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Appel à une révolution non marchande de l'institution médicale

Auteurs: Benjamin Grassineau, Sarah Plantier (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2012
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert sur invitation
Licence:


Création de la page: 27 mai 2016 / Dernière modification de la page: 28 mars 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé:




L'association de promotion des échanges non marchands et de la culture libre Anomali soutient de manière non marchande (participation, soutien symbolique, référencement, diffusion d'informations, etc.) des collectifs, des personnes, des organisations qui oeuvrent au développement de la sphère non-marchande - et n'oeuvrent pas simultanément à l'extension de la sphère marchande, car ce n'est pas incompatible !

Sensibles à la privatisation grandissante et inique de la médecine, nous, les membres de l'association, avons choisi de participer au projet Massilia Sante System et de nous engager à ses côtés.

Il est toutefois probable que notre position diffère de celles de certains membres du collectif MSS. Mais n'est-ce pas une force ? Confronter des points de vue diversifiés permet la progression des idées. Encore faut-il pour cela que les points de vue soient clarifiés. Ce que nous proposons de faire ici.

Notre problématique autour de la médecine

La base de notre problématique de recherche et d'action part de l'hypothèse qu'un changement reposant sur une transformation de l'institution médicale (ce qui englobe, au sens large, tout le secteur médical conventionnel) est irréaliste. Cette institution a une inertie considérable, et dispose d'un poids historique, d'un pouvoir intellectuel1, politique (biopouvoir) et économique (la médecine industrielle est un secteur industriel puissant, c'est par exemple dans la recherche médicale que les fraudes sont les plus fréquentes2) trop puissants.

Attaquer la médecine alternative ne nous semble pas non plus pertinent. Elle peine à s'imposer et ce serait abonder dans le sens de la médecine professionnelle.

Notre objectif est donc d'orienter la problématique autour des modalités de mise en oeuvre concrète d'une médecine non marchande et non professionnelle, parallèle à l'institution médicale classique. En se dégageant ainsi des traditionnels débats, médecine conventionnelle vs médecine alternative, ou médecine industrielle, sur-technicisée vs médecine éthique à visage humain, qui sont sécrétés par la structuration professionnelle et industrielle de la médecine, on peut se concentrer sur des débats relatifs à la circulation concrète des ressources médicales et aux modalités d'échange dominantes qui forment le corps de l'activité médicale.

Comment développer et structurer, en coopération, s'il le faut, avec le corps médical, une médecine non marchande désintermédiarisée (non professionnelle), réticulaire, gratuite et citoyenne ?

Pour répondre à cette question, il faut dans un premier temps délimiter le contour de la problématique et des termes sur lesquels elle s'appuie.

Le pouvoir médical

C'est un fait que la médecine industrielle est actuellement contrôlée par des corporations (médecins, pharmaciens, infirmiers, etc.) et des organisations économiques puissantes.

Comment ce contrôle s'effectue ? A l'instar de n'importe quelle institution, via des processus coercitifs et la maîtrise de pouvoirs socio-économiques et biologiques3.

Quels sont ces pouvoirs ? Comment cette coercition se déploie dans le corps social ?

  • Le pouvoir est tout d'abord économique. Le remboursement des soins offre un débouché efficace au système de production des services médicaux et de produits pharmaceutiques. Ces remboursements s'appuient sur un système coercitif (taxation) dont la défense est un enjeu fondamental pour l'institution.
  • Le pouvoir de créer une dépendance biologique (addiction aux médicaments, aux soins, etc.), psychologique (normes telles que la nécessité de terminer les traitements, peur de ne pas le prendre, etc.) et économique (arrêts maladies, suivis médicaux-légaux, etc.) à l'égard des soins et des substances prodigués.
  • Le pouvoir d'imposer et d'orienter la consommation de soins, sous l'effet de la pression morale ou politique. Voir en particulier toute la littérature sur l'antipsychiatrie4.
  • Le pouvoir de modeler la demande de soins et de créer une rareté artificielle de soins5.
  • Le pouvoir de réguler économiquement le corps professionnel, avec, notamment, l'octroi de salaires élevés dans la profession.
  • Le pouvoir d'étiquetage (celui de la maladie), sans que les personnes concernées puissent réellement le contester (conséquences légales, en particulier).
  • Le pouvoir de discriminer entre les personnes pour savoir lesquelles reçoivent ou non des soins.
  • Le pouvoir d'écarter des pratiques médicales de l'accès aux remboursement et à l'enseignement médical qu'elle juge non conventionnelle (ou non rentable !).
  • Le pouvoir de discriminer entre la médecine scientifique et non scientifique, en particulier, à travers le contrôle des revues médicales et de l'enseignement médical conventionnel.
  • Le pouvoir de distribuer le savoir médical officiel, et de former à ce savoir.

La gratuité des soins de la médecine industrielle est-elle vraiment désintéressée ?

Penchons-nous sur le pouvoir qui découle du remboursement des soins via le système de sécurité sociale. Pourquoi sur celui-ci en particulier ? Car il est crucial, central dans la constitution des autres pouvoirs. La "gratuité" des soins - qui en réalité n'en est pas une, car elle est financée par les contribuables qui en bénéficient - fait briller la médecine conventionnelle d'une aura prestigieuse qui éteint littéralement le feu des critiques adressées aux autres manifestations du pouvoir médical. Quand bien même on critique la stigmatisation produite par l'acceptation du diagnostic et la sur-efficience de l'institution médicale, qui conduisent à rendre captif le consommateur de soins médicaux, on se heurte à cette évidence, "oui mais c'est pour votre bien, c'est gratuit !".

Certes, la "gratuité" - qui n'en est pas une ! - a des effets positifs, mais ne sont-ils pas contre-balancés par les nombreux effets pervers ? De plus, a-t-elle vraiment été mis en place uniquement pour servir les intérêts des clients de l'institution médicale ?

Le principal argument qui est avancé pour légitimer la gratuité des soins médicaux – hormis le risque de propagation des maladies – est qu'il est intolérable de laisser sans soins une personne souffrante. Soit. C'est une idée noble, qui, bien que culturellement située, doit continuer à être soutenue sans relâche.

Mais elle pose plusieurs questions :

  • Pourquoi limite-t-on ce principe au seul domaine de la médecine ? L'alimentation, les habits, le logement, tous autant nécessaires à la survie, devraient également être remboursés ou gratuits. Or, ce n'est pas le cas. Pourquoi ? Avançons deux hypothèses pour l'expliquer.
    • L'idéologie chrétienne joue un rôle dans ce traitement de faveur: " ''« l'homme doit travailler à la sueur de son front pour gagner sa pitance. En revanche, il faut aider le nécessiteux qui ne peut survivre sans aide » (cf. par exemple, R. Castel sur le travail).
    • La médecine gratuite offre des débouchés économiques et idéologiques à l'institution médicale, qui est une très vieille institution (universitaire) - à la différence des institutions qui gèrent l'agriculture et l'habillement. Ce qui n'a pas toujours été le cas. Pendant longtemps (les premières universités ont été des universités de droit et de médecine, et fondées environ vers le XIIIe siècle : cf. Le Goff), la médecine savante subissait une concurrence forte de la médecine populaire, rapidement désignée comme celle des sorcières (cf. T. Szasz) ! L'accès gratuit aux remboursements constitue donc une aubaine économique pour l'institution médicale. Plutôt que de réprimer la médecine alternative, elle choisit de subventionner la médecine conventionnelle. La gratuité des soins crée des débouchés en établissant un déséquilibre concurrentiel. Stratégie d'autant plus nécessaire que le recours aux soins médicaux conventionnels a longtemps été dénigré ou rejeté dans les classes populaires.
  • Comme le montre P. Bourdieu, les premières mesures d'hygiène massives ont été mises en oeuvre à partir du moment où la santé de la classe dominante a été touchée (lors des épidémies de peste, en particulier). Autrement dit, même si c'est aller un peu vite en besogne, l'institution médicale s'est toujours orientée vers les besoins des riches, et non ceux des classes démunies. On peut encore l'observer aujourd'hui à propos des disparités dans la recherche de traitements sur les maladies tropicales. Même l'intervention d'organismes mondiaux peine à renverser la tendance. Comment alors poser comme allant de soi, l'argument selon lequel l'institution médicale se soucie de la santé des nécessiteux ?
  • Pourquoi l'institution médicale rechigne à fournir gratuitement des soins à des personnes démunies, si elle est dans une logique réellement altruiste, alors que de nombreuses personnes n'appartenant pas à cette institution le réalisent spontanément et sans demander de contre-partie (ce qui constitue tout le champ de l'entraide médicale) ?

D'autres hypothèses paraissent bien plus vraisemblables pour expliquer la (fausse) gratuité des soins.

  • Elle a facilité la mise en pratique de politiques hygiénistes voulues par la classe bourgeoise.
  • Elle facilite la mise en application d'un pouvoir médical coercitif - dans une démocratie libérale, il est difficile de contraindre un citoyen à recevoir des soins payants.
  • Elle offre des débouchés marchands considérables au système de production médical conventionnel, qui ne disposait pas de débouchés suffisants.
  • Elle légitime les barrières à l'entrée de la profession médicale (on ne peut pas rembourser n'importe quel soin) et offre au corps médical une puissante légitimité dans la délimitation et la catégorisation de la maladie, facilitant ainsi, la production sociale de masse de la maladie (fusse-t-elle réelle) et permettant, de ce fait, de disposer d'un réservoir de malades (la ressource marchande) presque illimité. L'accroissement du marché peut en effet être quantitatif (augmentation du nombre de malades) mais aussi qualitatif (augmentation du nombre de maladies, augmentation des systèmes de dépistages, traitements préventifs, mise en évidence de la gravité potentielle de certaines maladies, ...).
  • Elle renforce l'idée d'un manque, d'une pénurie de soins conventionnels, ou du moins socialement étiquetés comme tels, et qui sont en fait les soins prodigués par la médecine industrielle, qu'il faut combler par une croissance toujours plus importante des moyens médicaux. Elle les renforce, car la gratuité est légitimée par l'idée que la santé, telle qu'elle est définie par l'institution médicale, est un objectif – qui peut toujours être repoussé – indispensable à atteindre.

Symétriquement, la gratuité des soins, dans le cadre d'une médecine industrielle et professionnelle, ne va pas forcément dans le sens de l'intérêt des clients de l'institution médicale.

En effet:

  • Elle conditionne le recours à un certain type de soins, potentiellement dangereux, ceux qui sont fournis gratuitement par l'institution médicale conventionnelle et freine le recours à des soins horizontaux fournis par les proches, à l'entraide médicale (cf. I. Illich) dont l'efficacité peut être parfois meilleure (cf. C. Rogers) et détruit, en tous les cas, les systèmes de santé traditionnels déjà en place (cf. Malinowski).
  • Elle rend le patient captif d'une institution dont l'intérêt économique n'est pas la guérison du patient, mais d'instaurer et maintenir une dépendance à l'égard des produits et services qu'elle dispense, via la peur de la maladie, la constatation de maladies, la dépendance aux substances, etc. L'idéal médical étant la maladie chronique. Ajouté au pouvoir médical d'étiquetage, il n'y a guère de limites au biopouvoir médical...
  • Elle induit indirectement un renforcement des contrôles sur le citoyen, un quadrillage croissant, dans l'objectif de dénicher les maladies.
  • Elle induit une surmédicalisation ayant des conséquences sanitaires (iatrogénèse, résistance aux antibiotiques, pollution environnementale, etc.). Et, on peut supposer, de ce point de vue, que la médecine marchande étant orientée vers la recherche de débouchés, elle sera moins regardante sur ces effets pervers.
  • Elle survalorise l'efficacité de la médecine industrielle (alors même, par exemple, que l'espérance de vie n'a que très peu augmenté durant les dernières décennies) et minimise les risques, créant ainsi des biais dans les choix et la capacité du discernement du client de soins médicaux.
  • Elle décourage l'automédicati, Sarah Plantieron et limite la prise en compte de la médecine amateure (celle-ci étant dévalorisée par rapport à la médecine professionnelle), ce qui a potentiellement plusieurs conséquences néfastes.
    • La capacité d'une personne à se soigner elle-même améliore potentiellement l'efficacité d'un traitement et peut s'avérer très utile dans certains cas (isolement, rapidité du traitement, etc.).
    • L'automédication peut s'avérer moins coûteuse sur de nombreux aspects pour le patient et ses proches.
    • La justesse du diagnostic est probablement meilleure avec la participation active d'une personne bien informée qui a une bonne connaissance (même si celle-ci s'avère limitée par son caractère intrinsèquement subjectif) des symptômes qui l'affecte.
    • La transmission désintermédiarisée de données médicales recueillies par des amateurs peut s'avérer être une puissante source d'informations.
  • Etc.

Qu'on nous entende bien. Notre idée n'est pas de remettre en question la gratuité des soins, mais plutôt sa pertinence lorsqu'elle est prodiguée dans un cadre professionnel, et qui plus est dans un système où les professionnels de soins sont rémunérés au prorata des actes ou médicaments qu'ils fournissent, en apparence, gratuitement.

Les fondements d'une médecine non professionnelle

Quel peut être la forme d'une médecine non professionnelle ? Et existe-t-elle déjà ?

D'abord, précisons qu'une médecine non professionnelle n'est pas nécessairement non marchande. Elle peut en effet se fonder sur des rapports impliquant une obligation de contre-partie, qu'elle soit monétaire ou non. Ce n'est donc pas sa caractéristique principale.

En revanche, elle répond à un certain nombre de critères.

  • Toute personne peut l'exercer, sans posséder de diplômes formels ou informels, ou sans nécessité d'acquérir une formation, surtout si elle est payante.
  • Les barrières à l'entrée de l'activité tels que les coûts d'acquisition des outils, les savoir-faire à maîtriser, sont relativement faciles à franchir ; et, en tous les cas, se fondent sur le modèle de la simplicité volontaire (ils ne sont pas artificiellement complexifiés).
  • Les échanges se font de pair à pair, de manière réticulaire, sans l'intervention d'intermédiaires qui vont capter une partie des ressources générées par l'échange.
  • La médecine non professionnelle est plurivalente, du fait de son caractère ouvert.
  • Les outils d'exercice de la médecine utilisés dans la recherche, les traitements, les diagnostic, obéissent à ces principes. Ils ne sont pas accaparés par un groupe professionnel et peuvent être facilement acquis ou tout au moins utilisés.

Une telle médecine est-elle fréquente dans la médecine alternative ? Non, car la médecine alternative calque son fonctionnement sur celui de la médecine professionnelle, à différents degrés. A titre d'exemple, l'ostéopathie a aujourd'hui de nombreuses caractéristiques qui la rapproche d'une activité professionnelle.

Une critique vient spontanément à l'esprit. La possibilité d'une médecine non professionnelle fondée sur des échanges réticulaires ne va-t-elle pas se heurter aux asymétries d'information. Sans connaître les compétences réelles du soignant, ne sera-t-on pas réticent à accepter ses services ? Deux contre-arguments.

  • La source de ce déséquilibre dans l'échange, de cette difficulté à établir un lien de confiance, ne provient-elle pas justement de la nature marchande de l'échange ? Pourquoi, en effet, une personne mentirait-elle sur ses compétences si elle n'espère pas en tirer profit ? Elle pourrait le faire de bonne foi, mais cela limite, déjà, les freins à l'instauration d'un lien de confiance entre le soignant et le soigné, s'il y a lieu de distinguer les deux.
  • Le problème n'a rien d'insoluble dans un système non marchand qui n'empêche pas une évaluation centralisée ou réticulaire des compétences.

Les bases d'une médecine non marchande et non professionnelle

Plus peut-être dans la médecine que dans d'autres activités, il faut scinder les concepts de marché et de profession, étant donné le rôle joué par le professionnalisme dans la structuration réelle de l'activité, à tous les niveaux où elle se déploie. On peut constater, alors, l'équilibre instable sur lequel repose une médecine non marchande et non professionnelle, du fait, peut-être de caractéristiques socio-techniques qui sont propres à l'activité médicale. On ne peut nier, d'un côté, le rôle puissant joué par l'histoire, et en particulier l'inscription très ancienne de la profession médicale dans l'université, de l'autre, les risques potentiels d'une pratique de l'activité médicale incontrôlée, ou tout au moins, le contexte anxiogène que génère naturellement l'activité médicale. Il n'en va pas de même dans toutes les activités. Considérons par exemple l'activité de vente de produits manufacturés d'occasion. Elle ne s'exerce pas forcément dans un cadre professionnel (vide-greniers, par exemple), mais elle n'en est pas moins marchande.

Mais peut-on alors sortir de cet équilibre instable pour s'appuyer sur des bases solides ?

Il y aurait peut-être pour cela à se tourner vers la médecine humanitaire. Mais, sans remettre en cause son efficacité et sa pertinence, elle demeure clairement enserrée dans le giron de la médecine professionnelle, voire industrielle. Et ce faisant, elle véhicule avec elle, toutes les difficultés engendrées par cette dernière.

Explorons alors une voie qui, à notre connaissance, n'a été que peu explorée, celle d'une médecine non marchande et non professionnelle.

Si cette voie est aujourd'hui délaissée, elle a pourtant eu son heure de gloire. Dans les années 1970, portée par le vent de la contestation sociale, dans la lignée des travaux d'I. Illich, C. Rogers et des auteurs du mouvement de l'antipsychiatrie, un petit nombre d'expérimentations sociales concrètes ont été tentées. Il en reste aujourd'hui quelques traces - les thérapies de groupe, par exemple. La critique portait alors essentiellement sur les aspects professionnels et industriels de l'activité médicale. Sont alors apparues, par exemple, des notions fort intéressantes d'institutions manipulatrices, d'outil convivial, d'approches centrées sur la personne, etc.

Mais les problèmes de marchandisation et de privatisation de l'activité médicale occupaient un rôle plus secondaire dans les préoccupations des penseurs et des acteurs de ce mouvement contestataire, sans pour autant être absents. Il est donc temps de revoir cette position et de réactualiser les questions, les idées et les solutions que ce mouvement a proposé, au monde contemporain qui a depuis subi de profondes mutations structurelles. L'essor spectaculaire de l'économie non marchande et réticulaire en est par exemple l'un des faits marquants. L'apparition de techniques informatiques facilitant une évaluation réticulaire et égalitaire des compétences apporte par exemple des pistes intéressantes.

Dans cette perspective, examinons quelques-unes des possibilités concrètes d'action qui s'offrent à une médecine non marchande et non professionnelle.

  • Orienter les pratiques médicales vers l'auto-médicalisation et l'entraide médicale. Ce qui permet le développement d'une médecine qui échappe au marché. Celui qui produit soi-même n'achète pas. Et non professionnelle. Celui qui produit soi-même n'a pas recours au service des professionnels. On notera que cette démarche d'auto-médicalisation suppose tout un ensemble de pratiques sous-jacentes. En voici quelques exemples:
    • Développer une médecine fondée sur un principe de simplicité volontaire : les techniques médicales sont simples à mettre en oeuvre, faciles à utiliser, nécessitent des ressources qui sont aisées à trouver dans l'environnement et sont peu coûteuses. Bref, la recherche d'autonomie dans l'acte médical devient une priorité, et s'adapte aux réalités du milieu. Ce qui suppose, au passage, d'encourager des techniques médicales qui sont déjà présentes dans la culture à l'intérieur de laquelle l'activité médicale industrielle va s'implanter.
    • Encourager l'auto-formation, ou bien, l'échange réticulaire de savoir facilitant la transmission des savoirs médicaux.
    • Ouvrir au maximum l'accès aux outils médicaux incontournables, par exemple, en permettant un accès plus simple à des outils analytiques.
  • Développer des réseaux d'échanges non marchands facilitant la transmission gratuite de savoirs médicaux et la réalisation gratuite de services médicaux, quel qu'en soit le type.
  • Libérer les techniques, les informations (revues, livres) et les ressources médicales qui sont sous l'emprise des brevets et de la propriété intellectuelle.
  • Faciliter le don de ressources et services médicaux professionnels: formation, actes gratuits, etc.
  • Encourager la science citoyenne dans la pratique de recherche médicale.

On peut s'interroger. Un tel système est-il être viable ? On peut s'interroger, certes, mais on ne peut répondre à priori à cette question en affirmant d'un ton péremptoire "ça ne marchera pas". Au contraire, l'expérience prouve que l'économie non marchande n'est pas incompatible avec l'économie marchande. Prenons le logiciel libre où le secteur marchand et le secteur non marchand cohabitent...

De toute façon, la mise en œuvre d'une médecine non marchande et non professionnelle n'est pas seulement une affaire de réussite ou d'efficacité. Les raisons pour lesquelles les acteurs du monde médical, qu'ils soient soignés ou soignants, qu'ils soient producteurs, auto-producteurs ou consommateurs de substances pharmaceutiques, choisissent de pratiquer la médecine non marchande et non professionnelle ou la médecine institutionnelle, ne regardent qu'eux. On peut certes tenter de les convaincre. Mais au final, la liberté de choisir entre la médecine non marchande et la médecine industrielle, devrait être défendue au nom du respect des libertés individuelles.

Mais la liberté réelle n'étant pas la liberté formelle, il reste à établir concrètement les structures d'une médecine non marchande et non professionnelle.

Ce ne sont pas les possibilités qui manquent.

  • Utiliser les réseaux d'échanges non marchands pour pratiquer des échanges gratuits, fournir des soins gratuitement, offrir des formations gratuites,
  • démarcher les médecins pour qu'ils se parent contre le matraquage publicitaire dont ils sont victimes,
  • armer les citoyens contre la propagande médicale des groupes pharmaceutiques, des politiques de préventions ou des médecins alternatifs,
  • intégrer la parole citoyenne dans la construction du savoir médical
  • etc.

Voilà ce qui pourrait constituer les bases d'un nouveau mouvement médical révolutionnaire.

Notes

1 Cf. P. Feyerabend et son concept de police de la connaissance.

2 Cf. W. Broad

3 Cf. M. Foucault et le biopouvoir

4 Cf. T. Szasz et I. Illich

5 Cf. I. Illich

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