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Le tout-électrique, une nuisance pour notre futur

Auteurs: Ibubolo (voir aussi l'historique)
Création de l'article: Août 2022
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: fermé
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 26 avril 2023 / Dernière modification de la page: 04 décembre 2024 / Créateur de la page: ibubolo



Résumé: Une critique du réseau électrique. L’extension indéfinie des usages de l’électricité est à mettre en parallèle avec la logique d’auto-accroissement de la valeur marchande.


Le débat sur l'énergie électrique porte souvent sur le type de production (nucléaire, fossile, renouvelable) mais reste dans un angle mort sur la dimension marchande et capitaliste du système électrique.

Le réseau électrique est géré comme devant répondre à toute demande solvable d'électricité, sans discussion. Un détour par l'histoire du réseau électrique peut nous donner le recul pour mettre en question cette évidence.

Au début de son invention, l’électricité est d’abord une technique d’éclairage et popularisée comme telle. D’autres usages séparés se développent aussi, comme les moteurs, fonctionnant à partir d’une électricité produite sur les lieux même de sa consommation. Mais sous le capitalisme, l’électricité va assez rapidement devenir une énergie universelle au sein d’un réseau interconnecté qui se déploie au fur et à mesure de la croissance capitaliste. Ce contexte historique spécifique va sélectionner un type d’électricité particulier, le courant alternatif, pour des motifs qui tiennent au déploiement de ce réseau pour délivrer l’électricité comme marchandise, et non en vertu d’une supériorité technique intrinsèque. Plutôt que le stockage et l’autoproduction sur place d’énergie, sous contrôle municipal, c’est la grande taille du réseau qui permet d’équilibrer consommation et production, dans une course aux économies d’échelle qui favorise la construction de grosses usines de production.

Bien qu’aux Etats-Unis le courant alternatif s’impose rapidement après les années 1890, la situation n’est pas la même en Europe. Notamment en Grande-Bretagne, où le contexte institutionnel est différent. La loi stipule alors que les entreprises auxquelles les municipalités déléguaient la gestion du réseau électrique ne pouvaient pas se regrouper ou coopérer entre elles 1. Jusque dans les années 1920, cette pluralité de marchés indépendants les uns des autres permettait de rendre viable économiquement la technique associant courant électrique continu et accumulateurs (pour stocker l’électricité produite et mieux répartir l’alimentation électrique dans le temps), au contraire des Etats-Unis où le processus d’interconnexion en courant alternatif et sans stockage d’énergie était engagé.

L'électricité induit donc une activité marchande particulièrement pure, du fait d’un soubassement scientifique et technique qui conduit à naturaliser un concept d’énergie indifférente aux usages. De fait, les Etats relaieront les entreprises privées lorsque celles-ci se montreront par trop incapables de poursuivre la dynamique capitaliste, comme ce fut le cas en France dès les années 1930. Le congrès de la CGT de 1937 est une première attaque contre un « patronat malthusien » en vue d’une nationalisation du macro-système électrique. La substitution de l’entreprise publique EDF aux entreprises privées en 1946 intervient comme l’aboutissement logique d’une intervention de plus en plus directe de l’Etat 2, notamment dans l’achèvement de l’interconnexion des réseaux entamée dans les années 1920.

illustration 1 : Un avis relevé dans une revue de consommateurs de gaz et d’électricité (1926)

Aujourd'hui, pour agrandir les capacités du réseau électrique, ses gestionnaires font l'hypothèse d'une augmentation de la consommation partout, de x % par an. Les augmentations à prévoir sont énormes si l'on y met l'électrification du parc automobile, ou encore la croissance exponentielle des réseaux numériques et des data centers. Elles sont si énormes qu'elles ne sont même pas réalistes, sauf à accepter la poursuite déprimante de l'extraction minière et de l'émission de polluants à toutes les étapes des cycles de production, engendrant une épidémie de maladies chroniques 3. L'utopie morbide du tout électrique n'a pas de borne, elle est solidement arrimée à la dynamique capitaliste, consistant à faire de l'argent, peu importe le moyen. Les usages auxquels répond la production de marchandises ne sont pas discutables dans ce monde marchand. Du moment qu'une production marchande est rentable ou finançable, il n'est pas possible de s'y opposer, la puissance de l'argent n'autorisant qu'au mieux une régulation a posteriori. Les effets néfastes ou les nuisances, qui bien souvent sont connus bien à l'avance, incombent à la société tout entière une fois qu'il n'est plus possible de les ignorer (c'est-à-dire trop tard), selon le fameux adage "socialiser les pertes, privatiser les profits".

D'ici 25 ans en France, ce sont 750 TWh de consommation d'électricité qui sont envisagés4, alors que l'année 2022 la production n'était que de de 280 TWh5 ! Ce genre de chiffres délirants sont présentés comme une "opportunité" pour RTE, le gestionnaire du réseau de transport, qui nous dit qu'il n'y aura pas de souci pour alimenter 15 millions de véhicules électriques en 20356. Une opportunité pour faire de l'argent, pas pour répondre à des besoins sociétaux débattus. La consommation d’électricité augmente avec l'argent dont on dispose, comme le montre les deux cartes ci-dessous, où l'on voit la superposition entre les hauts revenus et les plus grosses consommations électriques 7. Les plus riches ont-ils plus de besoins ? Non, mais ils ont plus de pouvoir d'achat et ne regardent pas à la dépense. A l'autre bout du réseau électrique, côté transport et production d'électricité, comme on l'a vu, le boulot consiste à satisfaire cette demande solvable sans discuter. Jusqu'à quand ?

illustration 2 : Consommation d'énergie (à gauche) et revenus à Paris (à droite) (2020)

Dans un article de Low Tech magazine, Kris De Decker remet en question ce dogme consistant à répondre à toute demande de consommation électrique8. Il le fait d'un point de vue technique, en argumentant qu'une société entièrement dépendante de l'électricité va au devant de grosses difficultés car les coupures électriques seront inévitables, sauf à surdimensionner le réseau alors que la consommation augmente sans limite. Pour lui, il faut remettre en question le critère d’alimentation électrique illimitée et ininterrompue, ce que ne font pas les politiques énergétiques actuelles. Par contre, il ne cherche pas à remettre ces politiques dans le contexte d'une société marchande, laquelle est sans arme face à des projets rentables, quand bien même ils seraient discutables selon moult critères, l'efficacité en faisant partie.

Il y a une affinité profonde entre une conception scientifique d'une énergie universelle indifférente aux usages, le tout-électrique du réseau électrique et son extension indéfinie, et le monde capitaliste construit sur le désir de monnaie. Les trois se soutiennent mutuellement puisque le réseau électrique est la matérialisation d'une notion d'énergie faisant abstraction des usages (et s'exprimant en Wh, A et V), comme le travail capitaliste est la forme générale d’activité seule reconnue par la société, peu importe son contenu. Dans une société marchande, il n'est pas possible de décider des usages de l'énergie et des activités économiques, et les critiques sont sans effet. Des choix technologiques absurdes sont en train d'être faits, mais la seule dénonciation de leur absurdité n'est pas suffisante.

Certes, on peut identifier des macro-acteurs puissants qui semblent assumer ces choix absurdes (les institutions étatiques, les entreprises, etc.), et qui ne nous demandent pas notre avis. Mais il y a aussi quelque chose qui transcende la société, et qui doit être défait pour trouver une porte de sortie : la monnaie et sa logique sociale dans notre société capitaliste. Si les pollueurs polluent et si les Etats ne s'opposent pas aux projet industriels qui ravagent le vivant et notre santé, ce n'est pas à cause d'une psychologie défaillante et d'une volonté perverse (la fameuse chrématistique d'Aristote), mais parce que la recherche de monnaie est première dans les comportements humains dans cette société. Le désir de monnaie 9 justifie tous les petits compromis de tous les jours, jusqu'au plus gros qui engagent des création d'emplois sans quoi le pays sombrerait dans le déclin.

Que faire face à cela ? En ce printemps 2023, les luttes pour défendre le vivant trouvent en face d'elle, au bout du compte, la puissance armée de la classe sociale qui s'estime légitime dans la conservation forcenée du dogme marchand : accaparement des ressources (comme l'eau) pour continuer à produire sans égard aux besoins des populations, mise au travail forcé pour la ré-industrialisation "à marche forcée" (sic) vers le tout-électrique, discours ouvertement racistes envers les étrangers.

La lutte est inégale face à la violence que l'Etat s'autorise au nom d'un soit-disant maintient de l'ordre. Elle l'est aussi par l'absence de projet politique alternatif autour duquel s'agréger, car la détestation certes bien compréhensible de son président n'en est pas un. Espérons qu'une conscience commune progresse néanmoins : celle qu'il n'y a rien, dans ce que à quoi nous tenons, qui peut demeurer une marchandise. Et celle que l'Etat n'en est pas un contrepoint car un capitalisme politique traverse d'un seul tenant les institutions dites publiques comme celles privées et lucratives.

Sur ces sujets, le débat et les discussions n'ont pas encore commencé.

Ibu bolo de la jardinerie mentale de la provision commune

1 Bunn Julie Ann, David Paul A., Coutard Olivier, « L'économie des passerelles technologiques et l'évolution des réseaux. Leçons apprises de l'histoire de la distribution de l'électricité. 2ème partie », Flux, n°6, 1991. pp. 33-51.

2 François-Mathieu POUPEAU, Un siècle d'intervention publique dans le secteur de l'électricité en France, Gérer et comprendre, Septembre 2004, n°77.

3 On appelle " maladie chronique " une pathologie évolutive et de longue durée pouvant entrainer des complications graves, voire une invalidité temporaire ou définitive. Les maladies chroniques comprennent principalement les maladies cardiovasculaires (athérosclérose, hypercholestérolémie, hypertension artérielle, insuffisance coronaire, insuffisance vasculaire cérébrale, insuffisance respiratoire, arythmie...), les cancers, le diabète (type 1 et 2), les maladies respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme...), les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, la sclérose en plaque...), certains troubles mentaux (dépression, schizophrénie...), ainsi que certaines maladies rares ou orphelines (mucoviscidose, drépanocytose...). " https://fedecardio.org/je-m-informe/role-de-l-environnement-dans-les-maladies-chroniques/

4 "Transition énergétique : le défi d’une électrification de la France d’ici à 2050", Le Monde, 02/03/2023 https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/02/02/transition-energetique-le-defi-d-une-electrification-de-la-france-d-ici-a-2050_6160198_3234.html

5 2022 était certes une année mauvaise du fait de problèmes de sécheresse et de maintenance des centrales nucléaires, mais ces problèmes ne sont pas prêts de se résoudre.

7 "à Paris, des enjeux de rénovation énergétique très forts pour plus de la moitié des logements", Atelier parisien d'urbanisme, juin 2022 https://www.apur.org/sites/default/files/8p212_logement_enjeux_renovation_energie_forts_paris.pdf?

8 "Garder certaines lumières allumées: redéfinir la sécurité énergétique", Low Tech Magazine, Décembre 2018 https://solar.lowtechmagazine.com/fr/2020/05/keeping-some-of-the-lights-on-redefining-energy-security.html

9 André Orléan et Rainer Diaz-Bone, « Entretien avec André Orléan », Revue de la régulation [En ligne], 14 | 2e semestre / Autumn 2013, mis en ligne le 12 décembre 2013, consulté le 26 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/regulation/10305 ; DOI : https://doi.org/10.4000/regulation.10305



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