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À propos des libertés fondamentales - IV - Le mythe de la liberté de circulation

Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2017
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 15 avril 2023 / Dernière modification de la page: 26 avril 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé: Quatrième partie d'une série d'articles portant sur l'illusion des libertés fondamentales dans les sociétés modernes.






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La liberté de circulation et de mobilité

J'en viens à la liberté d'aller et venir ou liberté de circuler.

Qu'elle soit un droit fondamental ne prête guère à controverse, dans la mesure où la nécessité de se déplacer répond à un besoin physiologique souvent vital.

Premier constat : la liberté de circuler est illusoire du fait de la prédominance sur terre, et en partie sur mer, des États-nations. On pourrait penser qu'il s'agit d'un état des choses plutôt « naturel », et que les politiques contemporaines, justement, apportent une garantie nouvelle à cette liberté. Encore une fois, il existe de bonnes raisons de relativiser ce propos. Rappelons ce qu'en disait Montaigne au XVIe siècle : « J'ai un tel faible pour la liberté que si l'on me défendait l'accès de quelque coin des Indes, j'en vivrais un peu plus mal à mon aise1 ». Il ne faut pas prendre le sens de cet extrait au pied de la lettre. Sa valeur sociologique est sûrement limitée, de même que sa valeur en tant qu'indice de la représentation du droit à la mobilité au sortir du moyen-âge2. Si je peux me permettre de l'interpréter librement, il suggère que la représentation de Montaigne du droit de circulation était dépendante du contexte social, de sa position sociale, et des aspirations de l'époque. Contexte social dans la mesure où la notion de liberté n'y était probablement pas la même ; les restrictions opéraient sur des éléments différents de ceux qui, aujourd'hui, sont mis en avant. Position sociale car l'occidental a ses propres critères de liberté, ses propres prismes d'interprétation, alors même que la liberté peut être restreinte avec d'autres procédés qui passent alors pour invisibles ; et position sociale qui, très probablement, l'amène à considérer la mobilité en Europe comme allant de soi, alors qu'en réalité, cette mobilité est réservée à des catégories sociales privilégiées – les vagabonds étant, quant à eux, persécutés du moyen âge jusqu'à nos jours. Enfin, idéal de liberté dont il faut mesurer le fossé avec la réalité actuelle du droit à la circulation. Car si la réalité sociologique et historique du droit à la circulation reste délicate à établir, du fait du manque de sources et de la diversité des dispositifs, on peut en revanche établir avec une bonne fiabilité celle d'aujourd'hui. La liberté de circuler étant conditionnée à l'obtention de documents administratifs, visas, passeports, etc., soit en définitive, à la possession d'une « nationalité », elle est presque inexistante. Quand on a la chance, comme Montaigne en son temps, de faire partie de cette minorité de privilégiés qui, dans le chaos mondial contemporain, jouissent d'une « bonne nationalité », on peut en effet être la proie de l'illusion de la liberté. Mais la réalité est hélas bien plus sordide. Combien de personnes échouent aux portes des frontières des États-nations ?

En réalité, dans de vastes contrées du monde, cette liberté subit des restrictions considérables. D'ailleurs, il faut remarquer que, même en France, elle est loin d'être universelle. On parle depuis peu, par exemple, d'appliquer des restrictions sur la sortie du territoire ! Qu'il y ait là un état de nature, un fait intangible gravé dans l'histoire, l'extrait des Essais est bien là pour nous rappeler qu'il n'en est rien. Au nom de quel droit, en effet, nous interdit-on d'accéder à des pans entier de la planète Terre ? Il n'y a rigoureusement rien qui puisse le justifier. Et on ne peut observer qu'avec amertume le renversement pervers opéré s'est dernières décennies, durant lesquelles on a substitué au problème de la fermeture des frontières, qui constitue une grave atteinte au droit fondamental d'accéder aux ressources terrestres et maritimes, celui, totalement invérifiable et imaginaire de l'immigration. Il me paraît important d'affirmer de façon claire et appuyée qu'en restreignant l'accès au territoire qu'il contrôle, l’État français peut être considéré comme responsable du contexte liberticide, au même titre que d'autres États engagés dans des politiques similaires.

Mais soit ! Laissons de côté le fait que la liberté d'aller et venir demeure grandement imparfaite entre les territoires contrôlés par les États-nations ; même si certaines améliorations sont indéniables, comme la constitution récente de l'Espace Schengen. Qu'en est-il de la liberté à l'intérieur des frontières étatiques ?

D'abord, la liberté de circulation est un doux rêve pour une large part des citoyens français qui en sont privés pour diverses raisons : prisonniers, mineurs, personnes jugées incapables, etc. S'agissant des prisonniers, peut-être cet enfermement est-il justifié quand une personne présente un danger réel pour autrui, mais on peut s'interroger, dans la grande majorité des cas, sur la pertinence de cette privation de liberté qui, en fait, est tout autant, semble-t-il, une punition qu'une solution.

Quoi qu'il en soit, examinons plus précisément ce qu'un citoyen peut faire si, par chance, il ne fait pas partie des exclus de la circulation. Rapidement, il est libre sous réserve de disposer d'une pièce d'identité, de marcher seul ou en petit groupe sur les voies publiques ou le littoral maritime... Et, dans la mesure où l'essentiel du territoire est accaparé par des propriétaires privés, cela ne concerne en théorie qu'une portion restreinte du territoire français.

Et encore faut-il préciser que cette liberté sur ce « territoire circulable théorique » est toute relative.

  • Temporellement. Car elle est régulièrement remise en cause par la menace des couvre-feux.
  • Socialement. Les mineurs, les SDF, les sans-abris trouveront sûrement cette liberté nettement plus ténue. Il faut voir les dispositifs harcelants qui sont instaurés et fonctionnent en continu pour les contrôler, les embarquer le cas échéant, mais aussi pour surveiller les simples passants. Il suffit de randonner en France, pour constater à quel point le marcheur, celui qui se déplace, est à priori suspect, autant auprès des autorités que des sédentaires !!
  • Physiquement, les routes assurant une circulation sûre des piétons deviennent rarissimes du fait de la prédominance de la circulation automobile.

Certes, il faut reconnaître que la circulation sur les routes n'est plus assujettie à un péage comme cela pouvait être courant dans des territoires durant l'Antiquité et le moyen-âge. Propos toutefois contestable, le péage est plutôt devenu « indirect », dans la mesure où il est perçu via l'impôt ou les dispositifs de taxation punitive qui frappent les automobilistes. Une partie des usagers, par conséquent, le finance pour ou contre leur gré. Donc, non seulement le service n'est pas gratuit puisqu'il est financé par le prélèvement obligatoire, mais de plus, abstraction faite de ce point, il repose sur un principe de « gratuité marchande » : l’État rend payant l'usage de services supplémentaires (stationnement, excès de vitesse, terrasse, emplacements sur les marchés, etc.).

D'autre part, cette liberté d'aller et venir est strictement limitée. D'abord, elle ne concerne que les engins motorisés qui sont assujettis à des taxes diverses et variées, de plus, elle est soumise à une législation très contraignante, au point qu'il est presque déplacé d'oser parler de liberté tant le coût d'accès est élevé et les conditions d'accès restrictives. Ceci concerne également la grande majorité des transports dits « publics » par un abus de langage, qui sont soumis à des restrictions économiques (tickets, monopole de compagnies ferroviaires, etc.) et à des discriminations diverses. Par exemple, les règles qui concernent les animaux en transit. C'est l'un des aspects propres à la réglementation contemporaine qu'on ignore trop souvent, mais sous des prétextes de sécurité et d'hygiène, ou de sécurité tout court, il est devenu quasiment impossible – toujours pareil, essentiellement d'un point de vue légal –, en France, de se déplacer librement avec des animaux d'élevage. Pour le bétail, il est impératif de disposer d'autorisations de transhumance. Quant au déplacement des chiens, il est de plus en plus contraint3. Et, ce qui n'est nullement hors-sujet car il est anormal que la liberté de circulation ne concerne exclusivement que les êtres humains, j'ajouterai qu'il est incroyable que des restrictions aussi sévères touchent aujourd'hui les chiens et les chats qui sont désormais accusés de divagation dès qu'ils sont sans surveillance, et qui sont raptés par la mafia de la fourrière à la moindre occasion.

Mais tout cela ne fait que trahir un problème bien plus général : la liberté d'aller et venir n'est permise qu'à l'intérieur d'un cadre moral très étroit. Impossible encore aujourd'hui de se promener nu dans la rue. Impossible de marcher sans tenir son chien en laisse. Impossible – légalement – de circuler en état d'ébriété. Etc. Liberté d'aller et venir, soit-disant, mais je dirais plutôt liberté de raser les murs sans trop se faire remarquer...

Notes

1 Essais III, XIII, « Sur l'expérience », p. 1292, 2009, Gallimard.

2 J'ignore également s'il reflète la pensée de Montaigne.

3 Désormais, la muselière est imposée dans la plupart des transports publics, quand les animaux ne sont tout simplement pas interdits. Ajoutons à cela l'obligation de tenir le chien en laisse dans les rues, imposée dans de nombreuses communes – combien, je l'ignore, mais le chiffre est très certainement significatif – sous prétexte que le chien présente un danger sanitaire et sécuritaire !

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Catégories: Libertés



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