit. Il faudra aller au musée pour voir des billets de banques. Il n’y aura pas de nations ; il n’y aura plus que des riches communautés et des riches cultures. (...) Le monde deviendra une vaste commune où la nourriture et le logement seront gratuits, et la propriété privée abolie. Toutes les horloges et toutes les montres seront détruites. (...) Le « vol » n’existera plus puisque tout sera gratuit. » Notes1 Une des nouvelles les plus terrifiantes à cet égard est « Second Variety », Space Science Fiction, mai 1953. ⇑ 2 Je parle ici d'une tendance, d'un tropisme. Ce qui ne signifie pas qu'il y parvienne ! ⇑ 3 Voir cette analyse caricaturale de Stéphane Vatinel : « Nous avons longtemps été accusé d’être le cheval de Troie des bobos dans les quartiers populaires. Nous devons justifier le choix que nous faisons de nous implanter dans des quartiers difficiles. Pourtant, quand MacDo ou KFC, le font, personne n’y trouve à redire, alors ces entreprises se fichent de la qualité des produits et consolident leurs finances dans les paradis fiscaux. On considère qu’ils font partie du paysage des quartiers pauvres. Je trouve cela honteux. La qualité n’est pas réservée à une élite sociale. Pour le même prix, à la Cité fertile, on vous sert des produits de qualité. (...) Il existe 2 600 tiers-lieux en France, pour 35 000 communes. Nous disons que chacune mérite son tiers-lieu. Il en faudrait donc au moins 35 000 ! Je pense à vrai dire qu’il en faudrait même plusieurs par commune. Les tiers-lieux sont révolutionnaires (...) Les quartiers défavorisés s’autoflagellent et ne s’autorisent pas le beau. Les bâtiments sont pensés pour être efficaces. Nous pensons pour notre part qu’on peut allier les deux. Nous essayons de faire des beaux espaces. Le beau nous adoucit. Nous retrouver dans des espaces agréables et fonctionnels nous permet d’être plus apaisés. Je pense qu’on est qu’au début des tiers lieux. Dans les villages, on part parce qu’on s’ennuie. Les commerces ferment parce qu’ils ne sont plus rentables et laissent la place à des hypermarchés et centre commerciaux qui tuent peu à peu la convivialité. Nous pensons que le tiers-lieu va permettre de recréer des poches d’activité économique, de loisir, d’accompagnement, de bien-être, et ils sont créateurs d’emplois. (...) C’est magique. Ça marche, car ces tiers-lieux répondent à un besoin de la population. La terre entière se rue sur les tiers-lieux, chaque jour un peu plus. Le tiers-lieu est la panacée du futur aménagement territorial, non seulement en France mais dans le monde. En un mot, les tiers-lieux vont sauver le monde ! », « Les tiers-lieux vont sauver le monde » !, Actus Juridiques, 19 octobre 2022. En ligne : < https://www.actu-juridique.fr/civil/immobilier/stephane-vatinel-les-tiers-lieux-vont-sauver-le-monde/ >. Consulté le 6 juin 2023. ⇑ 4 Comme si poser un pansement illusoire sur la gangrène qu'il crée dans notre environnement naturel permettait d'éviter de s'attaquer au fond du problème, à savoir l'emballement productiviste de l'économie marchande... . Tout un programme ! On reconnaîtra ici la référence implicite à Jacques Ellul. Voir par exemple La Technique ou l'Enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954. Cette analyse remonte au début des années 1950 ; preuve que ce phénomène de subordination de l'innovation sociale au sytème technique n'est pas nouveau et que le phénomène est déjà relativement bien documenté. ⇑ 5 Fabien D souligne également cette tension entre des formes et des finalités contradictoires : « Derrière les murs d’un tiers-lieu coexiste des objectifs et des exigences pas toujours compatibles entre elles. À commencer par la quête d’une rentabilité financière tout en proposant un espace libre et gratuit, ou encore le choix d’une gouvernance horizontale sans leader dans un système administratif et juridique très vertical. », « De quoi les "Tiers-Lieux" sont-ils le nom ? », Le Club de MediaPart, 6 août 2020. En ligne : < https://blogs.mediapart.fr/fabiend/blog/280620/de-quoi-les-tiers-lieux-sont-ils-le-nom >. ⇑ 6 Voici par exemple comment Christophe Burckart, directeur général de Régus et Spaces France, explique sa politique. « En 2014, nous avons racheté Spaces, le pionnier de l’espace communautaire. Nous voulons rendre la consommation de l’espace de travail plus fluide. Grâce à nos espaces et nos tiers lieux en périphérie des grandes agglomérations nous permettons aux entrepreneurs locaux et aux collaborateurs de grandes entreprises d’avoir accès au télétravail dans un environnement agréable. Nous voulons permettre de trouver un espace de travail comme on trouve un Starbucks. » », Audrey Chabal, « Coworking : Trouver Un Espace De Travail Comme On Trouve Un Starbucks », Forbes, 31 juillet 2018. En ligne : < https://www.forbes.fr/management/coworking-trouver-un-espace-de-travail-comme-on-trouve-un-starbucks/ >. Consulté le 6 juin 2023. ⇑ 7 La croissance du télétravail chez les cadres supérieurs n'est sans doute pas étrangère à cette évolution. Revenons à la stratégie dévoilée par Christophe Burckart, « Les grands groupes ne veulent surtout pas de télétravail à domicile et sont rassurés par des espaces structurés et pensés pour le télétravail. Le principal changement vient du fait qu’auparavant, les grands groupes faisaient appel à nous quand ils changeaient de bureaux, comme une transition. Aujourd’hui, c’est stratégique. Autre évolution, le dynamisme des start-up qui viennent facilement dans ce type de locaux car cela est adapté à leur croissance. Enfin, le principal changement s’inscrit dans les mentalités : on ne vient plus dans un bureau, mais dans un environnement de travail et l’on passe facilement du bureau, à la salle de réunion, au déplacement, à l’open space... Et l’on est attentif aux services proposés. », Ibidem. Il ressort en filigrane de cet extrait que les tiers-lieux sont clairement un élément du tiers-espace en voie d'être instrumentalisé par les intérêts et les nécessités du Marché - qui sont liées aux évolutions récentes du rapport travail / domicile. Les tiers-lieux permettent de recréer un « espace familial bis » qui reste sous contrôle. Espace qui, lorsque le tiers-lieu est couplé à des dynamiques de réinsertion (phénomène fréquent dans les tiers-lieux ruraux), peut faire double-emploi en offrant un simulacre familial à des personnes marginalisées. Mais, comme le remarque fabienD, « dans le fond, il y règne une sorte de chacun pour soi, car beaucoup sont en « freelance » - autre façon plus cool de dire indépendant en galère – et ceux qui payent pour avoir leur espace de travail ne se mélange pas avec les autres visiteurs. On discute le temps de se servir un café, puis on retourne dans son espace à soi pour coder ou passer un appel en visio et tenter de gagner sa vie. En outre, ils sont au développement territorial ce que le « greenwaching » est à l'écologie, des pansements sur hémorragie. », Ibidem. ⇑ 8 Voir l'article Recherche-action et technique. ⇑ 10 Une erreur à ne pas reconnaître serait, à cet égard, de considérer ces mouvements ou ces nouveaux dispositifs, comme inoffensifs, sous prétexte que leur couleur politique est relativement indéterminée et qu'ils semblent guidés par une certaine « bienveillance ». Le mouvement de « fascisation » peut en effet fédérer des personnes qui se situent aussi bien à la gauche qu'à la droite de l'échiquier politique et prendre des formes très variables. Le rejet des valeurs humanistes portées par la classe ouvrière ou encore la désignation d'un ennemi commun, servant alors de dénominateur commun. Georges Orwell notait à cet égard, « Quand on pense à tous les gens qui ont soutenu le fascisme, on est stupéfait de leur diversité. (...) Mais la raison en est en réalité fort simple. Ce sont tous des gens qui ont quelque chose à perdre, ou des gens qui aspirent à une société hiérarchique et redoutent la perspective d'un monde d'humains libres et égaux. (...) L'infernale insolence de ces politiciens, prêtres, hommes de lettres et consort qui viennent faire la leçon à la classe ouvrière pour son "matérialisme" ! Tout ce que demande l'ouvrier, c'est ce que ces gens-là considèrent comme le minimum vital sans lequel une vie humaine ne peut être vécue. De quoi manger en suffisance, être libéré de la terreur du chômage, savoir que vos enfants auront une chance égale dans la vie, un bain par jour, des vêtements propres raisonnablement souvent, un toit qui ne fuit pas et des horaires de travail assez courts pour vous laisser un peu d'énergie à la fin de la journée. (...) Avec quelle facilité ce minimum pourrait-il être atteint si nous choisissions de nous y consacrer ne serait-ce que pendant une vingtaine d'années. (...) La privation et le travail de brute doivent être abolis avant que les véritables problèmes de l'humanité puissent être abordés. » Sur le nationalisme et autres textes, Paris, Payot & Rivages, 2021, p. 106-108. ⇑ 11 Voir l'article très éclairant d'Hugues Bazin, « Récit d’une recherche-action en situation », Cahiers de l’action, 2018/2-3 (N° 51-52), pp. 7-17 ⇑ 12 Voir par exemple, La nouvelle tendance médiatique: la consommation collaborative. ⇑ 13 Comme dans tout Marché, les marchandises sont classées en fonction de leur valeur. ⇑ 14 D'un point de vue économique, l'isolement semble avoir plusieurs fonctions : 1) assurer un contrôle sur l'innovation et ceux qui la produisent (cette tendance du capitalisme est très bien analysée et synthétisée par André Gorz dans le cadre de ses analyses marxistes sur la division du travail. Voir par exemple un ouvrage qu'il a dirigé, Critique de la division du travail, Paris, Seuil, 1973), , 2) « dissocier » la marchandise de son environnement immédiat, 3) garantir la qualité de l'innovation, lui assurer un certain « standard » en la formatant. ⇑ 15 Michel Foucault, Dits et écrits I, 1954-1975, Gallimard, 2001, p. 1052-1053. ⇑ 16 Pour une présentation du concept, voir l'article Pyramides artistiques et domination culturelle. ⇑ 17 Je fais référence à Norbert Alter, L'innovation ordinaire, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, pour insister sur le fait que l'instrumentalisation de l'innovation populaire par les élites n'est pas une invention des temps modernes. Elle a une longue histoire. Sur le sujet, on pourra également se référer à l'excellent ouvrage de Clifford D. Conner, A People's History of Science : Miners, Midwives and "Low Mechanicks", Nation Book, New-York, 2005. D'une manière plus générale, le passage d'une innovation d'un tiers-espace à un espace légitime (par exemple, du réseau d'amateurs au milieu universitaire), correspond souvent au moment où celle-ci va, à posteriori, être reconnue comme existante. Auparavant, tout se passe comme si elle n'avait pas encore été « inventée » ! ⇑ 18 Voir sur le sujet Anthony Galluzzo, La fabrique du consommateur. Une histoire de la société marchande, Paris, La Découverte, 2020. ⇑ 19 Sur ce sujet, voir par exemple Nathalie Heinich, L'Élite artiste : excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005. ⇑ 20 Galluzzo, Ibidem. ⇑ 21 « Tiers lieux ou l’art de la faire à l’envers », Profession-Spectacle, 16 novembre 2019. En ligne : < https://www.profession-spectacle.com/tiers-lieux-ou-lart-de-la-faire-a-lenvers/ >. Consulté le 6 juin 2023 » ⇑ 22 < https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/fabriques-de-territoire-582 >. Consulté le 6 juin 2023. ⇑ 23 Il se repère souvent par les résistances qu'il induit. Mais cette résistance vient-elle des « anciens colons » ou des « colonisés » ? C'est sans doute ainsi qu'il faut comprendre la mise en garde d'Antoine Burret lorsqu'il parle de la nécessité de « protéger nos tiers-lieux » ou lorsqu'il s'interroge : « Peut-on encore entrer dans un tiers-lieu sans motif, sans consommer, sans volonté de produire, juste pour la joie d’être ensemble ? Dans quelle mesure, lorsqu’un tiers-lieu est créé ou financé par une organisation privée, mais aussi une organisation publique, n’y a-t-il pas là une tentative d’imposer ses valeurs auprès des usagers, dans les espaces publics ? », « MasterClass | Le rôle critique des tiers-lieux dans la société », Epale, 2 novembre 2021. En ligne : < https://epale.ec.europa.eu/fr/blog/masterclass-le-role-critique-des-tiers-lieux-dans-la-societe >. Consulté le 6 juin 2023. Sans doute faut-il y voir la même logique à l'oeuvre dans les protestations de Michel Simonot, « Les tiers lieux sont des belles tentatives d’utopies concrètes, nées d’un désir profond de liberté. Ils sont hélas aussi un parfait outil pour achever le renversement de la politique culturelle publique. L’idéologie néolibérale n’hésite ainsi pas à labelliser et à institutionnaliser la précarité des tiers lieux, pour son profit. », Ibidem. Ce que l'article met en relief, c'est que la domination des professions culturelles sur des tiers-espaces qui sont sous son contrôle, tend à s'émousser au profit d'une domination étatique. Pour autant, c'est juste un changement de maître ! ⇑ 24 En témoigne ce texte promotionnel d'Heidi Peiper, « Fast forward 35 years, and as the world has evolved, so has the Third Place. (...) As Starbucks is reinventing the company, it is also reimagining the Third Place – keeping coffee and connection at the center. », « Reimagining the Third Place: How Starbucks is evolving its store experience », Starbucks Stories and News, 13 septembre 2022. En ligne : < https://stories.starbucks.com/stories/2022/reimagining-the-third-place-how-starbucks-is-evolving-its-store-experience/ >. Consulté le 6 juin 2023. Ajoutons que l'entreprise intègre même le discours environnementaliste : « One of the strategic shifts Schultz announced is to "reimagine our store experience for greater connection, ease and a planet positive impact." Starbucks purpose-built store design approach will help modernizing physical stores to serve the increasing demand while creating an environment that is inclusive and accessible, through the lens of sustainability. To help drive innovation, Starbucks has turned to the team of R&D experts and baristas working side-by-side in Starbucks Tryer Center, to help streamline the work behind the counter, and enable more time for genuine human connection. », Ibidem. ⇑ 25 Une manière, évidemment, de réifier les règles en question et de leur conférer une légitimité inviolable. Voir l'article C'est quoi, être naturel ?. ⇑ 26 Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Éditions de Minuit, Paris, 1979. ⇑ 27 Le terme est d’ailleurs révélateur en tant que tel : asile et non prison... ⇑ 28 Par exemple, la SCIC Sapie, à l'origine du Tiers-lieu Aux manettes à Limoux, définit l'équipe dirigeante ainsi : « Un conseil de bienveillance de 7 sociétaires, élu·es pour 4 ans, accompagne les décisions prises par les cogérantes. Ce conseil participe à l’animation du sociétariat.Les orientations importantes de la coopérative sont préparées en amont en conseil de bienveillance et travaillées avec les sociétaires, et validés au moment de l’AG. » Preuve que le ridicule ne tue pas ! ⇑ 29 Trois des plus fameux représentants étant Erich Fromm, Herbert Marcuse et Wilhem Reich. ⇑ 30 Entendons ici le mouvement tel qu'il est initialement développé et porté par Richard Stallman dans la continuité du mouvement hacker. ⇑ 31 Voir le recueil des douze numéros de la revue Internationale situationniste, Amsterdam, Van Gennep, 1970. ⇑ 32 Voir Ivan Illich, Oeuvres complètes, Paris, Fayard, 2004. ⇑ 33 Ce ne sont pas des maisons expérimentales, des communautés, où on vit et où on réinvente le principe du partage. C'est ce que nous expérimentons dans le local Sortez sans payer ou encore dans la maison non-marchande de Puivert. ⇑ 34 Voir Ivan Illich, Le travail fantôme, Seuil, 1981. ⇑ 35 Le plus surprenant, à cet égard, est la façon dont la rationalité technique y côtoie une certaine « irrationalité » environnementale, traditionaliste ou « rousseauiste ». Une telle contradiction avait déjà été remarquée par Herbert Marcuse dans ses analyses sur le national-socialisme, « La rationalisation de l'irrationnel (...), cette interaction constante entre mythologie et technologie, entre "nature" et mécanisation, métaphysique et pragmatisme, "âme" et efficacité, est le noyau dur de la mentalité national-socialiste. C'est le modèle qui caractérise également la technicisation de l'esprit. Le bouleversement des tabous, que nous avons considéré comme un trait caractéristique du national-socialisme, en est une illustration. La destruction des familles, les attaques contre les normes patriarcales, monogames et tout ce qui y ressemble, ont partout annoncé la réalisation des promesses contenues dans le "mécontentement" latent à l'égard de la civilisation et dans la protestation contre ses interdits et ses frustrations. Ils invoquent le droit de la "nature", les instincts sains et diffamés de l'homme, la calamité de son existence monadique sous le règne de l'argent, son désir de vivre dans une vraie "communauté" dans un monde dominé par le profit et l'échange marchand. Ils veulent rétablir les rapports "naturels" et directs entre les hommes. Ils invoquent l'"âme" contre la marchandisation sans âme, la solidarité populaire contre l'autorité paternelle, l'air pur contre l'air vicié de la "maison bourgeoise", le corps rebronzé contre l'intellect blafard. Ceci impliquait inévitablement d'accorder plus d'espace aux satisfactions mais les nouvelles libertés ne sont finalement que des devoirs à remplir dans le cadre de la politique nataliste du Reich ; elles viennent récompenser les contributions aux campagnes d'accroissement de la force de travail et de la puissance militaire. La satisfaction personnelle est devenue une fonction sous contrôle politique et ses conséquences fâcheuses pour la société ont été transformées en force de cohésion. La restriction raciale, la surveillance et le confinement des loisirs, l'absence de vie privée et l'appel à la "pureté" édulcolorent et régulent les plaisirs autorisés. », Sommes-nous des Hommes ? Théorie critique et émancipation, Alboussière, QS? Éditions, 2018, p.166-167. ⇑ 36 Jacques Donzelot, La police des familles, Éditions de minuit, 2005. ⇑ 37 En référence à Paul Feyerabend, La science en tant qu’art, Paris, Albin Michel, 2003. ⇑ 38 J'ai effectué une analyse théorique de ce processus dans les années 2000, mais je ne l'ai jamais rendue accessible. Ce devrait être chose faite très bientôt. ⇑ 39 Je reprends ici la terminologie utilisée par Hugues Bazin dans « Quand les tiers-espaces interrogent les tiers-lieux pour une politique des hors-lieux », LISRA, 20 septembre 2019. En ligne : < https://recherche-action.fr/hugues-bazin/2019/09/20/quand-les-tiers-espaces-interrogent-les-tiers-lieux-pour-une-politique-des-hors-lieux/ >. Consulté le 6 juin 2023 et « Les figures du tiers espace : contre-espace, tiers paysage, tiers lieu» in Revue Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société, Édifier le Commun, I, Tiers-Espaces, Ed numérique MSH Pairs-Nord, 2015. ⇑ 40 Voir par exemple Paulo Freire, La pédagogie des opprimés, Agone, 2021. ⇑ 41 Herbert Marcuse, Éros et civilisation, Paris, Éditions de Minuit, 1963. ⇑ 42 Erich Fromm, Avoir ou être : un choix dont dépend l'avenir de l'homme, Paris, Robert Laffont, 1978. ⇑ 43 Jerry Rubin, DO IT!: Scenarios of the Revolution, Simon & Schuster, 1970. ⇑ Catégorie : Libertés, Critique de l'économie marchande alternative
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