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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire.
 

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L'illusion du collectif

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2013
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 06 mai 2014 / Dernière modification de la page: 26 mai 2022 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Les collectifs prolifèrent depuis quelques temps sur le web, en particulier dans le champ du militantisme, de l'art et de l'économie sociale et solidaire, où ils sont légion.

Sans doute faut-il s'en réjouir. Une telle diversité, un tel foisonnement... N'est-ce pas une aubaine pour la démocratie1 ?

J'ai pour ma part une vision bien moins rose du phénomène. Je pense que l'explosion numérique des collectifs est nocive pour la participation démocratique à la vie politique, car elle trahit un processus de privatisation de l'action.

Bref aperçu des collectifs

Une recherche web2 donne un aperçu de la myriade de collectifs qui parsèment la toile :

collectif PAPERA (collectif pour l'abolition de la précarité dans l'enseignement supérieur, la recherche et ailleurs), collectif jeune-cinéma, collectif prématurité, collectif Carbon (création numérique), collectif Confluence (jeunes chercheurs en sciences humaines), collectif Manifestement (droit à la manifestation), collectif Item (photographes), collectif Artivist (recréation du système), Collectif Haïti de France, collectif Tomahawk (collectif de groupes menant une guérilla culturelle contre le Music Business de masse), collectif solidaire des associations de soutien aux malades du cancer, Collectif R (interface fédératrice du monde de l'art contemporain), collectif du 05 Mai (comité de suivi des commémorations de la tragédie de Furiani), collectif du 10 mai (collectif d'associations Afro-Caraïbéennes de Nantes rassemblées pour organiser et promouvoir "La journée de la commémoration de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions"), collectif du 31 mai (accueil des étudiants étrangers en France), collectif du 18 août (féminisme abolitionniste), collectif du 18 octobre, collectif justice pour les victimes de la route, collectif pétale 07 (pour l'éducation à l'environnement et au développement durable en Ardèche) ...

On notera que nombre d'entre eux sortent de l'ombre en élisant domicile sur Facebook. Quelques exemples:

les collectifs Biopiraterie, du 31 mai, autonome des médecins algériens, 109, etc, usagers TER Toulouse C U T T, Animalier du 06, France-Tricot, Stop au gaz de Schiste 07, parents d'élèves du 93, la main - la main jaune, des jeunes français à Rio+20, des associations unies et solidaires pour l'Afrique et sa renaissance, des associations des pradettes, dindon, artefakt, pour la Syrie, rennais pour les animaux, ...

Premier constat, comme les appellations le suggèrent, la moindre cause, la moindre activité est pretexte à la création d'un collectif. En sachant que je n'ai sélectionné ici qu'un échantillon très réduit.

Il est également intéressant d'observer la façon donc les collectifs se définissent3 :

  • Collectif Krasnyi: nous sommes un collectif constitué de passionnés de l’image. Tous touchés par la question sociale, nous avons décidé de nous unir avec comme axe principal un travail photographique et vidéo, militant et socialement engagé.
  • Collectif So Matreiro: Nous sommes un collectif d'intervenants spécialisés en activités physiques et sportives urbaines (APSU) ainsi qu'en prévention des violences. Nous sommes soit traceurs, capoeiristes, combattants, secouristes, ou tout à la fois mais nous sommes surtout des passionnés expérimentés, reconnus pour nos qualités d’enseignants, nos pratiques sportives et nos engagements envers nos disciplines.
  • Collectif Grésivaudan: Nous sommes un collectif d’enseignants, de parents et d’élus. Ensemble, nous souhaitons préserver l’école publique républicaine gravement menacée par les projets de réforme du gouvernement. Nous n’acceptons pas la déconstruction programmée de l’éducation nationale et des ses valeurs fondamentales : égalité, solidarité, vivre ensemble.
  • Collectif Carbon: Le Collectif Carbon est avant tout un groupe d'amis centré sur la même passion, la création numérique.
  • Collectif TKF: Nous sommes un collectif de danse Hip Hop OLDSCHOOL mené par le chorégraphe ,formateur à la scène et danseur. Jean Paul CUSTOS
  • Collectif La TOILE, Collectif d'Artistes Hybride: Nous sommes un collectif d'artistes et de techniciens du spectacle aux origines, formations et parcours artistiques différents. Le collectif est issu de rencontres humaines et de diverses collaborations en amont. Nous favorisons la recherche artistique et le partage d'expériences dans la création. Nous tendons vers l’autonomie de troupe, une scénographie et technique qui se suffisent à elles-mêmes, faciles à transporter, adaptables et jouant avec les différents lieux d’accueil, pour aller au devant de toutes sortes de publics. Nous privilégions la fabrication et la diffusion de nos spectacles en itinérance, afin de rencontrer différents publics et de créer des formes qui résonnent avec aujourd'hui et évoluent en fonction des échanges avec les lieux et les gens. Ainsi, nous travaillons aussi bien sous chapiteau, en milieu urbain et en salles de spectacles, si elles sont ouvertes à nos partis-pris artistiques.
  • Collectif Droit à l'avortement dans le 20ème !: Nous sommes un collectif unitaire du XXème mobilisé pour la réouverture du centre d’IVG de l’hôpital Tenon et contre les attaques des intégristes religieux sur le droit à l’avortement. Le collectif Tenon est composé d’habitantEs du XXè, de militantEs de: Association pour les droits des femmes du XXè, AC, APEIS, ATTAC XXè, Femmes libres, Femmes Solidaires, LDH XXè, MRAP, Planning familial, Alternative libertaire, EELV, FASE, GA, NPA, PCF, PG, les syndicats CGT et Sud Santé de Tenon. Soutenu par: CNT-UR, Fédération Anarchiste, les Alternatifs; les EffrontEes, MMF, des Rasl’front-MLV, SCALP, Solidaires, UL CGT XXè et Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.
  • ...

Examinons aussi comment deux d'entre eux définissent leur organisation et leur action, et comment ils sont décrits de l'extérieur.

Nous sommes un collectif et nous avons souhaité à ce titre mettre plus de démocratie dans notre groupe, reconnaît le président sortant. Ce matin (ndlr : le 9 février), nous avons voté que tous les adhérents présents deviennent co-présidents (une dizaine) afin de mieux répartir le travail entre chacun ». La structure régionale compte 64 adhérents (8 en Charente, 28 en Charente-Maritime, 18 en Deux-Sèvres et 10 en Vienne), plus 39 amis.

Lorsqu'on s'est réuni, qu'on a réfléchi à ce qu'on pouvait faire, l'idée de créer une page Facebook s'est imposée assez vite. C'est notre monde, celui des jeunes d'aujourd'hui." Au mois de décembre dernier, un collectif de jeunes demandeurs d'emploi s'est créé sous l'égide de la Mission locale Arc Charente, l'organisme qui, de Confolens à Barbezieux, en passant par Ruffece et Cognac, accueille les demandeurs d'emploi, procède à un bilan de leur situation et les aide à s'insérer socialement et professionnellement. "On l'a appelé Arc'ollectif" sourient Charlotte Galand et Nicolas De Biaggio, deux des jeunes de ce collectif4.

Les composantes d'un collectif.

En prenant appui sur ces exemples, on peut définir un collectif comme un regroupement de personnes qui contrôlent des ressources et des outils, et dont les actions sont orientées vers la réalisation d'un ou plusieurs objectifs.

Un collectif comprend donc cinq éléments:

  • Des personnes.
  • Des outils et des ressources.
  • Des règles de contrôle et d'usage de ces outils et de ces ressources.
  • Des actions individuelles et/ou coordonnées, ponctuelles et/ou régulières.
  • Une finalité, censée définir ce vers quoi doit tendre l'agrégation des actions individuelles au sein du collectif.

Sur cette base, on notera qu'il existe de multiples façons de désigner un collectif. On pourrait tout aussi bien parler de clan, de club, de réseau, de groupe, d'équipe, de regroupement, d'association, d'entreprise, de coopérative, de projet, de mouvement, etc. Car ces appellations, malgré leurs nuances, ciblent en fait un même objet en arrière-plan : des personnes réalisent une activité collective et sont "liées" par celle-ci. C'est ce qui fait le cœur, la nature même de ce regroupement, de l'entité visée par ces dénominations.

Cet objet en question, je l'appellerai donc groupe d'action. Car c'est l'action qui le différencie d'autres groupes sociaux. Lesquels ? Ce n'est ni un groupe de similitude, c'est à dire, un groupe de personnes ayant un trait commun, tels que le statut - je parlerai alors de groupe statutaire - une caractéristique physique, etc.; ni un groupe relationnel, c.a.d, un groupe de personnes liées par une relation statutaire (relation familiale, relation de voisinage, etc.) ou des interactions régulières. C'est l'action finalisée qui constitue le ciment, le liant du groupe.

Le contrôle des éléments du groupe d'action

Une question qui se pose à propos de ces groupes d'action, est la prévalence d'un groupe de similitude ou d'un groupe relationnel sur les éléments qui le composent. La diversité des appellations des groupes reflète d'ailleurs la diversité des configurations possibles. Le club peut renvoyer au contrôle de l'action et des ressources du groupe d'action par un groupe statutaire. De même, la coopérative indique que certains éléments du groupe d'action, comme les règles de contrôle et d'usage des ressources nécessaires à l'action, sont prédéterminés, et ne laisseront - en principe - pas de place à un contrôle par un groupe statutaire interne au collectif.

Un point important pour la compréhension des collectifs, est que lorsqu'"ils" se définissent, se pensent, ils admettent implicitement une équivalence entre leur groupe relationnel, ou leur groupe de similitude, et leur groupe d'action.

Les définitions vues plus haut le prouvent bien. Par exemple, nous sommes un collectif d'artistes et de techniciens du spectacle aux origines, formations et parcours artistiques différents. Le collectif est issu de rencontres humaines et de diverses collaborations en amont.

Ici, le groupe d'action est "occupé", "phagocyté", par un groupe de similitude et par un groupe relationnel - suggéré par les rencontres et collaborations évoquées. Le groupe se définit en premier lieu par le statut des membres qui le composent, puis, par les interactions récurrentes qui ont lieu entre eux. Enfin, après, vient l'action proprement dite du collectif.

Cet ordre n'est pas anodin. Il montre que l'identité du collectif se définit par la correspondance entre le groupe de similitude et les personnes qui composent le collectif (en tant qu'élément du groupe d'action).

C'est un point fondamental. Car la désignation du collectif, qu'elle soit "extérieure" ou "intérieure", est un des éléments-clés du contrôle des différents éléments qui composent le groupe d'action5. Or, ici, le groupe de similitude et le groupe relationnel, en insistant sur la définition en terme de collectif, ont indirectement pris le contrôle d'un élément du groupe d'action, à savoir, les personnes qui appartiennent à ce groupe.

L'identification au groupe.

Le processus d'identification et d'attachement entre les personnes, et entre les personnes et le groupe, est un autre aspect très important des collectifs.

Ce lien qui se crée entre les personnes du groupe, et entre les personnes et le groupe (en tant qu'entité fictive perçue par ses membres), repose sur trois composantes.

  • Un "attachement affectif". Un membre du groupe développe un attachement affectif envers les autres membres et le groupe, notamment à cause de la fréquence accrue des interactions.
  • Une extension du moi social. Un membre du groupe, et le groupe, sont perçus comme une "extension de son soi social", comme un "représentant de soi" par les autres membres6.
  • Une relation instrumentale. Un membre du groupe et le groupe en lui-même peuvent servir ou desservir ses intérêts.

Le groupe ne se limite donc pas à sa composante "action". Il déborde largement sur les dimensions affective, identitaire et économique. Le groupe d'action n'est pas exclusivement un instrument mis au service d'une action, il est aussi l'objet d'un investissement affectif, identitaire et économique7.

Toutefois, les modalités de cet investissement ne sont pas les mêmes pour tous les groupes. Il en va de même pour les modalités de contrôle des éléments du groupe d'action.

  • Dans certains groupes d'action, le groupe, sa personnification, donne presque lieu à un culte, à une adoration. D'autres agissent de manière plus "pragmatique", sans projeter sur le groupe une symbolique ou un attachement affectif surchargé.
  • Dans d'autres encore, le contrôle des éléments du groupe d'action par un groupe statutaire, qui peut être un sous-ensemble des personnes qui appartiennent au groupe d'action (l'élite, par exemple), concerne essentiellement les outils et les ressources nécessaire à l'action. Dans un groupe d'action de type production/consommation, il n'est pas rare, notamment, que les ressources et les outils productifs soient monopolisés par un groupe statutaire ou un groupe relationnel, telle une profession, une caste, une classe sociale, etc.
  • Dans d'autres, le contrôle s'étend sur les règles relatives à l'action et s'imbrique dans des problématiques économiques.

Cette grille d'analyse permet de mieux saisir ce qu'il y a de fondamental dans la représentation collective du collectif. En braquant les feux sur les personnes qui composent le collectif, en définissant le groupe d'action par sa dimension statutaire ou relationnelle - et c'est ce que fait l'appellation de collectif - on l'enferme, on l'enssere dans cette dimension, et on exclut, ou tout au moins, on lui soumet, la dimension pratique et technique, celle de l'action, de la praxis. Le rapport qu'entretiennent les personnes au groupe d'action n'est plus l'action en soi, la praxis, mais, par exemple, la conservation de l'identité du groupe, ou encore, la poësis, au sens où la finalité devient la production de quelque chose d'extérieur à l'action, par exemple, le contrôle de ressources à des fins qui sont extérieures à l'action - cas d'un processus de bureaucratisation.

Ainsi en va-t-il de la profusion de collectifs que l'on peut observer aujourd'hui. Elle traduit à mon sens, une appropriation des groupes d'action par des groupes statutaires ou relationnels. Le coeur de l'action, à savoir la finalité, les ressources et les outils, les actions ponctuelles et répétées, est en quelque sorte accaparés par un groupe statutaire ou relationnel. Le logo reflète ce processus, plus ou moins souterrain, d'appropriation exclusive, de privatisation.

La privatisation de l'action

Intégrer ainsi l'action dans un groupe statutaire ou relationnel revient donc, en définitive, à privatiser l'action. Privatisation qui opère, très souvent, via la privatisation - ou du moins l'appropriation exclusive - des outils de communication nécessaires à la coordination des actions. Mais on me rétorquera que le caractère ouvert8 des collectifs - bien qu'il soit loin d'être systématique - contrebalance cette tendance à la privatisation. Seulement, en règle générale, même quand de tels collectifs sont ouverts - ce qui n'est pas toujours le cas, j'insiste -, ils ne le sont que dans la limite d'une participation bien canalisée, bien contrôlée. En réalité, il est exceptionnel que le contrôle des ressources soit réellement libre et ouvert.

Cette privatisation a, je pense, trois conséquences, dont les deux dernière sons observables dans les réseaux sociaux numériques.

  • La première est éthique. Pourquoi celui qui souhaite disposer d'outils et de ressources, qui souhaite agir de concert avec d'autres personnes, se doit d'appartenir à un collectif, fût-t-il ouvert ? Il y a là, indirectement, une restriction des libertés individuelles.
  • La deuxième est une segmentation de plus en plus poussée de l'action et de la revendication. Dans la mesure où le contrôle d'un groupe d'action est payant, on observe une multiplication des niches. Contrôler un groupe d'action, par exemple, en être le fondateur, n'est pas forcément simple, car le terrain est souvent déjà occupé. Conséquence, les groupes d'action se multiplient et se centrent sur des sujets, sur des thèmes de plus en plus étroits. Avec, pour conséquence indirecte, une raréfaction des contributeurs et une division croissante de l'action globale. L'absence de coordination, et le morcellement des réseaux de communication, rendant cette division de l'action quasiment "autistique".
  • La troisième est une mise en concurrence des groupes d'action, qui préfigure, bien que le phénomène soit déjà amorcé, une marchandisation croissante de l'action. L'outil et l'action passant au second plan, ils deviennent de simples ressources dans la construction d'une ingénierie et d'un marché de l'action. Ils se transforment insidieusement en produits qui peuvent être appropriés sur ce marché. On peut l'observer, déjà, dans les projets de logiciel libre9.

Quelles sont les ressources générées par cette privatisation ?

  • Elles peuvent être symboliques. Par exemple, le contrôle des éléments d'un collectif génère des gratifications de cet ordre. Le simple fait d'avoir "participé au début", d'avoir "initié un projet", d'avoir "occupé un statut important", confère des gratifications symboliques. Et un système de classement s'établit d'ailleurs assez rapidement entre les membres du groupe d'action. On retrouve toujours les mêmes catégories-types : le fondateur, les grandes figures, les traducteurs qui relaient le message du fondateurs, les continuateurs qui l'approfondissent, etc.
  • Elles peuvent aussi se rapporter aux différentes composantes du lien établi entre les membres d'un groupe et le groupe. Le fait de pouvoir agir sur l'orientation d'un groupe d'action, traduit la possibilité de modifier l'"extension de son moi social" dans le sens désiré. En sachant que l'orientation peut être parfaitement illusoire. Typiquement, le supporter d'un groupe n'a aucun impact lorsqu'il crie devant son téléviseur, ou même lorsqu'il assiste à un match dans les tribunes. C'est dire la puissance du processus d'identification qui l'anime, et dont la source doit probablement être à rechercher dans de complexes mécanismes socio-cognitifs, comme l'empathie ou la personnification du collectif.
  • Elles peuvent être purement "économiques". Ce qui ne devrait pas trop surprendre. L'économie dans laquelle nous vivons tente de redistribuer les ressources en fonction des tâches effectuées, et à ceux qui sont censés les avoir accomplies. Il y a donc, de ce point de vue, toute une économie de l'action, et plus généralement, du changement, qui repose sur des subventions, sur le financement par projet, sur des projets de développement, etc.

Est-ce le phénomène de privatisation globale de l'action, qu'on repère à travers le morcellement de l'action et le foisonnement des collectifs, qui génère cette marchandisation globale de l'action, ou l'inverse ? Il me semble malaisé de déterminer quel est le sens de la causalité. Ce qui est toutefois certain, c'est que, pour des groupes d'action pris individuellement, la privatisation n'implique pas forcément la marchandisation. Il n'est pas rare, en effet, que des groupes d'action se construisent dans une logique hors-marché. En revanche, l'inverse me paraît plus difficile à observer. Les groupes d'action inscrits dans une logique marchande, même si leur action est à but non-lucratif, sont presque toujours enfermés dans une logique statutaire ou relationnelle qui les pousse à s'approprier privativement le groupe d'action, et bien souvent, l'action visée dans son ensemble.

Pour ma part, je pencherai donc pour une antériorité du processus de privatisation sur le processus de marchandisation. Le premier pas vers la marchandisation est la privatisation ou l'appropriation exclusive des groupes d'action. D'autant plus que si ces groupes sociaux ne sont pas privatisables, ils ne peuvent faire l'objet d'une marchandisation. Symétriquement, une marchandisation de l'action induit d'une part une typification de l'action, nécessaire à sa mise en vente sur le marché, et d'autre part, des incitations qui poussent à la privatisation des groupes d'action. La causalité est donc à double sens.

Il en va ainsi de la musique. Les "groupes" de musique construisent presque systématiquement un groupe statutaire ou relationnel qui vient se superposer sur le groupe d'action. Ce faisant, ils répondent à une double contrainte, celle de la privatisation, devenue la norme, et celle de la marchandisation.

Ce sont d'ailleurs les écarts par rapport à ce processus normatif global, qui permettent de s'en rendre compte. Amon Düül, par exemple, qui a tenté de rompre la bijection entre le groupe d'action et le groupe relationnel, mais sans vraiment y parvenir10. Ou encore, le Velvet Underground, qui, à mesure que ses membres désertaient, a vécu un clivage croissant entre le groupe d'action et le groupe statutaire (ceux qui sont reconnus comme appartenant au groupe)11.

Conclusion

Démarchandiser l'action passe par sa déprivatisation, ou alors, par sa désappropriation (au sens où personne ne doit pouvoir se l'approprier de manière exclusive). Or, pour cela, il paraît nécessaire de la recentrer sur les éléments qui en constituent le coeur, à savoir, les outils et les ressources nécessaires à sa réalisation, et sur l'action en elle-même. C'est bien à cet endroit que peut opérer le processus de démarchandisation. En libérant les outils et les ressources, en ouvrant l'action à tous, en redistribuant les cartes équitablement.

L'essor des collectifs, dont le terme même centre les groupes d'actions sur leurs logiques statutaire, identitaire et relationnelle, me semble antinomique à cette démarche. Certes, l'intégration de l'action dans une telle logique a probablement un pouvoir incitatif fort. On sait bien, par expérience, que le fait d'appartenir à un groupe statutaire, ou à un groupe relationnel, crée une motivation plus forte à l'action. Néanmoins, revers de la médaille, il est aussi presque toujours excluant. Et il efface la logique de l'action, la praxis, derrière un nuage de procédures, derrière une structure symbolique complexe, qui, tôt ou tard, finit par redescendre sur l'action, la rendant plus opaque et surtout, moins accessible.

1 A condition déjà, de s'entendre sur le sens du mot démocratie. Le terme est tellement flou, imprécis, que l'on peut y mettre tout et n'importe quoi. On oublie trop souvent que les dictatures de l'Est se sont auto-désignées comme des démocraties pendant des décennies. Et encore aujourd'hui, on doit officiellement dire République populaire démocratique de Corée !

2 Google.

3 Idem !

4 Extrait d'un article sur le quotidien Charente Libre intitulé Un collectif de jeunes charentais crée une page Facebook pour trouver du travail

5 Sur le sujet, on pourra se référer aux travaux de Pierre Bourdieu, entres autres.

6 C'est flagrant, en ce qui concerne l'identité géographique.

7 Ce qui se repère par exemple quand deux personnes se rencontrent et se demandent mutuellement, "qu'est-ce que tu fais". Sous-entendu, "qui es-tu ?".

8 Au sens où il est facile d'y entrer.

9 Je pense notamment à LibreOffice, passé dans le giron d'Apache.

10 Une partie de la communauté pensait que n'importe qui, qu'il puisse chanter ou jouer d'un instrument ou non, pouvait se joindre au groupe s'il voulait y participer ; l'autre semblait se vouer à une structure classique de formation rock. source Wikipédia.

11 En particulier sur le dernier album intitulé Squezze.




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