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Pro et anti-marchandistes

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 24-07-2016 07:20
Rubrique: Le journal de la culture libre et du non-marchand
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : ouvert
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 24 juillet 2016 / Dernière modification de la page: 04 juillet 2021 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé :



Le positionnement idéologique par rapport au marché donne naissance à de véritables doctrines qui suscitent des passions parfois dévorantes ! S'affirmer pour ou contre le Marché est un engagement total, presque ontologique. Quel que soit le positionnement, la ferveur des sentiments et le prosélytisme sont toujours très forts, la dévotion profonde. Et ce quasi-fanatisme ne se cantonne pas à une frange minoritaire d'ultra-orthodoxes sectaires, il est très commun ! Prenons le sexe. Doit-il ou non être marchandisé ? Reconnaissons que chacun a son opinion sur la question et serait prêt à en venir aux mains pour la défendre.

Mais alors, comment une telle tension entre les apologistes et les adversaires du marché n'a-t-elle pas déjà fait voler la société en éclat ? Comment avons-nous échappé à la guerre civile ? Ceci s'explique - scientifiquement - par le fait que la séparation entre les deux camps n'est pas franche. Elle s'échelonne sur un large spectre qui va des anti-marchandistes radicaux, qui voudraient que tout, mais alors tout soit gratuit, aux pro-marchandistes fanatiques, qui aimeraient que les lois intemporelles du Marché gouvernent sans entraves les moindres recoins de notre existence. De plus, au sein des différents camps, il existe également des nuances.

Les pro-marchandistes

Dans le camp des pro-marchandistes, des séparations assez diffuses, en dégradé, délimitent différents schismes.

Les softistes et les duristes

Les « softistes » espèrent dans la venue d'un marché soft, éthique, solidaire, coopératif tandis que les « duristes » sont favorables à un marché punitif, inégalitaire et méritocratique : « Que les meilleurs gagnent ! » pourrait être leur crédo.

Dans le premier camp, on reconnaîtra bien sûr l'église de l'économie sociale et solidaire, qui attire de nombreux catholiques reconvertis1 et des dévots du développement durable. Dans le deuxième camp, on trouve sans peine quelques économistes nobélisés et journalistes économiques.

Les régulationnistes et les libertarianistes

Les « régulationnistes » prônent pour un marché régulé, encadré par l'Etat.

A l'inverse les « libertarianistes », un marché libéré de toute entrave qui, dans une parfaite harmonie cosmique, fonctionne sans intervention humaine, en suivant la mécanique invisible et ineffable des lois du marché (concurrence, loi de l'offre et de la demande, etc.)

Les croissancistes, les équilibristes et les décroissantistes.

L'opposition entre ces camps ressemble un peu à un débat d'experts, mais elle n'en est pas moins primordiale, pour ne pas dire structurante.

Les « croissancistes » adorent une divinité bien retors qui réclame en permanence des sacrifices toujours plus nombreux (l'environnement par exemple) : la « croissance du PIB ». Car l'univers, dans ses multiples dimensions macro-économiques, obéit à un cycle inéluctable : la déesse de la croissance du PIB, lorsqu'elle est satisfaite (et elle est très capricieuse) nourrit la déesse de l'emploi qui à son tour, nourrit le dieu de la consommation, en retour, celui-ci, nourrit la déesse de la croissance du PIB ; et la boucle est bouclée. Il en résulte, en temps normal, rien moins que le bonheur humain, qu'on peut même aujourd'hui mesurer. Reste qu'un dieu bien coquin vient parfois gripper la machine, c'est le Dieu de la finance et de la monnaie. Tel un malin petit singe, il vient semer le désordre et la zizanie dans la grande famille divine. Comment ? Les clercs débattent longuement sur la question. Mais ils s'accordent sur un point : l'église (l'Etat) doit intervenir pour assurer la bonne continuité de ce cycle éternel.

Le deuxième camp, celui des « équilibristes », rassemblé au sein de l'église néoclassique, se moque bien de la déesse de la croissance du PIB (elle n'est pas assez virile). Il vénère l'insondable, l'introuvable, l'inaccessible dieu de l'équilibre. Car ce principe immanent et transcendant, cette entité indéfinissable et insaisissable, cette main invisible, redistribue aux humains leur pain quotidien - et plus à l'occasion -, dans une harmonie pure et parfaite. Amen. Sur le fond, on notera que rien n'interdit une fusion avec le camp des croissancistes, car les divinités de sont pas opposées entre elles. Plus de croissance nous rapproche inévitablement de l'omniprésent optimum de Pareto. Et de fait, un syncrétisme s'est d'ailleurs développé, qui marie sans scrupule le dieu de l'équilibre et la déesse de la croissance du PIB. Et de leur union est née de nombreux enfants, comme le développement durable.

Le troisième camp, les « décroissancistes » se compose, au moins du point de vue des deux premiers camps, d'ignobles hérétiques, de répugnants idolâtres, qui, brisant tous les tabous, abhorrent la déesse de la croissance du PIB et le dieu de l'équilibre. Horreur ! Ces suppôts de Satan, ces adorateurs du mal absolu, vénèrent une déesse malfaisante, une déesse des ténèbres, qui plonge les humains dans la misère, le chaos, la déréliction : la déesse de la décroissance. Pour les décroissants, en effet, le mal, l'horreur économique, ce n'est pas le marché, c'est la croissance. Soit, mais qu'est-ce que la croissance ? Comme souvent, dans les mouvements religieux émergents, une myriade de sectes éclosent et ne parviennent pas à s'accorder entre elles. Il en va ainsi chez les décroissants. Décroissance du PIB, de la finance, de la mondialisation, des transports, de la technologie, de la hauteur des gratte-ciel, des poubelles, des voyages en avion, des lampadaires, des couches, des cigarettes, etc. Tout est prétexte à décroissance. Mais fondamentalement, les décroissancistes demeurent quand même empreints d'une foi inébranlable dans le marché. Car il faut bien payer les paniers bio.

Les universalistes et les limitationnistes.

Dans le camp « universalite », la thèse est simple. Le marché devrait occuper l'intégralité de l'univers social. Economiquement et socialement, tous les échanges devraient tomber sous son bienveillant empire ; spatialement, le marché devrait s'étendre partout ; « professionnellement », le marché devrait s'étendre à toutes les activités.

Vaste programme qui se déploie à travers deux courants : les « universalistes théoriques » pour lesquels l'universalité du marché s'entend dans le sens où toute action, toute pensée, est le fruit d'un calcul de maximisation de l'utilité. Rien n'est gratuit tout est intéressé. Les « universalistes pratiques », qui défendent l'universalité du marché dans ses applications. Autant le camp des universalistes théoriques semble essentiellement motivé par des questions théologiques, autant le camp des universalistes pratiques paraît motivé par des intérêts économiques concrets. En effet, il n'est pas difficile de voir que l'extension du marché à de nouvelles populations, de nouvelles activités entraîne un accroissement quantitatif des ventes.

Dans le camp « limitationniste », la thèse qui prévaut est que le marché, même s'il est un dieu bienveillant, ne saurait tout contrôler efficacement. Dans certains domaines bien précis, tels que la prostitution, la charité, le trafic d'organes et la régulation du rail, on doit même le combattre. En bref, le dieu du marché est certes bienveillant, mais on reste tout de même un peu méfiant. Car la divinité est capricieuse et il faut laisser la place à d'autres divinités concurrentes.

Les localistes et les multinationalistes.

Ce schisme, relativement récent, fait beaucoup parler de lui et attire de nombreux adeptes, positionnés à l'extrême gauche, à l'extrême droite, entre les deux, et ailleurs (dans une géométrie complexe). Les « localistes » affirment, pour résumer leur pensée profonde, qu'il vaut mieux acheter un sandwich local au PMU du coin qu'un burger à Mac Do, un ordinateur BULL qu'un ordinateur DELL. C'est ainsi que les localistes se prélassent dans un manichéisme identitaire et nationaliste rassurant. Au loin, les étrangers, le mal, les multinationales capitalistes ; près de nous, le paysan bourru mais pittoresque qui vient vendre sa petite production sur le marché bio du centre ville, les produits de qualité qui, tels des onguents sacrés, ravivent l'âme et le corps.

Quant aux « multinationalistes », tels des possédés envoûtés par le démon erratique, frénétique et incontrôlé de l'achat et de la consommation, ils se prosternent en masse dans d'immenses temples de la grande distribution. Durant la période des soldes et de noël, ils s'adonnent collectivement à des orgies sacrificielles fortement teintées de masochisme refoulé, et se ruent avec un appétit insatiable sur leurs marques favorites qui étincellent dans le firmament des néons multicolores. Une fois leurs pulsions temporairement assouvies, ils établissent entre eux (et les autres qui n'ont pourtant rien demandé) un classement complexe en fonction des marques qu'ils possèdent et des objets « achetés » qu'ils exhibent comme des fétiches, signifiant ainsi leur appartenance et leur soumission rassurante à la sacro-sainte famille des adeptes des grandes marques internationales. C'est ainsi que l'utilisation en public d'un smartphone dernier cri semble les protéger de toute atteinte extérieure. Elle chasse les démons loin de leur bulle sacrée.

Les non-marchandistes

De l'autre côté du spectre, les « non-marchandistes » réprouvent le marché comme régulateur des échanges. Ces hérétiques diaboliques sont encore peu nombreux, mais déjà, quelques schismes notables apparaissent dans leur camp.

Les alter-marchandistes et les anti-marchandistes.

Leur opposition constitue probablement la principale ligne de fracture dans le camp des non-marchandistes.

Les premiers, dans une optique plutôt libérale, militent pour le développement des échanges non-marchands sans rejeter les échanges marchands, dans l'idée qu'en fin de compte, pratiquer le couchsurfing n'empêche pas de se payer un hôtel de temps en temps... Car s'il est vrai que l'hôtel est moins convivial, moins confortable et moins cher2 qu'un bon canapé, il arrive parfois qu'on ait secrètement envie de jouir du désir de domination et de rupture du lien social caractéristique de l'échange marchand (je te paie et tu me laisses en paix).

Les seconds sont nettement plus vindicatifs envers ces suppôts de Satan que sont les marchandistes. Très critiques envers l'achat, ils abhorrent le marché et œuvrent sans relâche à sa perte, ou tout au moins à sa relégation dans les bas-fonds du capitalisme sauvage.

En résumé, pour les premiers, il s'agit de concurrencer le marché, pour les seconds, de l'éliminer.

Les totalistes et les possibilistes.

Il en découle une divergence notable sur les idéaux (l'utopie, si chère aux conservateurs…) qui oppose les « totalistes » et les « possibilistes ».

Les non-marchandistes totalistes sont des anti-marchandistes intégristes qui voudraient que tout, mais alors tout, soit gratuit. Plus d'argent, plus de troc, rien. Tout gratuit et on en parle plus.

Les non-marchandistes possibilistes sont des alter-marchandistes qui voudraient que tout ait une alternative gratuite. Tout besoin devrait pouvoir être satisfait, soit par la voie de l'échange marchand, soit par la voie de l'échange non-marchand, soit par la voie du renoncement, soit par d'autres voies impénétrables qu'Il nous montre dans son infinie bienveillance. Et toute ressource devrait pouvoir trouver son équivalent gratuit.

Les heureux et les pénitents

Dans la grande famille des non-marchandistes, on distinguera également sans peine deux sous-catégories : les « alter-marchandistes heureux » qui adorent les pratiques et la philosophie non-marchande dans une joie ineffable et communicative, et les « alter-marchandistes pénitents » qui pratiquent les échanges non-marchands par devoir, par obligation morale envers le nécessiteux ou pour se repentir d'avoir un jour pêché en ayant acheté un super fringue chez un styliste.

Les philanthropes, les individualistes, les misanthropes.

Dans le même ordre d'idée, on trouve essentiellement trois catégories de non-marchandistes en fonction des motivations qui les animent.

Les « philanthropes », qui pratiquent et promeuvent les échanges non-marchands pour des motifs religieux, par humanisme ou en vertu d'une morale « de gauche » qu'ils affectionnent.

Les « individualistes » pour lesquels la pratique ou la promotion des échanges non-marchands vise directement ou indirectement, soit à accroître les libertés individuelles, soit à accroître sa richesse personnelle, ou les deux. De fervents partisans de la gratuité, à ce titre, peuvent l'être pour des raisons purement mercantiles.

Enfin, les « misanthropes et collectivistes », tels les staliniens-maoïstes, souhaitent que la gratuité se développe, non dans l'espoir d'accroître le bonheur universel et l'abondance, mais dans l'idée de développer l'austérité et la tristesse généralisée, et de piller les riches bourgeois capitalistes. Après tout, l'humanité l'a bien cherché.

Les inclusionniste et les exclusionnistes

Une autre scission apparaît quand les non-marchandistes tentent de s'auto-définir, en distinguant, fort logiquement, le marchand du non-marchand. Deux cas polaires émergent.

Pour les « inclusionnistes3 », tout est bon ! Troc, monnaie locale, SEL, ESS, services d'une association avec abonnement, Internet, services publics, aide sociale… Allez hop ! C'est non-marchand. Il est vrai que ce n'est pas gratuit, mais c'est au juste prix, c'est alternatif, c'est social, c'est solidaire, etc. ! Donc, il n'est point besoin de rigueur mal placée qui freinerait toutes ces bonnes initiatives. Au diable la précision ! Ce qui compte, c'est l'intention, la bonne volonté et surtout que ça ait l'air cool et alternatif. Le reste, c'est sclérosant.

Les « exclusionnistes »4, à contrario, s'attachent à une définition de l'échange non-marchand horriblement contraignante. Evidemment, pas de troc, mais surtout, aucune obligation de retour, aucune obligation de participer, aucune obligation de financer, aucune contrainte aussi minime soit-elle, etc. Tels des puristes ou plutôt, des névrotiques obsessionnels, ils tentent d'approcher au plus près l'échange non-marchand pur et parfait qui leur apportera la révélation extatique. Inutile de préciser que bon nombre de pratiques que le vulgaire considère comme non-marchande passent sans hésitation à la trappe. Les services publics ? Que nenni, puisqu'ils sont financés par la contribution obligatoire. L'économie sociale et solidaire ? Oublions-la d'emblée puisqu'elle repose sur des échanges marchands. Les associations ? Toute adhésion obligatoire signifie une excommunication sans recours. Etc. !

Les interventionnistes et les non-interventionnistes.

On peut enfin distinguer plusieurs courants non-marchandistes en fonction des moyens qu'ils souhaitent employer pour développer (ou pas) l'économie non-marchande.

Les « non-interventionnistes » considèrent que la non-action est la meilleure arme contre le marché ou pour l'économie non-marchande. « Ne pas coopérer avec l'ennemi », telle pourrait être leur devise. Inutile de tenter d'intervenir pour changer la société. En vertu de quoi l'autarcie, la décroissance, le retrait, comme l'ermitage, l'auto-production, la non-consommation, le refus de payer l'impôt, etc., sont quelques-unes de leurs stratégies favorites.

Les « interventionnistes ». On peut en distinguer deux types. Les « interventionnistes cohérents », pour lesquels le développement et la promotion d'une société non-marchande doit s'appuyer sur des moyens cohérents avec les fins. A l'opposé, les « interventionnistes opportunistes » transigent volontiers avec les principes non-marchands, dans la mesure où la fin justifie les moyens. S'il faut, par exemple, commercialiser un produit pour pouvoir en distribuer une version de qualité moindre gratuitement, pourquoi pas… Quant aux subventions, on aurait tort de les écarter, car elles sont bien pratiques.

Approche réflexive

Les constructivistes n'ont sûrement pas tort d'affirmer que l'acte de définition est un élément constitutif de la réalité sociale ; qu'il est l'un des éléments structurants, stratégiques dans le jeu qui oppose les courants idéologiques pour la légitimation et l'appropriation des ressources. A ce titre, s'affirmer comme non-marchandiste, c'est déjà reconnaître qu'un panel composite d'actions hétéroclites, de représentations plurielles, est suffisamment consistant, cohérent pour faire l'objet d'une catégorisation sociale, et désigner de cette sorte, pourquoi pas, les prémisses d'un mouvement social, ou tout au moins, affirmer les contours d'un groupe social qui se revendique ou qui est reconnu de l'extérieur.

Définir un espace d'actions et de représentations comme appartenant au non-marchand, ou au contraire, au marché, n'est donc pas neutre. Politiquement, cela revient à légitimer cet espace, à lui conférer une existence, une consistance, qu'il ne possédait pas forcément auparavant. Cela revient également à en tracer les contours, les frontières, et donc ce faisant, inclure ou exclure, mettre en relation des actions, des personnes, des représentations qui, auparavant pouvaient sembler indépendantes, disjointes, déconnectées, ou au contraire, intégrées dans un même ensemble. Et si le processus de catégorisation n'est pas neutre en soi, il en va de même, à fortiori, du lexique qui va l'accompagner. On m'a souvent fait remarquer, à ce titre, que le terme de non-marchand avait une connotation négative qui pouvait être préjudiciable au mouvement. Seulement, existe-t-il tout simplement un tel mouvement ? Est-il vraiment légitime de mettre dans le même panier des pratiques aussi différentes que le couchsurfing, le sexe gratuit, l'auto-stop et les ateliers d'auto-production gratuits ? Est-il acceptable de nier l'immense diversité des activités, des contextes d'actions, des ressources, des règles d'action, et de leur imposer une catégorisation fondée sur la modalité d'activité (marchand, non-marchand, coercitif...) ? Peut-on regrouper dans un même groupe social des activistes et de simples usagers de l’économie non-marchande ?

Les légitimistes et les fictionnistes.

Deux camps s'affrontent à cet endroit.

Les « légitimistes » pour qui, sans hésiter, la réponse à ces questions est affirmative. Il est tout à fait légitime de parler d'économie non-marchande, dans le sens où il s'agit d'une réelle alternative au marché, et non d'un simple artefact théorique.

Les « fictionistes » pour qui l'économie non-marchande est une pure fiction, une invention d’utopistes en mal de sensations fortes !

Les culturalistes et les utopistes.

Enfin, l’action de catégoriser l’économie en deux sous-ensembles, l’économie marchande et l’économie non-marchande, peut soulever deux réactions opposées.

Pour les « culturalistes », cette catégorisation est motivée par un constat observationnel, par un « fait culturel brut » qui dépasse les motivations et les représentations qui concourent à sa construction. La réalité de ce fait social préexiste à sa catégorisation. L’économie non-marchande est portée par un ensemble d’actions, d’évènements, de contextes, qui la rendent tangibles.

Pour les « utopistes », au contraire, ce fait culturel est, encore une fois, le pur produit d’une utopie, dont la mise en oeuvre ne peut être au mieux qu’éphémère, ou au pire, inexistante. Inexistante car les motivations des usagers et/ou des activistes de l’économie non-marchande, de cette kyrielle éphémère d’espaces de gratuité sauvages ou domestiques, sont soit purement fictives, soit faussement non-marchandes. Derrière des comportements en apparence non-marchands, se cacherait en réalité des motivations ou des stratégies marchandes latentes qui feraient retomber ces pratiques dans le giron du marché.

Conclusion

Si la catégorisation sociologique n’est pas neutre, il en va ainsi de la catégorisation sociologique profane. Là où nous voyons un marché omniprésent, un marché indépassable, un marché universel, voyons-nous autre chose que ce que nous voulons voir ? Quand on me dit, par exemple, que la marchandisation a colonisé Internet, je rétorque toujours avec une petite pointe de provocation : « Comment le savez-vous ? Pour ma part, je n’en ai pas le sentiment. J’utilise un bloqueur de pub. ». Et effectivement, que savons-nous de la nature de l’immense volume des échanges sur Internet ? Les courriels gratuits, les sites persos, le dark web, tout cela constitue une vaste galaxie d’échanges non-marchands. Quant aux sites qui font de la publicité, tout dépend du regard… Un bloqueur de publicité rend tout simplement invisible leur caractère marchand pour un simple visiteur. Bien sûr, invisibilité ne signifie pas inexistence, mais il en va de même dans un sens comme dans l’autre. Un filtre représentationnel puissant nous conduit à interpréter la réalité selon des typifications préconçues, nous rendant tout simplement invisibles cette masse colossale d’échanges non-marchands qui structurent nos interactions, notre quotidien et sans lesquels, l’échange marchand ne pourrait tout simplement pas exister. Si l’affichage d’un prix, l’utilisation du langage, l’accès aux points de vente, la publicité, étaient payants, le marché serait tout simplement paralysé. Pas de marché sans son double redouté : la gratuité !

Notes

1 Le catholicisme étant initialement plutôt anti-marchandiste, du moins c'est ce qu'affirment de nombreux historiens, tels Jacques Ellul, Jacques Le Goff, etc.

2 Il faut notamment penser aux frais médicaux qui suivront une nuit blanche et agitée sur un canapé : rhume, gueule de bois, lumbago, etc.

3 Le terme est issu de la lexicologie wikipédienne.

4 Idem.




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