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Réintégrer l'animal en ville

Auteurs: LENA (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2017
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 03 avril 2018 / Dernière modification de la page: 20 avril 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé:






Réintégrer l'animal dans l'espace urbain

La végétalisation des espaces urbains et la reconstruction d'une « agriculture urbaine »1 est un projet de société aujourd'hui largement partagé. A la clef, on espère une amélioration substantielle de l'environnement urbain et le développement des circuits courts.

Mais ceux qui acclament ce retour du végétal oublient trop souvent que son règne est loin d'être exclusif ! L'animal en est également une composante fondamentale. On ne saurait alors inviter la nature dans l'enceinte de la cité, tout en lui sommant de laisser à la porte le règne animal, indispensable à son fonctionnement. Ce serait la « dénaturer » ! Et comme le conclut Tiphaine Illouz dans son mémoire de recherche sur les animaux en ville,

« Les villes apparaissent aujourd’hui comme dénuées d’animaux. Il ne faut pas se suffire d’une ville vivante uniquement grâce à la présence de végétaux. Il faut y mener la révolution animale, car nous en avons bel et bien oublié la faune urbaine2 ! »

Certes, comme elle le souligne également, l'animal n'a pas complètement disparu de l'espace urbain. En dépit d'un quadrillage dissuasif et d'une « hostilité » allant croissant3, en dépit d'une réglementation de plus en plus lourde et contraignante, certains animaux domestiques comme les chiens et les chats y trouvent encore leur place. D'autre part, des espèces sauvages, ou retournées à un état semi-domestique (marronnage), comme le pigeon domestique, le colonisent encore4; et de nouvelles espèces s'y invitent aujourd'hui, faisant preuve d'une capacité d'adaptation stupéfiante5.

Seulement, l'arrivée ou le maintien de ces espèces ne saurait masquer la quasi-disparition, tout au moins dans les grandes villes industrialisées d'Europe, car il n'en va pas de même partout6, de l'animal d'élevage, qui est le pendant, le complément indispensable d'une agriculture équilibrée, qu'elle soit urbaine ou rurale.

Pour expliquer cette disparition, on invoque parfois des motifs sanitaires, ou bien les nuisances qu'ils sont censés générer et qui sont posées comme une preuve presque ontologique de leur antinomie au cadre de vie urbain - sur lequel on appose des représentations clivantes et erronées, comme le « citadin propre » et le « paysan sale », la ville artificielle et la campagne naturelle7. Mais c'est une erreur ! Car il faut tout autant incriminer la concurrence de l'élevage industriel, la densification urbaine, l'introduction progressive d'une législation dissuasive et l'accroissement de l'hétéronomie (recours de plus en plus restreint à des ressources auto-produites pour la satisfaction des besoins primaires). Autant de facteurs, inscrits dans un contexte économique, historique, construit sur des prises de décisions politique8, qui ont conduit lentement mais sûrement à la raréfaction de l'animal d'élevage en ville9. Phénomène également observable dans les zones rurales, progressivement grignotées par le mode de vie périurbain, qui n'accorde qu'une place très restreinte à l'animal d'élevage.

Et en réalité, si l'élevage urbain présente quelques inconvénients, ils ne sauraient expliquer cette disparition, car ils dépendent surtout de la modalité d'élevage retenue, et sont pour la plupart, minimes, solubles et contrebalancés par ses innombrables avantages.

Plus d'avantages que d'inconvénients !

Les nuisances de l'élevage dépendent en grande partie de la modalité d'élevage

L'élevage industriel conventionnel est une source de nuisance majeure : pollution, bruits, odeurs, etc. Pour y parer, on tente d'isoler l'animal de son environnement humain, soit en l'éloignant, soit en l'enfermant, et surtout, en le mettant à l'abri des regards - un millier de poules entassées dans des cages constitue un spectacle trop bruyant et sordide pour être vendeur ! Ce faisant, on crée le problème qu'on cherche à solutionner : la concentration excessive des animaux dans des espaces réduits et inadaptés à leurs besoins vitaux. A force de séparer l'animal de son environnement naturel, on le chosifie, on le transforme en pur produit industriel. On fait ainsi d'une nuisance modérée une nuisance industrielle qui requiert des solutions industrielles. En d'autres termes, quand on chasse une espèce animale de « l'espace humain » et qu'en outre sa population doit rester à peu près constante pour satisfaire les besoins humains, on crée les conditions d'une concentration excessive et néfaste de cette espèce. Phénomène accru si la rationalisation marchande du processus productif crée des conditions de surproduction, car il faut alors sans cesse augmenter les débouchés, autrement dit, pousser à la consommation !

L'élevage industriel, ainsi devenu « concentrationnaire10 », génère de nombreuses nuisances et présente bien peu d'avantages. Le rendement peut certes s'avérer meilleur, mais généralement au détriment de la qualité, et au prix d’un accroissement quantitatif et qualitatif des intrants (antibiotiques, carburant, chauffage, etc.) et des externalités négatives, dont souffrent, au final, aussi bien les animaux d’élevage que les humains qui les utilisent ou cohabitent avec eux.

Avant de poursuivre, on doit noter que ces avantages en terme de rendement pourraient justifier le recours à l'élevage industriel. Celui-ci serait alors destiné à asseoir une sécurité alimentaire minimale, tandis que les élevages de faible taille conviendraient à l'alimentation domestique courante. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui ! La situation évolue davantage vers un monopole radical11 de l'élevage industriel. Tous les besoins alimentaires finissent par être satisfaits par l'élevage et l'agriculture industrielle. L'élevage industriel devient la norme. Tout le processus alimentaire, de la production à la consommation, est formaté par l'extension de dispositifs instaurés pour réguler l’élevage industriel à l’intégralité de l’élevage, sans aucun discernement et sans prise en considération du fait que les nuisances causées par l’élevage industriel ne sont pas les mêmes que dans un élevage de faible capacité et ne peuvent par conséquent être solutionnées de la même manière12.

Par exemple, si une exploitation d’élevage industriel de poules génère un bruit et une odeur désagréable, il n’en va pas de même d’un petit élevage domestique dans le jardin d'un particulier. Au contraire, les fientes d’une ou deux poules seront très vite assimilées par l’écosystème d’un jardin et le bruit sera presque inexistant, ou s'intégrera dans la vie quotidienne d’une habitation et de son voisinage proche. Et le chant du coq ! On ne saurait à mon avis, le mettre sur le même plan que le vacarme des véhicules motorisés ou d'une usine de production de poulets ! Et quoi qu’il en soit, des techniques assez simples permettent d’en réduire l’incidence (rentrer le coq la nuit dans un local insonorisé, par exemple !).

L’animal d’élevage en semi-liberté trouve alors parfaitement sa place dans un contexte urbain ou rural. Il puise ses ressources en partie sur place et produit également des ressources qui sont partiellement réutilisées sur place. Bien que l’écosystème soit, en partie, artificiellement produit par l’homme, l’animal d’élevage en est une composante logique, harmonieuse. En revanche, dans le cadre d’un élevage industriel, la concentration d’animaux en un même endroit est telle qu’aucun écosystème ne peut assimiler les extrants produits, sans être profondément et durablement déséquilibré et détérioré13.

Par ailleurs, l’agriculture et l’élevage industriels ne se contentent pas de générer des nuisances sans commune mesure avec celles de l’agriculture et de l’élevage domestique ou de faible capacité, ils en suppriment également de nombreux avantages, notamment, la relation psychologique et physique complexe et mutuellement bénéfique qui peut s’établir entre l’être humain et l’animal d’élevage. Dans un élevage industriel, l’animal, réduit à l’état de produit manufacturé, à un numéro ou à une fonction unique (lait, viande, semences, expérimentations, laine, etc.), est séparé du lien qui pourrait l’unir à l’être humain, vidé de toute « humanité » et entièrement à la merci d’un macro-système technocratique. Ce faisant, l’être humain se prive d’une interaction enrichissante, du lien complexe qu’il peut créer avec des animaux appartenant à une autre espèce. C’est en somme un manque à gagner considérable, tant sur le plan physique (défenses immunitaires) que psychologique, des bienfaits que nous pouvons tirer de l’altérité.

Mais le déficit n’est pas purement relationnel. La présence des animaux dans l’environnement humain direct apporte de nombreux avantages qu’il convient d’énumérer.

Les avantages de l’élevage de faible capacité en zone urbaine

Lorsqu’on propose de réintroduire l’élevage en ville, il ne s’agit pas, bien entendu, de multiplier les zoos, tout comme, par comparaison, réintroduire l’agriculture en ville ne se limite pas à l’implantation de jardins botaniques ! Il s’agit en effet de réintroduire l’animal d’élevage au cœur même de l’écosystème urbain, de rétablir la place qu’il a jadis occupée, bien que ce soit aujourd’hui sous une autre forme, de l’insérer au centre de la vie quotidienne.

Pris dans cette optique, l’élevage urbain de faible capacité comporte de nombreux avantages.

Comme nous venons de le suggérer, le premier avantage est de reconstruire une relation étoffée et ancrée dans la réalité, entre l’animal et l’être humain. Il est notoire, en effet, que de nombreux citadins n’ont plus aucune interaction réelle avec l’animal d’élevage. L’interaction s’établit ponctuellement dans des contextes policés ou spectacularisés comme les corridas, ou éventuellement dans certains sports équestres, mais le lien qui se tisse entre l’être humain et animal ne peut véritablement se construire que dans la durée, la répétition et dans son intégrité. Le bruit, l’odeur, la présence permanente de l’animal, ses comportements parfois complexes, forment un tout indissociable. En prenant un élément isolément, le rapport à l’animal est tronqué, irréel. C’est comme espérer connaître le bruit de la nature avec des enregistrements audios de chants d’oiseaux !

Une fois ces conditions établies, le rapport entre l’être humain et l’animal peut s’avérer très enrichissant. L’animal d’élevage est en effet le produit d’une domestication très ancienne qui a permis de sélectionner des caractéristiques facilitant sa socialisation avec l’être humain. Prenons le cas des chèvres. Une fois habitués à l’être humain, elles peuvent venir quand on les appelle par leur nom, font preuve de comportements d’attachements envers l’être humain, viennent réclamer des caresses, suivent quand on les tient en laisse, peuvent porter des charges lors d’une marche, etc. Autant de comportements de socialisation qui sont très probablement le produit d’un processus de domestication long et complexe où l’animal a accompagné l’être humain dans son périple !

Prenant appui sur ce substrat culturel et génétique, lorsque l’enfant ou l’adulte interagissent avec un animal d’élevage, une relation s’établit très rapidement et peut progressivement évoluer vers un lien durable. Il est indéniable à ce titre que les enfants sont demandeurs d’interaction avec l’animal d’élevage (à leur manière, d’ailleurs !) et que cela est bénéfique pour eux. L’enfant qui court après les poules pour les attraper renforce son agilité, développe des stratégies et apprend à se mouvoir dans un environnement irrégulier et complexe. Il apprend à interagir avec un être doté d’intentions, muni d’une intériorité, partiellement rétif tout en étant capable de coopérer, et qui nécessite pour être apprivoisé l’acquisition de nombreuses connaissances pratiques, d’un certain niveau d’abstraction et la construction d’un lien affectif minimal. Tout cela constitue un cadre enrichissant et pédagogique pour l’enfant, mais aussi l’adulte, et même thérapeutique14.

Outre les bienfaits psychologiques et relationnels, l’animal est également une source de bienfaits physiques.

  • D’abord, bien que la recherche soit encore trop peu développée sur le sujet, il ne fait guère de doutes qu’il a des bénéfices indirects sur la santé. Il semble, par exemple, que la présence d’un chien domestique, améliore la résistance des enfants à certaines maladies15. Dans des milieux urbains fortement artificialisés, la présence d’animaux d’élevage peut aider, à cet égard, à reconstituer un environnement qui se rapproche de celui auquel l’être humain est à priori initialement destiné.
  • Ensuite, l’accès à des produits animaux de qualité (œufs, viande, laine, etc.), frais et dont la traçabilité est très bien connue, permet à priori une alimentation plus saine que celle issue de l’élevage conventionnel.
  • Enfin, la pratique de l’élevage permet de réaliser une activité physique régulière dont il n’est plus question, aujourd’hui, de nier les bienfaits et les retombées psychologiques indirectes16. Dans les villes, l’élevage urbain peut constituer un service offert aux habitants qui souhaitent se dépenser.

Considérons maintenant les avantages de l’élevage urbain du point de vue de la « gestion urbaine ». Quels sont-ils ?

  • D’abord l’animal d’élevage peut être utilisé pour le transport de charges et d’humains. Et ce mode de transport n’est pas si anachronique, puisqu’il est non-polluant, relativement discret, peu coûteux, convivial et efficace. Ce n’est pas un hasard si l’animal de transport perdure encore dans de nombreuses régions du monde ; et dans des villes encombrées par la voiture, où les espaces piétonniers se multiplient, où il devient de plus en plus difficile de circuler rapidement et où la pollution devient un problème majeur, il n’est pas exclu que le transport animal regagne progressivement du terrain et ses lettres de noblesse !
  • Ensuite, l’animal d’élevage peut se suppléer efficacement au débroussaillage et à la tonte mécanique. C’est d’ailleurs par ce biais-là qu’il est actuellement réintroduit, car les avantages sont nombreux : faible pollution, débroussaillage écologique sélectif et enrichissant pour les sols, efficacité parfois meilleure sur des espaces accidentés et pentus, etc.
  • Enfin, l’animal d’élevage peut avoir d’autres fonctions intéressantes pour la gestion moderne des espaces urbains. Par exemple :
    • Il peut s’avérer un allié précieux en matière de sécurité, comme un troupeau d’oies qui donne l’alerte ou des ânes qui dissuadent d’entrer dans un terrain.
    • Il s’inscrit naturellement dans les politiques de tri et de recyclage des déchets. Certaines communes l’ont d’ailleurs compris et proposent à des particuliers d’héberger des poules chez eux dans cet objectif17.
    • Il facilite, dans une certaine mesure, une gestion équilibrée et écologique des espaces verts en limitant la nécessité de recourir à des produits de synthèse pour enrichir les sols ou éliminer les plantes indésirables.

Voici donc quelques-uns des avantages de l'élevage en ville, mais la liste est sûrement loin d'être exhaustive18.

Intérêt de l'élevage urbain pour les éleveurs

Il peut sembler surprenant d'affirmer que l'élevage urbain présente un intérêt pour l'éleveur, et pourtant, en s'intégrant dans l'espace urbain, l'éleveur est au plus prêt de sa clientèle, ce qui lui permet, d'une part, de réduire les coûts de transports, voire, les coûts d'intermédiation en favorisant la vente directe, d'autre part, d'intégrer le client dans le processus productif. Comme nous le verrons plus loin avec le concept de troupeau participatif, il peut ainsi faciliter la participation des usagers à diverses tâches.

Comment réintroduire l'animal en ville ?

Les années 1970 ont vu fleurir quantité d’ouvrages relatifs au retour à la campagne. La réintégration de l’animal d’élevage en ville nécessiterait à son tour la création de tels manuels, tant la mémoire collective de l’élevage urbain a été occultée par les mirages du progrès technique ! Il est vrai aussi qu’elle ne va pas de soi. L’animal en ville apparaît aujourd’hui comme une anomalie et les conditions ne sont plus les mêmes qu'il y a cent ans19. Il faut donc réfléchir à de nouvelles pratiques tout en s'inspirant des anciennes.

La mise en œuvre concrète

Chaque animal a ses caractéristiques propres, ses besoins spécifiques et ses contraintes ; de plus, l'espace urbain est un milieu relativement hétérogène et, comme nous l'avons vu plus haut, il existe plusieurs modalités d'élevage. Il semble donc vain d'espérer établir un modèle universellement valable de réintroduction de l'animal d'élevage en milieu urbain. Mais, on peut tout de même tenter de réfléchir à l'implantation de l'élevage de faible capacité, voire l'élevage extensif20 - nous laisserons de côté l'élevage industriel -, dans différents « sous-milieux » urbains. Pour cela, distinguons : les appartements, les maisons résidentielles avec jardin, les friches et espaces « semi-naturels » privés ou publics, les jardins publics, la rue, les lieux occupés par des établissements (EHPAD, Universités, entreprises, etc.).

Les appartements sans jardin

Le poussin et le canard d'appartement de la série Friends deviendront-t-il un jour les symboles de l'élevage urbain21 !? Toujours est-il que posséder des animaux d'élevage dans un appartement est un vrai défi, quand ce n'est pas tout simplement impossible !

Mais tout dépend du contexte.

  • Tout comme les plantes (mieux vaut ne pas planter un eucalyptus sur son balcon...), certaines espèces sont adaptées au manque d'espace et offrent des avantages du point de vue de l'alimentation et du recyclage des déchets organiques : cochons d'Inde, pigeons, poules, lapins, par exemple.
  • De nombreux appartements sont équipés de balcons et terrasses, ou même d'une petite cour intérieure permettant d'installer un espace en extérieur où l'animal peut séjourner paisiblement dans des conditions assez proches de son environnement, sous réserve d'installer de la paille, un petit jardin en terrasse, etc.
  • Certains appartements de centre-ville sont suffisamment grands pour qu'il soit possible d'allouer une pièce à de l'élevage domestique22.

Concernant la mise en œuvre, elle est relativement simple.

  • Sur le plan organisationnel, la basse-cour peut être avantageusement mutualisée, de façon à réduire les contraintes liées à l'entretien des animaux, néanmoins, on peut bien sûr l'envisager dans un cadre exclusivement privatif.
  • L'acquisition du matériel d'élevage est très peu coûteuse et peut être très facilement réalisée soi-même. Les tutoriels pour construire des poulaillers sont légions sur Internet. Seul inconvénient, il peut parfois s'avérer difficile de trouver de la paille ou de la litière naturelle en ville, mais il ne s'agit pas d'un défi impossible à relever, loin s'en faut !
  • L'acquisition des animaux est facile. Elle peut notamment se faire via des sites d'annonces spécialisées.
  • L'entretien des petits animaux d'élevage est très simple, à condition de disposer de races rustiques et robustes. De l'eau, des restes de nourriture, un peu de grain suffisent par exemple, à satisfaire deux poules naines pondeuses !

On voit donc que même si un appartement n'est pas idéal pour l'élevage domestique, il peut tout de même convenir dans de nombreux cas ; à condition, naturellement, que les conditions nécessaires au bien-être des animaux soient remplies.

Mais tout un travail d'information reste ici à effectuer, car l'idée d'avoir des animaux en appartement paraît encore saugrenue, voire irréaliste. Et il est vrai que malgré les nombreux avantages d'une telle pratique, elle n'est pas dénuée de tout obstacle. Il faut prévoir un changement régulier de la litière, un approvisionnement en grains et une présence relativement régulière, ce qui peut dissuader quelques éleveurs domestiques potentiels. Toutefois, il y a fort à parier que si la pratique de l'élevage urbain venait à se généraliser, nombre de ces problèmes trouveraient leurs solutions. Par exemple, l'approvisionnement en paille et en litière pourrait être mutualisé, de même que la surveillance et l'entretien des animaux.

Les maisons ou habitats collectifs avec jardin

Le cadre de vie des maisons et des habitats collectifs munis d'un jardin élargit naturellement la gamme des espèces acclimatables en ville: chèvres, moutons, ânes peuvent ainsi y trouver une place confortable ! Mais encore une fois, la réinsertion de l'animal dans de tels lieux nécessite de prendre en considération les contraintes suivantes.

  • Il faut veiller à ce que l'espace soit suffisamment grand pour accueillir les bêtes, les loger et surtout les nourrir. Faute de quoi, il faudra prévoir de les complémenter, ce qui peut poser des problèmes logistiques et pratiques non négligeables.
  • Certaines espèces comme les chèvres sont réputées fugueuses. Il faut donc prévoir une clôture convenable pour les maintenir sur place. Dans le cas contraire, le voisinage peut ne pas apprécier les dégâts causés par une chèvre un peu trop gourmande sur des parterres de fleurs.
  • Les soins que l'on apporte à ces animaux doivent être réguliers, tout particulièrement la traite pour les chèvres qui doit être effectuée presque quotidiennement.
  • Les espèces herbivores ne sont pas toujours pleinement compatibles avec des jardins d'agrément et encore moins des jardins potagers. Il faut donc prévoir, soit dans une démarche de permaculture, d'associer élevage et jardinage en développant au maximum les synergies qui peuvent se nouer entre l'animal et le végétal, soit de scinder l'espace en réservant une partie pour l'élevage et une partie pour le jardinage.

A cela s'ajoutent depuis peu une législation de plus en plus contraignante et largement inadaptée à l'élevage domestique :

  • La plupart des espèces d'animaux d'élevage sont grégaires et doivent donc être installées par deux au minimum dans un jardin. Il en résulte quelques problèmes pratiques. Si les animaux ne s'entendent pas, il faut s'attendre à d'éventuelles blessures. S'il s'agit d'un mâle et d'une femelle, il faut anticiper une augmentation du nombre d'animaux. Bien sûr, ceci n'est pas problématique pour ceux qui les destinent à une consommation de viande, mais il ne faut pas oublier que la législation sur l'abattage s'est considérablement durcie ces dernières décennies, obligeant les particuliers ou les éleveurs de faible capacité à avoir recours à des abattoirs professionnels pour consommer la viande de leurs propres animaux d'élevage.
  • La réglementation sur le transport des animaux d'élevage est devenue plus contraignante ces dernières années, néanmoins, ceci concerne essentiellement les exploitations commerciales.
  • Un suivi vétérinaire est obligatoire pour certains animaux.
  • Il vaut mieux prévoir, à minima, une assurance responsabilité civile pour les animaux.

Tout cela ne doit cependant pas dissuader d'éventuels acquéreurs car une fois ces quelques écueils contournés, la possession d'un animal en ville ne présente pas de difficultés particulières, ou en tous les cas, guère plus que la possession d'un chien !

La rue

Il faut l'affirmer haut et fort : l'animal a sa place dans la rue ! A condition de réussir à le faire cohabiter avec les autres animaux, les êtres humains, les plantes et les voitures ! Bref ! L'écosystème urbain n'est pas parfaitement adapté à sa présence, mais pour autant, une cohabitation est tout à fait envisageable.

Le premier obstacle provient du fait que les animaux d'élevage sont potentiellement des proies pour les chiens et les chats. Certes, ils ne constituent pas véritablement une menace pour les grands herbivores, mais il n'en va pas de même pour les herbivores de petite et moyenne taille. Assurer la sécurité de ces animaux peut alors s'avérer délicat. D'autre part, les animaux d'élevage peuvent parfois interagir entre eux de manière combative, surtout durant les périodes de rut. Enfin, il faut rappeler qu'un animal apeuré par un autre peut s'avérer dangereux. Autant de questionnements qui ne sauraient masquer le fait que, dans les villes des pays où les animaux circulent librement, les incidents, même s'ils sont rares ne constituent jamais une barrière définitive à l'introduction des animaux en ville, notamment en raison du fait que, passée la première rencontre, les animaux et les humains adaptent très rapidement leurs comportements. Les expériences d'écopâturage menées en ville montrent par exemple que les propriétaires de chiens problématiques choisissent de les tenir en laisse quand ils passent à proximité d'un troupeau en activité. Réciproquement, il n'est pas exclu de tenir des animaux d'élevage en laisse ou par le collet. Le mouton, la chèvre, l'âne, le cheval, s'y prêtent très bien.

Mais l'être humain, quant à lui, ne peut être tenu en laisse ! Ce qui rend plus compliqué la cohabitation avec les animaux d'élevage ! Néanmoins, à nouveau, les nuisances sont finalement peu importantes. Mettons de côté les situations où l'animal représente un danger pour l'homme, dans la mesure où une surveillance de l'animal et une mise en garde envers l'enfant et l'adulte suffisent à éviter les situations les plus accidentogènes. Demeurent alors les nuisances attribuées à l'animal d'élevage, en particulier, les déjections. Trois remarques peuvent être faites. Premièrement, un service de nettoyage peut éliminer de la rue une bonne partie des déjections. Deuxièmement, il y a peut-être un travail important d'information et de prévention à réaliser pour faire comprendre que les déjections animales ne sont pas forcément sales. D'ailleurs, celles de certains animaux d'élevage, comme la chèvre et le mouton sont peu odorantes et discrètes, aussi ne constituent-elles pas la même gêne que celles du chien. Troisièmement, pourquoi ne pas valoriser les déjections animales en changeant radicalement l'environnement urbain. Dans une rue végétalisée, la déjection animale fertilise le sol. Ne faut-il pas alors reprendre le problème à la racine, pour ainsi dire... ?

Cependant, force est de reconnaître que la cohabitation avec les plantes qui poussent dans les rues ne va pas toujours de soi ! Les chèvres par exemple peuvent s'attaquer à des rosiers ornementaux. Mais de nouveau, tout est affaire d'équilibre ! Et si la réinsertion de l'animal en ville peut le bousculer temporairement, on peut espérer qu'il se reconstituera rapidement.

Enfin, comment assurer une bonne cohabitation entre l'animal et la voiture ? En fait, ce n'est pas si compliqué ! La plupart des animaux d'élevage peuvent emprunter les circuits piétonniers.

En définitive, il est certain que pour réinsérer l'animal dans la rue, des aménagements urbains d'appoint sont nécessaires, même si les circuits déjà existants, tels que les pistes cyclables, les circuits piétonniers et les routes où la circulation automobile est peu dense, suffisent largement à combler leurs besoins. Rêvons un peu... Et imaginons des villes dotés d'aménagements facilitant le repos et la circulation des animaux : des abreuvoirs notamment, et pourquoi pas, des aires de broutage !

Les friches et espaces « semi-naturels » privés ou publics, les jardins publics et les espaces verts

Si l'espace urbain est aujourd'hui fortement bétonné, minéralisé, la nature parvient encore à se glisser dans de nombreuses interstices. C'est ainsi qu'en ville, les espaces en friche sont en réalité encore très nombreux. De plus, certains parcs comportent d'importantes zones où les services des espaces verts n'interviennent qu'assez rarement. Enfin, les frontages, les ronds-points, les accotements, les talus, les bords de canaux, constituent autant d'espaces où les animaux d'élevage peuvent effectuer un travail d'écopâturage.

On voit difficilement quelles objections peuvent être faites à l'encontre de l'introduction des animaux dans ces espaces verts. D'autant plus que la mise en oeuvre est très simple. Un troupeau y est amené ponctuellement pour brouter la végétation. Le troupeau y est bloqué par des filets mobiles. Une fois le terrain « nettoyé », le troupeau passe à un autre terrain. Pour une efficacité optimale, le passage des animaux doit être régulier, de façon à ne pas trop laisser la végétation se développer.

Les lieux occupés par des établissements (EHPAD, Universités, entreprises, etc.)

L'avantage de ces lieux est qu'ils sont très souvent clôturés. L'introduction d'animaux d'élevage y est alors grandement facilitée. La mise en oeuvre ne présente guère de difficultés, si ce n'est d'obtenir l'accord de l'établissement qui gère le lieu !

Favoriser l'élevage participatif !

Différentes modalités d'appropriation et de gestion des animaux

Nous avons vu plus haut qu'on pouvait distinguer l'élevage de faible dimension, ainsi que l'élevage extensif, de l'élevage industriel et de l'élevage intensif. Cette distinction repose principalement sur deux critères : la taille et les techniques d'élevage. Mais elle ne tient pas compte de deux autres critères fondamentaux en ce qui concerne l'élevage urbain : les modalités de gestion et d'appropriation des animaux d'élevage

On peut définir sur la base de ces critères plusieurs modalités d'élevage ou d'agriculture.

Mode d'appropriation \ Mode de gestionPas de gestionGestion publique ou collectiveGestion privée
Pas de propriétéSystème chasseur-cueilleur traditionnelChasse ou pêche réguléeLâcher d'animaux par des particuliers
Propriété publique ou collectiveParcelles publiques en friche volontaire ou involontaireJardins participatifs, jardins libres, troupeaux participatifsDébroussaillage écologique réalisée par une entreprise
Propriété privéeChasse privéeTroupeaux participatifsElevages domestiques ou industriels conventionnels

Dans le cas le plus simple, il n'y a ni gestion, ni propriété. Ce cas n'est pas purement théorique puisqu'il décrit assez bien la situation qui règne dans les eaux internationales, bien qu'il ne s'agisse alors plus d'élevage à proprement parler ! Sur terre, cependant, entre l'absence totale d'intervention sur une population animale et l'intervention hyper-rationnelle et absolue des élevages industriels, s'échelonne une large variété de modes d'élevage, allant de la semi-culture, à l'agriculture naturelle de Masanobu Fukuoka23, en passant par les chasses privées, l'élevage domestique et l'élevage biologique. La frontière entre l'agriculture et la cueillette est alors relativement floue.

On notera qu'à chaque configuration correspond un panel d'espèces adaptées. A la chasse et à la pêche régulée correspondent des espèces bien précises : truite, faisans, chevreuils, etc., sur lesquelles on applique des stratégies collectives de contrôle de la population. On peut en dire de même de l'élevage domestique et industriel conventionnels, qui reposent sur la propriété privée des moyens de production et des animaux et une gestion privée de la population animale, dont les espèces dominantes sont des animaux d'élevage au profil génétique bien particulier.

Dans cette optique, certaines espèces se prêtent sûrement mieux que d'autres à un élevage domestique. La poule, par exemple, qui nécessite assez peu de soins, d'espaces et de moyens - et qui peut même vivre en semi-autonomie dans les rues de villes de banlieue où la densité d'habitation est faible. Ce qui n'empêche pas, naturellement, la conduite de ces espèces sous la forme d'un élevage participatif. A ce titre, les initiatives de poulailler ou de clapier participatifs ou collectifs se multiplient en France24. Mais certains animaux requièrent davantage d'espace, de régulation et de moyens, et il semble alors indispensable d'envisager une mutualisation des moyens en favorisant par exemple la mise en place d'un troupeau participatif.

Qu'est-ce qu'un troupeau participatif ?

On peut définir dans un premier temps un élevage participatif comme un regroupement d’animaux d’élevage dont la « gestion participative » est réalisée par des êtres humains et des animaux auxiliaires.

Telle quelle, la définition est cependant trop vaste, elle englobe de nombreux systèmes « animaux-humains » possibles, il faut donc en préciser les contours.

Tout d’abord, le concept de regroupement inclut aussi bien des animaux dispersés dans plusieurs lieux d’élevage qu’un élevage ou un « troupeau » proprement dit, c’est à dire une agrégation plus ou moins naturelle d’animaux appartenant en général à la même espèce. Pour poser les limites de l’élevage ou du troupeau, il faut alors prendre en compte des critères « naturels » (regroupement spatial, liens récurrents et approfondis entre les animaux, identité et espèces des animaux, etc.), des critères institutionnels (présence d’une association gérant un groupe d’animaux, propriété privée ou commune d’animaux, etc.) et des critères humains (le groupe des personnes qui s’occupe des animaux). Devant la diversité des situations possibles, on ne peut guère espérer mieux que de définir un idéal-type de l’élevage ou du troupeau en s’appuyant sur des formes déjà existantes.

Ensuite, un vaste panel de modalités d’élevage sont possibles selon cette définition. Comme nous l’avons vu plus haut, nous avons toutefois choisi de limiter notre approche à des élevage de faible dimension qui tendent vers une modalité d’élevage « douce » et respectueuse des besoins naturels de l’animal.

Enfin, que faut-il entendre par gestion participative ? D’une part, il doit y avoir gestion, c’est à dire, intervention humaine dans le fonctionnement, la vie, l’évolution du troupeau. D’autre part, cette gestion doit être participative ; c’est à dire, qu’elle doit maximiser les possibilités de participation volontaire des usagers dans cette intervention. Dans l’idéal, l’usager n’est alors plus un simple consommateur. C’est un acteur de la gestion du troupeau qui intervient directement et activement dans le processus d’élevage.

Selon quelles modalités ? Il existe à cet endroit un large spectre d’engagements possibles. Retenons deux critères.

Le premier mesure le niveau d’engagement possible de l’usager dans les différentes étapes, actions, processus d’élevage, et plus généralement, de satisfaction des besoins alimentaires. Imaginons alors un spectre qui s’échelonne en fonction des niveaux d’engagement possibles.

  • Tout à gauche du spectre, l’usager est un consommateur entièrement passif, qui reçoit par le biais d’un outillage médical (perfusion), des éléments nutritifs partiellement issus de l’agriculture.
  • Un peu à droite, vient le cas d’une personne physiquement dépendante qui nécessite de l’aide pour ingérer des aliments (artificiellement transformés ou non).
  • Encore à droite, le consommateur a la capacité de se nourrir et de choisir son alimentation, mais il n’intervient ni dans le processus d’acquisition ni dans celui de la transformation des aliments. Par exemple, il se restaure en faisant appel à un traîteur ou à un tiers. On notera alors que son choix et ses possibilités sont limités par des contraintes relatives aux ressources qui sont en sa possession : il doit payer quelqu’un ou recourir au don.
  • Au centre du spectre se situent les usagers qui détiennent davantage de possibilités d’engagement : ils peuvent se fournir en aliments en les achetant ou en les collectant gratuitement et les transformer (cuisine et conservation) et les assimiler à leur guise.
  • Un peu à droite du spectre, le niveau d’engagement possible monte d’un cran avec la capacité d’intervenir très partiellement sur la production et la distribution. Par exemple, en récoltant les fruits directement à la ferme. Toutefois, la liberté d’action est généralement encore limitée, dans la mesure où la participation à la collecte est très étroitement surveillée et encadrée. Dans les AMAP, le gain de participation possible concerne surtout le processus de distribution.
  • Encore à droite, le niveau d’engagement possible devient nettement plus conséquent, l’usager peut agir dans de nombreuses étapes du processus productif et dans les différents usages possibles de l’animal ou du végétal, toutefois, il demeure encore passif au sens où il ne dispose pas de possibilité de contrôle sur les modalités d’action. Il est intégralement ou partiellement dirigé. Il dispose d’une capacité d’action moindre et ne peut participer aux prises de décision qui concernent l’orientation des actions qu’il peut réaliser.
  • Enfin, à droite du spectre, le niveau de participation possible est maximisé. L’usager devient « éleveur-usager », et il peut participer librement à toutes les étapes du processus et à toutes les décisions collectives qui concernent la gestion technique, financière et organisationnelle du troupeau.

Le deuxième critère concerne les modalités organisationnelles et sociologiques de la participation. Il est important de remarquer que celles-ci ne dépendent pas nécessairement (même si des corrélations pourraient sûrement être observées) du niveau de participation possible. Une coopérative d’achat peut être gérée de manière très démocratique, alors que le niveau de participation est plutôt faible, tandis que le modèle du kolkhoze permet une participation plus forte, au moins interne, mais repose, semble-t-il, sur un modèle davantage autoritaire.

On peut appréhender cette réalité en analysant le concept de « possibilité » de participation. Décrire ce qui définit le pouvoir de participation, c’est indirectement brosser un tableau de la structure organisationnelle. Plusieurs éléments constituent en effet ce pouvoir :

  • En premier lieu, la liberté de participer sans y être contraint par un tiers. On peut ainsi éliminer les organisations coercitives qui, notons-le, constituent historiquement une forme primitive d’agriculture.
  • Le libre-accès et la gratuité des ressources et outils nécessaires à l’activité. Par libre-accès, il faut entendre la possibilité d’accéder aux ressources nécessaires à la réalisation de l’activité. Ce pouvoir dépend en partie de déterminants techniques et matériels, comme le partage de savoir-faire, les capacités physiques, l’existence d’outils, etc. Il va par exemple de soi que la participation à une activité agricole n’est possible que si des terres ou des animaux sont physiquement présents !
  • La liberté de réaliser l’activité d’une certaine manière.
  • La liberté de participation aux décisions collectives.

Dans une organisation que l’on qualifiera de « participative », ces pouvoirs, ou libertés, sont maximisées. A l’inverse, dans une organisation que l’on qualifiera de « coercitive », ces pouvoirs, ou libertés, sont minimisés.

Un troupeau participatif idéal-type, à ce titre, revêt les caractéristiques suivantes :

  • La participation aux activités de gestion, ou plus généralement, l’usage des produits qui en « émanent » n’est pas obligatoire et aucune obligation ne pèse dessus – comme une obligation latente de travailler pour assurer sa pitance !!
  • L’accès aux outils, aux ressources et aux produits nécessaires à l’activité de gestion et d’utilisation du troupeau est facile, gratuit et libre.
  • La gestion et l’usage du troupeau peuvent se faire selon des modalités très libres.
  • Les décisions relatives à la gestion du troupeau sont prises collectivement.

La mise en œuvre concrète

Concrètement, un élevage participatif offre donc à tous les usagers intéressés, la possibilité d'intervenir directement dans les multiples activités de l'élevage.

Mettons de côté pour l'instant, les problèmes juridiques posés par une telle participation, pour se focaliser sur le fonctionnement concret, d'un point de vue humain et technique, d'un tel troupeau.

D'abord, et c'est un problème qui est loin d'être trivial, la participation des usagers à la gestion du troupeau nécessitent que ceux-ci disposent d'informations sur celui-ci ! Notamment :

  • Sa localisation. Même dans le cas d'un troupeau sédentaire, la transmission de cette information n'est pas simple. Il importe en effet de faire connaître l'existence du troupeau dans une ville, ce qui nécessite un travail de communication non négligeable. Le problème est accentué quand le troupeau se déplace ou se divise pour répondre, par exemple, à des besoins de débroussaillage.
  • Ses besoins, son état et les activités nécessaires à sa gestion. Par exemple, son état de santé, les actions qu'il faut entreprendre pour mettre le troupeau en sécurité, etc.
  • Les usages possibles qu'on peut en faire. Par exemple, quand est-il possible de traire les chèvres ? Pour un poulailler participatif, combien d'œufs sont disponibles par jour ?
  • Le cadre juridique et les règles formelles que les usagers doivent respecter pour participer à la gestion du troupeau.

Diffuser convenablement l'information aux personnes intéressées n'est pas une mince affaire ! Et de ce point de vue, les NTIC peuvent s'avérer de précieux alliées. Créer une liste de discussion, un wiki, un groupe sur un réseau social, permet de maximiser la participation des usagers à la gestion du troupeau. D'autre part, il ne suffit pas de diffuser l'information, il faut également l'enrober de façon à ce qu'elle suscite l'envie de participer !

Ensuite, se pose la question de l'organisation de la participation concrète à la gestion du troupeau. Trois points sont cruciaux.

Le premier est l'organisation technique du partage. Il s'agit de déterminer, par exemple, les horaires de traite, les personnes chargées de coordonner la gestion, etc. Techniquement, ceci correspond à un travail d'encadrement, dont on cherche à maximiser les aspects démocratiques et participatifs.

Le deuxième est qu'une gestion de troupeau s'inscrit dans un environnement juridique contraignant. Se posent en particulier les problèmes de sécurité pour le propriétaire du troupeau et les usagers. En particulier, il faut savoir qu'en France, le don et la vente de produits animaux sont très réglementés. Il en va de même pour la réalisation d'ateliers de découverte des activités d'élevage. Prenons la traite, par exemple. Comment permettre à plusieurs personnes de réaliser la traite directement sur place, lorsqu'un troupeau transhume ou est en mission de débroussaillage ? Il est très difficile de demeurer dans la légalité. La réglementation sur les ateliers pédagogiques est très contraignante et ne parlons même pas de celle qui pèse sur la distribution de produits alimentaires animaliers. Une solution de contournement pourrait être de scinder le processus de traite / utilisation du lait en sous-processus :

  1. Prêt des chèvres, gratuit ou non, avec contrat en bonne et due forme.
  2. Activité de traite commune avec apprentissage horizontal - les plus forts enseignent aux moins forts et il n'y pas d'animateur (il s'agit simplement d'échange de savoir-faire). On se contente alors de proposer une activité de traite en commun.
  3. Activité commune de transformation alimentaire : ateliers fromages, confiture de lait, etc. Chacun amène son lait ou on utilise le lait des chèvres mais il n'y a pas de dégustation.
  4. Organisation d'échanges (don, prix libre, annonces, etc.) de produits transformés à base de lait entre membres de l'association. Aux risques et périls de chacun !!
  5. Repas partagés avec des produits laitiers.

Chaque processus étant considéré comme une activité séparée, avec des horaires et des lieux propres, l'organisation qui chapeaute un troupeau participatif, comprenant un ou plusieurs propriétaires d'animaux, se décharge d'une partie de ses responsabilités sur les usagers ou les propriétaires. Elle se cantonne alors à un transfert de la responsabilité sur l'usager grâce au prêt, à la location ou la vente, ou à un rôle d'intermédiaire.

Troisième point problématique, la redistribution et l'échange des éventuels produits ou services liés à l'activité de gestion du troupeau. Celles-ci devant obéir à un soucis d'équité et d'accessibilité, tout en tenant compte de la contrainte du financement. En d'autres termes, quels services et produits vont être payants, accessibles à tous, partagés ? La gestion d'un troupeau a en effet des coûts et génère des produits qui peuvent être monnayés pour y subvenir. Actuellement, le développement du débroussaillage écologique et de l'écopâturage, dont on reconnaît les nombreuses qualités, permettent en partie de rentabiliser la gestion d'un troupeau participatif, tout en offrant aux usagers la gratuité, ou du moins la quasi-gratuité, d'une large gamme de services. Mais la principale leçon que l'on peut tirer de cette évolution plutôt récente, est que la notion de coût et de services sont toutes relatives. Loin de s'inscrire dans une relation figée, techniquement déterminée, elles s'insèrent dans une interaction, dans un échange, dont le sens, la représentation des bénéfices, des coûts et des effets supportés par chacun, peuvent sans cesse être questionnés, négociés. Ils évoluent dans le temps, géographiquement et dans l'espace social, au sens où l'échange n'a pas toujours la même "direction". L'activité de pâturage d'un troupeau peut être perçue, et se transformer tout à tour, comme un service de débroussaillage qui profite au propriétaire du terrain, comme un échange de bons procédés qui profite à la fois au propriétaire du terrain et au propriétaire du troupeau, comme un service rendu au propriétaire du terrain, qui doit à ce titre louer le terrain pour profiter de la végétation qui s'y trouve.

Pris sous cet angle, le sens d'un échange, sa nature, n'est jamais inscrit dans le marbre. Et la valeur, le sens de toutes les étapes du processus d'élevage sont à priori indéterminés. La traite peut être perçue comme un coût, comme une charge, mais elle peut aussi revêtir tous les aspects d'une activité ludique et pédagogique passionnante.

Notes

1 Voir par exemple, Sophie Chapelle, « Quand l'agriculture paysanne arrive au coeur des quartiers populaires », Basta !, 18 janvier 2012., ou encore le site transition verte qui présente des exemples de fermes urbaines high-tech.

2 Tiphaine Illouz, Les animaux dans la ville, Réalité et outils pour une meilleure prise en compte, Sciences Po, Janvier 2009.

3 A propos du chien, voir cet article.

4 On pourra consulter sur le sujet : Leblanc Nathalie. La place de l'animal dans les politiques urbaines. In: Communications, 74, 2003. Bienfaisante nature, sous la direction de Françoise Dubost et Bernadette Lizet. pp. 159-175. ainsi que son ouvrage Leblanc Nathalie, Les animaux et la ville, Odile Jacob, Paris, 2000. Voir également Matthieu Tétard, Le sauvage dans la ville. Une approche sociopolitique de la biodiversité urbaine., IEP de Toulouse, 2012.

5 Voir par exemple : Audrey Chauvet, Les bêtes sauvages gagnent les villes, 20 minutes, 12 février 2013. ; Usbek & Rica, La ville sauvage : l’exode urbain des animaux, 25 juin 2013, Demain la Ville ; Nathalie Jollien, Perruches, les dessous d’une invasion, Le Temps, 21 octobre 2016.

6 Voir par exemple ce témoignage: Emmanuelle, « Quito : Des chèvres en ville », ''Viventura', 06 mars 2008.

7 Comme le souligne François Léger, « L'important, c'est la rupture cognitive et culturelle que cette réintroduction des animaux dans la ville représente. La relation des urbains à la nature, qui a longtemps été vécue sur le mode de l'éradication de l'autre, est reposée. Les animaux ont maintenant leur place dans la ville, en remplaçant la mécanique. La cohabitation est possible. », cité dans Audrey Garric, « Des moutons pour tondre en ville, vrai gain pour l'environnement ? », Le Monde, 12 avril 2013.

8 On aurait tort à cet égard, d'affirmer que cette évolution a été « naturelle » et serait par là-même irréversible ou inévitable.

9 Sur la place historique de l'animal dans la ville, on peut consulter pour introduction : Hodak Caroline. Les animaux dans la cité: pour une histoire urbaine de la nature. In: Genèses, 37, 1999. Sciences du politique, sous la direction de Stéphane Beaud. pp. 156-169.

10 Le terme est-il trop fort ? Lire par exemple cet article édifiant « Elevages industriels et canicule: cet enfer que vivent les animaux jusqu'à l'abattoir, LaLibre.be, 07 août 2018. ».

11 Domination sans partage d'un mode de production ou d'un produit industriel pour la satisfaction d'un besoin, comme le transport, l'alimentation, etc.

12 On pourra lire sur le sujet, Sophie Chapelle, « Ces normes pensées pour l’élevage industriel et qui détruisent le monde paysan », Basta !, 19 mai 2017.

13 Voir par exemple, Sophie Fabrégat, « Bretagne : la réduction de l'impact des élevages porcins reste insuffisante », Actu Environnement, 27 septembre 2010. Il est à noter par ailleurs, que les périodes de très fortes concentrations d’une même espèce sur un territoire, peuvent aussi survenir dans des écosystèmes naturels (invasion de criquets, par exemple) fragilisés par l’agriculture intensive. Les conséquences en sont alors parfois catastrophiques !

14 Voir par exemple, « Thérapie canine en maison de retraite », Cap retraite, 25 février 2008 et Jean-Louis Cordier, « Trois petites chèvres dans une maison de retraite périgourdine », Sud-Ouest, 29 septembre 2014.

15 Voir par exemple « IMMUNITÉ – Les chiens protégeraient les bébés de certaines maladies », Big Browser, Le Monde, 9 juillet 2012.

16 Voir par exemple Elise Descamps, « Un chien en maison de retraite, c'est bon pour le moral! », Notre Temps, 11 février 2015.

17 Voir par exemple « L’élevage de poules en ville », Eco Quartier Strasbourg, 11 octobre 2013; Emmanuel Perrin, « Les poules, plus efficaces qu’un composteur ? », , Gentside Découverte, 24 octobre 2010; « La ville de Rezé distribue 80 poules et 40 poulaillers aux habitants », Ouest-France, 06 juin 2017.

18 Un texte intéressant pioché sur Internet, La vache en Inde, énumère par exemple les différentes fonctions de la vache en Inde, dont certaines sont assez inattendues. On y apprend par exemple que l'urine de la vache sert de désinfectant grâce à ses propriétés antibiotiques et fongicides ainsi que de shampoing. De même, la bouse de vache est utilisée comme combustible, et on sait par ailleurs qu'elle sert à la fabrication de torchis et de briques pour la construction. Enfin, elle a son utilité dans les pratiques agricoles et maraîchères, en tant qu'engrais et transports de charges.

19 Voir par exemple sur l'élevage urbain au siècle dernier, Les chèvres en ville, un recueil de photos des chèvres à Paris au début du XXe siècle.

20 Elevage réalisé en extérieur, sans apports alimentaires externes et avec une faible densité d'animaux. Voir « Élevage extensif », Wikipédia, l'encyclopédie libre, 05 mai 2017. Page consultée le 07 juin 2017 à 07:51.

21 Voir « Le poussin et le canard. », Wikipédia, l'encyclopédie libre, 21 février 2015 à 18:47 UTC, consulté le 07 juin 2017 à 08:06.

22 Voir par exemple, Hand Kurtis, « Une poule dans votre appartement : Bonne ou mauvaise idée ? », Poulailler pas cher, 17 octobre 2014. Consulté le 07 juin 2017 à 11:45.

23 Masanobu Fukuoka, L'agriculture naturelle : art du non-faire, Paris, Ed. de la Maisnie, 1989.

24 Quelques expériences sont ou ont été tentées à Rhinau (67), Nantes (44), Lavelanet (09), Puivert (11), Pantin (93), Saint-Denis (93), Hatrize (54), Mandagou (30), Sergeac (24), Paris (75), etc. On peut lire notamment sur le sujet, Créer un poulailler collectif

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