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La propriété privée est-elle naturelle ?

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2007
Rubrique: Le journal de la culture libre et du non-marchand
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 novembre 2013 / Dernière modification de la page: 27 mai 2022 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Les opposants à la culture libre et ouverte appuient très souvent leur rhétorique sur un argument qui a fait ses preuves : la propriété privée serait naturelle. Aussi, vouloir abolir la propriété privée des ressources immatérielles serait « contre-nature ».

En mettant de côté la question de l’abolition de la propriété privée - qui ne m’intéresse pas plus que ça - rien ne me paraît corroborer une telle proposition. Car ce n’est pas la propriété privée qui est naturelle, c’est l’appropriation. Ce qui est naturel, c’est le fait de s’approprier des ressources pour les utiliser et, dans certains cas, empêcher d’autres personnes de se les approprier. En revanche, la propriété privée est artificielle. En effet, elle s’appuie sur des règles juridiques qui interdisent “artificiellement” à des personnes de s’approprier le bien d’autrui.

Mais d’une manière générale, je trouve assez malsain de balancer ainsi des grands propos sociobiologiques sur le caractêre inné de la propriété privée. Pourquoi ? Eh bien parce que si on part sur des propositions aussi boîteuses que celles du type, “comme c’est naturel, on ne peut rien faire contre”, on peut légitimer des trucs franchement pas cools… La hiérarchie, par exemple. On affirme que la hiérarchie est naturelle, on prend quelques exemples d’organisations hiérarchiques issues d’une obscure enquête sur une obscure race simiesque, et le tour est joué. Pour la hiérarchie, je suppose que ça ne choque pas grand monde. En revanche, ça plaira probablement moins si on tente ainsi de légitimer le vol, l’exclusion ou la destruction des minorités, la polygamie, la sélection des plus forts, le viol et le meurtre… Or, que nous montre le spectacle de la nature ? Eh bien que ce n’est pas la propriété privée qui domine, au sens d’un droit naturel à conserver ce qu’on s’est approprié, ce qui domine, c’est le vol. Jetez des miettes de pain à des pigeons et des mouettes, et vous verrez bien ! Ce qui est naturel, c’est le vol sans scrupule ! Passons à la destruction des minorités. C’est pareil. Les sociétés animales sont rarement tendres avec les individus déviants. La polygamie ? Elle est courante chez de nombreuses espèces animales. La suppression des plus faibles ? C’est un mécanisme de régulation classique dans les associations inter-espèces du type proie-prédateur. Pour la majorité des espèces, un handicap, une faiblesse, équivalent bien souvent à la mort pur et simple. Le viol ? Pensez aux mantes religieuses… Le meurtre, la guerre ? Inutile de dire qu’il sont courants chez de nombreuses espèces. Songez aux fourmis. Jusqu’à preuve du contraire, la coopération et le partage amical des ressources ne sont pas du goût de toutes les espèces vivantes.

J’en concluerai donc que :

  1. Il est faux d’affirmer que la propriété privée est naturelle. Ce qui est naturel, c’est l’appropriation.
  2. Si l’on commence à affirmer que seul ce qui est naturel est légitime et réaliste, attitude très courante dans la rhétorique des sciences sociales, alors on justifie des trucs qui ne sont pas, de mon point de vue, justifiables. Il est donc immoral, à mon sens, et en tous les cas dangereux, de légitimer (ou délégitimier) une pratique ou une technologie sociale, en affirmant qu’il existe (ou n’existe pas) son équivalent dans la nature.
  3. Toutefois, il faut noter que si on adopte une telle attitude d’esprit, bien qu’elle soit détestable, on peut affirmer des trucs qui délégitiment l’organisation sociale marchande et hiérarchique. Par exemple, le partage, la coopération et le don sans contre-partie peuvent très bien être considérés comme “naturels”. La nature nous offre en effet de nombreux exemples - et je ne tiens pas compte des théories spéculatives néo-darwinistes avancées pour les expliquer - de coopération, de symbiose, d’association, de dons sans contre-partie, etc. Par définition, un organisme est en effet une symbiose, une association, où des entités, parfois dôtées d’un ADN différent - coopèrent, et peuvent même se sacrifier. Au niveau éco-systémique, on trouve également de nombreux exemples de coopération inter-espèces.
  4. On peut déduire de la proposition 3 la proposition qui vient. Si les pratiquants des sciences sociales ont choisi, dans leur écrasante majorité, de sélectionner des exemples dans la nature qui justifient des représentations, et qui légitiment et défendent des pratiques hiérarchiques et marchandes, cela ne peut être une coïncidence. Ce qui laisse à penser que les sciences humaines et sociales, qui ont été produites principalement dans les universités, sont des outils idéologiques qui appuient un ordre hiérarchique et marchand dominant. Pas étonnant dans ce cas que pour ces bouffons d’universitaires, la seule chose qui compte, c’est le nombre de publications internationales… Ca n’est guère surprenant car tout, chez eux, est fait pour défendre et légitimer la hiérarchie.

Ma conclusion finale, construisez des universités dans un pays, et vous ne tarderez pas à voir émerger des bottes de cuir, des caméras de vidéo-surveillance et des statues à la gloire de tel ou tel politicien ou intellectuel de pacotille. Car un pays où les universités, ou la science professionnelle, contrôlent le pouvoir politique n’est pas un pays libre. Et ceci quelque soit la couleur politique des soldats du savoir qui font marcher leurs institutions.




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