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Pourquoi je préfère le RSA Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 27 mai 2016 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau
Résumé: Le RSA peut être défendu dans une optique individualiste. C'est ce que je tente de montrer dans ce texte. Ou plutôt, j'essaie avant tout d'ouvrir le débat. Nombre de propositions avancées ici nécessiteraient en effet une vérification empirique. Par exemple : le RSA contribue-t-il vraiment à l'auto-production ? J'ai fondé cette proposition sur mon expérience personnelle : moi, mes amis et mes connaissances. Néanmoins, elle nécessiterait une vérification appuyée par une observation plus rigoureuse.
Sans nier l'intérêt de la démarche, je regrette qu'ils cantonnent l'argumentation à cette dimension abstraite, philosophique et collective, laissant de côté les avantages purement pratiques, rationnels et individualistes de ces systèmes de redistribution. Avantages qui constituent pourtant un réel plaidoyer en leur faveur. Arguments « économiques ».Je m'interroge donc, dans ce qui suit, sur les avantages du RSA ou du RME ; et, en tout premier lieu, sur ceux qui sont de nature économique. Pour moi, « en tant qu'individu », deux questions me paraissent centrales.
Individuellement.En théorie, le choix économique que je fais entre le travail marchand et le RSA, repose sur la valeur du revenu différentiel net (revenu moins coût) entre le revenu que je tire d'une activité marchande et le revenu que je tire en tant que bénéficiaire du RSA. Autrement dit, je calcule : Revenu Différentiel Net = (Revenu Activité Marchande - Coût Activité Marchande) - (RSA ou RME) Un premier constat s'impose. Le revenu différentiel net n'est pas forcément favorable à l'activité marchande, surtout pour des revenus faibles (aux alentours du SMIC). Pourquoi ?
On peut donc réécrire l'équation de choix comme suit: Revenu Différentiel Net = (Revenu Activité Marchande - Coût Activité Marchande) - (RSA ou RME + AS) - (TL - CAP6) - (DSR7 - DR8). Tout cela mis bout à bout réduit le montant du revenu différentiel net à peau de chagrin. Au point qu'aujourd'hui, un travail salarié de faible revenu peut même être économiquement moins avantageux que le RSA9. En théorie, il est donc économiquement « irrationnel » de préférer un travail faiblement rémunéré au RSA. Une adhésion faible.L'expérience montre pourtant que les effets désincitatifs sur le travail marchand du RME sont peu significatifs10. On peut alors s'interroger. Pourquoi tant de personnes continuent-elles à avoir une activité marchande alors qu'il serait plus intéressant pour elles d'être au RSA ? Je pense que la réponse est à rechercher avant tout dans des facteurs socio-culturels auxquels il faut ajouter des facteurs économiques. J'avance plusieurs hypothèses :
A cela, il faut ajouter plusieurs arguments économiques défavorables au RSA.
CollectivementIndividuellement, je peux, à travers mes choix, favoriser une orientation de l'action collective qui me paraît en accord avec mon intérêt personnel. Il s'agit bien d'une rationalité individuelle, au sens d'une action intéressée ; même si l'effet escompté à travers le choix peut être perçu comme indirect et ne pas s'appuyer sur des thèses rationnelles ou vérifiées17. De plus, je peux aussi avoir intérêt à défendre le RSA ou le RME, comme choix collectif, car l'extension de ce système de redistribution paraît favorable à mes intérêts économiques. Encore une fois, il s'agit d'un choix purement égoïste ! Quelles sont, dans cette perspective, les raisons de défendre ou de choisir le RSA ? En voici quelques-unes :
Arguments « sociologiques ».Individuellement.
Collectivement.
Arguments éthiques et « politiques ».Je n'ai pas réussi à trouver des informations sur les effets politiques du versement du RSA21 ou d'un RME, ou sur le profil électoral des bénéficiaires du RSA. Quant aux approches comparatives (entre pays), elles sont rendues difficiles par la multiplicité des systèmes de protection sociale. Il y a donc matière à recherche, mais on bénéficie déjà de quelques données. On sait notamment que les chômeurs votent majoritairement à gauche, tandis que les travailleurs indépendants ont un vote qui est positionné très à droite22. Ce qui éclaire sous un autre angle la politique de la droite d'extension du RSA aux auto-entrepreneurs... Sur le plan de l'éthique individuelle, en revanche, le RSA et le RME posent de multiples questions. Comment les justifier ? Je mettrai l'accent sur quelques réponses qui me semblent évidentes - mais je reconnais leur caractère relatif.
On touche ici à mon avis le point sensible du RSA. Certes, il me rend plus libre, mais seulement dans une certaine mesure... Car je reste quand même dépendant de ce revenu et surtout de l'Etat qui le verse... Il ne satisfait donc qu'à moitié la démarche de dé-consommation et d'autonomie dans laquelle je suis engagé, même si, indéniablement, pour moi, il y contribue. Je pense donc que le RSA ou le RME n'ont de sens qu'en tant que mesures transitoires. Transition vers quoi ? Il me paraît personnellement et collectivement absurde de les concevoir comme des mesures d'insertion dans l'économie marchande. En revanche, je pense qu'ils peuvent aider, sous certaines conditions, à substituer à l'économie marchande, une économie plus sobre, plus rationnelle et efficace, qui serait en grande partie fondée sur les échanges non-marchands et sur l'auto-production. Et c'est aussi pour cela que je préfère le RSA... Notes1 Pour un aperçu de la socio-démographie du dispositif, on pourra consulter, Sophie Cazain et al., Études sur le revenu de solidarité active, N°156, octobre 2012, CAF. Consulté en avril 2015 <http://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/dossier_etudes/dossier_156-etudesrsa.pdf> ainsi que le dossier Sophie Cazain et Isabelle Siguret, « Les allocataires du Rsa fin décembre 2011 », l'essentiel, n°120, mars 2012. Consulté en avril 2015 <http://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/essentiel/120_-_essentiel_-_rsa_mars.pdf> ⇑ 2 Celui qui correspond au coût économique du travail marchand, par exemple, les déplacements, la formation, etc. ⇑ 3 La raison en est, entre autres, que je ne supporte plus, ce faisant, les coûts de transaction, les coûts du marché (publicité, marketing, ...), les coûts liés à la taxation, etc., qui sont incorporés dans ces ressources. ⇑ 4 Ce qui n'est autre que de la micro écologie industrielle ! ⇑ 5 Comment mesurer monétairement le coût d'opportunité. Deux aspects doivent être pris en compte. Le premier est que les synergies entre les activités permettent de supposer que plus du temps de travail est libéré, plus il est « efficace ». Autrement dit, le revenu marginal du temps libéré est croissant. A double titre, rapporté à la quantité de travail hebdomadaire, et il y a aussi des effets d'apprentissage sur le long-terme. Ensuite, pour avoir une idée de la valeur du temps libéré, il faut la rapporter à la valeur des ressources que je peux auto-produire au lieu d'acheter. ⇑ 6 Coûts liés à l'auto-production. On peut raisonnablement supposer que TL >> CAP. ⇑ 7 Dépenses sans réduction. ⇑ 8 Dépenses réduites. ⇑ 9 En effet, le SMIC net est à peu près égal à 1100 €. Retranchons le coût du travail marchand. Il est assez difficile à évaluer (je n'ai pas trouvé de données facilement utilisables), mais en additionnant le transport, la formation, les soins, le surcoût liés à l'habitat près des zones d'emploi, etc., je pense qu'on peut l'estimer à environ 250 € par mois. Venons-en au temps libre. Je l'estime à environ 40 heures de dégagées. Car il ne faut pas négliger les heures du travail fantôme. Et je préfère ne pas comptabiliser dans la catégorie hors travail-fantôme les heures de loisir, car elles me paraissent nécessaires pour supporter la pénibilité du travail (cette hypothèse est formulée par J. Ellul dans Le système technicien). 40 heures dégagées équivalent, au minimum à 40 x 15 € = 600 euros. Car je paie généralement plus cher l'achat de services marchands que ce que je vends l'équivalent de mon travail sur le marché (par exemple, la garde d'enfants, la cuisine, le ménage, le bricolage, etc.), en raison des coûts de transaction, des taxes, des coûts du marché (coûts nécessaires au fonctionnement du marché, en partie inclus dans les taxes), etc. Il faut aussi ajouter l'effet de synergie. Enfin, il faut retrancher la différence entre les dépenses sans réduction et les dépenses réduites. Etant donné le montant des aides au logement, on peut sans exagérer estimer à au moins 200 euros cette différence. Donc, on a au final : RDN = 1100 - 250 - 400 - 600 - 200 = - 350 €. C'est bien sûr une évaluation approximative, mais elle donne un ordre d'idée. ⇑ 10 Voir par exemple D. Hum et W. Simpson, « A Guaranteed Annual Income? From Mincome to the Millenium », Policy Options Politiques 01-02/2001, p.80. <http://www.irpp.org/po/archive/jan01/hum.pdf>, consulté le 14 mars 2012. ⇑ 11 A l'instar, me semble-t-il, de la façon dont est perçue la rente par la classe ouvrière... ⇑ 12 A l'inverse du versement des retraites ou d'une aide aux handicapés. ⇑ 13 Pour aller à l'encontre de cet argument, on peut noter que le RME peut aussi constituer un bon prétexte pour la casse des acquis sociaux. Le raisonnement est le suivant. Le RME constituant une protection universelle contre les aléas de la vie, il facilite la suppression des coûteux systèmes bureaucratiques de protection sociale (coûteux pour la classe patronale), tels que l'allocation chômage, la sécurité sociale, etc., qui peuvent être remplacés par des systèmes de protection privés. ⇑ 14 Et il faut ajouter que le RME s'oppose à l'idéologie du travail qui est dominante dans les sociétés modernes. Ce qui renforce la pression sociale à l'encontre des « anti-travail-marchand ». D'une certaine manière, la situation s'apparente à l'opprobre dont souffrent les déserteurs ou ceux qui ne veulent pas monter au front durant les guerres. Elle est très bien narrée par Céline dans Voyage au bout de la nuit. ⇑ 15 Ici, on doit toutefois distinguer la progression hiérarchique espérée que font miroiter les organisations marchandes (au même titre qu'une cagnotte à la loterie), de la progression hiérarchique réelle (en tant que variable sociologique). ⇑ 16 On pourrait ajouter que le statut de RSAste est précaire. En tant que RSAste, je ne suis pas à l'abri d'un arrêt arbitraire des versements. Mais le problème existe également dans le cadre du travail marchand. ⇑ 17 C'est par exemple ce qui se produit lorsque nous votons ! Notre vote n'a quasiment aucun impact sur le résultat final. Et pourtant, nous votons ! ⇑ 18 Je fais ici, et dans la suite, une hypothèse sous-jacente. Sous certaines conditions, le RME ou le RSA réduisent l'activité marchande et augmentent l'activité non-marchande. C'est une hypothèse forte. Et je garde à l'esprit qu'on peut raisonnablement supposer qu'elle n'est valide que sous deux conditions: 19 Souvent, je le précise, dans des domaines qui me plaisent plus que ceux qui le sont par les retraités. ⇑ 20 J'entends institution au sens large, le marché en étant une. ⇑ 21 Pour cela, il faudrait déjà s'entendre sur les effets du RSA (baisse de la criminalité, accroissement de l'assistanat, etc.) ! ⇑ Catégories: Économie non-marchande
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