Laboratoire indépendant de recherche conviviale sur l'auto-production, la gratuité et la culture libre
∏ - À propos / Fonctionnement \ Admin - ∃ - Collecter des données / Évaluer \ Publier / Discuter \ Décider / Les contributeurs - ∈ - La Fabrique / Recherches \ Textes / Blog \ En chantier / La gratuiterie - ∑ - Le Boomerang / CEDREA \ Entrez sans payer / nonmarchand.org
Autoproduction / Culture libre / Économie non-marchande / Libertés / Recherche conviviale / Critique de la science économique / Critique de l'économie marchande alternative / De tout et de rien
La fabrique - Blog / Textes
Textes sur l'économie non-marchande et la culture libre
Articles en tout genre... que l'on peut librement diffuser, modifier, publier, discuter et évaluer.

Vue - Éditer - Historique - Imprimer -

Inscription - Connexion

Ajouter un article

Se vendre dans les alternatives. Une critique de l'idéologie de l'autonomie économique

Auteurs: Ibubolo (voir aussi l'historique)
Création de l'article: Juin 2022
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: fermé
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 06 novembre 2022 / Dernière modification de la page: 28 mars 2024 / Créateur de la page: ibubolo



Résumé: Vouloir s'autofinancer sur le marché par des activités artisanales ou peu rentables pour éviter d'être dépendant de subventions : la fausse bonne idée


On entend régulièrement critiquer, quand on est un acteur économique alternatif ou associatif, le fait d'utiliser voire de dépendre de subventions publiques. A cela est opposé le fait d'avoir ce qui s'appelle un auto-financement, ce qui veut dire une source de revenus que la structure va chercher par ses propres activités. Pour le dire plus clairement, soit la structure a une activité marchande (elle vend des prestations) et c'est très bien parce que ça veut dire qu'elle est autonome, soit elle dépend de subventions publiques, et c'est pas bien parce qu'elle n'est pas autonome.

Cette vision des choses, qui malheureusement n'est pas une caricature, sous-estime ce que ça fait que d'avoir une activité marchande. Loin d'avoir une autonomie, cela signifie qu'il faut aller chercher des clients, ce qui est une source de dépendance. Ensuite il faudra chiffrer les coûts pour que l'activité soit rentable, et mettre en forme cette activité pour qu'elle réponde aux besoins du marché. Quand les prix du marché sont très bas, et si la forme juridique est l'indépendance, l'auto-exploitation n'est jamais très loin, car rien n'interdit de travailler avec un revenu horaire en dessous du SMIC pour réaliser un chiffre d'affaire. Même si on pense aux petits boulots que font les auto-entrepreneur, c'est très répandu et depuis longtemps dans l'agriculture notamment. En fait énormément de petits acteurs économiques consentent à s'auto-exploiter ainsi dès lors que gens qui y travaillent ont un intérêt dans la structure, qu'il s'agisse de petites entreprises artisanales ou agricoles, de petits commerces, ou même de sociétés coopératives comme les SCOP. Il n'est ainsi pas interdit de travailler en recevant un revenu très bas, pour pouvoir atteindre les exigences du marché, et les impressions qu'il y a là quelque chose comme une forme d'indépendance ne sont pas justifiées autrement que par une idéologie professionnelle qui naturalise les contraintes du marché. Ainsi, dans le mouvement des Amap, les consommateurs ne trouvent rien à redire au fait de "soutenir" des producteurs travaillant pour moins que le Smic horaire. Tout le monde est content mais il s'agit objectivement d'une situation d'une grande violence, camouflée par une idéologie "alternative". Le fait d'être dans des alternatives n'est pas une garantie face à cela, bien au contraire, puisque le fait de relever de buts éthiques ou politiques nobles, ou d'organisations de travail autogérées, peut être un prétexte pour imposer et en tout cas normaliser des conditions de travail dégueulasses qu'un salarié classique refuserait.

Quand aux associations à but non lucratif réalisant ponctuellement des activités commerciales (fêtes, ventes diverses), ce sont généralement des bénévoles qui mènent cette activité, et quand bien même on a l'impression que c'est une bonne opération pour la trésorerie de l'association, cela peut aussi revenir à de l'auto-exploitation par rapport à d'autres stratégies moins coûteuses en temps et en énergies bénévoles, quand le but est de financer la structure.

En réalité, le temps socialement nécessaire est une contrainte qui s'applique à tous les secteurs économiques. Il signifie que les acteurs économiques ne seront jamais payés en fonction de leur temps de travail, mais en fonction de leur productivité, c'est-à-dire du temps qu'il aurait fallu "normalement" dépenser en se calant sur le "temps socialement nécessaire", celui qui émerge au niveau de la société tout entière. Cette pression à la productivité se traduit différemment selon les entités économiques. Dans les grosses structures qui emploient des salariés dans le cadre du code du travail, la productivité sera atteinte en sélectionnant sévèrement les travailleurs, qui auront été formés au préalable aux méthodes de travail les plus à jour pour être efficaces, formations financées par l'argent public. Dans ce cas, les travailleurs travaillent de façon proche de la norme de productivité, et quand ce n'est plus le cas, la structure n'est plus rentable et fait faillite. Dans les plus petites structures où le code du travail n'est pas respecté ou ayant un statut indépendant, les gens peuvent recevoir un revenu sans référence horaire stricte, et seront finalement payés en fonction du temps socialement nécessaire, inférieur au temps de travail effectif. Ces petites structures économiques peuvent ainsi continuer à être rentables et mettre plus longtemps à faire faillite, parce qu'en quelque sorte les gens y font des heures sup non payées, par obligation pour survivre économiquement. A l'extrême, dans l'économie dite informelle, des gens peuvent être payés à la tâche, sans aucune référence horaire. Mais dans ce cas-là aussi, le temps socialement nécessaire existe comme émergeant d'un ensemble d'activités comparables entre elles. Qu'un nouveau procédé plus efficace apparaisse et se diffuse à l'ensemble d'un secteur, et le temps socialement nécessaire diminuera. C'est pourquoi tendanciellement, l'économie doit produire toujours plus pour maintenir un même niveau de valeur, et donc d'activités humaines.

La situation est-elle différente dans le secteur dit non-marchand, c'est-à-dire public ? Il est clair qu'à l'intérieur des bulles nationales, les temps socialement nécessaires sont différents d'un Etat à l'autre. Ainsi le salaire des enseignants est plus bas en France que dans d'autres pays similaires. Aussi, à l'époque d'économies nationalisées type URSS, les normes de productivité étaient directement fixées par l'Etat, au lieu d'émerger du marché. Mais le temps socialement nécessaire existe tout aussi bien dans les secteurs marchands que dans les secteurs économiques administrés par un Etat. De nos jours, on constate bien que le statut de fonctionnaire ne protège aucunement d'une pression à la productivité, sans qu'il y ait eu besoin de la pression du marché - songeons par exemple au personnel hospitalier. Le résultat peut donc être le même.

Par contre il est clair que l'Etat a plus de marge de manœuvre que les autres acteurs économiques. Même s'il a perdu ses prérogatives en matière monétaire comme en Europe, il a le pouvoir de ventiler des dépenses publiques tout en prélevant, pour ce faire, du chiffres d'affaire émanant des activités privées (par la fiscalité, les cotisations sociales, les taxes, etc). Ces dépenses publiques ne sont pas toujours gérées de la même manière, et le couperet du temps socialement nécessaire n'émane pas spontanément du marché, mais de décisions administratives plus directes. Ce qui ne manque pas d'être critiqué par les acteurs privés, eux directement soumis aux normes de productivité du marché, face auxquelles ils n'ont pas la main. La situation est néanmoins plus complexe, puisqu'on a vu que la productivité des acteurs privés dépend directement de prestations qu'ils ne paient pas directement, comme la formation, mais on pourrait le dire de quantités de services dits publics, dont le coût ne seraient pas forcément inférieurs s'ils étaient gérés par le secteur privé (on songe ici bien sûr aux dépenses de santé, bien plus importantes aux Etats-unis où elles sont gérées par le secteur privé). La puissance publique et le secteur privé ont donc des intérêts imbriqués et sont interdépendants.

Toute cette complexité amène toutefois à des débats sans fin sur le "plus ou moins d'Etat", selon que l'on est de gauche ou de droite, et il est clair qu'il existe au moins une certaine confusion à l'intérieur du secteur non-marchand sur la manière dont émergent les normes de productivité secteur par secteur. Le fait d'invoquer l'intérêt général ou une quelconque éthique est un argument pour que la puissance publique fixe elle-même le temps socialement nécessaire, sans l'arbitrage anonyme de la "concurrence juste et non faussée" du marché. Il est évident par ailleurs que le secteur privé cherche en permanence, lui aussi, à échapper à la sentence du temps socialement nécessaire, ne serait-ce qu'en gagnant de l'argent par des activités financières depuis les années 1980, à recourir à toujours plus de technologie, en faisant travailler des gens là où le panier de subsistance est plus petit (ce qu'on appelle la délocalisation), etc. Cependant il est aussi remarquable que, dans cette lutte pour échapper au temps socialement nécessaire, les plus petits acteurs sont très désavantagés. Même si certains peuvent officier dans des niches, en particulier par le luxe ou en s'adressant à une clientèle bourgeoise privilégiée, cela reste en pratique impossible pour les activités de base qui nous intéressent, celles des biens de première nécessité.

Les petits acteurs économiques privés, parce qu'ils sont les plus soumis au temps socialement nécessaire sans possibilité d'en contourner temporairement la violence, ont donc le plus intérêt à recourir à la puissance publique pour desserrer cette contrainte. L'idéologie de la soit-disant autonomie économique, à travers l'injonction permanente et non questionnée à l'autofinancement, est par conséquent plus que problématique car elle va à l'encontre des intérêts directs de tout ceux qui cherchent à construite des rapport sociaux nouveaux, débarrassés du temps socialement nécessaire, c'est-à-dire du capitalisme. Faute d'en finir avec cette idéologie, les alternatives -qui n'en sont pas vraiment- ne font que justifier leur propre auto-exploitation par des activités portées à bout de bras, impossibles à généraliser. Ceci dit, critiquer l'idéologie de l'autonomie économique ne revient pas à considérer que le fait de recourir aux subventions publiques est forcément une voie réaliste ou non critiquable. Nous ne faisons là qu'ouvrir la réflexion nécessaire pour ne pas s'enfermer dans des postures politiques, bien plus à même de générer des milieux militants clos sur eux-mêmes, que de stratégies de transformations sociales conscientes.

8 juin 2022

Ibu bolo de la jardinerie mentale de la provision commune



Suivre...
le sitela pagela rubrique



Le contenu du site GratiLab, laboratoire de recherche conviviale sur la gratuité, le DIY et la culture libre, sauf mentions contraires, ainsi que toute nouvelle contribution à ce site, est sous licence culturelle non-marchande.
Site gratuit, sans publicité, à but non lucratif, ouvert à tous ceux qui souhaitent effectuer des recherches sur les échanges non-marchands et la culture libre ou simplement partager leurs savoirs et savoirs-faire. Construit avec PmWiki.