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Exposé d'un projet de recherche-action pour l'instauration d'une plateforme collaborative visant au développement d'une science ouverte Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 01 avril 2012 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau
Résumé: Le texte a donné lieu à une intervention lors d'un colloque sur la recherche-action à Strasbourg en juillet 2008
Aujourd'hui, la recherche scientifique est une activité essentiellement accomplie dans des institutions publiques ou marchandes. Il est vrai qu'elle subsiste encore dans des cercles d'amateurs, mais sous cette forme, elle a vu son prestige et son importance considérablement réduits au cours des trois derniers siècles. On peut affirmer, à ce titre, qu'il existe un monopole radical1 de la science professionnelle sur l'activité scientifique. Professionnalisation de l'activité scientifique qui se manifeste par une consommation obligatoire de certains produits issus de l'activité scientifique professionnelle, notamment dans l'enseignement obligatoire, dans des projets scientifiques publics, ou par l'impossibilité de choisir certains services « non-scientifiques » (médecine alternative, enseignement non scientifique, etc.) ; et enfin, par une organisation hiérarchique, dirigiste et marchande de l'activité scientifique. Par exemple, les revues scientifiques académiques, ressemblent aujourd'hui d'avantage à des outils mis au service des acteurs du marché scientifique, qu'à des outils conviviaux. La publication devient une publicité, ou une marchandise, et n'a plus rien d'un outil d'échange horizontal et convivial d'informations. Pire, elle est devenue un outil de classement des personnes et des organisations intégrés dans la bureaucratie et le marché scientifique. La demande pour une science ouverteFace à une telle évolution, de nombreuses voix se sont élevées dès les années 1940, pour réclamer la mise en oeuvre d'une science ouverte. Cette demande sociale, dont il ne faut certes pas surestimer l'importance, mais dont on ne saurait non plus nier l'existence, semble trouver son origine dans une insatisfaction croissante de certains professionnels, amateurs et profanes – c'est à dire ceux qui subissent les effets de l'activité scientifique sans y participer réellement2 – à l'égard de l'activité scientifique. Concrètement, elle se manifeste à travers diverses critiques que nous mentionnons ici. À noter que toutes ces critiques sont issues de la bibliographie ci-dessous.
Ce ne sont là que quelques critiques qu'on peut retrouver dans la littérature profane ou scientifique, mais suffisantes pour prouver l'existence d'une demande d'ouverture de l'activité scientifique. Les principes fondateurs d'une science ouverteLa science ouverte n'a pas aujourd'hui de principes arrêtés et clairement établis. Néanmoins, elle peut être définie selon quelques grands principes directeurs.
Les principes de cette science ouverte ont par exemple été exposés par Feyerabend, Himanen et Illich, même si leurs analyses divergent sur certains points. La science ouverte aujourd'huiParallèlement à ces réflexions sur une science ouverte, un certain nombre d'expérimentations sociales sont apparues récemment et ouvrent des perspectives inédites en matière de recherche-action sur le champ scientifique. Les expériences communautaires sur Internet ont ainsi donné naissance à des procédures de filtrage, d'évaluation, d'acquisition et de production de la connaissance, fondées en partie sur les principes d'une science ouverte. D'un point de vue technologique, trois innovations apparaissent fondamentales.
C'est donc tout un ensemble d'outils, de pratiques, qui se sont développés au cours des dernières années, et qui peuvent apparaitre précieux pour un développement de la science ouverte. Cependant, dans la sphère virtuelle, le mouvement n'a eu jusqu'à présent qu'un impact limité. Les plate-formes wiki permettant un travail scientifique collectif, collaboratif et horizontal, n'en sont par exemple qu'à un stade très embryonnaire. En fait, ce sont les systèmes de publication en libre-accès qui se sont développés. En revanche, les systèmes de publication scientifique ouverte sont nettement plus limités. Il existe certes des plateformes d'archives ouvertes. Mais elles sont réservées aux scientifiques professionnels qui souhaitent diffuser gratuitement leurs travaux. De plus, ces systèmes de publication en libre-accès, ou d'archivage, n'ont pas grand chose à voir avec des systèmes de publication ouverte. En fait, ils tendent encore une fois, à servir d'outils de classement hiérarchique. Ils se positionnent en bas du classement des revues universitaires, et les professionnels les utilisent pour « protéger » leurs travaux, avant de les proposer à des revues plus prestigieuses, qu'elles soient en libre accès ou non. En revanche, s'agissant de la « sphère réelle » et des institutions existantes. Il n'a pu être observé de changements radicaux allant dans le sens d'une ouverture. Si ce n'est avec l'intrusion dans le débat politique d'organisations idéologiques prônant le contrôle démocratique sur la science et les institutions existantes. Mais il ne s'agit pas à proprement parler, de mouvements visant au développement d'une science ouverte. Car ces organisations militent seulement pour la prise en compte du principe éthique. Et il n'est nullement question de développer, par exemple, des outils facilitant la recherche et la diffusion de la science effectuée par des amateurs. Ou de développer une « académie du net », pour reprendre la locution d'Himanen, ou une « recherche conviviale », pour reprendre celle d'Illich, qui assureraient un libre accès aux instruments de l'enseignement et de la recherche (production, diffusion et acquisition) et un partage égalitaire et non contraignant des connaissances et des croyances. La question de la faisabilité et des difficultés d'une science ouverteFace à ce constat, la question qui se pose aujourd'hui est la faisabilité d'une science ouverte s'épanouissant hors des institutions publiques et du secteur marchand, et répondant aux principes généraux que nous avons énumérés plus haut. Une telle recherche-action, visant à essayer de montrer la faisabilité de cette science alternative, présenterait au moins trois intérêts.
Cependant, cette recherche-action se heurte à différents problèmes.
D'où est venue cette recherche-action ?Sur la base de ce programme de recherche-action, et en tenant compte de ces difficultés, j'ai élaboré un projet de plateforme de recherche et de publication scientifique ouverte. Naturellement, ce projet a muri très progressivement. Sa formulation a été très lente. Et je dirai qu'elle s'est faite principalement au contact de trois terrains. Tout d'abord, au sein du milieu universitaire, où il m'est apparu à certaines périodes de ma scolarité, qu'une large partie de la recherche et de l'enseignement est aujourd'hui engagée dans une impasse. Notamment dans des domaines politiquement sensibles comme la science économique. Pour moi, l'enseignement des sciences économiques s'apparente aujourd'hui, comme dans la science académique qui est tant décriée par Feyerabend, à l'inculcation d'une doctrine et à la censure de théories hétérodoxes. L'étudiant étant contraint de soutenir et d'intégrer une doctrine sans pouvoir choisir un enseignement alternatif et sans pouvoir naturellement discuter, remettre en cause les fondements d'une telle doctrine par la prise de parole. Autant dire que l'université n'a pas alors pour fonction de répondre à ses demandes ou d'éveiller son esprit critique. Il semble au contraire que l'étudiant soit « instrumentalisé » par l'université. Puisque, outre le fait que ce transfert d'information est asymétrique et contraint, et qu'il donne lieu à une compétition féroce réduisant à néant toute velléité de critique, l'information qui est véhiculée s'avère peu utile, rendant donc cette contrainte encore plus difficilement acceptable, et donne lieu à des applications politiques directes – par exemple, la libéralisation des services publics. Ce qui ne peut qu'accentuer le désarroi de l'étudiant qui ne partage pas de telles convictions, et qui est alors littéralement pris au piège du système universitaire. Ensuite, au contact de réseaux alternatifs, visant indirectement à produire et à diffuser des idéologies politiques, je me suis aperçu que je retrouvais de nombreux traits que j'avais pu rencontrer dans le milieu scolaire : collusion idéologique, hiérarchie, conformisme, contrôle arbitraire et exclusif des moyens de communication, diffusion asymétrique des informations, etc. Par conséquent, j'en suis arrivé à la conclusion que sans une véritable réflexion sur ces problèmes d'opinion – comme celle de Weil ou de Mill par exemple –, sans une réflexion sur des alternatives qui reposeraient sur un ensemble de spécifications initiales et paradigmatiques visant à assurer une communication horizontale et le pluralisme des opinions, il est vain d'espérer améliorer la situation. Et il est probablement vain, également, d'espérer le développement d'une science ouverte. Par ailleurs, si deux voies s'offrent à nous pour tenter d'y parvenir, celle du contrôle des institutions existantes, et celle de la création d'une alternative, il est évident que la première est vouée à l'échec tandis que la seconde a plus de chances de réussir. La première est vouée à l'échec car il est illusoire d'espérer changer les choses étant donné la chape de plomb qui est aujourd'hui posée sur la science par les professions établies. Les enjeux économiques et politiques sont trop importants pour qu'une réforme puisse aisément être entreprise. En revanche, la seconde peut susciter bien des espoirs car, a) nous entrons aujourd'hui dans une configuration inédite, caractérisée par un choc technologique, b) il existe une demande réelle pour une science ouverte alternative, c) les expérimentations en la matière sont finalement assez rares, ce qui laisse imaginer un large éventail de possibilités non explorées. Enfin, des expériences que j'ai pu vivre dans des communautés virtuelles m'ont convaincu de la possibilité d'organiser la production, l'échange, la diffusion, la création et l'évaluation du savoir sur la base d'un modèle non-dirigiste, décentralisé, égalitaire, non marchand, ouvert, et fondé sur la coopération et l'association volontaire et spontané d'acteurs bénévoles. J'ai donc acquis avec de telles expériences une conviction forte : les liens marchands et hiérarchiques ne sont pas les seuls liens possibles, ils sont en grande partie « artificiels » et ils engendrent de nombreux effets indésirables. Car à l'instar de Neill, je pense que nous sommes prêts à nous intéresser à certaines activités, à les pratiquer avec plaisir, tant que nous n'y sommes pas contraints par autrui. La contrainte hiérarchique et l'échange marchand ne sont donc pas nécessaires pour se découvrir des motivations à agir et pour s'organiser collectivement. Ils sont même, probablement, en grande partie produits socialement. Naturellement, j'ai conscience que ces expériences dans les communautés virtuelles ne sont pas parfaites. Loin s'en faut. Mais on ne saurait masquer, sous ces quelques imperfections, les bénéfices sociaux considérables qu'on pourrait en retirer. Pour terminer, il faut aussi que je mentionne que cette phase de maturation s'est accompagnée d'un parcours de la littérature critique sur la science professionnelle et l'enseignement de masse qui m'a permis d'affiner et de faire progresser mes idées sur le sujet. La recherche de structures pré-existantesCette phase de maturation de la problématique m'a conduit à rechercher des structures déjà existantes répondant aux critères d'une science ouverte examinés plus haut, afin de mettre en oeuvre une telle recherche-action. Je relate ici deux expériences que j'ai vécues.
Les principes fondamentaux d'une plateforme de recherche scientifique ouverte et autonomeSi mon expérience dans ces projets a été riche en apprentissage, elle m'a conduit à orienter ma recherche-action vers la création ex-nihilo de structures ouvertes, c'est à dire, vers un projet de réalisation d'une structure indépendante et autonome, propice au développement d'une activité scientifique ouverte. Actuellement, cette structure en est encore au stade de la réflexion, mais il est déjà possible de spécifier quelques contraintes auxquelles elle devrait faire face. Sur le plan économique, il est important de mentionner que la mise en place d'une telle structure est peu couteuse. Si l'on met de côté le temps passé à sa réalisation, les principaux frais consistent dans l'acquisition d'une plateforme d'hébergement sur Internet. Mais un tel cout peut être quasiment nul. S'agissant du financement des recherches, si le projet se cantonne à des recherches en sciences humaines et sociales, les frais peuvent également être proches de zéro, ou partagées entre les personnes intéressées par une recherche. Dans ce domaine de recherche, il est en effet facile d'avoir accès au terrain, aux textes et aux outils d'observation. En revanche, ce n'est pas le cas pour l'accès aux outils d'observation dans des matières telles que la biologie ou la physique. Mais au moins devrait-il être possible d'avoir accès librement aux données brutes issues des recherches publiques. Par ailleurs, s'agissant des observations macro-sociales, il est possible de recourir à une collecte collective et distribuée de l'information, fondée sur la libre association. Les sites interactifs facilitent une telle collecte. Chacun amenant de son côté des observations individuelles qui, agrégées, permettent une collecte statistique globale. Sur le plan humain, des problèmes de recrutement vont se poser. Mais on peut escompter que les recherches croîtront au départ lentement, avant de s'accélérer progressivement. Ce qui rendra alors plus important l'afflux des contributeurs. D'autre part, il est certain que des difficultés d'appropriation du savoir, d'inégalités entre les recherches, de conformisme, d'exclusion, etc, apparaîtront. Autant de problèmes qui nécessitent d'être résolus par une participation démocratique maximale des acteurs concernés, selon les principes définis par la recherche-action. Une large redistribution du pouvoir de décision et de réflexion étant alors indispensable. Problèmes qui demandent également de formuler un projet initial clair et facilement compréhensible, auquel les acteurs pourront à tout moment se référer. Sur le plan de la recherche. Les trois principes qui devraient primer sont
Dans l'idée que toute personne devrait pouvoir développer des recherches personnelles, proposer un projet, disposer d'outils collectifs à cette fin, et s'attendre à ce que des personnes intéressées par son projet s'associent avec elles. En sachant qu'elle ne pourra alors retirer des bénéfices exclusifs de la réalisation du projet, celui-ci étant en libre-accès. Mais il existe alors un risque d'exclusion, lié au fait qu'un groupe formé pourrait refuser les contributions d'un nouveau venu, l'empêchant ainsi de bénéficier des ressources qui sont à la disposition du groupe. Problème délicat. Puisque si on force le groupe à adopter le nouveau venu, on déroge au principe de non-coercition. À l'inverse, si on le laisse faire, on s'écarte du principe d'ouverture. Un tel problème est-il soluble ? Difficile à dire. Mais mes expériences vécues sur Wikipédia me font pencher sans aucune hésitation en faveur d'une ouverture maximale, tempérée si il le faut, et au cas par cas par :
Autrement dit, pour résumer, si le principe d'ouverture prime sur les autres principes, il doit sans cesse être rééquilibré par la prise en compte des autres principes. Sur le plan de la « politique interne » à une science ouverte. Trois points sont à regarder attentivement :
Ils sont en effet antagonistes sur bien des aspects. La question se pose par exemple de savoir s'il faut mettre en place une plateforme collaborative centralisée, où les espaces de publication sont ouverts et collectifs, ou au contraire s'il faut une plateforme collective se contentant de lier des travaux réalisés et hébergés sur des plateformes indépendantes. Question délicate car qui dit plateforme centralisée dit : « à qui appartient à cette plateforme ? » « Qui gère les décisions collectives et qui en contrôle l'entrée ? ». La propriété et la gestion de cette structure doivent-elles être collectives ou privées ? Dans les deux cas, n'y a-t-il pas alors un risque que l'organisation de cette structure finisse par déroger aux principes d'une science ouverte ? D'un autre côté, une structure en réseau pourrait déboucher sur une simple plateforme d'archivage de liens, ne garantissant plus la convivialité de l'outil. Autre problème. Dans une plateforme en réseau, on peut penser qu'il serait difficile de savoir si ceux qui souhaitent y être répertoriés seront prêts à accepter les principes d'une science ouverte. Faudra-t-il alors filtrer, contrôler les acteurs et les personnes ? Cette question peut également concerner les rapports entre la science professionnelle et la science ouverte. Quelle attitude adopter par rapport aux normes et aux contenus de la science professionnelle ? Mais ici, la réponse est limpide. Il n'y aurait aucune contrainte à cet endroit pesant sur la science ouverte, puisque la recherche et la publication seraient totalement indépendantes. Par exemple, les obligations de citer, les contraintes pesant sur le vocabulaire, la nécessité d'innover seraient optionnelles. La science professionnelle ne serait donc pas lésée par le développement de la science ouverte puisque le savoir y serait construit et évalué sur de nouvelles bases, selon de nouveaux critères. En revanche, il serait nécessaire de garantir que la science professionnelle ne puisse revendiquer, et par là même fermer et s'approprier les produits issus de la science ouverte. Une législation similaire à celle qui existe dans le logiciel libre, constituée de licences privées, gagnerait à y être transposée. Point de vue éthiqueS'il parait urgent d'entreprendre de telles initiatives, c'est que la menace que fait peser le monopole radical de la science professionnelle sur nos sociétés, devient de plus en plus pesante. En effet, durant la seconde moitié du XXe siècle, nous sommes passés progressivement d'une science professionnelle créant un risque potentiel de dégradation locale du « système » (pollutions localisées, risque démograhique, risque atomique, etc.), c'est à dire n'affectant que des paramètres ou des éléments isolés – donc plus facile à contrôler –, à une science professionnelle provoquant une dégradation concrète, massive et totale du système, c'est à dire affectant simultanément de nombreux paramètres et de nombreux éléments interconnectés, et rendant donc le risque de crise systémique presque inévitable. En somme, à la différence de la période où des auteurs comme Huxley commençaient à sonner l'alarme ((1930 - 1940), les effets négatifs de la science professionnelle commencent à se faire ressentir concrètement, et à devenir de moins en moins contrôlables et de plus en plus diffus. Ils « surgissent de toute part ». De plus, aux risques causés par le développement de la science professionnelle qui avaient été repérés des années 1930 aux années 1970, tels que la destruction des sociétés de subsistance, le risque de dérive totalitaire et le cataclysme atomique, se sont rajoutés de nouveaux risques tout aussi inquiétants : pollutions chimiques, modification du climat et de l'atmosphère, raréfaction des ressources, destruction de l'environnement naturel, extinction massive des espèces, guerres biologiques, etc. On assiste donc aujourd'hui à la résurgence de mythes qui, autrefois véhiculés par l'idéologie chrétienne, sont désormais marqués du sceau scientifique. Mais ces mythes sur lesquels la science professionnelle avait fondé autrefois son succès, ses espérances, son monopole et ses subventions, se sont aujourd'hui retournés contre elle. Car tandis qu'elle devait nous conduire vers une utopie – qu'elle n'atteindra probablement jamais –, elle nous conduit toujours plus loin vers la réalisation d'une contre-utopie. Ainsi, au mythe de l'immortalité à laquelle elle prétendait à terme nous conduire, elle oppose aujourd'hui le risque d'une destruction de l'espèce humaine. En ce sens, elle pourrait fort bien concrétiser le mythe de l'apocalypse. Au mythe de la nature maitrisée par la Raison, elle oppose une destruction de l'environnement naturel, donc le mythe du paradis perdu. Au mythe de la société idéale et pacifiée, libérée du chef tyrannique, elle oppose la figure concrète du « tyran totalitaire » et de la guerre permanente. Au mythe de l'abondance, elle oppose la rareté croissante des ressources naturelles. Et concrètement, ce que l'on observe aujourd'hui, c'est que le risque de conflit nucléaire global n'a pas disparu, que la destruction des milieux naturels s'est accélérée, que nous ne sommes pas plus à l'abri d'une dérive totalitaire qu'il y a cinquante ans3, et que la pénurie alimentaire et énergétique est le lot commun d'une large partie de la population mondiale. Si bien que de plus en plus, la demande sociale qui est adressée à la science professionnelle n'est plus d'améliorer la condition humaine, mais plus modestement, de réparer les dégâts qu'elle a pu engendrer, afin de nous « sauver » de cette contre-utopie vers laquelle elle nous entraine inexorablement. Ce sont là autant de menaces et de contradictions qui devraient nous amener à soupeser toute l'importance qu'il y a à engager une réflexion profonde et radicale sur l'organisation actuelle de la science professionnelle, et à tenter de lui substituer rapidement des alternatives viables et concrètes. 1 Au sens d'Illich ⇑ 2 Pour être rigoureux, il faudrait ici distinguer les acteurs qui souhaitent accéder à la production et aux outils de diffusion du savoir scientifique (les étudiants, les amateurs), et ceux qui entrent en contact avec l'activité scientifique en ayant accès aux connaissances et applications qui en sont issues. ⇑ 3 Bien au contraire, les possibilités de contrôle de l'individu se sont considérablement renforcés au cours des dernières décennies, le risque s'est donc peut-être amplifié. ⇑ Bibliographie indicative.
Catégories: Méta-texte, Recherche conviviale
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