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Discussions autour de l'anarchisme épistémologique

Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2007
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert sur invitation
Licence:


Création de la page: 15 avril 2012 / Dernière modification de la page: 26 avril 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé: Article publié à l'Endehors. Cet article a été écrit en réponse à des commentaires sur l'article de Wikipédia sur l'anarchisme épistémologique qui a été publié sur l'endehors. Il expose les liens entre anarchisme épistémologique et anarchisme politique d'une manière qui se veut la plus claire possible.


Quelle position l'anarchisme épistémologique peut-il avoir vis à vis de l'anarchisme politique ? S'oppose-t-il à l'anarchisme politique, ou au contraire, lui est-il complémentaire ?

Tout d'abord, un premier point de clarification. Si l'anarchisme épistémologique peut être utilisé pour critiquer certaines tendances de l'anarchisme politique, il l'est à fortiori pour établir la critique d'autres philosophies politiques. Le dogmatisme étant commun à tous les groupes politiques, l'anarchisme épistémologique peut naturellement être utilisé pour critiquer les philosophies libérales et fascistes. Par exemple, Paul Feyerabend s'est fermement opposé aux vues de Karl Popper, et ce dernier était un libéral convaincu.

  L'anarchisme épistémologique ne s'en prend donc pas spécifiquement à l'anarchisme politique. Simplement, il admet que ce sont deux conceptions différentes du monde, même si elles peuvent se rencontrer sur de nombreux points. Ainsi en est-il d'une zone de contact où la défense de la liberté politique croise la défense de la liberté épistémique. Car ces deux libertés sont intimement liées. Etre libre politiquement, c'est d'abord pouvoir dire ce qu'on veut sur n'importe quel sujet, et le dire n'importe comment, et dans n'importe quel contexte. C'est aussi la possibilité pour chacun de participer aux débats et aux prises de décisions collectives, sans distinction de statuts, de professions, et sans restriction de quelque ordre que ce soit. Idée au demeurant très ancienne, mais qui est pourtant souvent négligée par les intellectuels et les garants du savoir légitime qui, comme tous les détenteurs d'un pouvoir (ici le pouvoir d'être entendu et de déterminer ce qui est juste et ce qui est faux), ne sont pas enclins à le partager.

  En fait, l'anarchisme épistémologique ne s'oppose pas nécessairement à l'anarchisme politique. Mais n'oublions pas que Feyerabend était un démocrate et non un anarchiste, il défendait par conséquent dévantage la démocratie directe que l'anarchisme au sens strict. Ainsi, lui paraissait-il tout à fait légitime d'employer le vote pour départager des théories scientifiques qui s'affrontent. Tout au moins quand des moyens financiers étaient en jeu. Il avait de plus une piètre opinion du mouvement anarchiste. Mais c'était dans les années 70. Et à cette époque, peut-être n'avait-il pas tort... L'anarchisme était sûrement bien différent de ce qu'il est aujourd'hui.

  De toute manière, quelle qu'ait pu être l'opinion de Feyerabend sur le sujet, le plus grand tort qu'on puisse lui faire, c'est de prendre sa parole au pied de la lettre et de la sacraliser. L'anarchisme épistémologique est par définition glissant, impossible à saisir, et donc adaptable à l'infini. Rien ne nous empêche alors d’interpréter sa pensée et de la prolonger dans des directions inattendues et non conformes à ses intentions initiales. Après tout, le message essentiel de son oeuvre est peut-être tout entier compris dans l'idée maîtresse que les grandes idées ne sont pas si grandes que ça, et que, à l'instar de toute forme de pensée, elles subiront éternellement un complexe processus de transformation, d'interprétations, de contextualisation, et d'appropriation. Remarquons qu'une fois découvert ce mouvement incessant de la pensée, Paul Feyerabend ne pouvait d'ailleurs se raccrocher qu'à un seul point fixe, un seul point stable dans ce monde d'idées en perpétuelle évolution. Evolution dont les règles pouvaient elles-mêmes subir des variations erratiques. Ce point d'ancrage, il l'a trouvé en affirmant, avec un absolutisme non dissimulé, et une certitude arrogante,  "Always goes" ?

  Il n'existe donc aucune raison d'opposer catégoriquement anarchisme politique et anarchisme épistémologique. Si l'anarchisme politique garantit la liberté épistémique, alors, quelles raisons aurions-nous d'aller contre lui ? Tout au moins, une telle union devrait pouvoir se faire si l'anarchisme politique ne se résume pas à l'application d'un programme universel, imposé à la société, et dont la mise en place et la critique, sont réservées à une élite intellectuelle et à des groupes d'experts.

Je rajoute donc deux remarques en fonction de cela.

  La première, c'est que l'anarchisme épistémologique prend la défense de ceux qui refusent de se soumettre à la froideur et à l'arrogance des textes anarchistes officiels et hermétiques. Nul besoin de se plonger dans les textes sacrés et ésotériques pour comprendre ce qu'est l'anarchisme ! Nul besoin d'être universitaire ou "intelligent" pour pouvoir publier dans des prestigieuses maisons d'éditions comme l'Agone (et d'ailleurs qui sélectionne les bonnes publications dans ces maison d'édition ?...) Chacun a son mot à dire, et tous les avis se valent. Si j'ai envie de dire que Proudhon, Bakounine et Stirner étaient des idiots, et que je n'ai aucune envie de les lire pour diverses raisons, eh bien pourquoi pas... Mon opinion vaut bien la leur. Si j'ai envie d'inventer ma propre définition de l'anarchisme, définition qui n'a aucun sens et qui n'a ni queue ni tête, et bien soit ! Je crée ma propre définition. Et la définition classique de l'anarchisme ne sera aucunement supérieure à celle que j’aurais inventée. Si elle me convient, elle est sûrement valable, et voilà tout ! On est à égalité ! Je peux alors très bien m'engager avec une obsession déraisonnable dans la défense de ma position contre la position officielle. Et tous les moyens pour le faire seront bons. Car si tous les avis ne se valent pas, en revanche, il existe autant d'échelles de valeur qu'il y a d'avis. Par conséquent, je peux considérer que mon échelle de valeur vaut bien celle qui est la plus répandue. Si l'anarchisme se résume pour moi à danser nu dans la rue, pourquoi pas ! Voilà une bonne définition, utile et pragmatique ! (d'ailleurs quand est-ce qu'il y aura des anarcho-naturistes ?!)

  Donc, et c'est ce qui me constitue ma deuxième remarque, un texte anarchiste - et par extension toute pensée anarchiste - peut très bien contenir une multitude d'erreurs et d'absurdités. Et même, il ne faut pas hésiter de notre côté à en faire ! Soyons libres de dire n'importe quoi et de proférer et d'inventer nombre d'inepties. Car une erreur est toujours relative. Le rock aurait-il existé si nous avions indéfiniment valorisé la musique selon les critères de la musique classique ? L'erreur est un processus normal de l'édification du savoir, elle en est un des principaux moteurs. Là où l'erreur s'installe, sciemment ou involontairement, le progrès se dessine en arrière-plan. Là où l'erreur est osée, le changement se dessine. Car en acceptant de commettre l'erreur, en renonçant au travail parfait, en publiant des versions inachevées, on renonce au dogme de la certitude et au pouvoir de l'expert. En admettant ses faiblesses, on autorise le doute, on autorise ce curieux processus qui nous fait sans cesse douter de la parole sacrée, ce processus essentiel dans la production du savoir, qui transforme le savoir autarcique en savoir collectif. Et c'est d'ailleurs au cours de cette transformation que l'erreur apparaît, c'est lors de cette brusque variation d'état qu'apparaissent les racines du savoir collectif : le doute, le conflit, les réajustements partiels, les revirements soudains, les régressions. Ainsi, le savoir ouvert est un savoir essentiellement faux. Il est suspect dès l'origine, il est imparfait, truffé d'erreurs, grossier et n'est utilisable qu'à ses risques et périls. Tel est par exemple, le savoir ouvert des projets libres comme Wikipédia ou les projets Open-Source. L'erreur est à la source de ces processus de construction collective, c'est elle qui amène le changement, c'est elle qui crée un appel d'air, où vont s'engouffrer les contributeurs ! A l'opposé le savoir fermé est le savoir de la certitude, celui qui prétend être ouvert aux critiques, mais qui en réalité se plie toujours un peu plus à des critères de plus en plus stricts. C'est un savoir éteint, un savoir qui brille par la perfection et l'aura de son versant visible, mais qui s'éteint du côté de son versan caché : celui qui est dissimulé, masqué, protégé, celui dont les recettes sont jalousement conservées dans des labos eux-mêmes fermés aux participations. C'est un savoir figé.

  Il ne faut donc pas trop se soucier de ces anarchistes qui veulent penser bien et juste. Ils pourront toujours se rabattre sur des centaines de textes anarchistes sérieux, qui disent des choses intelligentes et sensées (du moins officiellement...) Et de toute façon, chacun ne peut-il pas se faire sa propre opinion d'un texte ? Qui peut prétendre, lorsqu'il affirme qu'un texte est mauvais, que son point de vue est universel ? Ne vaut-il pas mieux que le premier venu soit libre d'en penser ce qu'il veut, de le trouver idiot, de se dire qu'il n'a rien à voir avec ce qu'il prétend décrire, ou encore, que c'est vraiment un texte sans grand intérêt, même si il y a quand même une ou deux choses de bonnes à prendre...  On distingue bien par des faux prix nobels des économistes distingués qui sortent des inepties à longueur de journées. On les distingue d'ailleurs avec d'autant plus d'entrain quand ils ont dit plus d'absurdités que leurs collègues et quand ils ont réussi à occuper des postes haut-placés. Donc, ne nous privons pas. Autant dire n'importe quoi. Autant ignorer tout ce qui fait que certaines idées anarchistes sont qualifiées de bonnes, intéressantes, justes, intelligentes, officielles, dans le rang, etc. Bref, tout ce qui fait que l'anarchisme risquerait au final de ressembler à une pensée hermétique, sérieuse, formatée et bien-pensante.

Prôner l'erreur et l'incertitude, ce n'est plus aujoud'hui la marque d'un anti-conformisme dépassé, c'est au contraire s'engager dans une révolte constructive. C'est refuser de se soumettre à des normes imposées qui détruisent par leur rigidité la pureté créative qui nous habite. C'est refuser une société qui dérive en s'imposant la tyrannie du juste et de la perfection. Prôner l'erreur, la confusion, le ridicule n'est donc plus une attitude étrange, c'est devenu un acte de résistance. Nous ne saurons jamais si l'erreur, le rire, l'émotion ne cachent pas l'essentiel. Ainsi, n'hésitons pas à le clamer, le prix nobel a fait son temps, aujourd'hui, le prix IgNobel est amené à le remplacer... Et clamer le droit à l'erreur, c'est le droit d'admettre que l'erreur est humaine, que si on la porte, on en est pas pour autant responsable, et que si l'erreur a sévi, ce n'est que pour mieux préparer à l'amélioration, au travail collectif et à la remise en cause. Car pourrons-nous voir l'erreur si nous la brimons ? Pourrons-nous douter de nous-mêmes si la certitude nous envahit, et si nous cachons l'erreur dans la peur quelle soit découverte. Le marché, l'obligation, la responsabilité sont au coeur même de la production du juste, et de son antinomie, l'erreur. Ils sont le rempart à la bonne volonté, ils sont les garants de l'erreur impie, de l'imperfection douteuse. Ils sont les moteurs du renoncement. En refusant l'erreur, ils refusent dans un même mouvement, ce qui est au coeur de la participation spontanée et volontaire. Toute notre société tient en place par cette crainte de l'erreur, ce n'est plus un règne paisible, c'est devenu une tyrannie ! Mais si l'obligation et le marché condamnent parfois l'erreur à juste titre, osons affirmer que nous pouvons très bien nous passer d'eux. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous savons rectifier par nous-mêmes nos propres erreurs. L'erreur involontaire n'est pas répréhensible, ce qui l'est en revanche, c'est le culte forcé et dogmatique du juste.

  Il faut donc apprendre à résister. Il faut se donner le courage d'aller dans une F.A. et de dire : "Est-on sûr que les centrales nucléaires sont contraires au programme anarchiste ?" Mais au fait, petite digression : en est-on vraiment sûr ? La réponse à cette question pourrait très bien être non ! Si les centrales sont auto-gérées, pourquoi seraient-elles incompatibles avec le programme anarchiste ?... Et oui, pourquoi pas finalement... Ce n'est donc pas une erreur de le croire !!! Et de toute manière, est-ce vraiment le problème ? Au fond, toutes nos difficultés viennent probablement du fait que que ce genre de questions, en général on les aborde pas. Car non seulement, pour découvrir des sujets aussi isolés, il nous faudrait nous engager dans l'erreur et dans l'absurdité, mais de plus nous adoptons des réponses pré-données à des questions toutes faites : "le nucléaire c'est mal", "le capitalisme, c'est un fléau". Et ça s'arrête là.  S'écarter du juste, du certain, c'est tomber dans le ridicule, c'est se discréditer. Et pourtant, qu'y a-t-il de moins sûr que ces réponses faciles à ces questions aussi compliquées ?

  La vraie liberté, c’est que chacun doit pouvoir les soulever, réfléchir dessus et donner son avis, même si il n'y connaît rien, et cela dans la plus parfaite liberté. Mais aussi dans la plus parfaite égalité. Car chacun doit pouvoir coller ses tracts dans les locaux, chacun doit pouvoir tenir la caisse d'un local, programmer des réunions, des concerts, des films, mettre ses livres dans les librairies anarchistes, animer un forum, faire ses propres meetings, monter un projet, etc. Chacun doit être encouragé à le faire (sans que ça vire à l'obsession), et les portes doivent rester ouvertes. !

  Vive le désordre et vive la participation libre !

  C'est ce qui devrait différencier l'anarchisme des autres mouvements politiques : donner à l'opinion du premier venu (qui n'y connaît rien, n'a jamais rien lu, et qui n'est probablement même pas anarchiste) autant d'importance que celle de Proudhon, Chomsky ou Zerzan, et donner à ce premier venu les mêmes moyens d'expression que ces soi-disant grands auteurs, ou que le petit noyau d'habitués qui gère et filtre les publications d'un groupe anarchiste ou d'une fédération !

  Car c'est à ce moment que le pouvoir et la hiérarchie pourront disparaitre. Quand il n'y aura plus de gens qui se croient - ou qu'on croit - suffisamment "intelligents" pour s'arroger le droit de forcer les autres à penser d'une certaine manière. Quand ces gens "intelligents" ne pourront plus dire ou suggérer aux autres ce qu'il doivent faire et ce qu'ils doivent penser, et quand les structures seront conçues de telle sorte que les gens "intelligents", les meneurs, n'auront pas d'avantage de moyens que les autres pour imposer leurs points de vue. Ce jour là, il y aura peut-être une chance pour que l'anarchisme épistémologique et l'anarchisme politique se réconcilient.

  Mais pour l'instant, je ne pense pas que ça soit encore le cas.

 


Réponse d'un premier commentateur à cette partie du texte

La partie ici-présente a été modifiée ultérieurement, mais cela n'y change rien.

"Niveau vocabulaire, j'ai pas compris ; anarchisme politique, ça veut dire bande de vieux cons rétrogrades sectaires et peines à jouir et anarchisme épistémologique, joyeuse équipe de fraîches et chouettes personnes, libre dans leur tête et bien dans leurs baskets ?"

Ma réponse :

Bon, alors, évidemment, je crois que les anarchistes politiques ne sont pas comme tu le racontes. Certains peut-être, mais pas tous... Quant aux anarchistes épistémologiques, je ne pense pas qu'ils soient forcément biens dans leurs baskets. Après tout, un anarchiste épistémologique pourrait très bien être un dépressif. Il n'y a rien qui l'en empêche !

Pour clarifier la distinction. L'anarchisme épistémologique est plusieurs choses à la fois. C'est d'abord une attitude individuelle vis à vis du savoir qui consiste à affirmer qu'il n'existe pas de savoir qui soit supérieur aux autres, et que chacun est libre de penser ce qu'il veut, de le découvrir à sa manière et de le faire connaître comme il en a envie. C'est donc une manière de refuser l'autorité intellectuelle non-consentie : autrement dit, l'autorité des professeurs, l'autorité des penseurs, des intellectuels, des experts, des gens bien-pensants, de la science, du bon goût, c'est aussi refuser le conformisme des foules, l'opinion de la masse, etc.

C'est également une manière de refuser toute forme de norme intellectuelle non consentie et imposée. Ce qui revient à dire qu'on peut transmettre le savoir n'importe comment (de manière alternative), et qu'on peut le construire de manière ordonnée ou désordonnée, avec des erreurs ou sans erreurs, et que ça n'a guère d'importance. Mais, en tous les cas, le savoir ne peut être imposé, il doit être ouvert à la critique, à la réflexion, à toutes sortes de délires et de conceptions opposées et absurdes, et surtout on doit pouvoir y adhérer librement. Peut importe qu'on pense bien, mal, juste ou faux. Ce n'est pas une raison suffisante pour imposer par la force un point de vue (rejet de la transmission coercitive du savoir). Imposition qui se fait d'ailleurs le plus souvent avec l'appui d'institutions coercitives (l'école, l'université, les institutions religieuses, la science, etc.) ou par le biais de la pression du groupe auquel on appartient. C'est donc une attitude rétive contre les institutions qui gèrent et dispensent le savoir, qui hiérarchisent les individus (notations, nombre de publications, diplômes, statuts hiérarchisés, etc.), qui ferment l'accès à la production du savoir avec l'appui de l'Etat (diplômes, corporations, cours magistraux : par conséquent, l’anarchisme épistémologique est un mouvement qui défend la séparation de la science et de l'Etat), ou qui prétendent fonder leur action sur un savoir qui serait supérieur aux autres.

Et c'est encore bien d'autres choses.

Mais revenons à notre sujet, ce n'est qu'à partir du moment où il refuse le pouvoir des experts que l'anarchisme épistémologique devient une théorie politique qui se différencie pleinement de certaines branches de l'anarchisme politique. Je m'explique. Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ? Qu'est-ce qui est bon ou mauvais ? L'anarchisme épistémologique ne donne qu'une réponse à ces questions : nul ne le sait avec certitude. Donc, partant de là, tout le monde doit pouvoir donner son avis à égalité sur des sujets graves, futiles ou autres. Non seulement, la construction du savoir doit être démocratique et libre, mais de plus, chacun doit être libre de participer aux décisions de la collectivité et il n'y a aucune raison de laisser aux experts le soin d'organiser et de diriger nos vies, et donc encore moins de faire confiance aux textes des grands auteurs anarchistes.   Comme le dit Feyerabend, "les experts sont payés par les citoyens, ils sont leurs serviteurs et non leur maîtres, et ils doivent être surveillés par les citoyens au même titre que les urbanistes, les installateurs, les politiciens et autres personnes au service de la communauté." et, autre phrase-clé de Feyerabend :

pouvons-nous continuer à écouter nos intellectuels alors que nous savons pertinemment qu'ils ne font que noyer des problèmes humains élémentaires sous des théories inutiles et remplacer la vie dans son ensemble par des modèles naïfs (marxisme, schémas évolutionnistes, etc.), est-il tolérable de continuer à vivre sous la domination d'un savoir qui ne reconnaît pas les principaux motifs de paix (...) et porte donc sa part de responsabilité dans la dévastation de notre existence ?

Donc la question est lancée. Faut-il réellement croire certains anarchistes politiques (pas tous évidemment) quand ils prétendent savoir quelle direction doit suivre la société (et c'est encore plus le cas pour les anarcho-capitalistes ou les anarcho-primitivistes), et quand ils veulent soumettre la société à l'emprise de la Raison et de la Science ? Cette question a une importance pratique et politique. Il faut se souvenir que pendant des décennies, des pays entiers ont vécu sous la domination d'une doctrine marxiste qui s'était transformée en dogme scientifique. Et aujourd'hui, le monde irait probablement mieux si les économistes ne nous noyaient pas sous des équations hermétiques en nous affirmant que le marché est le seul système et le meilleur des mondes possibles.   Bien sûr, une critique vient naturellement : si on permet au premier venu de s'exprimer au même titre que les institutions légitimes, ne va-t-on pas légitimer des doctrines peu fréquentables comme des pseudo-sciences (l'astrologie) ou des religions ? Pour les pseudo-sciences, l'anarchisme épistémologique est une véritable aubaine, elles peuvent défendre leurs conceptions irréalistes, voire dangereuses, en toute tranquilité. Et bien peut-être ! Mais de toute manière, les institutions censées contrôler le savoir ne nous ont jamais mis à l’abri des dérives idéologiques. Bien au contraire ! Peut-on dire que les institutions religieuses nous ont mis à l’abri du dogme ?! Non ! Elles ont engendré l'inquisition, la terreur et la répression des pensées religieuses contestataires. Le vrai problème c'est donc surtout qu'en censurant ces doctrines, on ne fait pas confiance aux citoyens, on ne leur laisse pas le choix. Or, le plus probable, c'est que si ils sont raisonnables, et ils le sont pour la plupart, ils adhéreront spontanément à la pensée la plus raisonnable. Par contre, si ils veulent continuer à croire que la terre est une orange, c'est leur droit !

Autre question. Les organisations anarchistes (les FA, les squats, etc.) sont-elles réellement des lieux de libre expression, de participation libre et de construction libre du savoir ? Moi, et je ne parle que pour les endroits que je connais, car il y a très certainement des micro-structures super chouettes, ma réponse est non. Et c'est un non ferme, définitif et clair. Non, à l'heure actuelle, les endroits où j'ai été ne sont pas des lieux de libre expression, des paradis du délire et de la réflexion libre. Non, ce ne sont pas des lieux où tout peut être remis en cause, où tout le monde peut monter son projet et être suivi. Car ce sont avant tout des lieux où un noyau d'habitués diffuse une pensée pré-établie, essaie de l'appliquer, et se gardent bien d'entrer dans sa conception. Et d'ailleurs, aucune personne qui fréquente ces endroits n'entre dans sa conception. Car ce droit est réservé à une élite (celle qui peut publier à l'Agone par exemple). En fait, si ça semble évoluer, c'est surtout parce qu'il y a des modes qui nous viennent des Etats-unis, et que nous les copions. Voilà tout ! C'est vrai qu'au fur et à mesure, un savoir pratique finit par se former, savoir qui consiste à organiser les concerts, à gérer le travail commun, mais qu'est-ce qui le différencie de celui qui est propre à d'autres micro-structures associatives ?

Je crois que la question fondamentale c'est donc de savoir si il ne vaut pas mieux vivre et penser librement, plutôt que de défendre des idées qui prônent la liberté sans être libre soi-même.

L'anarchisme épistémologique a au moins le mérite de soulever cette question.

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