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De la simplicité de l'échange non-marchand Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 06 mai 2014 / Dernière modification de la page: 14 février 2016 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau
Résumé :
Il y a de bonnes raisons de préférer l'échange non-marchand à l'échange marchand pour distribuer, produire ou se procurer des ressources. Certains le font pour des motifs écologiques (la récupe favorise le réemploi1) ; d'autres y voient un geste charitable (le don aux pauvres2) ; d'autres encore y voient une manière efficace de mutualiser les ressources3 ; d'autres une arme au service de la décroissance4 ; d'autres, un outil au service de leurs intérêts marchands5. Et je passe sur d'autres motivations existantes ou à inventer. Ces arguments sont assez courants. Et la plupart ne me convainquent guère. Aussi, je voudrais en développer un autre qui me paraît plus pertinent : L'échange non-marchand s'intègre parfaitement dans une démarche de simplicité volontaire6, car il est plus simple à réaliser, collectivement et individuellement, que l'échange marchand. En outre, il est intrinsèquement plus économe et autonome que l'échange marchand. La fausse simplicité de l'échange marchand A bien des égards, voilà un argument qui peut surprendre : "N'est-il pas enfantin de se payer un sandwich ? Qu'y a-t-il de complexe et d'hétéronome7 dans cet acte ?" En fait, comme c'est souvent le cas, un acte "simple en apparence" est en réalité éminemment complexe et hétéronome. Dressons pour le montrer une liste - non exhaustive - de tout ce qui est nécessaire pour réaliser un échange marchand. Les compétences individuelles nécessaires pour réaliser un échange marchand. Tout d'abord, la réalisation d'un échange marchand nécessite au minimum l'acquisition de deux "outils" (ou savoir-faire). Il faut être capable :
Ressources nécessaires intrinsèques au déroulement d'un échange marchand. De quoi avons-nous besoin pour que des échanges marchands se réalisent. Quels sont les éléments qui relèvent de la nature même de cet échange.
Ressources extrinsèques à l'échange. J'entends par ressources extrinsèques, celles qui ne portent pas sur le déroulement même de l'échange marchand, mais qui en sont malgré tout une condition essentielle pour que ces échanges aient lieu. J'en mentionnerai plusieurs.
La simplicité de l'échange non-marchand. La plupart des éléments de complexité que je viens d'énumérer sont absents dans les échanges non-marchands. Pour réaliser un échange non-marchand, il faut, au pire, formuler un souhait et préciser les conditions d'échange. C'est tout. Dans la plupart des cas, je n'ai même pas besoin de savoir compter ou lire. Allons plus loin, il n'est parfois même pas nécessaire de "communiquer" (par exemple, lorsque je dépose un objet dans une zone de gratuité, ou quand je le jette et qu'il est récupéré). Cette condition est donc facultative. A ce titre, on pourrait presque avancer que le niveau de complexité de l'échange est - en plus du caractère contraignant de l'échange - l'un des éléments-clés de la différenciation entre l'échange non-marchand de l'échange marchand.
On pourrait toutefois faire remarquer que l'échange non-marchand peut lui aussi contenir des éléments de complexité significatifs. Par exemple, un prêt gratuit est relativement complexe. Il peut nécessiter, notamment, des règles d'usage plus ou moins élaborées et l'obligation de retour peut nécessiter un système complexe de contrôle. C'est le cas dans les bibliothèques. De même, la rencontre de souhaits concordants entre les personnes nécessite d'une part, l'existence d'un protocole de communication et d'outils de communication communs (par exemple, Internet), et d'autre part, des outils de mise en relation qui peuvent s'avérer très élaborés (par exemple dans les réseaux d'hospitalité). Autre exemple, la gestion d'un magasin gratuit ou d'une médiathèque nécessite une gestion du stock et éventuellement une mise à jour des informations relatives à ce stock. La réponse à cette remarque est facile à trouver. Dans tous ces exemples, le niveau de complexité ne dépend pas de la modalité de l'échange (troc, échange marchand, échange non-marchand...). Il est intrinsèque à la nature même de l'échange. Et à ce titre, la complexité du système de contrôle pour un prêt gratuit ou un prêt payant ne varie pas significativement. Approche comparative en terme de coût et d'efficacité. Nous avons donc montré que, pris en tant qu'échange total, au sens de Mauss, qu'en tant que pratique collective, l'échange non-marchand est considérablement plus simple à réaliser que l'échange marchand. Mais qu'en est-il si l'on met de côté tout cet "arrière-plan de complexité" et qu'on limite notre réflexion à l'échange vécu. Admettons pour cela que je dispose des ressources nécessaires pour acquérir un objet via l'échange marchand. Quel est, pour moi, le choix le plus simple. Que faut-il comparer ? Cette question soulève un problème d'ordre méthodologique. Si on inclut dans l'échange non-marchand l'auto-production, dans la mesure où elle peut se concevoir comme un processus par lequel on produit une ressource que l'on se donne à soi-même, alors les grandeurs sont incommensurables. Il est certain, en effet, qu'il est plus simple d'acheter une voiture que de la produire soi-même. Car, si l'on omet le problème de l'acquisition des ressources, l'acte d'achat est comparativement plus simple à réaliser que l'acte de production - bien que ce ne soit pas systématiquement le cas comme nous allons le voir. Les deux actes sont-ils comparables ? Fondamentalement, rien n'empêche de le faire. Mais pour être rigoureux, il faut bien séparer les différents cas lorsqu'on veut comparer - en modifiant la variable qualitative marchand/non-marchand - les niveaux de complexité de l'échange d'un bien ou d'un service. La comparaison peut donc porter sur :
Quelques pistes de réflexion Quelque soit le type de comparaison retenu, il est difficile de l'effectuer sans introduire les notions de coût et d'efficacité. En effet, ces deux variables entrent directement dans le ressenti du niveau de complexité. Par exemple, supposons que je souhaite me débarrasser d'une vieille commode. Quelle est la modalité d'échange qui est la plus simple pour parvenir à mes fins ? Contrairement aux apparences, la réponse à cette question n'est pas triviale. Je peux tout d'abord décider de la jeter. Mais il n'est pas exclu que cela ait un coût et que cela soit difficile à réaliser (je dois la charger dans la voiture par exemple, l'amener à la déchèterie). Je peux alors décider de la donner ou de la troquer ; mais le fait de le vouloir et de le faire savoir ne suffisent pas à assurer la réussite de l'entreprise ! Je peux la jeter illégalement dans un terrain, réalisant ainsi un échange contraint (pour celui qui la reçoit !), mais cela a un coût potentiellement très élevé (amende...) ! Je peux enfin choisir de la vendre, mais la probabilité d'y parvenir peut être faible. On voit donc que pour chaque modalité d'échange, la probabilité de réussite, le coût effectivement supporté et le coût anticipé varient13. Chaque modalité d'échange génère ses propres coûts et permet de parvenir à ses fins avec plus ou moins d'efficacité. Et il faut bien voir que ces critères, qu'ils soient réels ou anticipés, sont primordiaux dans la construction des choix individuels. Certes, le calcul s'insère dans un environnement culturel, représentationnel et pratique. Par exemple, le fait que la norme sociale soit l'achat pour l'acquisition de certains biens et services (par exemple, les légumes), incite par conformisme ou par simple mimétisme à recourir à l'achat. "On le fait parce que ça se fait" ! Autre exemple, la répétition de pratiques d'achat peut rendre plus simple l'échange marchand en pratique, en raison, notamment, de l'effet d'apprentissage, bien qu'elle soit intrinsèquement plus complexe. Ce point me semble primordial, car il faut sûrement faire intervenir ces aspects socio-culturels et cognitifs de l'action pour expliquer certains comportements. En effet, même en tenant compte du coût et de l'efficacité, il n'est pas toujours plus efficace d'acheter ou de vendre. Evidemment, tout dépend à ce niveau de l'objectif visé par l'acte d'échange. Supposons que mon objectif soit, par exemple, de me procurer des ressources alimentaires, alors, il peut être plus simple, car moins coûteux et plus efficace, du moins en zone rurale, de recourir à la cueillette ou à l'auto-production. Si je souhaite acquérir un appareil électroménager d'occasion, il peut parfois être plus avantageux de me le procurer gratuitement, dans la mesure où je peux supposer que la parole du donneur est sans doute plus fiable que celle du vendeur. Et, plus généralement, le recours à l'achat peut diminuer sensiblement la qualité d'un service fourni, et surtout en accroître la complexité. Typiquement, une formation payante conduit ses usagers dans un maquis touffu de diplômes, de crédits, etc. Alors qu'une formation faite par un ami est souvent rapide et efficace. Dans certains cas, il faut aussi noter qu'il n'est pas forcément possible de choisir entre différentes modalités d'échange. Par exemple, si je souhaite réaliser certaines activités "professionnelles" (construire une voiture, faire de la recherche biologique...) je suis quasiment obligé de vendre mon travail. Dans ce cas, il est plus simple de recourir à l'échange marchand pour parvenir à mes fins. Enfin, curieusement, si, à travers mon action, mon objectif est de tirer un profit matériel ou financier, il n'est pas toujours opportun de vendre. Toute l'économie construite autour d'Internet le prouve bien14. Ces quelques exemples montrent donc que le choix simple/complexe, entre le don ou la vente, ou entre l'acquisition gratuite et l'achat, même lorsqu'on ne tient pas compte de la complexité en arrière-plan de ces actions, est loin d'être aisé à établir. En outre, il faut remarquer que la complexité du processus d'acquisition gratuite est alourdie par la faiblesse de l'offre et la rareté des structures dont le but est d'assurer la rencontre entre l'offre et la demande. S'il est pour moi plus compliqué, aujourd'hui, d'emprunter gratuitement un vélo, c'est avant tout parce que les structures de prêt gratuit de vélo sont rares15. Mais, il faut bien le reconnaître, c'est aussi parce que l'emprunt d'un vélo à un ami ou à un étranger n'est pas sans générer certains "coûts" économiques, sociaux et psychologiques. J'en mentionne quelques-uns :
Mais tous ces éléments se rencontrent également dans un échange marchand, telle la location. En revanche, certains sont spécifiques à l'échange non-marchand.
L'avantage des "structures formelles" d'échange non-marchand, telles que les maisons non-marchandes, les zones de gratuité, les sites d'échange, est de réduire ces coûts.
1 Ce qui ne me convainc pas, ni en théorie, ni en pratique. ⇑ 2 Ce qui ne me convainc pas, pour des raisons théoriques, pratiques et éthiques ! ⇑ 3 Ce qui me convainc !! ⇑ 4 Ce qui me paraît vrai dans la pratique mais faux en théorie. ⇑ 5 Par exemple, offrir gratuitement des services dans le but de se former. Offrir un échantillon dans l'espoir d'un achat futur. Etc. ⇑ 6 J'entends pas là le fait d'agir avec un niveau de complexité faible, une certaine sobriété et une large autonomie. ⇑ 7 L'inverse d'autonome. ⇑ 8 On peut rétorquer qu'il est possible d'externaliser ces services (lecture, écriture, calcul...) via un service marchand. Cependant, outre la complexité d'une telle démarche, elle n'éteint pas la complexité mais la déporte sur le prestataire du service. ⇑ 9 En tant que fait institutionnel, pour reprendre les termes de J. Searle dans La construction de la réalité sociale. ⇑ 10 Ceci s'observe dans les différences de comportement entre les gratiférias et les vide-greniers. Dans les premiers, les stands sont souvent délaissés, tandis que dans les deuxièmes, ils sont constamment gardés. Le coût de maintenance y est donc plus élevé. ⇑ 11 Bien qu'elles ne le soient pas forcément, dans le cas où le blocage de l'accès est "physique". ⇑ 12 Ce qui, encore une fois, n'est pas un problème spécifique au marché. Cependant, les échanges non-marchands peuvent aussi s'appuyer sur des objets librement appropriables, comme les objets SDF. ⇑ 13 Voir sur ce point, l'article : Structure du coût dans les activités non marchandes?. ⇑ 14 Symétriquement, il est courant d'entendre que le don constitue une entrave à la vente. Notamment pour un commerçant qui craint qu'en donnant son surplus invendu, il réduira ses ventes. ⇑ 15 Voir l'article Socioéconomie du prêt gratuit?. ⇑ 16 Nombre de personnes n'aiment pas demander. ⇑ Catégories: Économie non-marchande
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