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Pourquoi lo-fi ? Par opposition radicale à ceux qui prétendent qu'il y aurait de la « bonne » et de la « mauvaise sociologie ». Lo-fi car on peut faire de la sociologie sans être mutilé, limité, aliéné par le style académique pompeux, réactionnaire, ultra-sérieux et politiquement correct qui colonise les revues académiques.
Conséquence, la sociologie lo-fi peut être mal écrite, traiter de sujets introuvables (ou pas), être non-marchande, anti-système, etc. Cette orientation « atypique » et le flou qui entoure la notion, font que certaines analyses sortent parfois du cadre du laboratoire.
 

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Comment sauver la planète (et son porte-monnaie) ? Commençons déjà par ne plus acheter le Monde Diplomatique.

Auteurs : Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Date de création de l'article : 03-08-2020 09:35
Rubrique: La revue de sociologie lo-fi
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction : non éditable
Licence : Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 03 août 2020 / Dernière modification de la page: 17 juillet 2022 / Propriétaire de la page: Benjamin Grassineau


Résumé : Quelques bonnes raisons de ne plus jamais acheter le Monde Diplomatique (valable pour tous les autres magasines et périodiques...).



J’ai trouvé le dernier numéro du Monde Diplomatique (août 2020) dans une boîte à livres à Sète. Information importante en tant que telle. Quand on source une information, on devrait prendre l’habitude d’indiquer par quels moyens matériels on l’a obtenue. D'autant qu'ici, en l’occurrence, c’est sans doute, comme vous allez le voir, l'information principale de cet article. Je m’explique.

Il s’avère que cette découverte dans une boîte à livres tombait à pic. Je rédige actuellement un livre sur un bateau qu’on me prête, dans le port de cette charmante ville de Sète qui se gentrifie à marche forcée, et n'ayant pas internet, je n'ai pas grand-chose à ma disposition pour me divertir ; hormis quelques instructions nautiques ennuyantes à mourir. Pourquoi ? Je réponds simultanément aux deux questions.

Je suis particulièrement fauché ce mois-ci, si bien que Free.k m’a coupé l’accès au réseau des réseaux (tant pis pour moi, ça m’apprendra à ne pas avoir assez milité pour les réseaux wifi communautaires) ; d'autre part, il se trouve que contrairement à une idée reçue, la vie sur un bateau est bon marché, à condition de ne pas avoir à payer le port ; bien qu’en toute honnêteté, c’était surtout pour être au calme, parce que je ne manque pas d’options alternatives (j'ai une maison, un terrain et le monde, le vaste monde...). Expérience temporaire en ce qui me concerne. D’ici quelques jours, la pitance que daigne me verser l’État sera revenue à des niveaux acceptables, mais expérience de pauvreté enrichissante car elle m’amène à m’interroger sur la pertinence du discours que je prône. Je suis passé, comme je le dis à des proches avec un humour quelque peu amer, de la pauvreté volontaire à la précarité subie… Eh bien ça va. Je valide. Ce n’est pas si terrible ! Je dirais que ça a même du bon : j’ai réduit les cafés sur les terrasses ! « Quoi ! » Ouhlala ! J’entends déjà les cris de protestation des madchand.e.s de charité qui vont s'abattre sur moi ! « Et que faites-vous de celles et ceux qui ne peuvent vraiment pas se payer à manger ? ».

Ma réponse se trouve dans la première phrase de cet article. Ou pour être plus précis, trois choses m’ont permis d’améliorer quelque peu mon quotidien (en caricaturant) :

  1. les escargots de mer que j’ai réussi à pêcher dans le port (la ressource gratuite en soi),
  2. ce bateau (le Salsa) qu’on me prête gentiment et gratuitement1,
  3. ce providentiel Monde Diplomatique dans cette providentielle boîte à livres qui m'a offert un peu de lecture !

En gros, sans l’économie non-marchande, je serais passé, durant ce mois de juillet, de la précarité subie à la misère forcée… Stade ultime avant la famine !

Ce qui ne fait que renforcer ma conviction que les actions en faveur de l’économie non-marchande sont la solution. Mais quelque chose d'autres est venu me conforter dans cette idée : le contenu du numéro du Monde Diplomatique en question. J’ai en effet été surpris de constater que leur position par rapport à « l’intellectualisme », à la science, à la professionnalisation du savoir, a évolué de manière assez significative ces derniers temps (peut-être l’effet Gilets Jaunes). Et il ne peut s’agir d’une coïncidence puisque trois articles du numéro vont dans le même sens. L’un décrit les heurs et malheurs d’une caste de technocrates qui se reproduit dans des cités fermées en Russie2. L’autre, la façon dont la bourgeoisie intellectuelle de gauche aux États-Unis a abandonné aux « classes populaires » (sans les définir naturellement) le discours anti-scientiste, ou du moins, anti-professionnel, anti-expert3. Quant au dernier, il s’en prend de façon directe aux fameux héritiers de Bourdieu4, rappelant même leur implication, ce que je ne contredirais pas5, dans le gouvernement de Vichy. Et on trouve également, cerise sur le gâteau si je puis m’exprimer ainsi, un article critique sur la collaboration des artistes avec les pouvoirs publics6.

A priori, ce revirement du Monde Diplomatique devrait me réjouir. Le moins qu’on puisse dire est que je n’ai jamais caché ma position très critique, voire radicale, et ce depuis au moins quinze ans, vis à vis de la marchandisation et de la professionnalisation du savoir... Et j’ai toujours été très hostile à ces journaux qui s’affichent contre l’ordre « capitaliste », mais qui se refusent à admettre que par leurs propres pratiques marchandes et élitistes, ils en constituent un rouage comme un autre.

Hélas, s’il y a bien un timide changement de perspective, dans le sens où on ne fait plus reporter la « faute » exclusivement sur les mauvais intellectuels qui sont à la botte de l’ordre dominant, mais sur l’existence même d’une classe d’intellectuels qui produit et distribue le savoir selon ses envies et s’accapare des fonctions sociales comme la médecine ; s'il est vrai qu'enfin, le dogme du savoir émancipateur portée par une École mise au service de l’intérêt de ses citoyens se fissure lentement ; si on s'extrait très lentement de l’idéologie mortifère du matérialisme scientifique qui a plombé la gauche pendant des décennies ; la route vers la libération est encore longue ! Car deux paradoxes demeurent et ont quelque peu terni le bel optimisme qui aurait du s’emparer de moi à la lecture de ces articles.

Le premier est que je me méfie tout particulièrement de ces discours « auto-critiques » provenant d’une classe dominante sur elle-même, surtout quand ils sont déportés sur le passé ou sur l’Autre (on fait un petit voyage exotique et dépaysant en Russie ou dans la Chine impériale pour se convaincre que dans le fond, c’est quand même mieux ici). Ce type de discours abonde dans les rangs des fameux « capitalistes » - pour le coup, les vrais - qui sont toujours prompts à revenir sur leurs pratiques, mais seulement en parole, et à les renommer pour qu’elles deviennent plus fréquentables. Aujourd’hui, par une pirouette juridique et idéologique formidable, on ne parle plus d’esclave mais de collaborateurs ! Lol. On ne parle plus d’exploitation destructrice des ressources naturelles, mais de développement durable. Mdr ! Et bientôt, on ne parlera plus d’appropriation du savoir par l’élite, mais de co-construction du savoir citoyen grâce au partenariat vertueux entre les chercheurs professionnels et le peuple un peu bêta mais bienveillant, dans des dispositifs de recherche collaborative. Sérieux, gars !

Le deuxième paradoxe, qui découle du premier, est qu’il n’y a aucun changement concret en perspective. Voilà des années que je prône le libre-accès, l’ouverture des revues, pour qu’au moins, la parole et la science soient libérées de l’emprise dramatique du marché et des professionnels du savoir sur la production culturelle, et ça ne passe pas ; et encore moins chez les chercheurs, les « intellectuels » et les artistes professionnels. Que les artistes se vendent à la classe dominante, cela n’a rien de neuf. En revanche, aujourd’hui, si ce n’est certes pas glorieux, ce n’est absolument plus une nécessité. N’importe quel artiste a parfaitement le choix. Rien ne l’oblige à aller exposer dans des galeries commerciales ou dans des musées élitistes. Il en va de même pour un chercheur ou un scientifique7. Rien ne les oblige à se prostituer pour publier dans des revues de rang A, summum de leur carrière de capitalistes du savoir. Il suffit de déposer son travail sur des plateformes de publication ouverte, ou sur son blog, et c’est amplement suffisant. Alors quand en plus ils sont déjà rémunérés par ailleurs… Cherchez l’erreur ! Et pour finir, rien n’oblige le Monde Diplomatique à restreindre l’accès de ses articles sur Internet, à les copyrighter systématiquement, si ce n’est, sans doute, ses actionnaires8. Et sans cette boîte à livres, comment aurais-je pu avoir accès à leurs articles ?

Je crois qu’il faut remettre les pendules à l’heure, avec l’apparition de l’internet libre et le triomphe des « réseaux sociaux », l’élite intellectuelle se cague dessus ! Aujourd’hui, elle est obligée d’aller ramer sur la plateforme Youtube pour qu’on daigne entendre sa parole sacrée9. Mais tout n’est pas perdu pour elle. Loin de là. Elle n’a pas dit son dernier mot. Elle se retranche héroïquement derrière ses bastions traditionnels comme l’École, l’Université ou les journaux adulés par l’élite intellectuelle branchée que sont le Monde Diplomatique ou Le Crieur. C’est vrai, elle finit par se laisser contaminer par ce mouvement de protestation diffus qui retrouve la parole contre une élite qui considère que toute information provenant des réseaux sociaux ou de Wikipédia est suspecte (une fake news), tandis que celle qui provient du Monde ou du Monde Diplomatique, reflète la réalité pure et parfaite, parce qu’elle a été validée par les clercs. Seulement, il ne faut pas se méprendre ; s’ils le font, c’est parce que les rapports de pouvoir ont changé… ; mais ils n’ont pas pour autant cessé de courir après ce pouvoir qui les fascine. Les chercheurs académiques ou les rédacteurs du Monde Diplomatique sont intimement convaincus qu’ils appartiennent à l’élite, qu’ils sont un peu « spéciaux », et en tous les cas, « indispensables », et qu’à cet égard, ils méritent leur salaire.

Je ne le pense pas, personnellement. Et je reste sur ma conviction de départ, celle que je défends depuis de nombreuses années. Le seul moyen d’abattre leur pouvoir, c’est de leur couper l’herbe sous le pied. C’est à dire de ne plus les payer. Et par chance, il existe des solutions simples et efficaces à cet effet

  1. Supprimer les droits patrimoniaux liés à la propriété intellectuelle ;
  2. Stopper net le financement public de l’enseignement et de la recherche ;
  3. Interdire la rémunération des activités de formation, de consultant et d'expertise ;
  4. Interdire la fermeture des activités et la confiscation du savoir par des professions lucratives, via des diplômes ou des formations, comme dans le cas de la médecine.

De telles mesures politiques sont devenues indispensables. Elles nous permettront d'évoluer vers une société ouverte, enfin libérée des marchands et des professionnels du savoir. Mais à titre individuel, comment agir, comment participer à cette libération ? On peut déjà commencer par cesser d’acheter leurs essais anti-capitalistes sous copyright à 22 €. Et pour cela, quoi de mieux qu’une boîte à livres ?

1 Au passage, plus de 90 % des bateaux dans un port sont désaffectés une bonne partie de l’année alors qu’ils pourraient très bien accueillir des « sans-logis ».

2 « Confinés dans les villes secrètes de l’atome soviétique », p.4-5

3 « Les populistes américains contre le lobby des médecins », p. 6-7

4 « La bourgeoisie intellectuelle, une élite héréditaire », p.20-21

5 Voir cet article.

6 « Mais à quoi servent donc les artistes ? », p.18-19.

7 Y a-t-il d'ailleurs, une différence entre les deux ? Je renvoie à l'ouvrage de Paul Feyerabend, La Science en tant qu'Art, Albin Michel, 2003.

8 Voir à ce sujet La Rédaction du Monde, « Comment l’actionnariat du Groupe Le Monde est organisé » Le Monde, 10 septembre 2019.




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