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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
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Il n'y a pas de commerce équitable... L'arnaque des labels alternatifs

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2009
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert sur invitation
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 novembre 2013 / Dernière modification de la page: 23 août 2022 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé : Publié en Décembre 2009 dans la Revue de sociologie underground.



Nombreux sont ceux qui croient participer à une alternative, dans un secteur donné, en développant des pratiques marchandes qu'ils jugent plus "équitables", moins "destructrices", plus "alternatives" etc.

A mon sens, c'est une grave erreur, car sans rompre de manière radicale avec les pratiques marchandes, ils retombent toujours dans les mêmes travers. Un petit commerce alternatif n'a certes pas le même fonctionnement qu'un gros commerce, mais il en a les mêmes propriétés de fond. C'est ce que je souhaite illustrer ici, en montrant que contrairement à une idée reçue, la plupart des labels alternatifs arnaquent les consommateurs. Se planquant derrière un discours alternatif et anti-commercial hypocrite et vendeur, ils pratiquent en réalité des activités lucratives tout à fait banales.

Une activité rentable

Je prends comme label alternatif de référence Les potagers natures (association de fait) qui vend ses disques entre 5 et 7 euros (94% du catalogue en ligne). Cela ne semble pas cher, comparativement aux disques commercialisés par les majors (en général autour de 15 euros). Toutefois, le tableau ci-dessous montre que les frais supportés pour la production des disques dans les labels « alternatifs » sont bien plus bas :

  • Les droits de reproduction mécanique et les royalties y sont généralement inexistants.
  • Les frais d’enregistrement sont très faibles pour les amateurs depuis que la micro-informatique les a fait chuter.
  • Quant aux frais de promotion, ils comprennent le site Internet ou la page myspace (cout nul) et éventuellement les affiches. Mais les frais d’affichage sont compensés par les profits dégagés lors des concerts.
  • S’agissant des frais de distribution, ils sont quasi-nuls pour les mêmes raisons : les CD’s ou vinyles sont disponibles dans les concerts ou supportés par les acheteurs.
  • Quant à la marge d’exploitation, elle doit théoriquement être nulle puisqu’il s’agit de labels à but non-lucratifs.

Tableau : composition moyenne du prix de gros hors taxe d’un disque de variété francophone1

Droits de reproduction mécaniqueFrais d’enregistrement (versés aux auteurs/éditeurs graphiques (Sacem)).Frais de fabrication (pressage)Frais de distributionFrais de promotionRoyaltiesMarge d’exploitation de la maison de disqueTotal
8 %12 %10 %25 %25 %8 %12 %100 %

Donc, des labels à but non-lucratif ? Pas si sûr…

En effet, partons du prix moyen de vente d’un « disque commercial » et retirons tous les frais que n’ont pas à supporter les « labels alternatifs ». Le cout de production est égal à 15 euros x 10 % = 1,5 euros (seuls sont retenus les frais de fabrication). Il est légèrement en dessous de celui supporté par les labels alternatifs.

Car avec une estimation haute, le pressage de 500 CD’s ou vinyles par une entreprise de pressage revient environ à 1000 euros (parfois moins et les prix sont très rapidement dégressifs). A cela on peut ajouter 250 euros pour les frais d’impression de la pochette. Cela fait approximativement au maximum 2,5 euros par disque. Mais à l’heure actuelle, vue la concurrence entre les entreprises de pressage, plutôt 1 ou 2 euros – les prix sont encore plus bas pour des CD-R.

Par conséquent, le bénéfice net réalisé pour la vente d’un disque dans le label Les Potagers Natures, et plus généralement dans l’industrie des labels alternatifs, est au moins égal à 3 ou 4 euros. Ce qui implique que pour un disque produit à 500 exemplaires, le bénéfice net est de 1500 à 2000 euros. Mais les potagers natures sont une association relativement honnête, en comparaison de la plupart des autres labels « indépendants » qui vendent en général leurs disques bien plus chers : entre 10 et 20 euros2. Le bénéfice peut alors facilement atteindre 10 à 20 euros l’unité; soit, entre 5000 et 20000 euros pour un album tiré à 1000 exemplaires ! Et le plus souvent, ces associations ne payent pas d’impôt, aussi sont-elles avantagées par rapport à l’industrie « classique » du disque.

Conclusion: les labels « alternatifs » sont nettement plus rentables que les labels « commerciaux ». Comment, alors, peuvent-ils s’afficher comme anti-commerciaux ?! Il y a là une contradiction, qui suppose un « discours défensif » dont j'analyse et critique ici les principaux points.

Faiblesse des arguments visant à justifier les bénéfices

Examinons ces arguments successivement.

L’argument du localisme

Les labels « alternatifs » favorisent le marché local, tandis que les labels commerciaux renforcent les marchés nationaux et internationaux ; ce qui réduit l’impact environnemental, redynamise le tissu culturel local et conduit à des pratiques plus conviviales.

Une bien jolie musique, mais qui sonne faux sur presque tous les points.

  • Les labels alternatifs doivent, s’ils veulent survivre, se positionner sur des « niches » ; des marchés musicaux très spécialisés, regroupant des auditeurs ayant des goûts bien spécifiques. Or, les consommateurs dans ces niches sont dispersés géographiquement dans les grands centres urbains à travers le monde. Ce qui a des conséquences écologiquement néfastes : les musiciens font des « tournées » sur des distances très longues pour trouver un public et rentabiliser leurs déplacements – ils parlent souvent de « tournées européennes ». Ils s’insèrent alors dans un marché international des services musicaux, qui est parfaitement en phase avec les principes fondamentaux du capitalisme mondialisé.
  • Pour diminuer les frais de fabrication, les disques sont souvent pressés en Europe de l’Est, où les prix sont moins élevés. Ce qui montre à nouveau à quel point ces labels participent pleinement au processus de mondialisation. Quant à l’impact écologique, il est aggravé par le transport et les conditions de fabrication dans les pays de l’Est, peu regardants sur les normes environnementales.
  • Si l’on prend l’exemple des Potagers Natures, le caractère local se limite plus à un « localisme relationnel ». En effet, la majeure partie des groupes publiant des albums sur le label sont composés des mêmes personnes, et elles ne sont pas nécessairement originaires de la ville où réside l’association. En bref, on retrouve un peu moins d’une dizaine de personnes, parfois en solo, ou inclus dans un groupe ou une compile, dans trente à quarante albums, sur 47 albums publiés (2008). Et ces personnes se connaissent et se fréquentent régulièrement.
  • L'aspect convivial est relatif. Sur quels critères l’ancrer ? En sachant que les concerts organisés par ces labels sont le plus souvent calqués, tant dans leur organisation que dans leur forme, sur le modèle du concert commercial standard. Si bien que la communication au sein du public, et entre le public et les musiciens, y est rare ou n’est pas nécessairement agréable. Peut-on alors parler de convivialité 3 ?

L’argument de l’auto-financement des activités

Le prix de vente élevé de ces disques permet d’anticiper des ventes trop faibles pour couvrir tous les frais engagés.

Dans les Potagers Natures, sur les 25 premiers disques et cassettes publiées entre 2000 et 2005, 20 sont épuisés. 80 % des produits ont donc trouvé acquéreur. Ce qui rend l’argument peu convaincant.

Autre argument:

Le prix de vente élevé sert essentiellement au financement des disques ultérieurs.

Cet argument n’est plus plausible dès le deuxième album. Car il ne vaut que pour les très petits tirages (100 à 200 exemplaires). En effet, supposons qu’un musicien gagne 7 euros x 500 = 3500 euros sur son premier album. Retranchons les 1000 euros de frais de fabrication, et il a alors fait un bénéfice de 2500 euros. Si bien que dès le deuxième album, il fait un bénéfice net de 3500 -1000 euros + 2500 = 5000 euros.

Je prends comme exemple un groupe des Potagers Natures qui « marche » bien, les Radikal Satan. Ils ont vendu leur premier album tiré à 1000 exemplaires en aout 2003 à 6 euros (épuisé). Soit donc environ 5000 euros de bénéfice – en partant sur des frais de fabrication d’environ 1000 euros. En mai 2004, ils sortent avec un autre groupe un album tiré à 550 exemplaires vendu 7 euros (également épuisé). Ce qui fait un bénéfice d’environ 2850 euros. Divisons-le par deux, comme il y a deux groupes, on obtient tout de même 1425 euros. Enfin, en juin 2005, ils vendent à nouveau un album sorti à 1000 exemplaires à 6 euros (épuisé). Ce qui fait un bénéfice de 5000 euros. En tout, en l’espace de deux ans, ils ont dégagé un bénéfice de 11425 euros.

Est-ce une somme suffisante pour auto-financer un nouvel album ? C’est surtout de l’arnaque pure et simple ! D’autant plus qu’il faut attendre septembre 2008 pour qu’ils se décident à sortir un nouvel album, tiré… à 300 exemplaires. En admettant, chose bien sûr improbable, qu’ils aient placé l’argent des bénéfices durant cette période à un taux de 3 %, ils récupèrent 900 euros de bénéfices, et leur nouvel album ne leur coûte rien. Et il y a pire. Les disques n’étant plus, officiellement, disponibles, ils se vendent désormais beaucoup plus cher sur le marché d’occasion. J’en ai vendu un récemment sur Price Minister pour environ 20 euros (la transaction moyenne observée est actuellement de 17 euros sur ce site). Et, s’agissant des vinyles, ils peuvent parfois atteindre des prix très élevés sur le marché du disque de collection (la barre des 100 euros est vite franchie). Si bien que les musiciens qui ont gardé quelques dizaines de disques pour eux, comme cela se fait fréquemment, peuvent facilement augmenter leur mise de façon conséquente.

Pour finir, quand bien même les groupes pratiqueraient des prix élevés uniquement dans l’objectif de réinvestir dans la production de nouveaux albums, comme ils l’affirment, en quoi ces pratiques diffèreraient-elles de celles de n’importe quelle entreprise marchande ? L’intention est visiblement différente (soi-disant), mais la pratique concrète est exactement la même… L’argument de la « distribution à taille humaine ».

Reste qu’on peut arguer que :

Ces bénéfices élevés sont justifiés par le fait que les associations refusent, pour des raisons éthiques, de pratiquer une distribution de masse – qui aurait pourtant pour effet de faire chuter les prix.

Argument hypocrite !

  • Le style musical se prête mal, en général, à une distribution de masse. Ce qui paraît normal : les musiciens visent des niches. Donc, quand bien même ils voudraient diffuser leur musique en masse, ils ne le pourraient pas, ou ce ne serait pas dans leur intérêt de le faire, économiquement et musicalement parlant (une diffusion de masse peut être mal vue par les consommateurs potentiels). Car vendre plus de 500 disques n’est pas forcément évident, le public pour ce genre de musique étant souvent très restreint.
  • Ils pratiquent de toute manière une distribution internationale, soit lors des tournées, soit lors des commandes de disque. De plus, même en supprimant les frais de promotion et de distribution, le prix moyen hors-profit devrait osciller autour de 2 ou 3 euros.
  • La promotion de masse des disques leur est souvent hors de portée. Elle alourdirait trop les frais de production, et, elle ne pourrait être rentable qu’à partir d’un niveau de vente très élevé. Son efficacité paraît donc douteuse pour les labels indépendants, étant donné que, comme nous l’avons vu, 1) leur public est très restreint, et de plus, 2) les consommateurs potentiels se tiennent par eux-mêmes au courant des dernières sorties d’album.

L’argument de la rémunération des musiciens

Le prix de vente élevé permet à de nombreux musiciens de vivre de leur musique, et à des musiciens jouant des styles « marginaux », de la diffuser.

À nouveau, cet arguments est faux ou dépassé.

  • Il est illusoire d’imaginer que les musiciens puissent réellement vivre de leur musique de cette manière. Sauf à supposer qu’ils publient de nombreux disques en grande quantité sous de nombreux labels et qu’ils parviennent à très bien les vendre. Ce qui est possible. Mais, d’une part, cela ne concerne qu’une catégorie particulière de musiciens, tous n’ayant pas la fibre commerciale; et d’autre part, on retombe à l’évidence dans une logique marchande.
  • On peut admettre que des musiciens profitent de ces petits labels pour faire connaître une musique difficile d’accès. Mais alors pourquoi, dans ce cas-là, se font-ils des bénéfices sur les ventes ? Ils devraient théoriquement vendre leurs disques au prix de 2 ou 3 euros. Voire le donner s’ils ont un salaire qui leur permet d’assurer les frais de fabrication.
  • Internet permet aujourd’hui, pour un coût nul, de publier et de faire connaître sa musique, même lorsqu’elle appartient à des styles très marginaux.
  • D’autres contre-arguments sont plus spécifiques à la nature du bien commercialisé. Tout d’abord, le caractère novateur de ces productions musicales est très relatif. Ensuite, il n’est pas certain que le support matériel soit réellement adapté pour partager une musique vivante et marginale. Des concerts, des rencontres in situ, paraissent par exemple plus appropriés. De plus, y a-t-il vraiment volonté de faire connaître sa musique, quand le public qui achète les disques et va aux concerts est presque toujours un public déjà acquis ? Des rencontres musicales, fondées sur le modèle des regroupements d’amateurs, paraîtrait plus appropriées pour l’échange musical au sein de tels milieux.
  • Il paraît douteux, voire inacceptable, d’affirmer que seul le marché, fût-il artisanal, est à même de soutenir la création musicale. Au contraire, la création musicale n’a pas besoin d’un marché, aussi local et modeste soit-il, pour se développer. La musique a existé en tous temps, hors-marché, bien avant l’industrie ou le commerce alternatif du disque !

Des organisations réellement non-marchandes et coopératives ?

Pour finir, s’agit-il de petits labels alternatifs fondés sur des principes coopératifs, excluant tout profit et toute croissance marchande ?

En prenant l’exemple des Potagers Natures, qui est pourtant un label aux ambitions plutôt modestes et assez respectueux de l’éthique alternative (comparativement à d’autres labels), cela semble difficile à admettre.

  • Prenons le catalogue des produits en vente ou vendu, multiplions les prix de ces produits par le nombre de leur tirage, et rajoutons les bénéfices des concerts, on obtient une somme d’environ 130000 euros. A cela il faudrait ajouter les tournées. Certes, il faudrait déduire de cette somme 40000 euros de frais liés à la fabrication des supports audios, mais le chiffre d’affaires resterait tout de même potentiellement de 90000 euros. Ce qui est loin d’être négligeable et rend peu crédible l’image du « petit label ».
  • Le label suit une logique d’expansion marchande. En effet, sur la période 2000 – 2003, le nombre de tirages s’établit à environ 3500 disques et cassettes audio, alors que sur la période 2004 – 2007, il s’établit à 14000 disques et cassettes audio. De même, seuls 12 albums sont éditées sur la période 2000 – 2003, tandis que plus de 35 le sont sur la période 2004 – 2007. Quant au catalogue en vente ou vendu, il passe approximativement de 15.000 euros à 100.000 euros. Donc, comme le prix de fabrication des disques a baissé au cours des dernières années, il y a eu une augmentation conséquente des bénéfices, or, c’est la marque distinctive d’une entreprise capitaliste.
  • Au niveau de l’organisation interne, il y a une forte opacité, tant au niveau de la redistribution des profits qu’en ce qui concerne les prises de décision. Au sein du label, ce sont surtout les mêmes membres qui publient des albums, et accessoirement, organisent des tournées, ou même des concerts. De plus les décisions de concerts et de publication d’albums sont opaques. Quant à la redistribution des profits, elle n’est pas expliquée sur le site, ni sur les albums. Comment savoir, alors, qui profite des rentrées d’argent ? Certes, il y a bien une coopération informelle entre les membres de l’organisation, mais elle s’apparente à celle des “réseaux d’amis”, avec tout ce que cela peut engendrer comme difficultés4.

Ce label « alternatif » n’est donc pas une organisation solidaire, ouverte, horizontale et coopérative. C’est plutôt une sorte de “PME” profitable, un club, qui, bien que de proportion très modeste, vend ses produits et échappe à la taxation en se cachant derrière un discours et une image alternative et anti-commerciale. Et, dans la mesure où, comme nous l’avons déjà suggéré, ce label est très « alternatif » comparativement à d’autres labels du même type, on imagine sans peine ce qu’il en est pour la majorité des labels « alternatifs ».

Ce qui amène à supposer que la fonction (inconsciente...) du discours éthique avancé par les labels alternatifs est de deux ordres.

  • Fonction marketing. Ce discours permet, 1) de “recruter” des jeunes dans le milieu alternatif (consommateurs, ou éventuellement producteurs), 2) de mobiliser des forces bénévoles pour faire fonctionner le label, 3) de positionner la musique vendue à l’intérieur d’un espace discursif socialement valorisé chez les jeunes consommateurs (AREVA, EDF et GDF font pareil avec leurs pubs “environnementales”).
  • Fonction économique et juridique. Le discours éthique et anti-capitaliste masque ou justifie des pratiques ou des finalités économiques (la recherche de profit), et permet d’échapper à la taxation, ou d’avoir accès à des salles alternatives, généralement assez exigeantes sur le caractère non-commercial des labels (squats, locaux associatifs), ou encore de bénéficier du réseau relationnel des labels alternatifs, ou de subventions publiques, etc.

Pour prouver en partie ce que j’avance, je soulignerai qu’Il existe des alternatives bien rodées à la musique commerciale.

  • Au niveau immatériel, des plateformes associatives comme BOXSON permettent à des musiciens d’uploader leur musique sur des espaces de téléchargement en libre accès. Mais les musiciens peuvent aussi héberger leur musique sur des serveurs distants ou sur leurs propres serveurs.
  • Au niveau matériel, il y a des alternatives à la vente commerciale de disque : des prix libres, des cotisations, des donations, qui permettent aux musiciens de rentrer dans leurs frais, sans qu’ils puissent espérer, il est vrai, en tirer un profit monétaire conséquent. Mais, en principe, s’ils jouent par désintéressement, là n’est pas leur objectif ! Dans le cas contraire, ils peuvent d’ailleurs ouvrir un label soi-disant non-lucratif comme celui que j’ai pris en exemple.

De nombreux musiciens qui appartiennent à ces labels indépendants pratiquent déjà cette musique non-marchande. Certains par exemple, donnent leurs disques sous forme de CD-R dans les concerts (comme Manuel J. Grotesque). Ce qui en définitive nous amène à une seule conclusion possible : le seul objectif et la seule utilité de labels « alternatifs » comme les Potagers Natures, est de générer des profits. Sinon, pourquoi les musiciens qui appartiennent à ces labels ne distribuent-ils pas intégralement leur musique de manière non-marchande ?

Conclusion

L’exemple des labels alternatifs incite à la vigilance face aux organisations qui pratiquent des activités commerciales en prétendant le faire dans un but non-lucratif. Il paraît nécessaire de bien séparer le discours publicitaire, teinté de philanthropie et de bons sentiments, de la réalité des pratiques, qui ont de facto toutes les caractéristiques des pratiques capitalistes : opacité, exclusionnisme, recherche de profit, pratiques publicitaires, etc. Certes, lorsqu’il s’agit d’organisations formelles, ou bien d’organisations ouvertes et transparentes, les problèmes éthiques posés par ces organisations sont assez rares. Mais, dès que le mariage s’établit entre un fonctionnement opaque, des échanges marchands et un discours alternatif et « anti-marchand », je suis plus que sceptique sur leurs intentions véritables. Au même titre qu’il ne faut pas confondre le discours des sectes religieuses avec la réalité de leurs pratiques.

Fort heureusement, la plupart des labels indépendants ayant une taille réduite, leur impact économique reste faible. Ce qui explique probablement que l’État ferme les yeux sur la dissimulation de leurs pratiques commerciales. En revanche la question de leur impact culturel me paraît plus problématique. Car ces organisations occupent généralement la niche de la « musique amateur », ou de l’art « amateur et populaire », tout en conservant des pratiques marchandes et professionnelles. Ne risquent-elles pas alors de phagocyter cet « art amateur », de le standardiser pour le rendre profitable, pour l’insérer dans les normes qui sont inhérentes à tout marché ? En d’autres termes, les comportements micro-économiques de ces labels indépendants ne conduisent-ils pas par agrégation à la sclérose et à la marchandisation de la pratique artistique et musicale au niveau macro-social ?

La question déborde ici du simple cadre de la pratique artistique et musicale. Car la musique est au coeur même de nombreux mouvements contestataires depuis les années 1970. Or, le contrôle de l’activité musicale par ces labels indépendants, aux finalités et au fonctionnement douteux, est fort préjudiciable pour la libération de son potentiel contestataire et révolutionnaire. Faut-il alors en conclure que ces labels indépendants contribuent au renforcement du conservatisme et à la préservation de l’ordre social qu’ils dénoncent ?

Notes

1 Source : Daniel Cohen et Thierry Verdier, La mondialisation immatérielle, Paris, La Documentation française, 2008.

3 Voir: 1, 2, 3, 4, 5, 6 et la thèse de Jacob Matthews, “Industrie Musicale, médiations et idéologie. Pour une approche critique réactualisée des ” musiques actuelles“, Bordeaux 3.

4 Mêmes références




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