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Information grise et matière grise

Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2008
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 05 février 2016 / Dernière modification de la page: 20 avril 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé: Article rédigé en 2007, 2008 (environ). Je le pensais en ligne, mais non, finalement...






Introduction

L'énergie grise se définit comme la quantité d'énergie nécessaire1 à la production, à l'échange, à la consommation (dont l'entretien) et à la destruction (ou au recyclage) d'un bien ou d'un service. Cette notion sert à comparer l'impact écologique de différentes technologies. Par exemple, construire un mur avec de la terre et de la paille nécessite peu d'énergie grise, à l'inverse d'un mur en ciment et en parpaing. En effet, pour être produit, le ciment consomme beaucoup d'énergie; la paille et la terre, nettement moins. Le transport, la transformation, la production de la matière première utilisent peu d'énergie. Naturellement, les comparaisons sont intéressantes pour des biens de même nature, ayant des qualités à peu près équivalentes, ou remplissant des fonctions similaires; ou encore pour des activités identiques mais pouvant être accomplies selon différentes « modalités ». Ainsi, dans l'exemple précédent, à qualité d'isolation égale – admettons –, le mur en parpaings consomme plus d'énergie grise que le mur de paille,

Je trouve ce concept positivement génial. Il est « simple », « profond » et « économe ». Simple car il est facilement compréhensible. Je l'ai compris en regardant « c'est pas sorcier » sur France 3, donc j'ai pas eu à me prendre la tête pendant 10 ans. Profond car il dévoile tout un pan de la réalité économique qui, sans lui, resterait dans l'ombre. Économe car il le fait avec peu de moyens. Il est de plus « extensible » et « transposable ».

Extensible, car les unités de mesure peuvent être remplacées. Par exemple, en mesurant non plus l'énergie, mais la quantité de travail nécessaire à la réalisation et à la consommation d'un bien ou d'un service. On obtient alors la notion de travail gris. Notons que cette notion n'a rien d'extraordinaire. Elle a très certainement son équivalent en économie. Son intérêt est surtout qu'elle sort du cadre de l'économie marchande. Par exemple, la notion de travail fantôme d'Illich2, correspond à une forme de travail gris. Bien sûr, comme la notion de travail est assez complexe, on pourrait affiner la variable. En mesurant par exemple le nombre de personnes nécessaires à la production et à la consommation d'un bien, le type de coordination nécessaire pour produire un bien3, le niveau de dépendance par rapport à d'autres activités4, le degré de raccordement au système technique, etc. On peut aussi tenir compte de la quantité de pollution émise, et non plus seulement de la dépense énergétique. Ce qu'on peut appeler « pollution grise ». Ce concept est fort intéressant, car il permet de s'apercevoir que certaines technologies sont peu polluantes à la consommation, mais très polluantes à la production. Or, c'est bien utile quand vous souhaitez isoler une maison. Une autre unité de valeur qui me paraît fondamentale, est l'énergie et le travail dépensés pour contrôler, produire, détruire, stocker et diffuser l'information, la matière grise, le savoir-faire qui est nécessaire à la production, à la consommation et à l'échange d'un bien ou d'un service. Appelons-là l'information grise. J'y reviendrai, puisque c'est le but de cet article...

Il faudrait tenir compte des économies d'échelle. Je suppose par exemple que pour certains biens, l'énergie nécessaire à la production d'un bien supplémentaire, dans une unité de production, diminue au fur et à mesure qu'on augmente le niveau de production. Dans le même ordre d'idée, on pourrait tenter d'établir des relations entre les différentes variables vues plus haut. Par exemple, l'énergie grise est-elle inversement proportionnelle au travail gris, comme on pourrait le croire ? Du moins, à priori ?

Il peut être utile de mettre en évidence les différentes composantes de l'énergie grise. Par exemple, l'énergie affectée au transport des biens, à la transformation des matériaux, au transport des personnes affectées à la production, etc. Ce qui peut être fort utile pour effectuer des comparaisons.

Il faut bien tenir compte de la consommation, à la circulation, à l'entretien, à la « fertilité », à la reproduction, à l'échange et à la destruction du bien. Donc de la nature du bien en question. Je m'explique. La quantité d'énergie qui va être nécessaire à l'entretien d'un bien, ou à sa consommation va varier en fonction du type de bien. De même, la quantité d'énergie nécessaire pour se procurer le bien sur le marché peut varier du tout au tout. Dans ces conditions, l'échange du produit ou du service a un certain coût. Notons bien entendu que cela va aussi dépendre de la technologie mise en place pour assurer l'échange et la circulation du bien. Par ailleurs, une fois la production effectuée, il existe tout un ensemble de paramètres qui vont intervenir, durée du produit, coût nécessaire à son entretien, amortissement du bien, etc. D'autre part, certains biens ont la particularité de « produire » des services ou des biens, dans le processus de consommation. On peut dire qu'ils sont « fertiles ». Par exemple, un animal ou une plante peuvent se reproduire, mais cela demande parfois une certaine énergie. Trivialement, la quantité de travail gris nécessaire à la reproduction assistée chez les bovins est plus élevé que celle nécessaire à la reproduction naturelle. De même, la cueillette sauvage est souvent plus économe en travail gris, en énergie grise et en pollution grise, que l'entretien d'un potager, alors que le résultat est à peu près identique. En revanche, s'agissant de l'information grise, la comparaison est plus difficile... Dernier point, si on se penche désormais sur la pollution grise, elle varie souvent en fonction de la consommation du bien. La pollution grise est élevée pour l'utilisation d'une voiture, mais faible pour l'utilisation d'un vélo. Notons que la difficulté conceptuelle à cet endroit, c'est que la « consommation » d'une voiture entre bien souvent dans un processus de production. Pour bien faire, il faudrait mieux raisonner avec la notion d'activités, plutôt que celle de consommation et d'échange. Le modèle de marché embrouillant inutilement l'esprit. Et je suis d'accord avec Illich quand il affirme, « à date assez récente, la distinction orthodoxe entre les fonctions de production et de consommation a cessé d'être soutenable »5. Même si il le fait pour des raisons différentes des miennes. Pour simplifier, certaines activités (pêche, marche, transport, langage) ont en effet un impact sur d'autres activités, notamment parce qu'elles leur fournissent des outputs qui circulent et sont transformés. Dans ce processus, tout est production. Au mieux peut-on parler de destruction / transformation / création / circulation de certains biens et services. En sachant que la circulation peut se faire d'un individu à un autre, d'une activité à une autre, d'un lieu à un autre, etc. En bref, dans la suite, je mélange donc consommation intermédiaire, production et consommation finale. Même si de temps en temps, je réintroduis la distinction parce que ça m'est utile et parce que ça me plaît.

Le concept d'énergie grise est donc plus compliqué qu'il en a l'air. Mais les possibilités qu'il offre sont à proprement parler hallucinantes ! Je vais le montrer en le rattachant au domaine de la matière grise – que j'ai collé dans le titre pour que ça fasse beau... Il y a plein de côtés sympas à introduire la notion d'information grise rarement prise en compte dans les mesures actuelles. Vous allez me dire, mais que vient faire l'énergie grise là dedans ? Et bien je vous avouerai que pour l'instant j'en sais trop rien, mais je suis sûr qu'au fur et à mesure, ça va venir... Je vous mijote une petite surprise – d'ailleurs si vous lisez cette partie, ça veut dire que je ne l'ai pas effacé, et donc que j'aurai atteint mon objectif... c'est vachement dickien ça comme concept...

L'information grise.

Je définis l'information grise comme une composante de l'énergie grise. Le concept existe déjà sûrement, mais comme je n'ai pas super envie de me coltiner toute la littérature alternative – souvent imbuvable – sur le sujet pour le vérifier..., je m'excuse pour le lecteur de lui infliger un concept redondant. Mais bon, il n'a qu'à changer le mot, et c'est réglé. Sous OpenOffice, il n'y a qu'à faire Ctrl + F et remplacer la locution; sous Word, il n'y a qu'à changer de logiciel. Pour l'inventeur du concept, je ne me sens pas obligé de lui présenter mes excuses. On est pas propriétaire des idées, et les normes oppressives du milieu universitaire et intellectuel, je ne les applique que quand j'ai un glaive au dessus de la tête. On est déjà suffisamment emmerdé par les droits d'auteurs, copyright, accusation de plagiat et autres règlements en faveur de la propriété intellectuelle, alors si j'ai pas de contraintes légales, je vais pas me fatiguer à respecter les coutumes des mandarins arriérés ou des jeunes loups du milieu universitaire... Pour sûr ! Je vais pas me gêner ! Mais bon, venons-en au fait. L'information grise peut se définir comme la quantité d'énergie et de travail qu'il faut dépenser pour produire, diffuser, contrôler et consommer l'information nécessaire à la réalisation d'une activité. Vous remarquerez, car ça n'a pas pu échapper à votre brillant esprit d'analyse, que j'ai employé la locution assez vague de réalisation d'une activité. Je l'ai fait pour inclure aussi bien la production que la consommation et l'échange. Et aussi parce que c'est plus court à écrire. Bon. Mais tout ça se comprend assez vite. En revanche, le premier bidule est moins clair. Comment définir la production, la diffusion, le contrôle et la consommation d'informations dont il est question ?

Je vais prendre un exemple pour tenter d'y parvenir. Supposons qu'à cause d'une satanée gastro-entérite, vous décidiez d'aller chez le médecin vous faire soigner. Celui-ci vous ausculte, établit son petit diagnostic, vous fait la causette, fait mine de ne pas faire attention au chèque que vous lui donnez et confie à vos bons soins une ordonnance qui vous autorise à aller enrichir le pharmacien du coin. Tout émoustillé qu'il ne vous ait pas diagnostiqué un cancer du colon bien mal engagé, vous allez chez l'apothicaire, en sortez avec votre poche de pilules, vous soignez et repartez du bon pied deux ou trois jours plus tard. Question : quelle est la part d'information grise consommée dans cette « scène de la vie quotidienne » ? Pour le comprendre, je pense qu'il faut décomposer analytiquement cet acte médical en deux activités distinctes. Tout d'abord, il y a l'« activité matérielle » proprement dite. Pour aller vite, on peut dire qu'il s'agit de la production de la pilule, de sa distribution et de sa consommation. Jusqu'ici, on est dans le « très classique ». Et indéniablement, je suis sûr que vous serez d'accord avec moi – sinon, je vous conseille d'arrêter la lecture de cet article, il faut pas me chercher... –, l'énergie grise produite dans cet acte médical est nettement plus élevée que si vous aviez fait confiance à la médecine populaire, et que vous aviez été vous cueillir quelques herbes dans les champs pour soulager votre diarrhée passagère – mais non moins handicapante. Certes. Et le bilan n'a pas fini de s'alourdir... Car il faut aussi tenir compte d'une autre activité mieux dissimulée, composée en arrière-plan d'activités très diverses : remboursement de vos soins, administration nécessaire à ce remboursement, diagnostic médical, ordonnance, formation du médecin et du pharmacien, armature juridique pour s'assurer que le « circuit » médecin / ordonnance / pharmacien est à peu près « étanche » et protégé, brevets sur le médicament, recherche et développement pour produire le médicament, marketing, administration, coûts d'administration nécessaire (du moins à ce qu'en disent les patrons) au fonctionnement de la firme qui produit et commercialise le médicament, répression des fraudes et de la contrebande pour s'assurer que le médicament n'est pas une noisette enrobée de chocolat, politiques de santé (éventuellement), politique d'éducation pour faire en sorte que le client sache comprendre une prescription – qu'il sache lire notamment –, analyses médicales, secrétariat médical, dossier médical, paiement, transfert de monnaie, etc. Je pense qu'on est tous d'accord sur le fait que toutes ces activités ont pour objectif de canaliser, évaluer, détruire, produire, contrôler de l'information – sinon je vous rappelle que la porte est ouverte car je déteste être contredit. Peu importe si la finalité de ce contrôle de « biens immatériels » est d'assurer in fine une circulation adéquate de « biens matériels », concrétisée par le circuit réel usine / pillule / pharmacie / bouche / WC, et ayant une contre-partie monétaire, qui assure indirectement une redistribution des pouvoirs dans l'économie – donc qui influe sur la circulation réelle des biens. Peu importe, car le fait est que ces activités sont des activités qui visent à contrôler de l'information. Ou, plus exactement des « biens immatériels ». Pour simplifier, et éviter d'avoir à redire à chaque fois, activités qui visent à contrôler, produire, canaliser, détruire, diffuser de l'information, je vais donc les appeler « activités immatérielles », en opposition aux « activités matérielles ».

Bon, et bien voilà une bonne chose de faite. Maintenant, question cruciale. Ces activités immatérielles constituent-elles une grosse composante de l'énergie grise ? Je crois que mon exemple est quand même assez parlant... Pas besoin d'y aller par douze chemins. À l'évidence oui ! Je sais bien que pour s'en convaincre, une petite étude statistique serait préférable. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Prenons le cas du diagnostic médical. Le diagnostic est, même si il est assez troublant de le voir ainsi, une activité immatérielle. Le médecin a accumulé des connaissances, une méthode et une grille d'analyse, et fait sa petite recherche dans son cabinet pour arriver à produire une information. Il est évident que cette activité immatérielle utilise de l'énergie, qu'elle nécessite une certaine part de travail rémunéré, pour le médecin, et de travail fantôme pour reprendre le concept d'Ivan Illich, pour le client. Mais, la quantité d'énergie grise nécessaire pour parvenir au résultat final peut varier du tout au tout, notamment si on introduit la notion de composante énergétique. Elle varie par exemple en fonction de la méthodologie utilisée, du transport, des technologies. Pour aller vite, un chamane qui vous diagnostique un envoûtement et qui tente de vous guérir à distance en brûlant des herbes magiques, est économe en énergie grise ! Inversement, un médecin scrupuleux, qui vous fait passer une batterie de tests et d'analyses médicales, qui vous fait faire quatre aller-retours, avant de vous envoyer chez un spécialiste – son vieux pote de fac de médecine qui a mieux réussi que lui – n'est pas très, très économe. Parce qu'à chaque aller-retour, n'oublions pas que c'est une grosse machine qui se met en route : paiements, remboursements, etc., comme vu plus haut. L'information grise est donc nettement plus élevée chez le médecin classique que chez le chamane. Et je dirai qu'en règle générale, si l'on compare les sociétés de subsistance aux sociétés industrielles, la plupart des activités sont plus économes en information grise quand elles sont réalisées dans des sociétés de subsistance. Ce qui est probablement une affirmation parfaitement gratuite, mais qui me fait plaisir, donc je la case ici à la relecture.

L'information grise est donc une grosse composante de l'énergie grise. Pour aller chez le médecin, vous avez dû prendre votre voiture si vous habitez à la campagne, faire appel au système bancaire, parfois connaître l'adresse du médecin grâce à votre annuaire ou votre ordinateur, et j'ajouterai que former un médecin et des chercheurs en médecine est coûteux. Songez aux moyens déployés pour organiser une conférence sur la gastro-entérite, considérée comme le mal du siècle pour les vacanciers de noël ! Conférence utile, si on songe à l'impact sur la consommation de chocolat, et donc sur la croissance, de la gastro-entérite ! Il faut faire déplacer des chercheurs perdus aux quatre coins du monde, les payer, organiser la conférence, etc. Tous ces outils de recherche, toutes ces formes de travail fantôme ou rémunérés, ont un coût énergétique et un coût en terme de volume de travail horaire, très élevés. Prenons un autre exemple, vous n'êtes sans doute pas sans ignorer qu'une grosse partie des déplacements par avion est aujourd'hui faite pour la réalisation d'activités immatérielles : marketing, voyages d'affaires, gestion des différentes succursales, etc. En effet, est-il utile de rappeler que ce sont d'avantage les cadres qui empruntent ce moyen de locomotion que les ouvriers, du moins dans un contexte professionnel ? Or, à chaque fois, c'est une part très importante d'énergie qui est brûlée pour assurer cette production de biens immatériels. Tout cela pour dire que l'énergie grise, le travail gris et la pollution grise sont aussi élevés dans les activités immatérielles que dans les activités matérielles. Même si cela peut varier en fonction des activités considérées. Et j'irai même plus loin en affirmant que les sociétés industrielles déploient une quantité d'énergie de plus en plus importante pour réaliser des activités immatérielles, sans que le gain de productivité énergétique, ou de productivité travail, ne soient, à mon avis, très conséquents sur la réalisation des activités matérielles.

Prenons un dernier exemple. Comparons deux technologies qui sont utilisées pour réaliser la même activité : se déplacer. L'une est la marche à pied. L'autre est l'avion. Je crois que s'agissant de l'énergie grise, tout le monde est au courant que l'avion en consomme plus que la marche à pied. Mais pour l'information grise aussi, il n'y a pas photo. La marche à pied est économe en information grise. En revanche, le transport en avion est extrêmement coûteux. Pour faire marcher quelques avions, il faut mettre en place une énorme infrastructure pour réguler tout ça, des aéroports, entretenir à plein temps des ingénieurs, des formateurs, qui vont construire des avions et des réparateurs d'avion, etc. Partout là dedans, c'est gavé d'information grise. Mais pour la marche à pied. Il n'y a quasiment rien à faire. Dame nature se charge de tout.

Le boom de l'information grise.

Je continue mon petit délire. Je ne pense pas choquer grand monde en affirmant qu'une grande partie de la croissance économique des cinquante dernières années est liée au développement de l'information grise. Mais je suppose qu'il y a quand même quelques sceptiques dans l'assemblée. Donc, pour le montrer, je vais faire une petite démonstration qui, sans être hyper convaincante, apporte un peu d'eau à mon moulin. Ne vous attendez pas à des miracles, mais bon, ça devrait quand même vous divertir... Je commence par introduire la notion de cout superflu, que je définis ainsi, lorsque les ressources sont engagées dans le but d'accaparer des profits sur des services déjà existants, c'est à dire non-marchands ou auto-produits, à administrer les bureaucraties (grandes ou petites), à gérer le marché, ces différents postes de dépenses constituent des couts superflus. Ces couts résultent de l'administration des organisations, de la protection de la structure hiérarchique, des investissements fournis pour résister à la concurrence, etc. Ils sont générés par les marchés et les hiérarchies. On peut en distinguer plusieurs.

  • Les couts d'organisation : couts d'administration, dépenses d'expertise, conseils, formation, encadrement, management, direction, couts d'archivage, couts de contrôle des employés, cout de commandement, couts en cas de conflits juridiques, formation et rémunération des experts, sommes allouées aux voyages d'affaire, sommes allouées aux congrès, séminaires, colloques... Ces couts sont relatifs au fonctionnement des organisations hiérarchiques et des bureaucraties. Inutile de préciser que ces activités génèrent énormément d'énergie grise et de travail gris. Toutefois, il est difficile de les calculer car il faudrait connaitre le volume d'emploi consacré à ces activités, et aux activités réellement productives. Or, d'une part, la comparaison en travail horaire n'est pas forcément pertinente, et d'autre part, on dispose rarement de données agrégées sur le sujet.
  • Les couts de prédation : marketing, packaging, publicité, communication, agences d'intermédiation, routage, services de vente, sondages, conférences, congrès d'universitaires, tournées promotionnelles, appels téléphoniques chez les particuliers pour la promotion de biens et services, envois de publicité par courrier, foires et salons, spams, ... La plupart de ces postes de dépenses connaissent une forte croissance, en terme de volume de production et d'effectifs employés depuis 10 ans (Insee, 2003). Ces dépenses visent, non pas à satisfaire des besoins, mais à créer des besoins chez les consommateurs, à diffuser au maximum un produit, ou à contraindre les consommateurs à consommer. Leur finalité n'est pas de satisfaire un besoin, mais de créer le besoin, et d'augmenter le profit perçu. Elles peuvent agir directement sur le consommateur, ou sur les concurrents. Ces activités provoquent différents effets pervers. Elles créent de nouveaux besoins et des débouchés pour leurs services, elles marchandisent des services qui étaient auparavant assumés par les acteurs privés, elles créent de nouveaux débouchés pour d'autres marchés, elles génèrent des inefficacités économiques : opacité sur la qualité des biens, rétention artificielle d'informations, standardisation des services adressés aux particuliers, dépendance des particuliers aux institutions marchandes et étatiques, blocage de l'accès à certaines ressources du secteur (par exemple, les particuliers ne peuvent plus se rencontrer directement pour échanger et sont obligés de passer par des intermédiaires), pollution, stratégie de dénigrement des concurrents (ce qui entraine la circulation d'informations erronées), opacité sur les prix (Ex : la spéculation est une économie de prédation qui écarte un bien de sa « valeur réelle ». D'autre part, les couts de prédation se répercutent dans le prix du bien final6), etc.
  • Les couts de la coordination marchande : couts liés à la finance, marchés d'options, marchés spéculatif, assurances, couts de la propriété (armature juridique de la propriété privée et couts nécessaires au respect des contrats, services de sécurité...), fourniture aux cadres pour faire des affaires (voyages en classes affaires, démarchage...), activités de sélection et mise à disposition de personnel, couts de transaction (contient les couts liés à la recherche d'un prix bas et de la qualité lorsque les prix et la qualité ne sont pas fixés), couts de vente (salaire des vendeurs, déplacement des vendeurs...), couts de communication inter-entreprises, couts liés au travail des intermédiaires, couts liés au transport des marchandises,...
  • Les couts de l'inefficacité du marché : effets pervers, contrôle des effets externes, assurances, gaspillage, transports domicile/lieu de travail, transferts sociaux pour limiter les effets du chômage, inflation, couts de redondance, couts de la contrainte, couts de contrôle7...

Il va de soi, bien sûr, que les couts superflus gonflent le cout de la production, et donc l'énergie grise et l'information grise. Et, il se trouve que dans les sociétés industrielles, de plus en plus dominées par les marchés et les bureaucraties, la quantité d'information grise nécessaire à la réalisation des activités matérielles est de plus en plus élevée. On peut alors relier cette évolution à l'accroissement des couts superflus qui connaissent eux-aussi une croissance notable, tels les couts de la coordination marchande, services juridiques et services de sécurité8, les transports marchands9; les couts d'organisation comme les couts d'administration10; les couts de prédation, comme la publicité et le marketing11. Un exemple. Les dépenses consacrées aux services d'expertise ont grimpé en flèche au cours des dernières décennies. Selon les données de l'Insee (2003, p. 59), en France, la production en volume des services juridiques et des services de conseil et assistance, connait une augmentation de 20 à 50% de 1992 à 2001. En 1999 et 2000, la branche conseil et assistance des services aux entreprises est celle qui connait la plus forte progression. Respectivement 42,6% et 33,8%. La branche des services de location immobilière connait aussi une progression importante. En 1998, c'est le poste qui connait la plus forte hausse (35,6%), tandis qu'en 2000, il arrive au deuxième rang, avec une progression de 21,9% (Insee, 2003, p. 25). Quant au poste conseil pour les affaires et la gestion, il augmente de plus de 80% entre 1991 et 2001 (idem, p. 63).

Et cette augmentation s'inscrit dans un boom général de la part des services dans l'économie. La part de l'emploi dans les services marchands passe ainsi, en France, de 40,6% en 1990 à 46,6% en 2004. Les effectifs salariés des services aux entreprises passent de 2 087 600 emplois en 1991 à 3 157 700 en 2001 (Insee, id., p. 45). Si on élargit le champ de vision, les effectifs de l'emploi consacré aux services passent de 8 millions en 1960 à 18 millions en 2003. À noter que concernant les ventes, cette augmentation peut être liée à plusieurs facteurs, a) l'augmentation du volume des ventes pour une clientèle donnée, b) l'augmentation du volume des ventes par extension des ventes à de nouveaux clients, c) par extension des ventes à de nouvelles activités, des services pouvant alors être créés de toutes pièces ou pouvant se suppléer à des activités autrefois non marchandisés – assurés par des échanges non-marchands ou par des activités de subsistance. À noter toutefois que la part des investissements dans la recherche et le développement est assez faible. Par exemple, les investissements bruts étrangers en France dans la recherche et le développement ne représentent en 2001 que 547 millions d'euros sur un total de 82 483 millions d'euros investis dans les services. Par comparaison, les investissements dans la publicité sont de 434 millions d'euros et les investissements juridiques, conseil et management représentent 3530 millions d'euros. Les services financiers et les activités immobilières représentent quant à eux, plus de 57 000 millions d'euros (id., p. 27).

En fait, pour aller plus loin, il existe même une corrélation positive entre d'un côté, la croissance de l'énergie grise et le travail gris, et de l'autre, la croissance de l'information grise. Autrement dit, dans nos sociétés, l'énergie et le travail consacrés à la réalisation d'activités immatérielles, sont en augmentation croissante. À l'inverse, vous noterez que les activités primaires et secondaires tendent à occuper une place de moins en moins importante, en terme d'effectifs employés. Par ailleurs, je ferai remarquer que parmi les activités productives du secteur secondaire qui ont connu une croissance notable durant la seconde moitié du XXe siècle, on trouve des activités visant à assurer la réalisation d'activités immatérielles. Trois exemples : l'informatique, les télécommunications, le diagnostic médical.

Donc, avec tout ça, je pense qu'il est raisonnable d'affirmer que la croissance de l'information grise, corrélée à la croissance du système scolaire, est une composante forte de la croissance de la population active au cours des cinq dernières décennies. Phénomène qui ma foi, reste à comprendre. En effet, l'amélioration des techniques informatiques, et des technologies assurant le traitement de l'information, aurait théoriquement dû conduire à une augmentation de la productivité travail des activités immatérielles. Peut-être pas la productivité énergétique, mais la productivité travail, oui. Autrement dit, pour réaliser ces activités, on devrait théoriquement utiliser moins de travail qu'avant. Or, c'est l'inverse qui se produit.

Information grise et énergie grise.

J'arrive à ma conclusion. Eh oui, malheureusement, la fin approche... Mais ne vous en faites pas, il y aura sûrement une suite ! Avant de vous quitter, un peu de philosophie de comptoir. Il me semble que la question de l'augmentation de l'énergie grise dans nos sociétés est une question vitale. Car elle traduit une contradiction dans nos pratiques qui me paraît assez dangereuse à long terme. En effet. Si le progrès technologique doit conduire à une réduction de nos activités productives, ou du moins du travail sous sa forme pénible, comment expliquer l'augmentation de la population active au cours des dernières décennies ? Et comment expliquer l'accroissement des activités immatérielles ? Autrement dit, comment expliquer qu'on utilise de plus en plus de travail et d'énergie pour parvenir à des résultats quasiment identiques ? Je rappelle qu'avec la main invisible, on ne devrait presque plus travailler depuis longtemps. Les entreprises devraient licencier à tour de bras, et il ne devrait rester qu'une poignée de travailleurs. Seulement, ça ne fonctionne pas comme ça. Notamment parce que le travail rémunéré est quelque chose de désirable dans nos sociétés. Ce qui personnellement me sidère, mais bon…

J'en viens donc à la question centrale. Comment expliquer la croissance de l'énergie grise et du travail gris observée depuis environ cinquante ans dans les sociétés industrielles ? Est-ce parce que nos dirigeants prennent un malin plaisir à nous voir trimer dans des bureaux mal aérés ? Certes, c'est sûr qu'ils se rincent l'oeil, mais je ne pense pas que ce soit la véritable raison. Je pense que la véritable cause de l'augmentation de l'énergie grise au cours des dernières décennies, c'est d'une part, l'accroissement de l'information grise et d'autre part, la professionnalisation des activités immatérielles. Naturellement, les deux sont liées. Au fur et à mesure que la professionnalisation des activités immatérielles s'accentue, l'information grise s'accroît. Voilà donc ma proposition finale. C'est l'accroissement de l'information grise qui provoque une augmentation de l'énergie grise dans les sociétés industrielles. Cet accroissement passe par deux voies distinctes. La première est que dans la mesure où l'information grise est une composante de l'énergie grise, il est logique qu'une augmentation de l'information grise, liée par exemple à la croissance des activités immatérielles marchandes dans la société industrielle, augmente mécaniquement la quantité d'énergie grise. La seconde voie, est que le contrôle des activités immatérielles dans les sociétés industrielles est le mécanisme central de la professionnalisation qui conduit à détruire les économies de subsistance et l'économie non-marchande. En d'autres termes, c'est par la maîtrise des activités immatérielles que les professionnels assurent l'expansion du marché et des bureaucraties, au détriment de l'économie non-marchande et de l'économie de subsistance.

À priori, cette idée peut sembler bizarre. En général, en effet, on a tendance à croire que c'est l'accroissement de l'énergie grise qui conduit à l'augmentation de l'information grise. Au fur et à mesure qu'on met en place des technologies coûteuses, il faudrait de plus en plus d'experts en tout genre pour les développer, les entretenir, les encadrer. En gros, l'idée c'est que plus on développe l'efficacité des activités matérielles, plus on a besoin d'activités immatérielles. Honnêtement, je ne vois aucune raison de croire en une telle thèse. Car l'information est un bien immatériel qui possède des propriétés assez merveilleuses. C'est un bien « fertile », durable, et dont les couts de maintien, de circulation et de reproduction sont très faibles. Une fois que l'information a été produite, il n'y a pas de raison de dépenser beaucoup d'énergie pour l'appliquer, la maintenir ou la reproduire. Une fois l'information acquise, faire fonctionner une machine complexe ne demande donc souvent pas plus d'information grise que de faire fonctionner une machine élémentaire. Comment expliquer alors l'énergie faramineuse qui est dépensée pour assurer la diffusion, le maintien et l'expansion de certaines informations ? Je pense par exemple à l'énergie qui est dépensée pour assurer l'éducation, la création et l'application des règles sociales, l'administration ? Pourquoi l'industrie lourde nécessiterait « plus d'information » que l'auto-subsistance et l'économie non-marchande ? Je ne vois pas ce que le niveau technologique vient faire ici. Il y a là la même erreur que ceux qui affirment que le niveau culturel conduit à une amélioration des conditions de vie, à un accroissement de la liberté et de l'esprit critique et à une réduction des guerres et de l’oppression.

Je vais donc passer aux deux explications alternatives. Tout d'abord, l'augmentation de l'énergie grise provient effectivement du boom des activités immatérielles professionnalisées. Car comme nous l'avons vu, il est indéniable que ces activités immatérielles demandent une quantité importante d'énergie pour être réalisées. Je n'insisterai pas trop sur le fait que la démocratisation de l'enseignement, le développement de l'industrie culturelle, la croissance des administrations, des bureaucraties et de la sphère politique, le développement de la recherche et de l'expertise, sont des traits marquants des sociétés industrielles. De même, je ne m'attarderai pas sur le fait que ces activités se sont lourdement professionnalisées dès la fin du XIXe siècle. Ces activités s'étant professionnalisées et ayant connu une croissance spectaculaire, il est logique qu'elles demandent davantage d'énergie qu'auparavant. De plus, elles demandent des moyens matériels de plus en plus importants. Je prendrai pour le montrer un exemple assez décalé. Savez-vous que la deuxième industrie la plus polluante à Los Angeles est ... l'industrie du cinéma... ? On est loin ici d'une industrie culturelle propre ! Évidemment, inutile de rappeler que l'énergie et le travail gris consommés pour faire fonctionner la justice, l'enseignement, le management, la finance, sont de plus en plus importants. À l'opposé, lorsque les activités immatérielles sont accomplies dans le cadre d'un régime d'auto-subsistance, et aussi probablement dans le cadre d'une économie non-marchande – bien que ce dernier point resterait à vérifier –, l'énergie grise produite pour la réalisation de ces activités immatérielles est nettement moins importante. Autrement dit, pour transmettre l'information, pour produire de l'information, les sociétés de subsistance utilisent peu de ressources. Tout au moins, si le travail gris consacré à la réalisation de ces activités immatérielles est parfois important – en sachant toutefois qu'il n'est pas accompli avec les mêmes contraintes et obligations que dans les bureaucraties ou les marchés –, l'énergie grise et la pollution grise sont faibles.

Cela nous amène à notre deuxième explication. Comme j'ai essayé de le montrer un peu plus haut, l'information grise consommée par l'activité médicale industrielle est considérablement plus élevée que celle de la médecine traditionnelle. Il en résulte naturellement, une différence significative entre l'énergie grise nécessaire à la réalisation de l'activité médicale industrielle et celle nécessaire à la réalisation de l'activité médicale traditionnelle. Pourtant, dans la majeure partie des cas, le citoyen moyen d'une société industrielle est bien incapable de se soigner par lui-même, ou de se soigner en recourant à l'économie non-marchande. Il est dépendant de la profession médicale pour se soigner. Notamment parce que l'information grise dans la médecine industrielle, nécessaire pour pratiquer l'activité médicale, est beaucoup trop élevée pour qu'il puisse le faire lui-même. D'autant plus que très souvent, l'information est détenue et masquée par le secret industriel. Or, nous avons là une situation qui met à jour un point tout à fait central : c'est la quantité d'information grise qui assure en partie la protection de la profession. Et donc, qui conduit à une professionnalisation de l'activité qui va être coûteuse. Coûteuse à double titre. D'abord parce qu'il faudra professionnaliser l'activité immatérielle qui conduit à un niveau élevé d'information grise. C'est grosso-modo le rôle du droit, de l'enseignement universitaire, de la recherche, etc. Donc, le savoir-faire devient concentré dans les mains d'une profession, qui en devient en quelque sorte la dépositaire, et quantités d'informations doivent être produites, contrôlées, pour assurer la main-mise sur ce savoir-faire. Mais aussi parce qu'il faudra désormais recourir aux professionels pour accomplir cette activité. Et cette professionnalisation va rendre l'activité nettement plus coûteuse en énergie grise. Ce schéma n'est pas limité à l'activité médicale. Au contraire, il est valable pour quasiment toutes les professions. Les professions tendent à professionnaliser le savoir qui est nécessaire à la réalisation de l'activité qu'elles entendent contrôler, et garantir le caractère professionnel de cette activité. Inutile dans ce cas, de préciser que l'enseignement, les diplômes, la science professionnelle, ont pour fonction, non pas de dispenser un savoir à la masse, mais de le protéger. De le protéger afin de rendre incontournable le recours à des professionnels. Aussi bien dans des activités matérielles qu'immatérielles. Ainsi, s'agissant du Droit, la complexification du droit a une double fonction. Tout d'abord, elle garantit la propriété privée, le recours aux professionnels dans la plupart des activités, mais elle garantit également la sauvegarde des professions juridiques, enseignement et autres. Autant dire, donc, que l'université n'a pas pour vocation à dispenser un enseignement de masse, à le diffuser au plus grand nombre. Au contraire, elle a historiquement pour fonction de le raréfier, de le complexifier, de le canaliser et de l'« assainir » en excluant les hétérodoxies.

La relation entre croissance de l'enseignement de masse et développement des services n'est donc pas le fait du hasard. Au contraire. L'enseignement de masse, la science professionnelle – subversive ou réactionnaire – ont pour effet de professionnaliser les activités. Leur corollaire, c'est la société industrielle, les marchés et les bureaucraties. La conséquence d'un accroissement de l'information grise, c'est donc l'accroissement de l'énergie grise. Et il n'est pas surprenant à cet égard que les politiques de développement et de scolarisation, couplées à la professionnalisation de la science ont conduit dès le XVIIIe siècle au développement de la société industrielle. Il me semble inutile d'aller rechercher des causes économiques, démographiques, culturelles assez obscures, pour expliquer ce développement de la société industrielle, quand ceux qui cherchent ainsi ce genre de causes, en somme les universitaires, oublient l'essentiel. Ils sont au coeur même du processus. Ils en sont le noyau, l'organe central. Mais bon, je suppose que c'est difficile à admettre pour des scientifiques et universitaires qui se croient au dessus de tout soupçon et qui s'imaginent répandre dans le désintéressement le plus complet la divine parole scientifique. Difficile d'admettre que la professionnalisation du savoir est à l'origine même du développement du marché et des bureaucraties, et de tout ce que cela peut engendrer comme dégats, surtout quand on est soi-même un professionnel du savoir. Il est plus facile d'accuser les marchands, les politiciens, les militaires, ou inversement, de considérer que le marché et l'autorité sont des bénédictions. Il est plus facile par exemple d'aller crier sur tous les toits que l'alphabétisation, l'enseignement de masse, la hausse du niveau culturel constituent le moteur de la liberté, du développement économique, de la richesse, de l'esprit critique et de la résistance à l'oppression.

Je pense personnellement qu'il n'y a pourtant rien de plus hypocrite et erroné. En effet, la hausse du niveau culturel n'apporte rien. En premier lieu parce que le niveau culturel et une notion bien vague, qui signifie le plus souvent l'enseignement contraint de doctrines scientifiques ou d'une culture élitiste. Et en second lieu parce qu'il n'y a rien de moins évident que le lien entre le niveau culturel et, je dirai, la résistance à l'oppression et une conduite intelligente. Il ne faut pas se leurrer, accroître ses connaissances en physique, mathématiques, histoire, géographie, français, n'apporte rien en ce qui concerne l'ouverture d'esprit, la curiosité, la tolérance, les affaires courantes. Une large majorité de personnes cultivées est très intolérante et n'est pas plus ouverte, critique envers l'autorité, que l'inculte de base. J'ajouterai que la hausse du niveau culturel n'a souvent aucun lien avec la résistance à l'oppression. Au contraire, n'oublions pas que ce sont souvent dans les sociétés industrielles, les personnes les plus cultivées qui sont aux postes de commande. Par ailleurs, elle n'apporte pas grand chose non plus pour résister à la pression des gouvernements, puisque in fine, la plupart des décisions sont prises par des experts, des juristes et dépendent de règlements. Donc, vous pouvez être l'être le plus cultivé au monde, cela ne changera pas le verdict d'une institution. Et en définitive, il faudra remettre vos décisions dans les mains d'un juge, d'un avocat, d'un expert quelconque, d'un médecin ou d'un notaire. Que vient faire le niveau culturel là dedans ?

Notes

1 Ou utilisée à posteriori', soit alors la quantité moyenne effectivement consommée. L'idée de nécessité sous-tend celle d'optimisation à priori''.

2 Pour Illich, (ibid, p. 118), le travail fantôme est « le travail non-payé qu'une société industrielle exige comme complément indispensable de la production de biens et de services. Cette forme de servitude non rétribuée ne contribue nullement à la subsistance. Bien au contraire, tout comme le travail salarié, elle désagrège la subsistance. ». Le travail fantôme doit donc être distingué des activités de subsistance, qui sont également non rémunérées.

3 C'est bien sûr une mesure principalement qualitative. Mais elle varie indéniablement en fonction des activités. Par exemple, la production d'une pièce de théâtre suppose une division du travail « rigide » et une coordination synchronisée des producteurs. En revanche, bien d'autres activités ne requièrent pas une telle synchronisation. Par exemple, un déménagement. De même, la division du travail n'est pas forcément aussi « rigide » que dans la pièce de théâtre. En effet, par exemple, la culture d'un potager peut souvent être réalisée par un individu isolé. La contribution d'autres personnes est alors superflue. De plus, elle peut se faire de diverses manières. Si bien que la division du travail est beaucoup plus « souple ». Elle n'est pas nécessaire à la production du bien ou du service.

4 Cette notion est rarement employée en économie, malgré ses avantages. La notion de dépendance définit dans quelle mesure la réalisation d'une activité rend possible ou impossible la réalisation d'une autre activité. Par exemple, la pratique du langage rend possible la réalisation de nombreuses activités. On peut donc dire que ces activités sont dépendantes de l'activité « langagière ». Inversement, l'activité artistique n'a souvent aucun impact direct sur l'activité d'extraction de minerais. Notons à ce sujet que dans un marché, l'activité de production dépend généralement de l'activité de consommation. Le producteur cherche en effet à écouler ses produits pour pouvoir continuer à produire.

5 Ivan Illich, Le travail fantôme, Paris, Seuil, 1980, p. 32. Probablement le meilleur ouvrage d'Illich, avec Le chômage créateur et Une société sans école.

6 Sur ce point, on remarquera que la Loi de l'offre et de la demande, et la concurrence ne peuvent limiter ces couts. En effet, une entreprise peut agir sur plusieurs plans pour augmenter ses bénéfices. Supposons que deux entreprises vendent un même bien. L'une d'entre elle propose un bien peu cher mais peu visible et peu présentable à la vente (puisqu'elle ne peut investir pour accroître la visibilité ou la présentation). L'autre propose un bien cher, visible et présentable. Si on suppose que le volume d'achat est lié au prix, à la présentation et à la visibilité, il est clair que les deux stratégies sont rentables. Et dans un marché où la circulation des biens est canalisée dans des circuits commerciaux (grandes surfaces par exemples), les stratégies les plus payantes sont les stratégies d'augmentation de la présentation et de la visibilité. Pourquoi ? Parce que les grandes surfaces se chargent justement d'augmenter la diffusion des biens et de hiérarchiser les biens en fonction d'une seule classification hiérarchique. Les biens qui sont hors-circuit, c'est à dire, « hors grande surface », n'ont aucune visibilité. Donc, leur probabilité d'achat est extrêmement faible, voire réduite à néant. Le prix n'étant plus un facteur réellement probant.

7 Les couts de redondance sont liés à la multiplication de certains services dans une situation de concurrence. Par exemple, les entreprises vont toutes investir dans des services marketing, il y a alors redondance. Les couts de contrainte sont liés à la démotivation engendrée par les échanges marchands ou coercitifs. Il en va de même pour les couts de contrôle, il faut appliquer les contrôles et vérifier que les acteurs réalisent correctement leurs tâches.

8 Selon l'Insee (idem, p. 59), le nombre de personnes occupées dans les services juridiques aux entreprises est de 138 359 en 2001. À cela, il faudrait bien entendu rajouter les couts de formation. Toujours selon l'Insee (id., p. 65), 123 033 personnes sont occupées dans les services de sécurité en 2001. Ce poste comprend les services de conseils sécurité, surveillance, transports de fonds, enquêtes sécurité et gardes du corps. Les services de sécurité connaissent une augmentation de la production en volume de plus de 40% entre 1992 et 2001.

9 Toujours selon l'Insee (id., p. 11), le volume d'emploi alloué au tertiaire marchand, en France, passe de 7 606 000 personnes (équivalent « temps plein ») en 1980 à 10 721 700 personnes en 2002. Les services aux entreprises, les activités immobilières, les services financiers et les services administrés passent de 7 311 500 personnes à 10 771 300 personnes sur la même période.

10 Selon l'Insee (2003, p. 45), les effectifs salariés dans l'administration d'entreprises passent en France de 58 200 à 200 300 entre 1991 et 2001. Par comparaison, les effectifs alloués à la recherche et développement passent de 130 500 à 146 200 sur la même période. En outre, les services d'administration d'entreprises sont de plus les mieux rémunérés (idem, p. 53).

11 Selon l'Insee (Ibidem), de 1991 à 2001, les effectifs salariés dans la publicité et les études de marché passent de 97 900 à 110 400.

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