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Quelques réflexions sur le DIY Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique) Création de la page: 08 février 2017 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau
Résumé:
Pour court-circuiter un échange marchand, il faut soit :
C'est de la cinquième possibilité dont il est question ici. Définitions préliminairesFaire soi-même, c'est vaste ! Cela peut signifier simultanément consommer et produire soi-même son pain ! L'acte de consommation étant une « production », et réciproquement. Une personne qui ne peut consommer toute seule, invalide, va faire appel à une autre personne qui va produire le service d'aide. Autre exemple, le surfeur « consomme » un loisir mais en même temps, produit un service (le spectacle). Lorsque nous mangeons, consommons, nous produisons en même temps des externalités. Abandonnons donc l'idée de distinguer production et consommation, et tenons-nous en au fait qu'une activité est internalisée, externalisée ou partagée. Cela donne trois modalités d'échange possibles :
Voyons, très approximativement, comment ces modalités d'échange sont représentées dans l'économie marchande et non-marchande. Tableau: Différentes formes d'auto-production suivant le type d'économie
Deux difficultés émergent de la définition du DIY. La première est qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer une action internalisée d'une action partagée. En particulier quand une action internalisée utilise des « biens immatériels » (culture, idées, informations). A cet endroit, on devrait plutôt parler d'idéaux-types. Toutefois, cela ne doit pas masquer la matérialité du concept. Je ne prends qu'un exemple, monter un mur à plusieurs ou tout seul, jouer une pièce de théâtre seul ou à plusieurs, n'impose pas du tout les mêmes contraintes. On peut notamment passer d'une situation réalisable à une situation irréalisable. Tout dépend de la façon dont on définit le contexte d'activité ou le système d'activités. Faut-il par exemple inclure l'énergie grise ? La seconde est qu'une action d'auto-production inclut des ressources et des actions annexes ou des actions imbriquées qui nécessitent parfois des ressources acquises via des échanges marchands. Prenons un bien fini, et consommé comme tel, quelle est la part d'échanges marchands qui ont concouru à sa production et à sa distribution ? Il n'est pas facile de répondre à cette question. Néanmoins, encore une fois, en se focalisant sur une action bien précise, la matérialité du processus apparaît très claire. Acheter du pain est une chose. Le bien est acquis mais non-produit. Produire du pain avec de la farine et le faire cuire pour en faire usage en est une autre. La troisième est de savoir s'il faut assimiler auto-production marchande (le bien est produit pour être revendu) et auto-production non-marchande (le bien est produit pour être « donné à soi »). La première difficulté provient du fait qu'une action peut produire une multitude d'effets qui vont s'insérer dans des modalités d'échange plurielles. La micro-économie tente parfois de tenir compte de cette réalité en introduisant le concept très partiel d'externalité. Mais cette tentative, même si elle sauve les apparences, pour reprendre l'expression de Avantages du DIYL'auto-production est essentielle dans le fonctionnement de l'économie non-marchande. Elle permet d'acquérir (presque) gratuitement un grand nombre de ressources nécessaires à la satisfaction des besoins, du moins permet-elle à une personne de substituer à un échange marchand une activité qu'elle réalise et dont elle se "donne" les fruits. Les avantages par rapport à l'échange marchand sont nombreux. Au niveau individuel, collectif, écologique, économique, culturel, il est souvent bien plus intéressant de réaliser soi-même certaines activités plutôt que d'avoir recours à l'échange marchand. Sur le plan politique, la pratique de l'auto-production s'inscrit dans une recherche d'indépendance, d'autonomie et de contrôle des ressources utilisées dans les processus de production et de consommation. Elle s'inscrit également dans une recherche de liberté au sens de réappropriation des outils de production et de liberté de produire ce qu'on veut comme on veut. Concernant les avantages économiques, prenons pour le montrer l'exemple d'un pain fabriqué maison et d'un pain acheté. Un pain de 500 gr de "bonne qualité" est facturé en moyenne 2 euros. En comptant un pain par jour, pour nourrir un foyer, une personne dépense en moyenne 2 euros pour un pain par jour, sans compter les éventuels dépenses supplémentaires liées au fait que les boulangeries sont des lieux où il est tentant de dépenser son argent pour une petite gourmandise !! En rajoutant qu'il faut en moyenne 5 à 10mn par jour, au minimum, pour acheter le pain (déplacement jusqu'à la boulangerie + file d'attente + retrait, etc.). Sur un mois, cela fait 60 euros dépensés, et 2 à 5 h pour acheter le pain. Convertissant le tout en heure, sur la base d'une échelle 7 euros = 1h travaillée, et on obtient une moyenne (certes très approximative) de 10,5 h à 13,5 h de travail par mois pour se procurer le pain. Passons maintenant à un pain fait soi-même. La farine, l'eau, le sel et la levure, pouvant être aisément stockée en grosse quantité, on peut diminuer le coût horaire de fourniture des aliments à 20mn par mois. Un pain est facile à réaliser, et il prend en moyenne 10 à 15 mn par jour. Soit en tout, 6 à 7 h par mois. En sachant que :
Passons aux questions d'argent ! La farine achetée en gros est en général très bon marché. Elle coûte en moyenne 0,5 euros le kilo. Soit donc 0,25 euros pour un pain de 500 gr. Quant à la levure, avec le levain, elle est théoriquement inépuisable (les levures se reproduisent à l'infini), l'eau coûte également très peu cher. Disons un euro par mois. Idem pour le sel. Le seul hic est la cuisson, mais celle-ci peut être réduite, soit en faisant cuire plusieurs plats ou pains simultanément, soit en utilisant une technique de cuisson qui est couplée à la technique de chauffage, ou qui fonctionne avec du bois de récupe (glané, par exemple). Comptons tout de même 10 euros par mois pour la cuisson, ce qui paraît raisonnable. En tout, on obtient donc un pain à 20 euros par mois, approximativement, pour les matières premières et la cuisson. Soit, approximativement 3 h de travail. Il faut donc travailler approximativement 9 à 10h par mois, pour produire son pain soi-même. À cela, il faudrait rajouter tous les coûts liés au travail fantôme, c'est à dire l'ensemble des coûts supportés par le travailleur, et nécessaires pour réaliser son travail (transports, travail gratuit, stress, etc.). En somme, à priori, il est donc plus intéressant de faire son pain soi-même que de l'acheter, et cela à tous les niveaux !!! Limites au raisonnementMalheureusement, tout n'est pas rose dans le DIY. Car le raisonnement économique que je viens de présenter a ses limites. Rapport entre revenus, patrimoine et auto-productionPremière limite, le rapport s'inverse dès que le salaire horaire augmente. Si une heure de travail est rémunérée 50 €, le calcul n'est plus du tout favorable à l'auto-production ! Il en résulte une tendance qui me semble assez réaliste, même si je n'ai pas sous la main de confirmation statistique. Appelons A le volume des ressources et services auto-produits par un agent économique (type ménage ou petite organisation) pour son usage sur une durée donnée, et R le revenu de cet agent (revenu courant), on a, toutes choses égales par ailleurs : A = f(R) avec f'(R) < 0 Autrement dit, l'auto-production décroît avec le revenu. Hypothèse assez séduisante, si ce n'est que la relation se complique dès qu'on la contextualise. La variation de R dont il est question désigne-t-elle une variation chronologique pour un même agent économique ou une comparaison entre des ménages ayant des revenus différents ? Il est presque certain que la fonction ne serait pas la même dans les deux cas. Des effets d'apprentissage, d'habituation, d'inertie peuvent jouer dans le premier cas, tandis que des effets d'imitation, d'enrichissement global, d'extension du marché à de nouveaux services, peuvent également influer dans le deuxième cas. Autre problème, il faudrait distinguer patrimoine et revenu. Pourquoi ? Car il est très probable qu'une large partie du patrimoine, constitue une ressource en tant qu'outil d'auto-production. La possession d'un patrimoine en nature (terrains, outils, matériels, etc.), permet potentiellement d'accroître le niveau d'auto-production. On serait alors tenté de déduire de ce raisonnement une autre tendance quantitative, soit P le patrimoine d'un agent économique : A = f(P) avec f'(P) > 0 Autrement dit, l'auto-production croît avec le patrimoine. Cependant, pour que cette relation soit pertinente, il faudrait pouvoir définir qualitativement le patrimoine qui peut être alloué à l'auto-production, ce que l'on peut appeler faute de mieux le « patrimoine auto-productif » (PA) qui ne constitue qu'une partie du patrimoine total et qui doit être distingué d'un patrimoine « non-exclusivement-auto-productif », tel que :
Ce faisant, doit-on supposer que le revenu s'accroît ou décroît avec le patrimoine total ? La possession du patrimoine ayant un coût (entretien, maintenance...), ne peut-on pas supposer que les revenus diminuent avec la quantité de patrimoine ? Et en sachant que le patrimoine auto-productif procure des revenus, s'il appartient simultanément à la catégorie du patrimoine productif marchand ? Autre question, il paraît assez réaliste de supposer que le patrimoine auto-productif croît avec le revenu (achat d'outils, par exemple), auquel cas, la relation vue plus haut est quelque peu contrariée. En effet, si cette hypothèse s'avère exacte, on a : Δ+R ⇒ Δ+PA ⇒ Δ+A, donc, A = f(R) avec f'(R) > 0 Et si on suppose que le revenu s'accroît avec le patrimoine, on a : Δ+P ⇒ Δ+R ⇒ Δ-A, donc, A = f(P) avec f'(P) < 0 Bref, ce ne sont pas les interrogations qui manquent ! Ajoutons que nous avons considéré jusqu'à présent A en « valeur absolue », mais il existe en fait deux mesures possibles. A peut en effet définir le volume total des ressources et services auto-produits. Mais il peut aussi désigner un ratio calculant la part des ressources allouées à la consommation via l'auto-production relativement à la consommation totale. Le ratio n'est pas aisé à établir solidement, car on doit bien distinguer l'achat de services et de ressources, le « niveau des besoins », la quantité de services et de ressources produites, consommées, utilisées. Ce qui est acheté n'entre pas forcément instantanément dans un usage final (voire ne sera jamais utilisé) ou dans un processus auto-productif. Le problème est encore compliqué par le fait qu'une partie des ressources et services auto-produits nécessite l'achat de ressources, donc accroît les dépenses ! Il nous faudrait donc définir, pour être rigoureux, une quantité quelque peu fictive (car très difficile à mesurer) qui serait « l'usage-production » total d'un agent économique durant un intervalle de temps (RT). Cette quantité U mesurerait l'ensemble des activités de production et d'usage, réalisées par cet agent. Parmi cette quantité, on mesurerait la part des activités réalisées et des ressources utilisées/produites à l'intérieur de l'entité économique, autrement dit, les ressources ou activités auto-produites et « utilisées » (RA). S'ajouterait l'ensemble des ressources et services achetés et utilisés (RM). En sachant qu'une ressource achetée auparavant a pu être utilisée plusieurs fois, mais ce qui importe, c'est qu'elle soit utilisée dans l'intervalle de temps considéré (en espérant que l'action ne dépasse pas l'intervalle de temps, ce qui n'est pas évident !). A supposer qu'on contourne les problèmes méthodologiques, ô combien nombreux, posés par une telle mesure, le ratio d'auto-production (a) définirait alors : a = RA / RT avec RA + RM = RT Volontairement, j'ai évité d'introduire le niveau des besoins qui compliquerait encore l'analyse. Quel est le lien entre ce ratio et le revenu et le patrimoine ? Il me semble assez réaliste de supposer qu'il décroît avec le revenu. En revanche, concernant le lien avec le patrimoine, je l'ignore. Economies indirectesUne deuxième limite provient du fait que les coûts liés à l'approvisionnement en matière premières peuvent être diminués par le biais « d'activités liées » (d'où l'utilité des grandes surfaces !) ou par l'externalisation du service à des organisations qui rationalisent les coûts liés à l'approvisionnement. Reprenons l'exemple du pain. En allant acheter du pain, je peux en même temps acheter d'autres biens de consommation courante. Ceci réduit potentiellement les avantages économiques liés au DIY. Néanmoins, symétriquement, au delà d'un certain seuil les avantages liés au travail salarié, nécessaire le plus souvent pour l'achat, diminuent en érodant le travail réalisé soi-même, et donc l'ensemble des synergies qui peuvent se produire entre l'ensemble des activités faites-soi-même : récupération, activités domestiques, apprentissages, etc. Cela d'autant plus qu'il est également érodé par le temps de loisir, structuré, codifié et régulé, d'une telle manière, qu'il rend quasiment impossible cette synergie. On peut donc en conclure, qu'au delà d'un certain seuil, l'efficacité du travail salarié, pour ce qui est de la réalisation des besoins primaires et secondaires décroît très probablement. Pourquoi ne fait-on pas tout nous-même ?Telle est la question ? A peu de choses près, elle a déjà été posée sous une autre forme dans la théorie des coûts de transaction (pourquoi une organisation externalise ou internalise certains de ses services). Je ne crois pas qu'il faille entièrement rejeter l'approche micro-économique (pour une fois !), mais je lui préfère de loin une approche de sociologie phénoménologique. Je tente d'énumérer en vrac les raisons qui me poussent à ne pas faire une action par nous-mêmes : Des raisons d'ordre « affectif » :
Des raisons d'ordre institutionnel :
Des raisons d'ordre économique :
Des raisons d'ordre « informationnel » :
Des raisons inhérentes à l'action elle-même :
Problème dans le DIY : le choix des techniques et des savoir-faire. Classification des ressources et des activités selon des critères DIY.A voir
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