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Proposition narrative autour du projet Boomerang – sortie du 02 février 2022

Auteurs : Sébastien Doussaud (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 09/03/2022
Rubrique: Les espaces de gratuité mobiles
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Creative Commons (BY-SA)


Création de la page: 23 septembre 2022 / Dernière modification de la page: 23 septembre 2022 / Propriétaire de la page: Sébastien Doussaud


Résumé :



— LDC Février 2022 —

Toujours dans une démarche de décrire le territoire, ce qu’il s’y passe, ceux qui y vivent et ce que nous y faisons d’une manière différente, je propose ici une présentation de l’action espace de gratuité mobile sous forme théâtrale au lieu d’un écrit plus technique ou d’un compte rendu formel.

Cela permet, sans détourner la réalité de l’action, des lieux et des personnes, de faire émerger, via un prisme différent, un regard nouveau sur cet outil et son interaction avec le public et les lieux.

« Jour de Boomerang dans le jardin »

Lieux : Jardin Luc Hoffman, Paris 19ème

Date : mercredi 2 février 2022

ACTE 1 - « L’installation »

Scène 1 – « Ballet urbain dans la rue »

Dans le nord-est de Paris, en l’an de grâce 2022, dans la fraîcheur du mois de février, une camionnette blanche s’arrête sur l’avenue de Flandre. Stationnée devant le jardin parisien « Luc Hoffman », plus communément dénommé « mini-parc » par les habitants, un étrange ballet va bientôt débuter.

D’abord deux hommes sortent du véhicule. Puis trois autres les rejoignent. Sans signes distinctifs particuliers, sans uniformes, ce groupe est composé d’hommes âgés de 24 à 62 ans qui discutent sur le trottoir.

Et c’est dans le bruit de la circulation, des portes qui s’ouvrent, qui claquent et des paroles qui s’entrecroisent que commence cette mystérieuse chorégraphie. C’est maintenant un ballet d’objets divers, de matériels variés qui, sans musique et sans faste, dans l’indifférence des passants qui déambulent sur le trottoir, se déploie à la vue de toutes et tous.

Scène 2 – « Ballet urbain dans le parc »

Les « allers-retours » ont commencé. De la rue au parc, une danse silencieuse, à peine ponctuée de quelques bribes de paroles, fait virevolter des caisses de jouets, de vêtements et de livres. Et les déplacements se poursuivent, seul ou en binôme, avec des tables, des chaises et des barnums.

Arrive enfin le moment tant attendu de ce premier acte.

Une toile blanche se déploie, d’abord au sol, puis s’élève dans le ciel et quelques minutes après, une seconde voile blanche vient prendre place à côté de la première.

Bien sûr, sans avoir les mêmes gesticulations gracieuses des rats de l’opéra, les ailes de la gratuité et de la culture libre venaient de se poser calmement tels la conclusion, le point d’orgue final de cette chorégraphie.

La « cabane conviviale » déployée, des vêtements suspendus par des cintres se mettent alors à flotter lentement dans l’air frais. Des chaises rouges s’ouvrent tel des boutons de roses » et bientôt, l’odeur du café inondera l’espace.

C’est la simplicité des objets, des personnes et des déplacements qui animent désormais la scène. Des échanges naissent, des dialogues commencent et dans la pâle lumière de l’hiver, la vie semble s’être invitée dans la quiétude de ce quartier Parisien.

ACTE 2 - « Théâtre libre »

Scène 1 – « La troupe fluctuante »

Une nouvelle fois, le « Boomerang » était lancé. Et il était prévu qu’il revienne !

Durant toute l’installation, un membre de la troupe prenait parfois des photos. Un autre encore décrivait oralement la scène en l’enregistrant sur son téléphone. « Est-ce du Tango, de la break-dance ou de la valse ? ».

De ce prélude chorégraphique venait de naître un théâtre interactif, libre et éphémère. Dès lors, c’est une sorte « d’improbabilité discrète », timide, banale mais presque intime, qui est apparue à la vue de tous.

Les battements aléatoires de la caisse claire et les dissonances des guitares envahissent anarchiquement l’espace sonore. Cette incroyable symphonie, constitué de musique, de dialogues, de cris et de rires, commence sa mélodie telle une partition improvisée.

Une dame a pris des livres et demande un café. Des bruits, des sons, des paroles, des rires et des regards se croisent. Des instants sont capturés. Pourtant, aucun embouteillage, aucune tension ne surgissent, tout semble fluide et naturel.

La troupe d’acteurs se constitue tranquillement, dans le calme tout au long de la journée.

Celle-ci se compose d’éducateurs, d’hommes, de femmes, de mères, de pères, d’enfants et de jeunes, d’âge, de culture et d’origine différentes. De cette entité humaine fluctuante qui évolue constamment, émane de la musique, des mots et des rires. Des conversations s’envolent, des diabolos voltigent et des ballons roulent.

Et c’est ainsi, modestement, dans le froid de cette après-midi hivernale, que l’espoir du « convivialisme » et de la relation gratuite et désintéressée apparaissent. C’est sans spectacle ostentatoire grandiose, et sans la marche militaire de l’institution salvatrice, mais à taille humaine, à la dimension des hommes et des femmes et avec des mélodies populaires que sans le savoir, ces acteurs éphémères de types, de genres et de natures différentes se côtoient sans rivalités et appréhendent, ensemble, le rapport non-violent.

Quel formidable tableau ! Quel spectacle incroyable ! Surtout au pays des frontières…

Scène 2 – « Le musicien »

Il s’est posé dès son arrivée à côté de la caisse claire. Il a dit bonjour furtivement et, ayant déjà les baguettes dans les mains s’est mis à jouer tout en expliquant ce qu’il faisait.

Tout en distribuant à qui veut bien les entendre ses conseils, il se présente comme musicien d’un artiste de rap français très connu. Je profite des brefs moments qu’il laisse entre deux paroles pour échanger avec lui et lui proposer un café, mais l’interaction ne l’intéresse pas. D’un ton un peu supérieur, voire un peu vaniteux, il joue tout en continuant d’expliquer ce qu’il fait. Il ne restera pas une fois les baguettes posées.

Il n’était pas venu pour ça, il a juste fait un bref passage, une halte dans sa déambulation, pour se mettre en avant. Un soliste, qui ne recherche pas l’échange, mais plutôt une forme de reconnaissance. C’est aussi cela la culture libre !

Scène 3 – « Les enfants »

Pas besoin de scénario, pas besoin de préparation, leur rôle est naturel. C’est peut-être leur plus grande force que de faire, d’être, de jouer, de participer à cette pièce, sans prendre d’autres postures que la leur. Certains recherchent des DVD, des objets qui pourraient leur convenir, mais la plupart se tournent assez rapidement vers les activités musicales, sportives et ludiques. Un petit groupe reste autour de la table centrale. Un adulte, éducateur sur le quartier, leur propose d’écrire leur prénom à la façon d’un « tag ». Ils attendent leur tour dans le calme, parfois en buvant un thé, ils vont et viennent au gré de leurs intérêts et des activités qu’ils souhaitent faire.

De la danse, des dialogues, et tout cela avec des attitudes simples et des postures attendues et cohérentes avec le statut d’enfant qu’ils ont au sein de la troupe.

Bientôt une partie d’entre eux retourneront à leur occupation, rentreront chez eux et comme si cela avait été planifié, ils quitteront la scène aussi naturellement qu’ils l’ont occupée.

C’est là toute la richesse de cette représentation théâtrale : l’éphémère et la spontanéité, comme un prérequis nécessaire à cette forme « d’art de l’instant présent ».

ACTE 3 - « S’ennuyer utilement »

Scène 1 – « Moment de calme »

Beaucoup de personnes étaient passés, s’étaient arrêtés, s’étaient investies et avaient pleinement participé à cette représentation libre. Mais était venue à présent la scène calme avec un petit groupe restreint de comédiens.

En panne d’inspiration, ils improvisent alors des chansons, discutent calmement en buvant un café ou un thé. C’est une sorte de « respiration » qui vient ponctuer le scénario improvisé. En effet, pas de rythme à priori, pas de temporalité définie en amont, mais qui se construit au fur et à mesure de la journée et du jeu des acteurs. On réaccorde les guitares, on échange des banalités, on fait un peu de rangement. Certains adultes du groupe d’éducateurs font des allers-retours, vont rechercher des objets dans le véhicule, d’autres en profitent pour téléphoner ou prendre des photos.

Toute cette improvisation fait pourtant partie du spectacle, comme pour permettre et faciliter la venue de nouveaux acteurs et l’arrivé d’une nouvelle dynamique.

Bientôt d’autres personnes prendront part à la représentation, généreront, sans le savoir, un autre mouvement.

Quelques pas de danse malhabile ont lieu entre une comédienne régulière qui joue ici le rôle de bénévole, et un des éducateurs. Pas de quoi susciter l’émoi, l’exaltation ou l’euphorie, mais juste ce qu’il faut pour signifier que le spectacle continue, dans une forme de sérénité simple et sincère.

Pas d’extravagance superflue, rien de trop, pas de postures surjouées, mais juste de quoi maintenir vivant ce théâtre d’objets, ce petit coin du parc, qui sans vouloir déranger la plénitude du lieu, invite à la curiosité et à la participation.

Scène 2 – « Les collègues »

Arrivés discrètement dans le jardin, quatre adultes, dont trois hommes et une femme, rejoignent de manière disparate la scène du Boomerang. Ils échangent des bonjours et des conversations furtives auprès des autres participants déjà présents. Rien de nouveau, pas de changement de rythme ni d’activité supplémentaire à leur venue. Les échanges sont rapides et brefs et cette petite troupe supplémentaire repart, continuant sa déambulation dans le quartier. L’un d’entre eux restera un peu et participera aux activités ludiques ayant lieu dans la pelouse telle une extension de l’espace de gratuité.

Aucune onde perturbatrice n’est venue troubler la quiétude de la scène en cours.

Mais bientôt, sans savoir pourquoi ni comment, d’autres personnes rejoindront la pièce en cours et de nouvelles interactions auront lieu. Ce spectacle interactif et évolutif continuera jusqu’à la fin de cette parenthèse artistique, où se rencontre comédiens, comédiennes, objets, musiques, dialogues dans un décor figé qui n’évolue qu’au gré de la lumière et de la météo.

ACTE 4 - « Dernier acte »

Scène 1 – « Dernière valse »

Les lieux commençaient à se vider. Une grande partie des enfants et des adultes étaient partis et dans la fraîcheur et la lumière descendante, l’énergie qui animait jusque-là cette scène éphémère semblait partir doucement, avec l’arrivé de la nuit hivernale.

Les dialogues, les conversations, les rires et les jeux laissèrent progressivement place au calme et au silence.

Tel est le cycle du boomerang, qui vient, voyage et repart. Voici le moment où il revient à l’envoyeur annonçant la fin de sa présence.

D’ailleurs les gardiens n’allaient pas tarder à fermer le parc pour la nuit.

Voici venu le temps de la dernière valse, qui, semblable au 1er ballet, se déroule en sens inverse. Similaire à la première chorégraphie d’installation, c’est sans musique et à la vue de toutes et tous que commence cette dernière scène.

Les caisses d’objets se regroupent, les tables se plient, les chaises se referment et dans un dernier élan, les voiles blanches et pointues de ce théâtre libre se replient. Les allers-retours jusqu’au trottoir puis jusqu’à l’intérieur du véhicule se font dans le calme et bientôt le jardin aura retrouvé sa sérénité nocturne.

Scène 2 – « Réflexions nocturnes »

Le matériel rangé dans le véhicule, il reste ce petit groupe d’hommes, le même qui s’était regroupé au début. Les gardiens ferment le portail du jardin et c’est sur le trottoir, dans la nuit récemment apparue, que des échanges se créent au sein du groupe. On discute du nombre et du type de personnes qui ont participé, ne serait-ce que furtivement, à cet étrange spectacle.

« Y-avait-il plus d’enfants, plus de jeunes ou plus d’adultes que les fois précédentes ? »

« Quels sont les objets qui ont été le plus demandés ? »

« Les « acteurs » sont-ils restés plus longtemps que d’habitude ? »

Autant de questions, de remarques et d’observations sont posées là, spontanément, sur ce bout de trottoir de l’avenue de Flandres, dans l’indifférence générale des passants.

Il n’y aura pas de réponses ce soir, ni de conclusion immédiate de cet instant. Seulement des questions et des constats que nous remettrons en forme dans les prochains jours.

En revanche des réflexions nouvelles et des hypothèses apparaissent.

L’un d’entre eux se propose pour réaliser un compte-rendu factuel dans les jours suivants. Un autre met en avant les nombreuses observations qu’il a pu enregistrer sur son téléphone. Certains écoutent et sont moins loquaces.

Il faudra quelques jours pour digérer ces interactions, ces dialogues, ces rires, ces échanges et ces moments d’ennuis aussi. Il faudra un peu de temps pour comprendre et saisir « les vibrations » qui ont émergées de cette journée. Ce qui restera, sans aucun doute possible, c’est la simplicité des échanges, des dialogues et des rires. Cette improvisation théâtrale spontanée au cours de laquelle chacun et chacune aura joué le rôle qui est le sien.

Cette réunion informelle se termine lorsque les adultes du groupe se saluent et repartent, comme ils sont venus, chacun de leur côté. Le moteur du véhicule ronronne en accompagnant une dernière manœuvre, reprend la route et disparaît lentement sous les lumières des lampadaires.

Le boomerang, alors revenu à ceux qui l’ont lancé, repart et bientôt, comme tous les boomerangs, reviendra ici, dans quelques semaines. Les artistes, les comédiens, les acteurs, les metteurs en scènes, les participants et les spectateurs sont partis mais ils se retrouveront bientôt. Seront-ils les mêmes ? S’agira-t-il d’une nouvelle troupe ? Et quel sera le scénario de la prochaine représentation ? Personne ne le sait, et c’est là tout l’intérêt de ce spectacle éphémère et interactif.

Pour ce soir, le rideau est tombé sur la scène et avec lui les souvenirs de cette journée et des rencontres humaines aussi. Si tout n’est pas possible, tout reste possible.

Sébastien DOUSSAUD

Pour Lignes de Crête




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