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Discussions autour de l'anarchisme épistémologique Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 15 avril 2012 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau
Résumé: Article publié à l'Endehors. Cet article a été écrit en réponse à des commentaires sur l'article de Wikipédia sur l'anarchisme épistémologique qui a été publié sur l'endehors. Il expose les liens entre anarchisme épistémologique et anarchisme politique d'une manière qui se veut la plus claire possible.
Quelle position l'anarchisme épistémologique peut-il avoir vis à vis de l'anarchisme politique ? S'oppose-t-il à l'anarchisme politique, ou au contraire, lui est-il complémentaire ?Tout d'abord, un premier point de clarification. Si l'anarchisme épistémologique peut être utilisé pour critiquer certaines tendances de l'anarchisme politique, il l'est à fortiori pour établir la critique d'autres philosophies politiques. Le dogmatisme étant commun à tous les groupes politiques, l'anarchisme épistémologique peut naturellement être utilisé pour critiquer les philosophies libérales et fascistes. Par exemple, Paul Feyerabend s'est fermement opposé aux vues de Karl Popper, et ce dernier était un libéral convaincu. Prôner l'erreur et l'incertitude, ce n'est plus aujoud'hui la marque d'un anti-conformisme dépassé, c'est au contraire s'engager dans une révolte constructive. C'est refuser de se soumettre à des normes imposées qui détruisent par leur rigidité la pureté créative qui nous habite. C'est refuser une société qui dérive en s'imposant la tyrannie du juste et de la perfection. Prôner l'erreur, la confusion, le ridicule n'est donc plus une attitude étrange, c'est devenu un acte de résistance. Nous ne saurons jamais si l'erreur, le rire, l'émotion ne cachent pas l'essentiel. Ainsi, n'hésitons pas à le clamer, le prix nobel a fait son temps, aujourd'hui, le prix IgNobel est amené à le remplacer... Et clamer le droit à l'erreur, c'est le droit d'admettre que l'erreur est humaine, que si on la porte, on en est pas pour autant responsable, et que si l'erreur a sévi, ce n'est que pour mieux préparer à l'amélioration, au travail collectif et à la remise en cause. Car pourrons-nous voir l'erreur si nous la brimons ? Pourrons-nous douter de nous-mêmes si la certitude nous envahit, et si nous cachons l'erreur dans la peur quelle soit découverte. Le marché, l'obligation, la responsabilité sont au coeur même de la production du juste, et de son antinomie, l'erreur. Ils sont le rempart à la bonne volonté, ils sont les garants de l'erreur impie, de l'imperfection douteuse. Ils sont les moteurs du renoncement. En refusant l'erreur, ils refusent dans un même mouvement, ce qui est au coeur de la participation spontanée et volontaire. Toute notre société tient en place par cette crainte de l'erreur, ce n'est plus un règne paisible, c'est devenu une tyrannie ! Mais si l'obligation et le marché condamnent parfois l'erreur à juste titre, osons affirmer que nous pouvons très bien nous passer d'eux. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous savons rectifier par nous-mêmes nos propres erreurs. L'erreur involontaire n'est pas répréhensible, ce qui l'est en revanche, c'est le culte forcé et dogmatique du juste. Réponse d'un premier commentateur à cette partie du texteLa partie ici-présente a été modifiée ultérieurement, mais cela n'y change rien. "Niveau vocabulaire, j'ai pas compris ; anarchisme politique, ça veut dire bande de vieux cons rétrogrades sectaires et peines à jouir et anarchisme épistémologique, joyeuse équipe de fraîches et chouettes personnes, libre dans leur tête et bien dans leurs baskets ?" Ma réponse : Bon, alors, évidemment, je crois que les anarchistes politiques ne sont pas comme tu le racontes. Certains peut-être, mais pas tous... Quant aux anarchistes épistémologiques, je ne pense pas qu'ils soient forcément biens dans leurs baskets. Après tout, un anarchiste épistémologique pourrait très bien être un dépressif. Il n'y a rien qui l'en empêche ! Pour clarifier la distinction. L'anarchisme épistémologique est plusieurs choses à la fois. C'est d'abord une attitude individuelle vis à vis du savoir qui consiste à affirmer qu'il n'existe pas de savoir qui soit supérieur aux autres, et que chacun est libre de penser ce qu'il veut, de le découvrir à sa manière et de le faire connaître comme il en a envie. C'est donc une manière de refuser l'autorité intellectuelle non-consentie : autrement dit, l'autorité des professeurs, l'autorité des penseurs, des intellectuels, des experts, des gens bien-pensants, de la science, du bon goût, c'est aussi refuser le conformisme des foules, l'opinion de la masse, etc. C'est également une manière de refuser toute forme de norme intellectuelle non consentie et imposée. Ce qui revient à dire qu'on peut transmettre le savoir n'importe comment (de manière alternative), et qu'on peut le construire de manière ordonnée ou désordonnée, avec des erreurs ou sans erreurs, et que ça n'a guère d'importance. Mais, en tous les cas, le savoir ne peut être imposé, il doit être ouvert à la critique, à la réflexion, à toutes sortes de délires et de conceptions opposées et absurdes, et surtout on doit pouvoir y adhérer librement. Peut importe qu'on pense bien, mal, juste ou faux. Ce n'est pas une raison suffisante pour imposer par la force un point de vue (rejet de la transmission coercitive du savoir). Imposition qui se fait d'ailleurs le plus souvent avec l'appui d'institutions coercitives (l'école, l'université, les institutions religieuses, la science, etc.) ou par le biais de la pression du groupe auquel on appartient. C'est donc une attitude rétive contre les institutions qui gèrent et dispensent le savoir, qui hiérarchisent les individus (notations, nombre de publications, diplômes, statuts hiérarchisés, etc.), qui ferment l'accès à la production du savoir avec l'appui de l'Etat (diplômes, corporations, cours magistraux : par conséquent, l’anarchisme épistémologique est un mouvement qui défend la séparation de la science et de l'Etat), ou qui prétendent fonder leur action sur un savoir qui serait supérieur aux autres. Et c'est encore bien d'autres choses. Mais revenons à notre sujet, ce n'est qu'à partir du moment où il refuse le pouvoir des experts que l'anarchisme épistémologique devient une théorie politique qui se différencie pleinement de certaines branches de l'anarchisme politique. Je m'explique. Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ? Qu'est-ce qui est bon ou mauvais ? L'anarchisme épistémologique ne donne qu'une réponse à ces questions : nul ne le sait avec certitude. Donc, partant de là, tout le monde doit pouvoir donner son avis à égalité sur des sujets graves, futiles ou autres. Non seulement, la construction du savoir doit être démocratique et libre, mais de plus, chacun doit être libre de participer aux décisions de la collectivité et il n'y a aucune raison de laisser aux experts le soin d'organiser et de diriger nos vies, et donc encore moins de faire confiance aux textes des grands auteurs anarchistes. Comme le dit Feyerabend, "les experts sont payés par les citoyens, ils sont leurs serviteurs et non leur maîtres, et ils doivent être surveillés par les citoyens au même titre que les urbanistes, les installateurs, les politiciens et autres personnes au service de la communauté." et, autre phrase-clé de Feyerabend : pouvons-nous continuer à écouter nos intellectuels alors que nous savons pertinemment qu'ils ne font que noyer des problèmes humains élémentaires sous des théories inutiles et remplacer la vie dans son ensemble par des modèles naïfs (marxisme, schémas évolutionnistes, etc.), est-il tolérable de continuer à vivre sous la domination d'un savoir qui ne reconnaît pas les principaux motifs de paix (...) et porte donc sa part de responsabilité dans la dévastation de notre existence ? Donc la question est lancée. Faut-il réellement croire certains anarchistes politiques (pas tous évidemment) quand ils prétendent savoir quelle direction doit suivre la société (et c'est encore plus le cas pour les anarcho-capitalistes ou les anarcho-primitivistes), et quand ils veulent soumettre la société à l'emprise de la Raison et de la Science ? Cette question a une importance pratique et politique. Il faut se souvenir que pendant des décennies, des pays entiers ont vécu sous la domination d'une doctrine marxiste qui s'était transformée en dogme scientifique. Et aujourd'hui, le monde irait probablement mieux si les économistes ne nous noyaient pas sous des équations hermétiques en nous affirmant que le marché est le seul système et le meilleur des mondes possibles. Bien sûr, une critique vient naturellement : si on permet au premier venu de s'exprimer au même titre que les institutions légitimes, ne va-t-on pas légitimer des doctrines peu fréquentables comme des pseudo-sciences (l'astrologie) ou des religions ? Pour les pseudo-sciences, l'anarchisme épistémologique est une véritable aubaine, elles peuvent défendre leurs conceptions irréalistes, voire dangereuses, en toute tranquilité. Et bien peut-être ! Mais de toute manière, les institutions censées contrôler le savoir ne nous ont jamais mis à l’abri des dérives idéologiques. Bien au contraire ! Peut-on dire que les institutions religieuses nous ont mis à l’abri du dogme ?! Non ! Elles ont engendré l'inquisition, la terreur et la répression des pensées religieuses contestataires. Le vrai problème c'est donc surtout qu'en censurant ces doctrines, on ne fait pas confiance aux citoyens, on ne leur laisse pas le choix. Or, le plus probable, c'est que si ils sont raisonnables, et ils le sont pour la plupart, ils adhéreront spontanément à la pensée la plus raisonnable. Par contre, si ils veulent continuer à croire que la terre est une orange, c'est leur droit ! Autre question. Les organisations anarchistes (les FA, les squats, etc.) sont-elles réellement des lieux de libre expression, de participation libre et de construction libre du savoir ? Moi, et je ne parle que pour les endroits que je connais, car il y a très certainement des micro-structures super chouettes, ma réponse est non. Et c'est un non ferme, définitif et clair. Non, à l'heure actuelle, les endroits où j'ai été ne sont pas des lieux de libre expression, des paradis du délire et de la réflexion libre. Non, ce ne sont pas des lieux où tout peut être remis en cause, où tout le monde peut monter son projet et être suivi. Car ce sont avant tout des lieux où un noyau d'habitués diffuse une pensée pré-établie, essaie de l'appliquer, et se gardent bien d'entrer dans sa conception. Et d'ailleurs, aucune personne qui fréquente ces endroits n'entre dans sa conception. Car ce droit est réservé à une élite (celle qui peut publier à l'Agone par exemple). En fait, si ça semble évoluer, c'est surtout parce qu'il y a des modes qui nous viennent des Etats-unis, et que nous les copions. Voilà tout ! C'est vrai qu'au fur et à mesure, un savoir pratique finit par se former, savoir qui consiste à organiser les concerts, à gérer le travail commun, mais qu'est-ce qui le différencie de celui qui est propre à d'autres micro-structures associatives ? Je crois que la question fondamentale c'est donc de savoir si il ne vaut pas mieux vivre et penser librement, plutôt que de défendre des idées qui prônent la liberté sans être libre soi-même. L'anarchisme épistémologique a au moins le mérite de soulever cette question. Catégories: Recherche conviviale
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