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La gauche orthodoxe et l'économie non-marchande : deux paradigmes irréconciliables

Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Création de l'article: Septembre 2020
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert sur invitation
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 21 septembre 2022 / Dernière modification de la page: 16 avril 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé: Petit essai critique sur l'incapacité de la gauche orthodoxe à envisager l'avenir gratuitement...






« Nous avons une gauche préhistorique. »

Journal mural mai 68, Sorbonne, Odéon, Nanterre, etc... Citations recueillies par Julien Besançon, Tchou, 2007, p.131.

Un choix inéluctable

Une société sans Marché est-elle possible ? Est-elle souhaitable ? Vivre sans argent n'est-il qu'un doux rêve de jeunes utopistes qui découvrent la vie, mais devront tôt ou tard se résigner à accepter la dure loi de l’existence ? Ou s’agit-il au contraire d’un enjeu politique profond qui déterminera si notre avenir est entre les mains des multinationales et des Etats totalitaires ou de celles et ceux qui donnent et reçoivent librement ?

Voilà presque quinze ans que je me pose ces questions. Dans l’espoir d’y répondre, j'ai réalisé de nombreuses expérimentations, accumulé quantité de notes et de réflexions, collecté de nombreuses données, exploré des terrains encore vierge de toute recherche, et j’ai donc en tête une petite idée de la réponse...

Néanmoins, je n’appartiens pas au clan de ceux qui désirent la disparition totale et définitive du Marché. Après tout il existera toujours des amateurs de Monopoly et on aurait tort de les priver d’un passe-temps aussi divertissant sans avoir de très bonnes raisons de le faire ! En revanche, je crois que nous nous dirigeons vers une société où l'économie non-marchande concurrencera de plus en plus l’économie marchande, au point de la réduire, à terme, à une curiosité de musée. Je prédis, même si c’est au risque de me tromper, que dans un avenir proche, chaque bien et service, aujourd'hui produit et distribué exclusivement par le Marché aura son équivalent gratuit dans l'économie non-marchande ; et qu’à terme, cette concurrence s’avérera fatale pour celui-ci. Si bien que lorsque les enfants de nos petits-enfants visiteront les grandes surfaces actuellement si prospères et triomphantes, ils n'y trouveront que des ruines, ou dans le meilleur des cas, une relique exotique dans laquelle ils se baladeront pour se divertir !

J'affirme donc, par là même, qu'une société (presque) sans marché est possible, qu'elle est souhaitable et que sa progression est inéluctable. Et c’est tant mieux ! Car sa mise en œuvre est impérative pour nous extraire du marasme économique liberticide et du désastre environnemental dans lequel nous sommes plongés.

Je crois à l'action politique. Le cours de l'histoire n'est jamais fixé de manière définitive. Je livre ici ma croyance, ma prédiction la plus optimiste, mais j'ai conscience qu'on ne peut exclure une évolution vers une société nettement moins sympathique où les adeptes du Marché s’agripperont dans un geste désespéré à une société exsangue, entraînant dans leur chute inexorable notre environnement naturel, nos libertés individuelles et notre confort matériel. Il y a, notamment du côté de la Toulouse School of Economics, bien des clercs irresponsables qui attendent patiemment que le vent tourne pour prendre la direction du navire et nous conduire tout droit sur les rochers !

Nous sommes donc aujourd'hui à un tournant. Nous avons le choix. Aussi incongru que cela puisse paraître, je pense que nous pouvons d’ores et déjà nous diriger vers une société libre, sans Marché. Techniquement, rien ne s’y oppose. Culturellement, en revanche, c’est une autre affaire. Et nous n’y parviendrons qu’à une condition : ne plus céder aux sirènes du Marché et cesser de croire aux sornettes prêchées par les adeptes de la religion du Marché.

Se libérer de la religion du marché

Les vieilles croyances ont la vie dure. Encore trop nombreux sont celles et ceux qui s'imaginent qu'on peut sauver la planète en achetant des carottes bios sur un marché local. Ceux-là n'ont rien compris à l'emprise dramatique du Marché sur l'agriculture. Quant à celles et ceux qui pensent qu'en créant des entreprises solidaires, ils parviendront à réduire les inégalités, ils n'ont que faire du bien-être de celui qui est exclu de l'accès aux ressources qu'ils produisent. Et naturellement, celles et ceux qui pensent qu'en dérégulant les marchés financiers, l'économie se portera mieux, vivent sur une autre planète. Mais tous vénèrent un même dieu, tous appartiennent à une même religion : la religion du Marché.

En soi, je n'ai rien contre cette religion et ses adeptes. La religion a du bon quant elle permet à ses fidèles de trouver un sens à leur existence. Et c'est ce qu'elle réalise à merveille avec le travail marchand et la consommation marchande. Un bon job, une belle maison, une voiture neuve ; et l'être humain se prélasse dans la plénitude de sa réussite illusoire et de son existence paisible. Une religion est bonne également quand elle permet à ses adeptes d'interagir entre eux selon des normes qu'ils ont intériorisés, quand elle leur offre le luxe de ne plus avoir à réfléchir. Leur vie, leurs actes, sont alors guidés, mis sur des rails ; ils acquièrent ainsi un sens prédéterminé. N’est-ce pas ce que le Marché leur propose ? Une religion doit également conférer à toute chose un sens, une valeur, un prix, même s'ils sont fixés par une entité invisible. En cela la religion du Marché a tout d'une excellente religion. Elle remplit parfaitement son office.

Mais elle présente un défaut rédhibitoire : elle n'est pas partageuse. Ses pratiquants sont fermement convaincus que la réalité définie et construite par le Marché est la seule envisageable ; qu'elle est la réalité optimale, celle qui est la mieux adaptée aux conditions naturelles de l'existence. Et cela même en dépit des apparences. Le déni est total. Vous pratiquez une activité gratuitement ? Cela cache quelque chose ; cela trahit un intérêt latent. En d'autres termes, la religion du Marché est « totalitaire ». Rien ne peut et ne doit exister en dehors d'elle. Pourquoi ? Comment ? Tant que nous n'aurons pas répondu à ces questions, nous peinerons à sortir du modèle qu'elle nous impose. Lorsque l'on se retrouve ainsi coincé entre les tenailles d'une réalité qu'une religion produit et assène méthodiquement, au point d'envahir les moindres recoins de notre existence, le seul moyen de s'en extirper, est de l'objectiver ; soit en mettant à nu ses mécanismes, soit en opérant un décentrage ; c'est à dire, en vivant, en expérimentant une réalité qui lui échappe.

Le succès de l'expérience de la Maison non-marchande de Puivert

A ce titre, laissez-moi vous conter ma petite aventure...

Bref historique

Lorsque j'ai terminé ma thèse de doctorat qui traitait de la culture libre et du modèle de création-distribution des ressources qu'elle a impulsé1, je pensais avoir réussi à démontrer de façon solide que la réussite de ce modèle n'était pas déterminé par des facteur techniques. Certes, les conditions de son émergence étaient multifactorielles, mais en aucun cas, il ne fallait mobiliser à elle seule l'explication technique. La soi-disant immatérialité des biens numériques n'expliquait pas leur circulation au sein d'un modèle économique où la gratuité prédominait, le facteur prépondérant était de nature politique ou culturelle2.

Seulement, la démonstration laissait comme un goût d’inachevé. Pour la finaliser, il fallait prouver que l’on peut étendre ce modèle à la sphère matérielle. Je me suis attelé à cette tâche il y a maintenant plus de 10 ans. Et je l’ai fait de façon « intégrale ». C’est à dire que je suis parti du principe qu’il serait incohérent de chercher à démontrer la faisabilité, voire la supériorité de ce modèle, si dans le même temps, d’une part, je ne tentais pas d’appliquer à moi-même les principes qui le fondent, et si, d’autre part, je ne l’adossais pas sur une structure de production et de diffusion des connaissances scientifiques qui obéirait aux mêmes principes. L’idée de prêcher la gratuité tout en vendant son discours m’a toujours semblé inacceptable. Plus jeune déjà, je ne supportais pas cette contradiction absurde entre le discours anti-capitaliste des « musiciens » qui gravitaient dans le réseau alternatif et le caractère marchand, élitiste et hiérarchique de leurs pratiques. Il y a pire, je suis convaincu que la marchandisation de la science et de la culture en général joue un rôle décisif dans la domination d’un modèle fermé et hiérarchique sur nos sociétés. Arrivé à cette conclusion, et persuadé qu’une alternative existait dores et déjà (celle de la science citoyenne naissante), je n’ai guère hésité à y participer.

Une recherche-action intégrale

Suivant mon impulsion, j’ai donc délaissé une carrière académique plutôt bien engagée, pour créer un laboratoire de science ouverte dédiée à la gratuité et à la culture libre, mais aussi, pratiquer à titre individuel une forme contrôlée de pauvreté volontaire et créer une structure d’expérimentation dans la sphère réelle, axée sur la promotion et le développement des échanges non-marchands et fondée sur un principe de « changement intégral ».

À savoir :

  • utiliser et élargir la structure à tout le spectre des échanges non-marchands (prêts, dons, auto-production, circulation d’objets nomades, etc.);
  • l’étendre à l’intégralité des ressources (tout peut potentiellement être concerné);
  • mettre en place une organisation entièrement ouverte et gérée de manière non-directive;
  • pratiquer moi-même, en tant qu’usager, les échanges de ce type;
  • maximiser le recours à l’économie non-marchande pour la faire fonctionner ;
  • rendre la structure politiquement neutre en insistant tout particulièrement sur le fait que le principal objectif du lieu était de promouvoir la gratuité et la culture libre. Point barre.

Il faut bien voir qu’au début des années 2010, toutes ces idées n’allaient absolument pas de soi. La plupart des espaces de gratuité balbutiants étaient axés sur une ressource particulière, un type d’échange (don) et enrobaient leurs actions d’un discours très politisé, qu’il soit caritatif, anti-capitaliste ou environnemental. L’idée que l’on pût défendre une modalité d’échange en tant que telle n’allait pas de soi. Et dans le fond, la situation n’a guère évolué depuis. Tout se passe comme si la réalisation d’une activité dans le cadre d’un échange non-marchand ne pouvait se suffire à elle-même ; comme si, elle était frappée d’incomplétude. La finalité de la gratuité devrait toujours être subordonnée à une cause plus générale, une cause plus noble. Le simple fait d’être libre de prendre et de donner ne suffit pas. L’action se doit d’être justifiée. On notera qu’à l’inverse, il n’en va pas de même lorsque l’action se déroule dans un cadre marchand, car alors, l’enrichissement qui en résulte semble la légitimer de facto.

Malgré un démarrage un peu laborieux, cette structure a très bien fonctionné et s’est parfaitement implantée dans le village qui l’a vu naître. Et au regard de cette expérience, une de mes hypothèses de fond s’est trouvée validée : il suffit d’offrir un accès libre à des structures, des dispositifs dans lesquels les échanges non-marchands sont facilités, pour que ceux-ci se réalisent, comme par magie. Sauf qu’il n’y avait aucune magie ! L’idée que cela ne pourrait se faire, révélait surtout une vision biaisée des ressorts de l’action qui rend souvent ces expériences non-planifiées très difficiles, voire inenvisageables. Il est pourtant très intéressant de faire abstraction du « lien social », des motivations, généralement calquées arbitrairement et de façon exogène sur les acteurs, à partir de préjugés parfois tenaces sur leurs besoins et leurs représentations. Car, et c’est un résultat significatif, les motivations, la téléologie, se définiront, se construiront, se métamorphoseront à posteriori, pendant ou après l’action. Ce renversement paradigmatique, qui s’oppose au schéma causaliste simpliste, si précieux à la micro-économie, à la psychologie freudienne ou à la sociologie de l’engagement, qui posent comme postulat une antériorité des motivations, des besoins, sur l’action, s’est avéré fructueux dans la pratique. Un ensemble minimaliste de règles sont définies, élaborées et communiquées à l’intérieur même du lieu, grâce à un affichage sobre et qui va à l’essentiel, et les acteurs peuvent s’en saisir pour reconstruire une finalité, des interactions sociales parfois denses et régulières, et de nouvelles règles qui viendront les compléter.

Les déconvenues d'un prosélytisme par l'exemple

Toutefois, un des objectifs du lieu, d’ailleurs clairement affiché à l’entrée, était de servir de modèle, d’ouvrir des perspectives d’action qui seraient reproduites ailleurs. J’avoue que de ce point de vue, sans doute en raison de l’isolement relatif du village où il était enraciné, le succès fut mitigé. Certes, la diffusion de mots que nous avions inventés, en particulier via une plateforme nonmarchand.org montrait bien une certaine adhésion indirecte aux idées que nous tentions de propager3. Cependant, le revers de la médaille d’une position centrée sur l’échange, est qu’elle bute sur un ensemble de barrières représentationnelles dès qu’il s’agit d’entreprendre une action politisée, ou du moins, perçue comme telle4. Grâce aux espaces de gratuité, on observe une transformation des pratiques et des représentations, mais elles sont très localisées. Qui plus est, on observe également une tendance marquée, et parfois quelque peu déconcertante chez les primo-usagers, à rattacher la nouveauté du phénomène qu’ils observent à des concepts, des expériences proches, qu’ils ont déjà vécus ou qui leur ont été rapportés. Ce faisant, ils neutralisent efficacement les effets perturbateurs que cette expérience pourrait causer sur leurs croyances. Car le phénomène est alors immédiatement circonscrit à un espace, à une catégorie d’action, à une population, qui leurs sont étrangers ou au contraire parfaitement connus (donc, il n’y a pas lieu de modifier leurs convictions). Il en résulte parfois un processus bien connu des épistémologues : « sauver les apparences » ! On adapte la théorie en surface pour intégrer des faits inédits qui risqueraient de la détruire. A titre d’exemple, j’ai entendu à plusieurs reprises des sceptiques m’affirmer « un tel lieu est super, mais jamais il ne fonctionnera en ville »...

Donc, si le contact avec des échanges non-marchands qui se déroulent dans une activité ou un cadre qui n’est pas familier peut conduire à une transformations des représentations, il peut aussi susciter un rejet, un scepticisme, voire une hostilité certaine. Pourquoi ? J’ai longtemps cherché la réponse à cette question, en sachant que les théories qui tentent de l’expliquer par une hypothétique peur de se sentir redevable, ne m’ont jamais franchement convaincu, quoique je leur reconnaisse une capacité explicative ad hoc5. À force d’expériences, d’essais et d’erreurs, je crois avoir cerné les deux raisons principales. La première est que les échanges non-marchands, sortis de leur contexte, sont hors-normes. Ils sont déviants, et à ce titre, presque impurs, sales ! Leur étrangeté fait qu’on va les dévaluer, là où le marché, dans bien des domaines - pas tous, songeons à la prostitution - accroît au contraire la valeur, le désirable, le niveau de sacralité. La seconde est qu’on ne les comprend pas. Il manque une vue d’ensemble qui leur confère une légitimité politique, morale et économique. Ils sont appréhendés, tout au mieux, comme un loisir ou un outil subordonné à une cause plus vaste. Il n’y a pas de théorie, d’analyse cohérente et unifiée de leur fonctionnement, de leurs dynamiques, de leurs effets réels et probables, qui permettrait de les insérer dans une dynamique politique et économique constructive. Et il manque également par dessus tout des outils d’analyse et d’observations permettant de les distinguer, de les discriminer des autres formes d’échange ; condition nécessaire à leur autonomisation vis à vis de ceux-ci.

Le fiasco de la gauche orthodoxe

On touche ici un point très important. À ma grande surprise, les réactions les plus agressives, les plus mitigées, les plus dubitatives, provinrent non des fameux « capitalistes » mais des défenseurs de formes d’économie ou de pratiques dites « alternatives ». Dès le début de mon engagement et de mes expérimentations, j’ai par exemple été confronté à des jugements très défavorables venant de sélistes qui, d’une part, critiquaient l’absence d’obligation de réciprocité dans l’échange, et d’autre part, ne voyaient pas en quoi leurs pratiques, qu’ils pensaient subversives, pouvaient être qualifiées de marchandes6 et donc, rapprochées indûment de leur ennemi séculaire, à savoir l’odieux capitalisme ! C’est donc un fait que la résistance est d’autant plus forte, hormis dans certaines circonstances où les échanges non-marchands menacent véritablement les intérêts d’une profession, de la part de ceux qui, tout en pratiquant les échanges marchands, se posent, se légitiment, comme les adversaires les plus radicaux d’une sous-catégorie de l’économie marchande. On reconnaîtra bien sûr ici les mouvements de la gauche marxiste, socialiste ou solidariste, et de l’écologie politique, ce que j'appellerais la gauche orthodoxe.

Ils n’ont pourtant pas de quoi pavoiser... Parce qu’un fait demeure. Le phénomène le plus marquant de ces cinquante dernières années est, outre l’essor du numérique, l’échec colossal de ces mouvements sur le plan pratique et idéologique. J’annonce d’emblée mes intentions. Il n'est pas ici question d’en faire le procès. Mais j’insiste sur le fait que c'est ce contexte politique qui a impulsé, et qui a motivé mes recherches. C'est ce constat d’échec qui a nourri mon engagement. Ces mouvements politiques nous ont laissés sans défense contre ce qu’ils prétendaient combattre : la dégradation de l’environnement, l’accroissement des inégalités, le recul des libertés individuelles sous les coups de butoir d’institutions totalitaires, la haine identitaire..., et j’en passe. Pire, sous certains aspects, ils y ont activement contribué.

J’ai grandi imprégné de la culture des années 1970 : anti-conformisme, refus d’obéissance, méfiance envers les institutions, défense des libertés individuelles, libre-accès aux ressources, égalité entre les humains quelque soit leurs caractéristiques, ont toujours constitué pour moi un fond de valeurs auxquelles je me suis librement rattaché. J’insiste. On m’a laissé le choix. Et c’est cela qui définissait l’authentique progressisme de l’environnement dans lequel mon enfance s'est déroulée. Durant ces années, l’espoir était là. Il a nourri la seconde partie de la vie de ma mère qui l’a mis en œuvre à son échelle et dans la mesure de ses possibilités. Quelle ne fût pas sa désillusion !

Le désastre idéologique

Aujourd’hui, elle n’est plus de ce monde, mais comble de l’horreur, voilà que l’actualité nous montre le triste spectacle de la gauche et de l’écologie politique renouant avec leurs origines fascistes. Le retour du refoulé, hélas! Identitarisme, attaques contre les libertés individuelles au nom de la cause environnementale ou d’on ne sait quel principe moral suranné, défilé de la gauche avec des néo-fascistes qui brandissent le drapeau tricolore en clamant des slogans qui sous-entendent que les juifs, pardon, les sionistes, sont encore responsables de tous nos maux.

Quelle déception ! Là où on espérait l’avènement de l’écologie radicale, de la libération sexuelle, de la déscolarisation, de la révolte des jeunes, du refus de l’autorité, de la fin du marché, de la « réappropriation des situations », on parle désormais de taux de pénétration des produits bios sur un marché ; on met en place des dispositifs répressifs de contrôle familial visant à réduire les discriminations liées au genre tandis qu’on assimile la révolution sexuelle à une ruse du patriarcat ; on continue d’enfermer des enfants dans des prisons en se donnant bonne conscience car elles sont « Montessori », alors même que cette dernière fut une fasciste convaincue ; on promeut l’éducation populaire, formule qu’on aurait dû bannir depuis la création du ministère de l’éducation populaire dans l’Allemagne nazie, pour enrôler les jeunes citoyens dans la création du bien commun (et la majorité de la gauche ne cache pas son enthousiasme envers le retour du service national) ; on appelle à l’avènement de circuits marchands de proximité qui loin d’être révolutionnaires, étendent les tentacules du marché jusque dans les tréfonds de nos campagnes ; on encense les militaires et on réclame la mort des terroristes, alors qu’il s’agit d’êtres humains et que la France et les pays occidentaux se livrent à des guerres iniques et meurtrières partout à travers le monde ; on brandit le spectre de la misère face à ceux qui osent vouloir vivre de peu et vivre sans travail ; et enfin, combien sont-ils, qui se disent de gauche ou écolos, à travailler dans des institutions de quadrillage social qui confisquent le pouvoir de tout un chacun à modifier son environnement urbain ou rural au profit d’experts sur-diplômés ?

Sur le plan idéologique, le fiasco est donc total. Et, si on se risque à mobiliser l’histoire pour comprendre ce qui a bien pu se passer, on découvre avec amertume que derrière le vernis humaniste et socialiste de ces mouvements, plane l’ombre du fascisme7. Cette composante, longtemps refoulée, ressurgit aujourd’hui brutalement. Pourront-ils un jour se débarrasser de ce démon qui leur colle à la peau ? J’en doute.

Mais sur le plan des réalisations, le bilan n’est guère plus reluisant. Regardons les choses objectivement. Examinons les faits en s’écartant des discours de propagande trop édulcorés ou alarmistes.

L'échec environnemental

Tous les indicateurs environnementaux sont au rouge. Depuis cinquante ans, la situation empire année après année. La biodiversité fond comme neige au soleil, la pollution chimique et le plastique envahissent les espaces naturels (même l’Antarctique n’est pas épargné), la circulation automobile et le vol aérien progressent sans relâche, etc. La faillite est complète. Certes, nous avons réussi ça et là à colmater quelques fuites. Telle ou telle espèce, comme les rhinocéros noirs, ont été sauvées in extremis de l’extinction ; telle substance mortelle a fini par être interdite au bout de quelques décennies de lutte. Et il faut s’en réjouir. Mais ce ne sont pas ces coups d’éclat médiatisés qui changent quoi que ce soit à la tendance générale.

Et il y a pire, l’écologie politique, faute d’avoir pu contrer l’action destructrice de l’économie marchande sur l’environnement, se rabat aujourd’hui sur des politiques de répression visant le comportement des citoyens, comme le tri sélectif. Ce qui n’est guère étonnant. Dans le naufrage, on se raccroche à la bouée qui est à notre portée. Et il est alors plus facile de s’en prendre au pauvre qui fait trop d’enfants, au citoyen irresponsable qui ne ramasse pas ses crottes de chiens8 et ses mégots dans la rue, qu’à un complexe techno-industriel qui ravage des écosystèmes entiers. Le résultat est pourtant on ne peut plus contre-productif. En invisibilisant la pollution générée par la consommation de masse, on déculpabilise les consommateurs. Au point qu’il est à mon avis plus pertinent de jeter un emballage dans la rue que de le déposer dans un container dédié au tri sélectif. Voilà, c’est dit.

Je ne voudrais pas paraître inutilement provocateur, mais le meilleur allié de l’écologie n’est-il pas finalement la technique !? Et je ne songe pas ici aux fameuses technologies vertes qui ne sont que de la poudre aux yeux de développement pseudo-durable, mais aux affreuses techniques agricoles modernes. En concentrant l’agriculture industrielle, ou bio-industrielle, dans les zones les plus rentables, elles laissent respirer des zones naturelles délaissées. Hélas de telles zones sont progressivement reconquises par les tenants de l’agriculture biologique qui, grâce aux idéologues fascisants de l’agriculture paysanne, ont carte blanche pour artificialiser des terres enfin libérées, au nom du marché local ! S’agit-il ici de l’ultime perversion de l’agriculture biologique ? Re-marchandiser des territoires délaissés, car pas assez rentables pour les soldats de l’agronomie, et imposer une valeur économique à des biens communs, comme le paysage, fort utiles pour soutenir le tourisme économique de masse ?

La faillite des modèles de développement socio-culturel

D’un autre côté, le bilan des mouvements de la gauche orthodoxe (marxistes, socialiste ou solidariste) est tout aussi désastreux. Les inégalités croissent à un rythme effréné, le mouvement coopératif et solidaire s’est essoufflé sans jamais avoir donné les résultats escomptés par ses défenseurs ; les libertés individuelles décroissent sous la pression d’institutions défendues et développées par la gauche étatique ; les idéologues s’égarent de plus en plus dans une dérive antisémite ou antimusulmane nauséabonde et les politiques de développement, à l’instar de ce qu’Ivan Illich dénonçait dès les années 1970, se sont avérées contraires à l’intérêt des populations ciblées (en revanche, elles ont créé tout un cortège d’experts, de professions, de métiers, qui en vivent confortablement).

Bref, on ne peut plus raisonnablement défendre la culture, la santé, l’école, comme s’il s’agissait de biens communs aux propriétés transcendantes, intangibles, définies en dehors de tout contexte ; comme s’il s’agissait de biens communs intrinsèquement bons et ardemment désirés par un peuple frustré de ne pas pouvoir y avoir accès. Cette vision essentialiste et naturaliste de la richesse n’est plus seulement contre-productive, elle est devenue liberticide. Le droit à un habitat digne s’est muté en arme d’oppression au service des détracteurs de l’habitat alternatif. Le droit au travail maquille grossièrement la véritable liberté, qui est précisément de ne pas travailler, ou du moins de travailler à ce que l’on veut et comme on veut, sans être repoussé par les barrières artificielles érigées par des corporations, des entreprises établies et par le marché du travail ; autrement dit, il masque subtilement la vraie oppression : l’appropriation exclusive de certaines activités par le Marché. Le droit à la santé s’est transformé en acharnement thérapeutique lucratif. Le droit à l’éducation a dérivé vers l’acceptation sans critique possible de structures d’enfermement et d’endoctrinement qui bafouent le droit des enfants. Le droit à une enfance heureuse a été instrumentalisé par un marché de l’adoption inhumain et destructeur. Etc.

La déroute économique

Et qu’en est-il de la santé économique ? Elle est devenue un dogme, une mythologie sacralisant des indicateurs économiques déconnectés du réel, et portant la croissance sur un piédestal. Le débat s’est ainsi figé autour de catégories chosifiées sans qu’il n’y ait plus aucune perspective critique à leur égard.

Prenons le cas de la lutte contre le chômage. Indirectement, elle équivaut par définition à prôner le travail. Ce qui soulève deux difficultés.

  • La première, vieux débat, est qu’on voit mal en quoi le travail pourrait être une valeur positive quand tout l’imaginaire occidental s’articule autour du rêve d’une vie oisive… et que nous avons aujourd’hui les moyens techniques de réduire le travail, du moins sous sa forme contrainte, à quelques taches résiduelles.
  • La deuxième est que la véritable origine du chômage ne réside pas dans une croissance trop faible, ou Dieu seul sait quelle affabulation d’économiste systématiquement infirmée par les faits, mais dans un système de règles, de représentations moyenâgeuses de la notion de compétence, qui bloquent l’accès au travail. Il est donc absurde de parler de droit au travail. C’est exactement comme si on vous exhortait à réclamer votre droit à respirer, tout en rationnant l’air qui est à votre portée ! Le travail est là, ici, devant nous. A condition qu’on puisse se servir librement. Dans une société libre, c’est bien la dernière chose qui peut venir à manquer. Après, il est certain que si on vous enferme dans une pièce en vous interdisant de faire quoi que ce soit… vous n’aurez plus de travail. En effet, mais la vraie question est celle du partage et de la répartition des fruits de l’activité humaine et de l’accès à des activités et à des ressources nécessaires pour les réaliser. Il ne faut pas tout mélanger.

La gauche orthodoxe ne s’est pas seulement engluée dans le piège du chômage, elle s’est également fourvoyée en ce qui concerne la croissance, la pauvreté ou les inégalités économiques. D’abord parce que sur tous ces points précis, même pris du point de vue traditionnel, le bilan est plutôt mauvais. Et ensuite, parce qu’il ne s’agit nullement d’objectifs légitimes en soi. A nouveau, d’une part, la pauvreté n’existe que parce que nous créons les conditions juridiques et physiques de son existence ; c’est donc là qu’il faut agir : libérez les champs, libérez les logements vacants et il n’y aura plus de pauvreté ! D’autre part, en cherchant à supprimer la pauvreté, on s’engage inéluctablement dans un processus d’élimination et de stigmatisation d’une catégorie sociale, celle des pauvres. Ce qui est tout bonnement inacceptable. Le rôle de la gauche ne devrait pas être de chercher à éliminer la pauvreté, de culpabiliser le pauvre en l’enrôlant de force dans des programmes de réinsertion, mais de mettre en place les conditions pour que l’on puisse vivre sa pauvreté dignement surtout lorsqu’elle est volontaire. Il faut revaloriser la pauvreté. Aujourd’hui, ce que beaucoup réclament, c’est le droit à vivre dans la frugalité, dans la simplicité, et non le droit à participer à ce grand projet de fuite en avant dans une croissance sans fin qui conduit progressivement à la destruction des écosystèmes !

L'hostilité envers la gratuité et la culture libre

Si la réaction de la gauche orthodoxe à la gratuité me navre profondément, elle a tout de même le mérite de rappeler la nécessité d’opérer un décentrage et d’expérimenter une réalité différente. Car personnellement, c’est à travers cette rupture radicale que j’ai pu prendre conscience du fait que ceux qui critiquent le système marchand en sont souvent simultanément les plus ardents défenseurs et les plus fervents pratiquants. Et au fur et à mesure que mes actions se structuraient, s’étoffaient, que mes idées s’élaboraient au contact de la pratique, que des concepts émergeaient de l’observation et de l’expérimentation, je suis venu buter sur cet obstacle. Ceux-là mêmes qui s’étaient prétendu les héritiers de mouvements des années 1970 ou de la Libération - même s'ils étaient en réalité davantage les héritiers de la sinistre Révolution Nationale - sont devenus les nouveaux chiens de garde de l’ordre établi.

Car non seulement, ils ne veulent pas participer, mais en plus, ils contestent ! Parlez de culture libre et ils tenteront de vous arracher quelques larmes sur les conditions de vie dramatiques de l’artiste désargenté ; évoquez la libération de la terre et ils ne tarderont pas à masquer leurs propres pratiques basiquement commerciales en crachant leur venin sur l’agriculture conventionnelle ; parlez de gratuité, et ils vous sermonneront « qu’il faut bien vivre », que vous devez songer à votre autonomie sur le long terme, qu’il faut être réaliste ; défendez le droit de l’enfance et ils vous vanteront sans délai les bienfaits du placement ; évoquez le droit des animaux à circuler et à vivre librement, et ils s’indigneront que vous refusiez de stériliser votre animal de compagnie !

Voilà donc où nous en sommes. Ceux qui sont censés soutenir la liberté, l’égalité, l’humanité, l’environnement, se sont tellement détournés de ces valeurs, qu’il déploient désormais toute leur énergie, non plus à lutter contre des systèmes d’oppression, puisqu’ils les maintiennent et les nourrissent par leurs discours et leurs actions, mais contre ceux qui les contestent.

Est-ce si surprenant ? Peut-être pas si on songe à l’évolution historique de l’église catholique dont bien des écologistes et des socialistes sont les héritiers. Sous prétexte de faire le bien, de répandre l’amour et la fraternité, elle a détruit des civilisations entières et créé des institutions tyranniques de contrôle et d’enfermement du savoir, comme l’école et l’université qui osent aujourd’hui se présenter comme des forces émancipatrices…

Aller vers une économie des possibles

Résister

Peut-être cette diatribe contre la gauche orthodoxe vous choquera-t-elle, mais elle a le mérite d’être claire et franche. Je m’inscris en opposition nette et radicale à cette tendance destructrice et liberticide qui mine ces institutions. Le modèle que je prône est celui de la liberté et non celui de l’asservissement, de l’enfermement, du respect de l’autorité et de la coercition. Je fais partie de ceux qui résistent, de ceux qui refusent, tout en œuvrant au développement d’une nouvelle forme d’économie que j’appellerais l’économie des possibles. C’est une économie du « tu peux » et non du « tu ne peux pas » ou du « tu dois », qui, tout en respectant les désirs et les intérêts de chacun, potentialise et accroît leurs libertés et leurs droits ; elle augmente leur champ des possibles.

Ce modèle est universel. On peut l’appliquer partout où cela est possible ; et chacun peut s’y joindre s’il le désire. Et je l’y invite. Car c’est une économie simple, efficace, sobre et libératrice qui lui donnera pleine satisfaction et qu’il pourra quitter à tout moment. Il ne s’agit pas d’un énième instrument aliénant au service d’un groupe d’intérêt, fût-il du « bon côté de la barrière » comme le « prolétariat ». Nous ne proposons pas un modèle excluant, mais un modèle ouvert, neutre et inclusif par définition. Et c’est surtout le seul modèle que nous puissions véritablement opposer au monstre totalitaire et destructeur qui empoisonne nos existences : le Marché.

Rompre avec le Marché

Mais pourquoi les adversaires auto-proclamés du capitalisme affichent-ils une telle aversion envers ce modèle qui devrait à priori les enthousiasmer ? L’hypothèse la plus probable est qu’au cœur de la réaction des anti-capitalistes contre l’économie non-marchande il n’y a rien d’autre que des intérêts marchands. Toute idéologie « anti-non-marchande » appliquée à un domaine quelconque n’est qu’une variation autour d’un même schème idéologique plus global visant à défendre des intérêts marchands. Dès lors qu’une activité tend à se professionnaliser, qu’elle se marchandise, elle ne tarde pas à tenter d’éliminer toutes les réalisations et les représentations de cette activité qui se font sous une autre modalité d’échange. C’est en cela que le Marché ne diffère guère d’une religion conquérante.

La grande majorité des alternatives « de gauche », écologistes, et à fortiori de droite, reposent donc sur une erreur de fond : elles n’ont jamais cessé de croire au Marché. Celui-ci est toujours demeuré présent en arrière-plan. Certes, elles ont ardemment désiré l’épurer de certains éléments encombrants (les inégalités, le capitalisme, la pollution, etc.), et c’est ce qui a constitué le fondement de leur programme politique. Mais c’est une voie sans issue. On ne peut pas transformer un système d’échange intrinsèquement oppressif et néfaste en système libérateur et vertueux. C’est une injonction contradictoire. Tout comme on ne peut transformer l’École, outil d’endoctrinement, d’enfermement et de contrôle, en outil au service de la liberté de pensée, de l’émancipation et de la liberté tout court. Tout cela n’est pas sérieux. Ce discours institutionnel n’est que de la propagande.

Certes, on ne manquera pas de me rétorquer que le « Marché marche », qu’il produit, qu’il évolue, qu’il fait vivre. Ce qui est parfaitement faux. Le Marché ne fonctionne que parce qu’il sert des intérêts colossaux disposés à injecter des sommes faramineuses pour éviter son écroulement. Le Marché ne marche pas. Il menace sans cesse de s’effondrer, nécessite un appareil de maintien et de contrôle totalement démesuré, ne serait-ce que pour la protection de la propriété privée, la redistribution et l’exécution des contrats. De plus, « il ne marche pas tout seul », il ne naît pas spontanément. Il n’arrive pas de nulle part. Le Marché est une construction artificielle. Il s’appuie sur un corpus théorique et pratique puissant et en grande partie invisible. Et c’est là sa force. L’arrière-plan du marché se soustrait à notre perception directe. En tant que protagonistes, nous nous contentons de répéter des gestes, durement acquis par le passé, ancrés dans nos corps, qui ont modelé nos croyances et nos habitus, et qui se situent en deçà de notre conscience (nous portons en nous un véritable « inconscient marchand »). Mais le Marché, en tant que tel, nous ne le voyons pas. Il n’est nulle part, il n’est pas tangible. Et pourtant, il modèle, structure, fige temporairement le réel, il façonne l’univers quotidien dans lequel nous sommes immergés.

Il s’agit donc avant tout de le dévoiler, de le mettre en évidence, d’en deviner la structure à travers ses manifestations, de construire une représentation qui nous permette de le matérialiser et de réduire le discours qui le légitime, qui prétend décrire objectivement son fonctionnement, à une simple sécrétion idéologique. Et il s’agit pour cela de produire des espaces, épistémiques et physiques, sur lesquels le « marché en marche » bute et se recroqueville, se disloque, révèle sa structure au contact de l’altérité.

Ce sont là deux des orientations qui guident le travail socio-économique que j’entreprends : déconstruire les représentations du Marché pour s’en affranchir ; repartir de zéro pour proposer une construction théorique alternative qui nous permettra d’appréhender scientifiquement l’économie non-marchande.

Je crois à cet égard qu’il faut aller plus loin. Au lieu de s’entêter à nier la réalité et l’efficacité de l’économie non-marchande, il est temps à présent de l’explorer, comme on partirait à la conquête d’un nouveau continent. Celui-ci s’ouvre devant nous. Il est déjà là. Nous sommes dans une période de découverte. Il s’agit maintenant de le comprendre, de visiter ces territoires méconnus, d’ouvrir de nouvelles portes pour l’étendre encore davantage mais aussi d’éviter qu’elles ne se referment. Car on peut encore s’évertuer à vouloir le coloniser, à sauvegarder envers et contre tout notre vieux modèle marchand, à tenter de l’exporter dans ces nouveaux espaces ; mais cela ne fera que retarder l’inévitable : ce modèle, l’économie non-marchande, c’est notre avenir.

Notes

2 Hélas, l'évolution récente d'Internet n'a fait que renforcer cette thèse. En l'espace de 10 ans, sa marchandisation a été spectaculaire. Mais ne nous trompons pas de cible. Les GAFAMS n'y sont pour rien. Elles se sont juste montrées opportunistes. Toute la responsabilité repose sur les usagers qui ont préféré, pour des raisons que je qualifierais de religieuses, des solutions marchandes à que pour des solutions libres. Là où il y a eu un sursaut, le modèle du libre n'a pas tardé à se relever. Mais qu'importe, le discours qui prédomine à gauche a trouvé son nouvel ennemi ! Et il est toujours plus simple d'accuser les « capitalistes » que les usagers considérés comme manipulés et passifs. Alors que la gauche orthodoxe se rassure, la révolution n’est plus 2.0. Elle peut à nouveau occuper le terrain et déporter son flot de haine sur le capitalisme numérique.

3 Par exemple, le succès de la locution « espace de gratuité » ou l’emprunt du terme « non marchand ».

4 La nuance est importante car les aspects pratiques de l’implantation d’un espace de gratuité dans son domicile étant sous-estimés et pourraient être une fin en soi. Toute la question est alors de savoir s’il n’y a pas une barrière culturelle liée au fait qu’à partir du moment où un acte est perçu comme un engagement, une forme de sacrifice, il ne devrait pas simultanément rapporter quelque chose à celui qui l’accomplit.

5 Je fais référence ici aux travaux du M.A.U.S.S sur la théorie du don-contre-don.

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