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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire.
 

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Faut-il emporter son gel douche et sa lessive sur la route ?

Auteurs : Gorgias Le Grignou (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2008
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction :
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 novembre 2013 / Dernière modification de la page: 23 août 2022 / Propriétaire de la page: Gorgias Le Grignou


Résumé : Publié dans A Poil 2 sous le pseudo Gorgias le grignou.



Ce qui relie le savon de Marseille à l'épopée d'Alexandre Le Grand, c'est le nomadisme, le mouvement...

Je m'explique...

Marseille, colonie grecque, a un air de Grèce avec ses calanques... Les marins grecs s'y sentaient chez eux... Et ils s'y installèrent. Leur nomadisme conservait donc un invariant : rester chez soi tout en bougeant... L'ancêtre du Club Med !

Rien de surprenant... Dans tout changement humain, il y a des référentiels stables. Un ou plusieurs mouvements « nuls » à court-terme qui permettent de repérer et de positionner les mouvements de court-terme. Mais avec Alexandre le Grand, le mouvement pénètre certains de ces référentiels. L'épopée d'Alexandre le Grand, c'est en effet le voyage versPublié dans A Poil 2 sous le pseudo Gorgias le grignou. l'utopie, le nomadisme déraciné. Il arrache les corps, les esprits au mouvement quotidien, régulier. Et pour aller vers où... ? Eh bien, vers le pays du non-Un ! Celui des Tupi-Guarani, qui, pour Pierre Clastres, est à la racine de l'État ! Ἀλέξανδρος ὁ Μέγας le Karai ! Le prophète ! Celui qui créé l'État moderne en emmenant son peuple vers un paradis imaginaire.

Le verbe avant la technique ou la technique avant le verbe ?

Je vois le mouvement de l'histoire ainsi.

D'un côté, l'universel grandiose de l'empire, de l'État, de l'Un, de la Science, tout ce que l'histoire classique nous enseigne comme étant le « bien »... Et je note : Aristote (le « scientifique ») fut le précepteur d'Alexandre Le Grand ! Pour quel résultat !? Nouvelle religion, la science, avec son nouvel instrument sacrificiel et rituel : l'État. Le premier empire universalisant, qui veut élever le principe de permanence à une entité abstraite, à un monothéisme qui légitime la standardisation culturelle, homogénéise les peuples, les cultures, sous le contrôle d'une utopie collective (mais ce que nous appelons monothéisme, n'est-il pas une conception chrétienne des systèmes de croyance, qui sépare religion de la science, et comptabilise les forces qui gouvernent les choses et les hommes ?). Le mouvement enclenché par Ἀριστοτέλης (et non par Ἀλέξανδρος ὁ Μέγας) unifie tout, broie les différences, et puis, plus tard, crée la science moderne, la biologie, la chimie. Et enfin, ultime « progrès »... les produits ménagers, les cosmétiques, le gel douche, le shampoing, la lessive, etc.

De l'autre côté, un mouvement parallèle, celui du savon de Marseille. Technique sobre, qui a fait un long trajet, inchangée de l'antiquité à nos jours, et qui atterrit dans ma cuisine ou dans ma salle de bain, dans mon sac à dos, soit donc, dans mon monde personnel.

Et je suis donc là avec mon savon de Marseille, dans mon individualité, loin de ce mouvement abstrait, et pourtant porté par lui, dans ma vie de pseudo-sédentaire. Pseudo, car mon mouvement n'est que mouvement par rapport à un référentiel de peu de portée. Il y a une forte régularité dans mes mouvements, qui fait que je finis par m'engluer dans la régularité des trajectoires contemporaines. Je reviens toujours à un point d'ancrage, celui où je tente d'expérimenter, à la campagne, un mode de vie alternatif, avec ce savon de Marseille...

Alors, ce savon de Marseille, est-il, oui ou non, un outil au service du nomadisme, de la liberté de mouvement ? Ou le symbole déprimant de ma prison mobile ?

C'est d'abord en soi un objet nomade. C'est une réduction du mouvement invisible (pour moi) et ordonné des biens qui convergent, se transforment et se combinent pour atterrir dans cette maison de campagne. C'est aussi un objet dont le nomadisme est naturel. Il laisse peu de déchets derrière lui, il se fond dans l'environnement. C'est par ailleurs un objet universel, polyvalent, je peux l'utiliser pour : 1. me laver, 2. laver la vaisselle, 3. laver le linge, 4. laver le sol, les murs, etc. Il unifie donc les usages dans une seule technique, simple, peu complexe et peu polluante (à condition de ne pas utiliser un simulacre technique qui imite son apparence). Je pourrais en effet me servir de tous ces artifices, ces accessoires, ces béquilles chimiques comme le produit vaisselle, le gel douche, …, qui colonisent notre milieu, comme autant d'insectes parasites en mouvement, de la pompe à pétrole au rayon de grande surface 1.

Et le mouvement, des choses, engendre à la fois le mouvement et la permanence. Ce savon de Marseille, est une des bases du mouvement social et médical pour l'hygiène, il est la technique qui initie de nouveaux mouvements sociaux, ou de nouvelles contraintes qui pèsent sur ce mouvement. Mouvement qui nous tire... vers quoi ? Vers la réussite sociale, par exemple...qui fait qu'on se lave... pour se mouvoir dans l'espace social, ou se mouvoir dans l'espace des désirs. Telle est aussi, la fonction de l'État « alexandrien » : initier, planifier, organiser le nomadisme, le mouvement, voire même, changer le référentiel... planifier l'ascension sociale, régulariser les mouvements qui font fonctionner l'État, planifier nos désirs, donc nos mouvements cognitifs et affectifs.

En somme, curieux retournement... C'est le nomadisme, le mouvement, qui crée le permanent, l'unique. Et réciproquement ! Je peux prendre mon unique savon de Marseille et partir sur la route, sur la voie du nomadisme... C'est autre chose si j'emmène mes artifices et mes appendices chimiques lourds et encombrants !

Et n'est-ce pas grâce à l'État que je peux circuler « librement » sur les routes ?

Liberté illusoire ! L'État n'aime pas les nomades irréguliers et c'est lui qui crée et applique les lois qui font les barbelés... L'État n'aime que le nomadisme qu'il contrôle. Quoique l'État, en soi, ça n'existe pas... Ce n'est qu'un ensemble d'outils, d'appareils, de moyens administratifs et matériels unifiés. Et derrière ces outils, il y a la science universalisante : Aristote et ses descendants nombreux... Quelle différence entre le lien qui unit Aristote et l'État d'Alexandre le Grand, et celui qui unit Einstein et la bombe A ? C'est une simple différence d'objet, de contenu, mais le rapport structurel est le même.

Si tout est changement, l'idéal individualiste, la libération des chaînes de l'utopie collective, tient peut-être dans le fait de recréer un nouveau mouvement, une brèche, une irrégularité ; elle tient dans le fait de créer un mouvement individuel qui ne s'accorde pas avec le mouvement collectif. Et aussi un nouveau mouvement sans outil, socialement pauvre. Non plus ce mouvement social qui nous est imposé (comme le nomadisme quotidien pour se rendre au travail), qui nous contraint, mais simplement le mouvement qui consiste à marcher, les pieds dans l'herbe, à la recherche du simple mouvement. Sans autre finalité que le mouvement, et ses effets sur soi. Marcher pour marcher. Bouger pour bouger. Naviguer pour naviguer. Ne pas rechercher l'efficacité, mais plutôt la création du mouvement, une manière personnelle de se mouvoir, qui nous plaise, et à peu près non-contrainte... C'est en faisant cela qu'on relâche la contrainte de l'État. Cet État qui est la somme des mouvements ordonnés des individus et des techniques qu'ils génèrent. Ce collectif qui, invisible et obscur dans le savon de Marseille (qui le produit et le distribue ?), se matérialise clairement dans le nomadisme psychique (l'utopie) et universel de l'armée d'Alexandre le Grand.

Mais j'ouvre les yeux, loin de ce discours, et je vois des murs, des grillages... qui, en somme, forment mon quotidien. L'horreur des camps, en général, ce ne sont pas les moyens de soumettre l'individu, pour lui faire avaler des connaissances ou du gaz – ultimes stades du délire des producteurs et/ou scientifiques qui veulent à tout prix refourguer leurs produits à des « consommateurs » instrumentalisés –, ce sont les murs et le mouvement ordonné d'assujettissement qu'ils permettent. Les murs qui cachent la haine, les murs qui la retiennent et permettent que les moyens de sa réalisation soient convenablement mis en oeuvre. Le mur, c'est donc cette technique fondamentale qui permet l'application des techniques modernes. Il est antithétique au nomadisme...

Et j'en reviens au savon de Marseille. Les grecs, qui ont créé Marseille, étaient de simples nomades individualistes, avant de devenir des nomades dont le désir est contrôlé par le collectif, en envahissant la Perse. C'est cette transformation qui est déterminante. Elle se traduit, dans la philosophie grecque, par le passage d'une pensée pluraliste, celle des pré-socratiques, à la cité idéale de Platon, à la science unificatrice d'Aristote, à la mort, à terme, de la démocratie directe, de la liberté politique. A une société où prime l'efficacité, le résultat unique et parfait, et la technique qui vise à l'obtenir. Cette mutation est fondamentale. C'est elle qui change le savon de Marseille, en une multitude d'appendices, d'accessoires, d'auxiliaires spécialisés ; c'est elle qui parcellise nos tâches et notre environnement, le rendant incompréhensible, qui alimente un outillage complexe formant notre milieu quotidien.

Et après... Que faire ?

Je ne vois aucune solution collective. Revenir en masse au savon de Marseille, c'est signer le déclin de l'État et du mouvement transcendant de la technique. Car c'est provoquer l'arrêt des appareils qui constituent l'État et ceux qui, par la régularité de leurs mouvements, font marcher ces appareils. C'est donc arrêter la progression vers le pays du non-Un, vers l'Est, vers une mer qui n'existe pas, vers un illusoire paradis (ou progrès) technique. Si la machine se stoppe, si le nomadisme régulier se grippe... Eh bien, il faut qu'il reparte ! Il ne peut plus s'arrêter ! On inventera une nouvelle technique pour compenser ou annihiler les effets de la première ! Comme ces nouvelles techniques vertes si coûteuses : les panneaux solaires, le produit vaisselle bio... ! Surtout, ne pas revenir en arrière...

La seule solution viable me semble individuelle, ou micro-communautaire. C'est prendre un bateau, et partir vers une vie de nomade marin... Ou sortir et marcher, et vivre de ce que l'on trouve. Si les pirates, les esclaves, les exclus et parasites ruraux et urbains se décidaient à repartir sur la route, il y aurait peut-être une chance d'enrayer la machine technique en mouvement. Ou du moins, de refuser de s'y soumettre.

Mais le peut-on encore, quand le mouvement de nos désirs, de nos actes est conditionné par cette machine depuis notre naissance ?

1 Ce qui implique que la quantité de mouvement et d'énergie humaine incorporés dans la fabrication et la distribution de ces produits chimiques, est largement supérieure à celle du savon de Marseille

Catégories: Libertés




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