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Ukraine gratuite ?

Auteurs: Ibubolo (voir aussi l'historique)
Création de l'article:
Etat de la rédaction: en cours de rédaction
Droit de rédaction: ouvert
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 31 octobre 2022 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: ibubolo



Résumé: Une recherche en cours et incertaine sur l'importance du volontariat et de la gratuité dans l'Ukraine en guerre


Lecture de : "Errance et rencontre aux alentours de Kiyv ", lundimatin, #335, 21/04/2022

Cet article paru sur lundimatin en avril dernier avait attiré mon attention. Comme l'indique la rédaction de la revue pour introduire cet interview de Sergueï, entrepreneur ukrainien, "on découvre à travers ces paroles à quel point la population civile s’entraide de manière massive et décentralisée et, la plupart du temps, en dehors des rapports marchands.". L'interview a lieu alors que les troupes russes sont encore aux abords de Kiev. Sergueï y décrit le redémarrage d'une boulangerie industrielle en temps de guerre, dont il est le patron. Cette boulangerie est au départ liée à un projet social d’intégration par le travail de personnes trisomiques.

En cette période de guerre, 1300 pains de 400g sont produits deux fois par jour et distribués gratuitement en différents lieux. La boulangerie fonctionne avec une dizaine de bénévoles et une cheffe payée, au lieu de 16 salariés habituellement. La farine est fournie gratuitement par une autre entreprise, dont le PDG se débrouille pour avoir des dons pour financer les pertes. Les pains sont distribués sur place dans la boulangerie, dans un café social, mais aussi dans d’autres lieux.

En résumé, nous avons en tant de guerre un exemple d’une organisation matérielle entièrement fondée sur la participation libre et la gratuité, sans argent, où les personnes ne sont pas payées pour ce qu’elles font.

Beaucoup de questions en découlent. Est-ce qu’il y a d’autres exemples comme celui-ci dans l’Ukraine ? Est-ce que c’est une caractéristiques des périodes de guerre de voir émerger ce type d’organisation ? Enfin, est-ce que ça un sens de s’intéresser à ces questions, car n’est-il pas démoralisant de faire le lien entre guerre et gratuité ?

Ces questions m’ont conduit dans un premier temps à décrire la logique sociale -telle que je la comprends-- qui est à l’oeuvre dans la guerre, et qui peut expliquer que les gens y développent spontanément des actions qu’on pourrait qualifier en temps normal d’« altruistes », alors qu’il s’agit plutôt de nouvelles normes qui s’installent. Ensuite, j’ai voulu en apprendre un peu plus sur l’Ukraine, car après quelques recherches succintes, j’en suis venu à l’hypothèse que les boulangeries gratuites du type de celle comptée par Sergueï sont loin d’être la norme. Pour l’instant, je n’ai pas trop avancé par cette partie. Il m’a été difficile de trouver des documents relatant la vie quotidienne en Ukraine, et ce, alors qu’une bonne partie (peut-être 50%) des gens en Ukraine ne travaillent plus dans l’économie monétaire.

1ère partie : Quelque part dans Kiev en guerre, une production libre, sans argent ni salaire

Dans une perspective post-monétaire, ce genre d'exemple montre qu'il est possible de redémarrer une production sans argent ni salaire, et d'en donner l'accès à qui en a besoin, sans avoir eu besoin d'une autorité pour centraliser ou coordonner cette organisation. Privés de salaires, les travailleurs n'ont pas besoin d'être réquisitionnés pour venir travailler, ils deviennent des volontaires. "Beaucoup de gens veulent aider d’une manière ou d’une autre", affirme Sergeï. Et plus loin l'entrepreneur précise : "il faut savoir que pour moi, c’est impossible d’imaginer faire de l’argent pendant la guerre. Les gens sont dans le besoin et la question c’est : comment aider quand on peut ? Et pas “comment faire du profit” ? L’entreprenariat ça pourra reprendre après, en temps voulu."

A la lecture de ses propos, je ne peux m'empêcher de ressentir une forme de tristesse, puisque qu'il faut croire que ce patron, qui possède un fort capital social et économique, lui ayant permis de trouver des solutions non-marchandes pour faire tourner sa boulangerie, n'aura pas de scrupules à rétablir le fonctionnement marchand antérieur une fois la guerre terminée. D'un autre côté, cela montre aussi que, quand toute une société est touchée de la même façon par une interruption du cours normal de ses activités, une nouvelle énergie se met en branle pour inventer très rapidement de nouveaux rapports sociaux, en écart avec les rapports sociaux anciens. Et c'est à l'échelle de la totalité sociale que le rôle de l'argent prend ou perd son évidence. Si, dans le court normal des sociétés marchandes, la monnaie est l'« expression de la totalité sociale » (André Orléan), quand un événement suffisamment puissant oblige toute la société à se passer de la monnaie, cette totalité sociale peut encore demeurer, quand l'une ou l'autre idéologie prend le relai pour faire tenir ensemble les gens.

Le récit de Sergeï montre aussi la concomitance des échanges marchands et des rapports capitalistes. Il n'est pas possible de faire du profit quand l'argent est aboli et que, pour autant, les gens font des choses, et savent pourquoi ils le font, sans attendre de reconnaissance. Dans une société marchande, on agit d'abord pour gagner de l'argent et ce critère l'emporte sur tous les autres. Dans une société non-marchande, les activités ne se sont pas empêchées par l'absence de monnaie. Les activités se maintiennent, les raisons de les mener sont plus directes et concrètes, et elles ne sont pas condamnées à se restreindre à une petite échelle.

Si nous ne croyons pas cela possible nous qui ne vivons pas dans un pays en guerre, c'est que c'est l'argent qui nous tient et autour de quoi nous nous agrégeons. Ce constat que rien de nous réunit à part cela est déprimant. Mais d'un autre côté, la guerre qu'un peuple subit n'est qu'une possibilité parmi d'autres d'abolir le fétiche marchand. Il n'est pas nécessaire d'attendre une tragique accélération de l'histoire pour faire l'expérience de rapports sociaux non-marchands. Les grèves et les nombreux mouvements sociaux que nous avons connus ces dernières années sont autant de moments où nous pouvons produire un écart, quand ce ne sont pas des changements sociaux plus discrets qui sont à l’œuvre, et qui finiront par éclater au grand jour pour balayer le vieux monde capitaliste.

Il reste que, même en l'absence de monnaie, comme on le voit avec l'exemple de Sergueï, certains ont le privilège d'organiser ou de rendre possible la production, parce qu'ils héritent d'un capital social que leur position antérieure dans la société capitaliste leur a donné. Ils ont aussi le privilège de faire rebasculer la société dans le capitalisme après une perturbation de son cours habituel. C'est peut-être aussi une situation qu'il faut anticiper et ne pas croire qu'une simple suspension de l'usage de la monnaie -qui a de forte chance d'être subie- soit en soi émancipatrice. Les récits de survie matérielle en temps de guerre ne sont pas tous aussi heureux que celui de Sergeï. Par conséquent, nous n'avons vraiment pas intérêt à attendre que la crise s'aggrave pour nous réapproprier les ressources matérielles et les savoirs-faire de base, et les mettre à disposition du plus grand nombre.

2è partie : Guerre, volontariat et mentalités en Ukraine

Au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, comme beaucoup de personnes, je me suis aperçu que l’Ukraine était déjà un pays en guerre et j’ai été frappé par le phénomène du volontariat des ukrainiens dans ce contexte, non pas pour faire tourner des boulangeries gratuites, mais pour aller se battre dans le Donbass. Quand on parle de volontariat, on parle de personnes qu’aucune institution n’a obligé à aller faire la guerre, et qui ne recevoient par de salaires en contrepartie. Intuitivemenet, je me suis mis à faire le lien entre les deux, entre le volontariat civil et le volontariat militaire, avec l’hypothèse que ce n’est pas simplement le contexte de guerre qui favorise le volontariat et la gratuité. En effet, il me semble que le contexte de guerre peut au contraire signifier que l’État réquisitionne à peu près toutes les ressources pour les mobiliser de force dans l’affrontement. Certes l’économie de marché régresse, mais c’est pour la remplacer par une économie administrée, qui reste marchande.

Il faut aussi dire cette évidence : les volontaires ukrainiens de la guerre du Donbass, pas plus que celles de la boulangerie de Sergueï à Kiev, ne sont pas volontaires au nom de la gratuité et de l’abolition de l’économie marchande. Si l’on ne peut pas projeter le désir d’une société non-marchande sur une Ukraine "gratuite", on peut néanmoins observer que l’argent n’est pas le seul fétiche autour de laquelle une société peut d’agréger, même à notre époque.

Je me suis arrêté sur un article d’une sociologue ukrainienne1 comparant les motivations des volontaires de chaque côté du front du Donbass. Les différences sont assez nettes. Côté ukrainiens, il s’agit de personnes qui ne sont pas en échec scolaires ou professionnels, mais qui ont une expérience antérieures dans la défense ou la police. Côté pro-russes, c’est au contraire des personnes en situation insatisfaites de leur insertion professionnelle. Côté pro-russe également, les justifications à la guerre sont embrouillées et longues, alors qu’elles sont diretes et courtes côté ukrainiens. Dans les deux cas cependant, il y a une déshumanisation de l’autre partie.

(à poursuivre...)

Ibu bolo de la jardinerie mentale de la provision commune

Notes

1 Mikheieva, O. (2018). Engagés volontaires de la guerre du Donbass: Les motivations pour combattre des deux côtés de la ligne de front. Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2, 21-64. https://www.cairn.info/revue-d-etudes-comparatives-est-ouest-2018-2-page-21.htm



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