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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire.
 

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Encouragement à une réflexion endogène sur la violence

Auteurs : Manuel J Grotesque (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2007
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: achevé
Droit de rédaction : non éditable
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 novembre 2013 / Dernière modification de la page: 26 novembre 2013 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Publié pour la première fois en 2007 sur la RSU

Les réseaux dits alternatifs regorgent d’individus se présentant volontiers comme “rebelles”, “anti-système”, “déviants”, mais ils ont souvent peu de réflexion sur ces déviances, leurs causes, les formes qu’elles peuvent prendre. On sort des rails, on est rapidement pointé du doigt, ce qui conforte notre orgueil individualiste et romantique, puis on se consume (physiquement comme psychiquement) à l’instar d’une comète fugace. Ce jeu du petit martyr, qui va à l’encontre de toute action constructive et découle peut-être simplement de notre passif chrétien, est le premier concept boiteux avec lequel je proposerais d’en finir au sein des réseaux alternatifs. C’est toute une gamme de poses qu’on se plaît à prendre tout en se prétendant libertaire: on s’agresse stupidement entre nous, on reproduit les schémas de domination, on complote comme une mégère, on se comporte en éternel adolescent, on simplifie les idées à de simples slogans, on s’invente des personnages plein d’allant, mi-Don Quichotte mi-Jésus, on fuit la réalité en permanence et avec tout ça… on se prétend libre?

L’anti-intellectualisme de bien des déviants - souvent dû à leur mauvaise expérience du système scolaire ou éducatif en général - fait également le jeu de ce système, les rendant muets et inoffensifs. Leur violence éventuelle (contre eux-mêmes ou les autres) permet au pouvoir en place des les repérer plus facilement, pour les isoler et accélérer leur décrépitude. Il ne leur reste qu’à attendre la fin du monde, où tous les damnés de la terre détruiraient l’ensemble de la société. La rébellion, privée d’une force pensante suffisamment riche, se retrouve cantonnée à un cri de refus de nourrisson récalcitrant , bébé capricieux qui ne manquera pas de tourner précocement à l’aigre vieillard paranoïaque. Il manque à son «non» la force calme d’une adulte responsable, qui aurait analysé son écart, assumé ses conséquences pour ensuite renvoyer au système un “NON” véritable, que la pensée dominante ne pourra pas taxer rapidement -et ô combien hypocritement- d’infantile.

Car c’est bien à cela que cette pensée normative veut arriver: reléguer toute critique à un caprice d’enfant insolent qu’on doit immédiatement punir, pas tellement pour le bien de cet enfant -qui lui est égal- sinon pour faire passer la colère et l’agacement ressentis à son contact. Les inadaptés se complairaient donc dans une immaturité gratuite qui ne mène nulle part, un refus des règles sans causes réelles. « Mais qu’ils se foutent un bon coup de pied au cul et arrêtent de s’écouter!» entend-on souvent.

Ainsi, se comporter en adulte consisterait à accepter rapidement la contrainte en vue d’une récompense? On peut se demander si c’est bien d’êtres humains dont on parle là, et pas de chiens ou singes savants. Et si au contraire se comporter en adulte, pour nous, serait se donner les moyens de faire ce que l’on veut, ce que l’on considère comme le plus important et que le système -si généreux en propositions matérialistes- ne nous offre absolument pas.

La pensée musclée (celle qui est du côté du pouvoir totalitaire) ne souhaite pas réfléchir sur les déviants, elle leur reproche tout simplement d’exister – quelle insolence ! Un peu dans la même logique, Hitler pouvait reprocher aux non aryens de parasiter le sol Allemand, ou un commerçant agacé à des clochards d’être là et pas ailleurs, un peu plus loin. Rêver d’une société plus simple et dépourvue de problèmes, peuplée d’individus grosso modo identiques, voilà la forme d’idéalisme à laquelle adhèrent les honnêtes gens, les bons chiens-chiens, forme apparemment innocente et pacificatrice, mais souvent plus ravageuse (riche en tortures, génocides et autres lobotomies…) que les déviances isolées qu’elle prétend combattre.

Nous avons donc des deux côtés un refus de s’interroger, de comprendre pourquoi une partie des petits chiens évoqués plus haut ne peut pas se plier au petit jeu de l’effort et de la récompense, «ne joue pas le jeu » comme le dit si bien cette expression péjorative révélatrice du fond de la pensée normative. Que peuvent-ils ensuite nous proposer, ces chiots égarés, passé le moment d’une acceptation de leur propre inadaptation? Que peuvent-ils construire, en dehors des cadres si confortables où de prétendus adultes s’auto congratulent et reçoivent les lots correspondant à leurs efforts -argent, foyer, enfants- ? “Mais rien du tout!” répondraient vite les tenants de la pensée musclée, si prompte jouer les aveugles devant des exemples de déviance positive. Hé bien nous allons nous employer à leur démontrer le contraire. Mais je n’emploie pas là un “nous” royal: je ne pourrais pas faire cela tout seul, et ce texte n’est en aucun cas un traité théorique, mais plutôt un encouragement à la réflexion au sein des milieux alternatifs propos de leur positionnement, leur fonctionnement, les écueils qui risquent d’affaiblir leur action et… que sais-je encore? Tout ce qui nous semblera bon de questionner.

Ce début de réflexion est fondé sur ma propre expérience et mon ressenti tout au long d’une dizaine d’années de pratique dans les réseaux alternatifs de création. Je fus cantonné jusqu’à une période récente au domaine musical, mais l’omnipotence de l’art-business a eu pour effet -paradoxalement positif- de rapprocher entre eux des artistes “résistants” appartenant à des domaines d’expression différents : arts plastiques, théâtre, performance… Remarquons au passage que ce foisonnement interdisciplinaire de plusieurs formes d’art underground était déjà présent au lancement de la révolte culturelle des années 1960, mais se perdit vite avec l’institutionnalisation d’artistes vieillissants cédant au confort matériel ou à la lassitude. Je reviendrais sur la description de nos réseaux -en commençant par préciser leurs ascendances culturelles- dans le chapitre suivant intitulé « Les réseaux alternatifs de création ». Pour le moment, je préfère me poser de façon plus conceptuelle la question des valeurs alternatives.

J’entends par réseaux alternatifs de création ces cellules d’action à la base artistiques mais s’ouvrant pleinement au monde et à ses questions: la musique (et la création en général) comme catalyseur d’une révolte moins spécifiquement artistique, un projet de vie déviant. Il y a là une idée forte, celle d’utiliser une forme d’art ludique comme matière première pour la construction d’un réseau dont les règles échappent à ce qui se pratique partout ailleurs : plutôt que de chercher à définir des règles nouvelles, nous commençons par ignorer celles en vigueur dans le système autoritairement exclusif qui nous entoure.

Il est en effet important de remarquer que le mot « alternatif » fait référence à une autre entité plus globale de laquelle il se propose de dévier, d’y apporter une alternative: on en arrive au « système », sans lequel nous n’existerions pas. C’est notre “vilain dieu”, notre père à tuer, que j’aurais pu essayer de nommer plus spécifiquement, mais je n’ai sous les yeux aucun lexique savant et le mot « système » a l’avantage d’être immédiatement compréhensible.

Car au fond, on prend le problème à l’envers en essayant de définir l’alternatif: c’est bel et bien le système encadrant les hommes, par son fonctionnement autoritaire, qui fabrique la déviance, et non l’inverse comme le voudraient certains lorsqu’ils affirment qu’il n’existe pas, qu’il est une vue de l’esprit inventé par une bande d’allumés. Il est bien facile pour des individus intégrés de soutenir qu’il n’y avait rien de contraignant à s’intégrer, puisque évidemment ils en étaient capables, entrant plus ou moins facilement dans les moules prévus à l’avance. Pour éviter de trop utiliser ses méninges, voilà un alibi champion. On en revient au « qu’ils se mettent un bon coup de pied au cul et tout ira bien » que ces grands penseurs se plaisent à ressortir régulièrement de leur généreuse malle à aphorismes. Je ne prétends pas, quant à moi, que les individus intégrés n’aient jamais fait le moindre effort pour y parvenir. Ce qui compte pour notre examen c’est qu’au final ils s’en sont avérés capables, et qu’ils possèdent une vision incomplète du système sur lequel ils sont posés, particulièrement de ses fonctions punitives et exclusives.

Certains déviants eux-mêmes entérinent cette illusion, ce tour de passe-passe du pouvoir totalitaire. En effet, ceux-ci peuvent en arriver à revendiquer leur statut déviant comme un état voulu, ce qui serait une marque de dignité évidente, au lieu de subir passivement leur mise au banc. Mais ne nous leurrons pas par excès d’orgueil : nous ne nous sommes pas exclus nous-mêmes, les filtres sociaux nous ont mis en échec en nous demandant, à un moment de notre vie, d’effectuer des actes dont il se trouve que nous étions incapables. Je me demanderais peut-être plus tard pourquoi ces règles étaient impossibles pour nous, mais la précieuse diversité des êtres humains me semble une raison assez évidente, diversité qu’une entité comme l’école française ne semble pas vraiment avoir réalisé. Cette variété des hommes et de leurs qualités, jugées inutilisables ou incompréhensibles pour le pouvoir en place, est assimilée à un effrayant chaos dans lequel il faut opérer un tri sévère. L’école est l’agent principal du tri, mais le relais est complaisamment pris par l’ensemble de la société.

Ce même système qui nous a mis en échec se charge ensuite de nous en faire porter la faute, utilisant notre propension chrétienne à accepter de porter sans broncher le poids de nos pêchés. On qualifie souvent de kafkaïenne cette vision du monde, mais elle est simplement réaliste pour qui la partage. Kafka, auteur alternatif avant l’heure? A ce régime, une bonne moitié des auteurs y entreraient, le modèle type de l’écrivain étant un être isolé opposé à une foule considérée comme idiote. Du point de vue des conformistes qui sont déjà passés dans tous les moules, cette vision est toutefois hautement fantaisiste, voire à la limite de la démence. Soyons net: pour eux, nous nageons en plein délire. Plutôt que de chercher la confrontation, je dirais simplement: “Très bien, nous avons donc une expérience et un savoir qu’ils ignorent, quelque chose d’intéressant à leur apprendre !” Là est le but de ce texte: encourager à la création d’une pensée, d’un savoir, modeste tiroir consultable de l’expérience humaine.

Je sais que cette opposition système/déviants serait contestable s’il s’agissait d’une véritable théorie, mais comme je n’aurais de cesse de le répéter (par peur d’être pris pour un prétentieux apprenti philosophe) tout ceci n’est que mon point de vue. Ce dernier ne saurait toutefois se résumer à une dichotomie aussi simpliste, puisque selon moi ce système se casse avant tout le nez sur les règles qu’il s’est fixé lui même, contre les forces indomptables de la nature et du chaos.

Je m’explique : on vient de voir que le concept d’échec, notion qui exclue, génère des êtres humains alternatifs, mais lorsque c’est un objet ou un ensemble de contraintes matérielles et non un homme que le système ne peut dompter, on glisse vers un antagonisme plus riche que celui qui oppose les déviants aux conformistes: l’irrémédiable choc vers un chaos qui nous enveloppe tous. En effet, l’obsession de contrôle de l’homme sur son environnement l’a amené à développer une hantise pour ce qui n’est pas cadré, nettoyé, planifié. Tôt ou tard, les éléments chaotiques prennent irrémédiablement le dessus sur cette pompeuse rationalité: ils effectuent sans relâche, jour après jour, l’œuvre alternative plus efficace qui soit.

On peut donc dire que le temps, c’est-à-dire l’enchaînement incontrôlable des situations, joue totalement en notre faveur. Il ronge l’ordre établi jusque dans les cœurs des métropoles modernes, rouille les structures de ces nouveaux temples de la rationalité auto satisfaite, et ce faisant fait passer ces structures du côté de l’alternative: un vieil immeuble délabré entouré de bâtiments modernes, qui n’attend que son permis de démolir, voilà un exemple d’une forme de déviance qui fait frémir les architectes conformistes et autres contrôleurs de tous niveaux. Et que dire d’un terrain vague où la végétation repousse, preuve de la supériorité du chaos sur les tentatives d’éradication du chaos. Une usine fermée, enfant répudié de l’économie, qu’aucune pelleteuse ne vient détruire faute de nouveaux projets ou de capitaux suffisants, porte également en elle un symbole profondément alternatif. La pelleteuse, quant à elle, à moins de se trouver complètement rouillée et hors d’état de nuire, appartient au système puisque sa fonction est de détruire le chaos pour permettre la mise en place de l’ordre. Egalement polysémique en fonction de la situation, un vêtement, d’abord neuf et bien intégré au système tant qu’il demeure auprès de son propriétaire, devient alternatif lorsqu’il se retrouve sur le marché de l’occasion, marché fantôme puisqu’étouffé par les tenants de l’économie qui ne supportent pas de perdre ainsi le contrôle sur les biens marchands.

Ces exemples parmi tant d’autres nous amènent à dire: nous acceptons le chaos, nous l’aimons comme nous aimons la vie et l’intégrons totalement à notre démarche, notre art, notre façon d’organiser les réseaux alternatifs. Nous n’acceptons pas le concept de réussite et d’échec, qui nous semble caractéristique d’une pensée étriquée, ce grand jeu puéril auquel s’adonnent tous les hommes irresponsables, ceux-là même qui paradoxalement nous taxent chaque jour d’immaturité. Cette accusation, assénée en permanence jusqu’à imprégner l’inconscient collectif, nous laisse d’abord sans voix et nous convaincrait presque tant elle semble absurde et déroutante. En effet, comment le système pourrait-il mieux nous attaquer qu’en nous accusant précisément de ne pas posséder la maturité même qui nous a conduit à le remettre en question? Questionner son propre fonctionnement, c’est bien ce qu’il ne souhaite surtout pas faire, il tente donc d’étouffer la menace comme un enfant paniqué qui s’écrirait “miroir, ça revient sur toi” au moment où il ne sait plus quoi dire. C’est là un point essentiel de mon engagement: j’affirme que nous sommes les adultes d’aujourd’hui, que nous possédons une sagesse dont eux, les bons chiens-chiens, n’ont même pas idée.

Dès le début de ce texte, je commençais à explorer une certaine difficulté à concevoir son action libertaire hors des schémas de pensée préexistants, qui nous conditionnent et nous guident vers des pièges comme la posture romantico-suicidaire propre aux punks. Bon, je suis totalement conscient de mon outrecuidance à embrasser un thème aussi pointu, mais pour une raison qui m’échappe ce thème qui m’a toujours paru flou (j’étais et demeure primitif) me semble à présent très accessible, très réel, je le vois même prendre forme autour de moi à l’heure où j’écris, dans cette petite chambre mal éclairée. Les vieux objets ayant appartenu à mes grands parents me racontent leur histoire, me livrent les postfaces des vies éteintes. Suis-je en train de recréer par accident un rituel chamanique? J’entends la voix susurrée de ces objets orphelins me confier une mission. Il me disent à quel point leurs anciens propriétaires, qui n’ont vécu que pour les amasser, n’ont jamais eu le temps de profiter de leur butin. S’ils avaient su que la mort viendrait si vite, ces propriétaires fétichistes auraient d’avantage profité de la vie elle-même.

Catégories: Culture libre




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