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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire.
 

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Cool / Pas cool

Auteurs : Manuel J Grotesque (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 2008
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: achevé
Droit de rédaction : non éditable
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 novembre 2013 / Dernière modification de la page: 26 novembre 2013 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Publié en 2008 sur la RSU

Le développement précoce de la fausse conscience chez les pseudo libertaires.

Avoir 10 ans et essayer d’être “Cool”…

Apprendre à reconnaître du premier coup d’oeil ce qui est “cooool” (l’allongement de la syllabe centrale étant proportionnel au degré de “coolitude” de l’objet désigné).

Etre comme Fonzie -le rebelle beau gosse qui affichait un détachement indolent des conventions et de l’idéal social. En étant suffisamment cool, aurait-on le même succès que Fonzie auprès des filles? Si Fonzie était si “cool” c’était avant tout qu’il savait reconnaître le “cool” quand il se présentait: il possédait une connaissance parfaitement intégrée de tout ce qui était esthétiquement valable. Richie le rouquin, héros officiel, n’était qu’un petit étudiant qui ne maîtrisait même pas les bases de la coolitude (il va sans dire que tous mes amis et moi-même doutions fortement qu’il puisse un jour devenir “cool”) . Fonzie, son mentor qui travaillait comme aide dans un garage minable, disait toujours ce qu’il pensait en toute occasion, mais rappelait tout de même régulièrement à Ritchie qu’il valait mieux continuer ses études le plus longtemps possible, afin d’obtenir plus tard une bonne situation et pas finir comme lui sur une voie de garage.

C’était une version bradée et un peu fatiguée de Brando/James Dean (mais moins l’extra terrestre Elvis que le voyou looser Gene Vincent) pour un feuilleton des années soixante dix dont l’action se passait dans les années cinquante, mais qui était parvenu aux tubes cathodiques français dans les années quatre vingt (un échelonnage temporel dont nous ne prenions guère mesure à l’époque). Au contact de Fonzie, je compris que la vie ne se divisait pas seulement entre le bon et le mauvais, le plaisir et la douleur, le sucré et le salé, mais aussi et surtout entre le “cool” et le “pas cool”. Une nouvelle période pouvait ainsi commencer. L’apprentissage de ce concept constituait la graine d’une plante carnivore à développement rapide, un truc capable de bouffer le reste de ta vie d’un seul coup de mâchoires: j’ai nommée la culture adolescente, et son fameux second degré.

J’ai déjà évoqué dans ce même site les ravages du blocage adolescent sur la culture (revendiquée comme) libertaire, qui dans un tel contexte ne peut que demeurer au stade de “pseudo libertaire”. J’entends à présent revenir une dernière fois en terre adolescente pour liquider définitivement son héritage purulent, le snobisme alternatif.

L’ado bande, et il sait de plus en plus pourquoi. Merde… c’est les filles, le truc!

Mais on les aime pas, nous, les filles ! Elles font des jeux idiots, elles se plaignent tout le temps, c’est hors de question qu’on rentre dans leur monde tout rose pédé plein de fleurs!

“T’inquiète pas petit (c’est Fonzie qui parle), tu vas pouvoir rester un vrai cow boy sur ta moto, jouer au foot, aux jeux vidéos, vivre toutes tes aventures d’apprenti mec, et en même temps faire des bisous à toutes les filles que tu veux… elle tomberont dans tes bras sans même que ait besoin de siffler. Pour cela tu ne devras faire qu’une seule chose, une seule petite chose: être cooool. Tu vas faire toute une série de trucs un peu bizarres, mais dont tu sais parfaitement à l’avance qu’il seront bien reçus par la communauté qui t’entoure. C’est ça la coolitude mon p’tit: savoir être rebelle comme il faut et quand il faut.”

Bien sûr, dans la pratique, personne n’est aussi cool que Fonzie. Mais il faut s’accrocher, ya pas le choix, sinon où tu vas mettre ton zizi tout dur ? Dans le steak que maman a acheté avant qu’elle ne le cuisine? Entre les cousins que tu place sur le lit comme des fesses géantes? En regardant la prof de français qui est si bandante et semble faire exprès d’écarter les cuisses quand tu regardes?

“Non non non petit, tout cela n’est pas très cool, je te recommande plutôt la coolitude, et tout ira bien pour toi.”

Bon, moi j’ai eu tendance à y renoncer précocement à cette coolitude, sans doute parce tout ce que je faisais naturellement résultait plutôt comme risible et grotesque aux yeux de mes pairs. Je me mis à me comporter comme le héros d’un autre feuilleton beaucoup moins populaire dans ma cour de récré: “Kung Fu”. Moi non plus, d’ailleurs, je n’aimais pas trop le justicier errant de “Kung Fu”, mais ce rôle était un peu plus dans mes cordes. A l’image de certains héros décalés que je découvrais alors, comme Howard Philips Lovecraft ou Howard The Duck, je serais donc un solitaire, un vrai rebelle, un extra terrestre, un ange exterminateur, un mec pas cool du tout qui poursuivrait sa quête sans jamais frotter son zizi sur des filles. Ca, c’était pour les faibles, le bas peuple. Moi je serais le branleur indépendant, le clochard mystique, le franc-sniper qui irait ou bon lui semble. Il va sans dire qu’en croyant me libérer de l’obligation du cool (la norme collective) j’étais tombé dans l’excès inverse (un individualisme exacerbé qui allait me plonger dans une intolérable solitude). Et puis d’une certaine manière, je n’avais pas détruit le concept de cool, je l’avais juste adapté à mon incapacité de l’appliquer tel quel. Je croyais encore qu’on pouvait sauver une vie avec des compromis. Je n’avais pas encore compris les vertus de l’arcane sans nom, ni lu ce passage du numéro 4 de Potlatch (daté du 13 juillet 1954, donc à peu près contemporain de l’action des “Happy Days”):

“La vie est à gagner au delà.

Ce n’est pas la question des augmentations de salaires qu’il faut poser, mais celle de la condition faite au peuple en Occident.

Il faut refuser de lutter à l’intérieur du système pour obtenir des concessions de détail immédiatement remise en causes ou regagnées ailleurs par le capitalisme. C’est le problème de la survivance ou de la destruction de ce système qui doit être radicalement posée.”

En ne faisant rien pour plaire (voir le bref bilan qu’il en tire dans son avant dernier livre, “Cette mauvaise réputation…”) Debord ne cherchait pas pour autant à déplaire à tout prix (ce qu’il qualifie régulièrement de vaine provocation). La liberté est suffisamment scandaleuse en tant que telle, pas la peine de fabriquer du scandale de seconde génération, mutation inutile car forcément moins puissante qu’un embras(s)ement de la réalité. Se proclamant vivants et libres, les libertaires rejettent en bloc tout ce que l’on peut dire d’eux, qu’on les qualifie de cools ou de pas cools, ils ne voient là-dedans qu’un cirque stupide auquel ils n’ont aucune envie de prendre part. Ils en profitent toutefois pour réutiliser ces absurdes reproches (diabolisation de toute approche de la réalité) ou éloges à leur égard (fétichisme de la pensée réelle pour mieux la faire entrer de force dans le cercle de la pensée illusoire) comme des preuves de l’hypnose générale qui endort toute véritable pensée critique. C’est le sens d’un bon nombre des écrits tardifs de Debord, qu’on prit à tort pour une remontée de narcissisme cynique, voire sénile, alors qu’ils respectaient exactement la direction prise jusque-là: finalement, la vraie pensée critique est simplement frontale, sans second degré ni fanfaronnade. Il suffit presque de pointer du doigt l’abcès ridicule, de citer les passages appropriés du discours futile, et l’essentiel est fait (mais beaucoup passèrent complètement à côté de ce procédé, notamment les sociologues si terre-à-terre et les philosophes si portés sur l’abstraction, la démonstration logique dépourvue d’humanité).

La vraie pensée critique est simple pour qui sait observer la réalité frontalement, mais angoissante et complexe pour qui s’évertue à la nier (ce dernier se retrouve un peu comme un attardé qui ne serait jamais allé à l’école buissonnière). De plus, il est impossible de prendre Debord pour modèle (je le trouve extrêmement proche de Bunuel sur ce terrain et bien d’autres): on ne peut falsifier la liberté, il n’y a aucune coolitude à singer lorqu’on vous déclare “Réveillez-vous, voici le monde, et maintenant oubliez-moi et faites ce que vous voulez”. En fait, on s’en fout complètement de Debord et de Bunuel comme êtres humains, d’ailleurs on ne les a pas rencontrés personnellement et on ne saurait avoir une approche de leurs œuvres par le biais de la “psychologie de magazines” que tous deux méprisaient plus qu’ils ne la fuyaient.

Comme exemple de la fétichisation de cette pensée libertaire (dans le but de la rendre infertile, plus divertissante que mobilisatrice) l’exemple du film Matrix me semble parfait de par son cynisme sans bornes. Toute la machinerie pseudo libertaire tient en Matrix (premier du nom) une sorte de livre sacré de la coolitude début de siècle. Les épisodes suivants étant nuls, il ne peuvent se targuer d’un tel aura insidieusement normatif.

Après tout, on peut aussi accuser le style libertaire lui-même d’être une autre forme de coolitude non ostentatoire, mais je l’accepte sans aucun problème pour la légitimité profonde de son utilisation -tout comme j’accepte les artifices du conte et non ceux du spectacle- car ce style est avant tout la marque d’une authentique aspiration à la liberté. A l’inverse, les poses adolescentes ne sont que des petites cages à rebelles autoproclamés, dont ces derniers ne veulent d’ailleurs pas sortir: cela leur simplifie la tâche de ne faire QUE du rock, QUE du rap, QUE de l’écologie, QUE du jonglage, QUE leur activité de prédilection dans leur cage exiguë. L’au-delà évoqué par l’Internationale Lettriste, c’est l’indifférence totale pour ce qui est en place, pour le regard spectaculaire et marchand, cette poésie dépassée, cet œil dans la tombe qui peut bien y rester et y crever sans nous. Nous puisons notre pensée vivante à la source même de la vie, et non d’une quelconque table de la coolitude, qu’elle s’appelle “surréalisme” ou “gangsta rap”.

A ceux qui m’accuseraient de me montrer intolérant et liberticide, je répondrais d’avance qu’on ne peut priver de liberté quelqu’un qui n’en fait aucun usage (ce dernier point étant d’ailleurs la cause de mon engagement contre l’apathie auto congratulée des snobs). Ceci n’est qu’un essai de responsabilisation des prétendus rebelles, pour voir s’il leur reste encore assez d’honneur pour se reconnaître dans mon constat et agir en conséquence, qu’ils soient étudiants en cinéma, en lettres ou en n’importe quoi qui se la pète, comédiens ou beausardeux, fans de reggae, représentants de l’”extrême” gauche traditionnelle ou sociaux-démocrates, rappeurs ou jardiniers…

Jardiniers ??? Eh bien non, il s’agissait d’un contre exemple semé là pour voir si je pourrais y faire pousser la même plante, des fois que je serais de mauvaise foi: les jardiniers ne sont pas cools, ils ont donc le choix de se comporter exactement comme bon leur semble, et on imagine parfaitement un jardinier affable, grincheux, lent, rapide, ambitieux ou humble… C’est le genre de considération qui a une époque de ma vie m’a fait penser: “N’importe quel métier vaut mieux pour ma liberté que celui d’artiste“, mais la liste d’exemple que je viens de dresser prouve que l’art n’est pas la seule cible de la coolitude.

Je ne ressens pas d’agressivité à l’égard de ces pantins congestionnés dans l’intestin d’une société merdique (nous les sommes tous à un moment où à un autre), mais j’aimerais que leur action puisse évoluer, se libérer des fils entortillés qui guident leurs membres. En me demandant le motif profond de leur action, je ne trouve aucune autre réponse que: “Pour être cools”, ce qui signifie aussi “pour trouver une fille où mettre nos zizis tout durs”. C’est une sorte de résumé viscéral et pré-adolescent de nombreux impératifs sociaux qui demeurent en vigueur pendant toute la vie d’homme occidental (l’accès au pouvoir est guidé par la seule idée de pénétration et d’appropriation du corps de l’autre, que ce soit pour le sexe, la guerre ou le travail).

On remarque que la seule présence de mâles comme acteurs possibles de cette mascarade est déjà un aspect révélateur du système totalitaire. On y définit les individus comme des hommes. La femme y est étrangement présentée comme un cas particulier peu significatif, qui ne peut obtenir un haut rang social que lorsqu’elle agit comme un homme, copiant les attitudes cool du baroudeur mollement agressif (loin de moi l’idée de vouloir faire passer le macho moderne pour un rebut de la chevalerie, image ringarde depuis au moins quatre siècles pour laquelle le matérialisme bourgeois n’affiche que mépris1). D’ailleurs, le sexe n’a pas tant d’importance que ça dans l’attribution des rôles sexués. Une femme ou un homme qui assument leur féminité ne peuvent être cools, puisque la coolitude ne sert à la base qu’à s’attirer les bonnes grâces des entités féminines. De l’inversion des postures sexuelles est née un type de femmes masculines et dominantes, ainsi qu’un type d’hommes effacés et féminins, mais ce changement de rôle ne change pas les règles du jeu (je placerais cette inversion en parallèle avec le choix déjà évoqué de la pose solitaire, uniquement due à une carence des capacités socialisantes).

Au terme de cette rêverie, je me rends compte à quel point il est difficile d’esquiver la fausse conscience du cool. La plupart des initiatives allant en ce sens sont assez vaines et définissent seulement une sous-catégorie de la norme : création de bulles pseudo alternatives, inversion des rôles sexuels et repli sur soi lovecraftien constituent des anti-normes mais certainement pas des engagements libres. Le véritable libertaire est quant à lui sujet à d’incessantes attaques et autres tentatives de récupération de ses actes, il doit faire preuve sur la durée de beaucoup plus d’intelligence et de force morale qu’un quidam immergé dans la fange illusoire (on ne compte plus les suicidés, emprisonnés ou sujets menés à la schizophrénie). Un milieu moins urbain, moins moderne, est cependant plus propice à accueillir les êtres libres, qui dans les grandes métropoles semblent avoir une espérance de vie et de santé mentale assez faible.

Texte rédigé par Manuel J Grotesque le 24 Janvier 2008

1 Un film stupide de Disney, sorti il y a quelques temps sur les écrans (mais qui vient d’arriver en Argentine), est très révélateur de cette mentalité: il met en scène un prince et une princesse de conte de fées qui débarquent dans la réalité d’une métropole moderne. Le prince est ridiculisé en permanence (joué par un bellâtre pourvu d’un strabisme lui donnant un air idiot), et la belle princesse (rappelons-nous que la beauté féminine n’a jamais été cool, donc ne périme pas avec les modes) s’éprendra d’un mec en costard au sourire ravageur joué par un acteur à la mode. Je précise que je n’ai vu que l’affiche de ce film par la fenêtre du bus, mais je suis pratiquement sûr que cela doit se passer ainsi. Si certaines personnes ont eu le courage de le voir, dites moi si j’ai vu juste…

Catégories: Culture libre




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