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Carnet de voyage de la caravane de la gratuité - Août 2022 - II. Le lavoir d'Alet-les-Bains Auteurs : BenjaminGrassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 04 janvier 2023 / Dernière modification de la page: 19 janvier 2023 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau
Résumé : Restitution du carnet de voyage de la caravane de la gratuité durant l'été 2022, accompagnée de commentaires à posteriori. « Démarrage » de la caravane de la gratuité le 1er août à Alet-les-bains.
Le lavoir d’Alet-les-bains est un endroit surprenant et remarquable du point de vue de l’économie non-marchande. Il y aurait beaucoup à en dire, mais je me contenterais de noter qu’il s’agit d’un lieu de vie (on vient y passer du temps), d’un lieu de rencontre, d’un lieu « nourricier » (une eau minérale réputée potable et de très bonne qualité y coule abondamment), d’un lieu « fonctionnel » on vient y laver son linge et parfois d’autres affaires comme la vaisselle, d’un lieu d’hygiène (on vient parfois s’y laver) et d’un lieu de loisir (les enfants, en particulier, s’y baignent avec grand plaisir). L’eau qui y coule étant tiède et comme il est bien abrité des intempéries, parfois même ensoleillé à certaines heures de la journée, ces activités sont pratiquées une bonne partie de l’année. Tout cela est gratuit et c’est en ce sens qu’il présente un grand intérêt pour l’analyse de l’économie non-marchande. En outre, le lavoir est attractif. Sans interruption, de nombreuses personnes en provenance de la région aux alentours s’y rendent, tout spécialement pour s’approvisionner en eau potable. Il représente donc un cas d’école en terme d’outil convivial. J’interviewe une femme ayant la soixantaine qui vient prendre de l’eau. Je me demande depuis combien de temps elle vient ici. Elle me répond « depuis toujours ». Les points qu’elle met en avant.
Je m’interroge. Quantité d’eau prise par personne ? [ Ce serait une manière de voir si le ratio ressource marchande / non-marchande dépend de la quantité de ressources non-marchandes acquises. ] Quels types de bouteilles ? Quels usages ? Quelle régularité ? Quel est le profil sociologique des personnes qui prennent de l’eau ou réalisent d’autres usages ? Durée qu’ils y passent ? Motivations ? Scène de récupe. Mes enfants jouent avec des bouteilles que des gens ont laissé sur place. Femme de la soixantaine. Elle dit : « Je viens souvent parce que c’est gratuit et j’habite pas loin. Je viens pour le jardin et pour boire. Avant c’était l’eau d’Alet. L’eau n’est pas analysée mais elle est très bonne. » Elle a des bidons blancs de vinaigre de cinq litres. Homme 30 / 40 ans avec sa fille. Il a des bouteilles de bière. Eau de source de tous temps ? Débat avec un homme d’un certain âge : « quand il y avait l’usine, ils avaient fermé ». Ils sont tous les deux « du coin » et ma question enclenche une discussion. Pour ou contre ? Long débat autour de l’usine. C’est visiblement un sujet sensible. L’homme d’un certain âge a des bouteilles de plastique dépareillés. La discussion continue sans moi. Excepté un moment où le jeune se tourne vers moi et me déclare : « il y en a qui abusent et arrosent le potager ». Il se reprend aussitôt, « en même temps, elle coule ; perdue pour perdue… ». Les chiens sont en liberté dans le lavoir d’Alet. Leur présence est bien tolérée. Il y en a actuellement trois. Le vieux me parle de « pelut », esquissant un regard méprisant vers une « hippie » qui se promène avec les seins à peine voilés. Je la revois un peu plus tard à la plage située sur l’ilôt d’Alet où je suis avec les enfants. Il se trouve qu’elle allaite un bébé ! Leur grand, qui a sans doute 7 ou 8 ans se baigne nu. Un groupe d’anglais (des couples) plutôt smarts, très « english bobos ». Ils se sentent gênés de fumer devant moi ! Nous sommes pourtant en plein air au bord de la rivière. Autres dimensions gratuité. Je vais demander à la buvette près de la piscine si elle peut me recharger l’ordi. Elle accepte gentiment. Julie demande où sont les toilettes. Je lui suggère d’aller demander à la piscine. Elle revient plus tard. C’est bon ! Je songe après coup qu’il y a aussi des toilettes près de l’ilôt. Il est intéressant d’observer ici, à posteriori, que l’expérience de la caravane de la gratuité, et plus généralement celle du voyage qui plonge ses participants dans un environnement inédit au sein duquel les repères quotidiens peuvent être bousculés, pousse le voyageur à questionner les modalités d’acquisition et d’usage des ressources qui y sont disponibles. Chose qu'il ne fait pas en temps normal tant dans un univers sédentaire, routinier, la correspondance entre des ressources-clés et certaines variables indispensables à leur usage, demeure étonnamment stable. Prenons le cas des toilettes. Autour de chez nous, leur localisation, l’état (horaires d’ouverture, état de propreté, niveau de disponibilité), les modalités d’échange, d’usage et d’appropriation sont généralement connus. Petite digression pour rappeler que la « modalité d’échange » grâce à laquelle on peut avoir accès à la ressource forme à cet endroit un « présupposé d’arrière-plan ». C’est un construit social plus ou moins intériorisé par les acteurs. La façon dont il faut s’y prendre pour accéder à ses ressources et pour les utiliser est rarement réinterrogée. Elle est normée et dépend de la catégorie de la ressource concernée. Mais le voyage vient précisément déplacer nos représentations à cet endroit. Il faut reconstruire ces informations pour s’orienter dans un nouvel environnement. Sur la base de quels critères ? Comment se repère-t-on dans ce contexte, du moins si on circonscrit l’analyse au cadre d’un voyage non-marchand dans lequel on cherche à limiter le recours à des ressources disponibles selon la modalité de l’échange marchand ? Je dégagerai huit variables pertinentes énumérées et décrite dans le tableau ci-dessous. Tableau : variables de disponibilité.
Ces différents critères déterminent, en se combinant, le niveau de disponibilité de la ressource et vont orienter en conséquence le comportement des personnes qui souhaitent interagir avec elles. En essayant de ne pas trop m’étendre, j’avancerai également que ce niveau de disponibilité de la ressource va impacter et être impacté à trois niveaux.
Je terminerai sur l’intérêt qu’il peut y avoir, pour tenter d’expliquer une action ou de la mettre en œuvre, les différentes combinaisons d’actions possibles. Prenons deux variables discrètes : Privé / Public et Artificiel / Naturel, puis voyons comment les différentes combinaisons déterminent la nature d’une activité et potentiellement son niveau de disponibilité, dans le cadre d’une modalité d’échange non-marchande. Il existe, en simplifiant, quatre combinaisons possibles.
La répartition de ces différentes combinaisons sur un territoire donné contribue à déterminer le niveau de disponibilité d’une ressource au sens large sur celui-ci. Sur la route, je rencontre A. Je lui propose de faire un entretien. Mais elle n’a pas le temps. Elle est accompagnée. On reporte à plus tard. Nous sommes arrivés à l’îlot. Un groupe est installé autour d’une table de picnic. Classe populaire. Ils me disent que je peux utiliser leur barbecue puis me laissent un fond de charbon. Un geste de partage que je retrouve fréquemment autour des feux de camp et des barbecues publics. Nous sommes maintenant tous ensemble attablés. On se demande où on va. Question de date. Arriver pas trop à l’improviste. J’appelle Philippe Huguenin. Il me rappelle plutôt. Contrairement à D., un ami de jeunesse qui habite dans les Pyrénées. Catégorie : Mobilité non marchande, Économie non-marchande
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A., une femme d’une soixantaine d’années, était accompagnée ce jour-là, et ne présentait pas le même comportement qu'à l'accoutumée. Elle est normalement très avenante. C’est du moins ce qu’il m’a semblé. Elle paraissait avoir peur de déranger l’homme, approximativement du même âge qu’elle, qui déchargeait des affaires de sa voiture au même moment.
A. est une personne que je trouve intéressante que je connais par le biais d’un bon ami qui fréquente régulièrement la gratuiterie de Limoux. Elle vient laver son linge au lavoir et possède un jardin juste à côté de celui-ci, qu’elle a occasionnellement prêté à l’ami en question. Je la croise régulièrement quand je viens à ce lavoir. Elle a toujours des anecdotes intéressantes à me raconter.
Elle affirme venir d’une famille notable de la région. C’est sans doute vrai. Elle dispose en tous les cas d’un capital culturel indéniable. Preuve en est que l’usage traditionnel du lavoir n’est donc pas réservé à une catégorie sociale dans le besoin. Au contraire. On y observe une forte mixité sociale.