Laboratoire indépendant de recherche conviviale sur l'auto-production, la gratuité et la culture libre
∏ - À propos / Fonctionnement \ Admin - ∃ - Collecter des données / Évaluer \ Publier / Discuter \ Décider / Les contributeurs - ∈ - La Fabrique / Recherches \ Textes / Blog \ En chantier / La gratuiterie - ∑ - Le Boomerang / CEDREA \ Entrez sans payer / nonmarchand.org
Autoproduction / Culture libre / Économie non-marchande / Libertés / Recherche conviviale / Critique de la science économique / Critique de l'économie marchande alternative / De tout et de rien
La fabrique - Blog / Textes
Textes sur l'économie non-marchande et la culture libre
Articles en tout genre... que l'on peut librement diffuser, modifier, publier, discuter et évaluer.

Vue - Éditer - Historique - Imprimer -

Inscription - Connexion

Ajouter un article

À propos des libertés fondamentales - III - Les libertés relatives à la transmission de l'information

Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2017
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 15 avril 2023 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé: Troisième partie d'une série d'articles portant sur l'illusion des libertés fondamentales dans les sociétés modernes.






<< partie II | partie IV >>

Examinons désormais une catégorie de libertés fondamentales qui, pour le geek que je suis, coutumier d'Internet, semblent séparées de façon tout à fait absurde. Bien qu'en fait, l'absurdité n'est à mon avis qu'apparente, puisqu'elle trahit une certaine conception de l'École qui est un des piliers des États nationalistes. La liberté d'expression et la liberté d'accès à l'éducation, auxquelles on pourrait rajouter, si l'on adopte une conception plus large de l'expression et de la communication1, la liberté de pensée, de religion et de croyance.

Où est la liberté d'expression ?

Au risque de me répéter, quiconque est coutumier de la liberté sur Internet ne peut que trouver étrange cette séparation. A vrai dire, la liberté d'échanger l'information sous le format souhaité suffit amplement à assurer l'ensemble de ces libertés. Certes, il est vrai qu'il doit y avoir des dispositifs facilitant l'échange, tels les moteurs de recherche, des dispositifs de communication multimédias, etc. De tels dispositifs existent aujourd'hui et sont libres d'accès grâce, il faut bien le préciser, au travail des adeptes de la culture libre. Mais l’État, soulignons-le, et les appareils juridico-légaux (pour m'en tenir à une définition profane), sont actuellement la principale menace qui pèsent sur ces dispositifs qu'ils n'ont absolument pas, ou alors de façon très indirecte, contribué à développer. Ceci en dit long sur leur capacité à défendre les droits fondamentaux.

Mais restons-en pour l'instant à une conception plus traditionnelle de ces libertés. Qu'en est-il de la liberté d'expression ? J'ai analysé, dans un article relativement ancien (2007), les limites réelles qui pèsent sur cette liberté2. Ma conclusion était que ce n'est pas tant la censure que l'on doit viser, du moins en France – celle-ci existe bel et bien, mais elle est moins prégnante que dans d'autres pays – que l'inégale répartition des ressources en terme d'expression.

Je fais bien sûr ici abstraction d'Internet, mais la réalité demeure ! Si je veux m'exprimer et me faire entendre, et notamment faire entendre un point de vue qui présente potentiellement ce que je juge être d'un intérêt scientifique, alors je n'ai d'autres possibilités légales que de parler seul, chez moi, soit en déversant un monologue sur mes plantes vertes, soit en conviant quelques auditeurs à venir m'écouter. Auquel cas, je dois le faire discrètement, car les dispositifs anti-sectes (ou plutôt, hostiles aux pensées minoritaires) veillent à ce que l'ordre de la pensée règne ; et aussi parce qu'au delà d'un certain nombre de décibels, on risque de m'accuser de tapage ! Voici à quoi correspond la liberté d'expression en France.

Toute manifestation d'opinion sur la voie publique, ou manifestation artistique telle que musique de rue, art de rue, graffitis, bref, toute expression sans autorisation étant, légalement, ou en tous cas, de facto, sanctionnées plus ou moins durement.

Nulle part, ou alors, c'est anecdotique, il n'est instauré de tribune publique ; nulle part dans les médias de masse, on ne peut espérer s'exprimer tant ceux-ci sont bouclés, fermés à la voix populaire. Nulle revue scientifique n'est ouverte à ceux qui ont subi l'opprobre des comités de lecture, ou les opaques et iniques processus de peer-review ; alors même que de telles revues seraient aisées à développer.

En résumé, en tant qu'être humain lambda, je suis bien obligé de constater que l’État ne m'offre aucun moyen d'expression supplémentaire à ceux dont je dispose sans son intervention. Au contraire, il m'exclut de l'usage des outils d'expression qui sont à ma portée. Et pire, il me contraint à m'exprimer comme il l'entend et dans bien des cas, à m'exprimer tout court !

L'expression est-elle libre de toute coercition en France ? Bien sûr que non ! Il y a tout d'abord les obligations diverses et variées d'expression qui s'immiscent ça et là dans l'arsenal judiciaire et sécuritaire (l'obligation de montrer sa carte d'identité, par exemple). Mais il n'est nul besoin d'aller si loin ! L'ensemble de du commerce, des professions, sont asservies par de lourdes contraintes. Obligation de publier sa comptabilité, ses résultats financiers, ses prix, etc. A cela, il faut ajouter l'obligation (de fait ou légale) de s'exprimer en français dans l'espace public. En au nom de quoi ? En définitive, il n'y a bien que le secret bancaire qui résiste (de moins en moins bien) à cette obligation liberticide de parler, d'avouer, de s'exprimer en français, et je ne sais quoi !

Le mythe de l'École libératrice

J'en viens à ce stade à la plus incroyable des fumisteries qui n'ait jamais été inventée : l’École. Qu'une institution à ce point réactionnaire, pour ne pas dire criminelle – il est utile de se remémorer son triste passé de soutien sans faille aux nationalismes les plus meurtriers – puisse se targuer d'être une force sociale libératrice et émancipatrice me paraît surréaliste ! Comment peut-on confondre le « droit » à l'éducation avec les produits et les services toxiques, ou au mieux insipides et inutiles, que cette agence gouvernementale, ou à la botte de l’État, dispense de force avec une soi-disant bienveillance3 ?

Paradoxe qui n'est pas inintéressant, dans la mesure où il met en évidence plusieurs aspects pervers des discours « officiels » sur la défense des libertés individuelles.

  • Le premier est l'écart qui peut s'installer entre les finalités affichées d'une institution au service de l’État, et les moyens utilisés et les résultats réels. Que l’École soit émancipatrice, c'est ce que déblatèrent tous ceux qui en font l'apologie. Or, c'est incontestablement faux. De nombreuses études sérieuses le prouvent. De plus, si l’École émancipe, alors elle le fait en ayant recours à des procédés d'encadrement autoritaire, hiérarchique et coercitifs. Est-ce compatible ? Il me semble évident que non. Les faits doivent primer les intentions affichées. On ne peut « apprendre » l'émancipation en matant durement toute velléité d'émancipation.
  • La liberté d'éducation qui est brandie comme un droit fondamental par l'École masque une atteinte massive à la liberté d'enseigner. Et ceci à tous les niveaux de l'enseignement. L’École n'est pas, on peut l'affirmer, ce qu'elle devrait être, à savoir un moyen, un outil de partage, facilitant la rencontre entre des personnes qui souhaitent partager, construire ensemble un savoir, un savoir-faire, des informations, des connaissances, qui souhaitent les donner à d'autres qui désirent les recevoir – ou ce qui est plus discutable, à ceux qui souhaitent que leurs enfants les reçoivent. Elle ne l'est pas, car par défaut, la liberté d'enseigner, au moins entre ses murs, est inexistante. Les salles sont verrouillées et les thèmes largement parachutés de la voûte parisienne. Allez enseigner l'astrologie à la Sorbonne, vous verrez comme vous y serez reçu !
  • La liberté d'accéder à l'éducation si on limite cette vaste entreprise à l'enclos qui distille au compte-gouttes quelques produits calibrés de mauvaise qualité à des masses inertes d'élèves passifs, est de facto illusoire. Pour quelques raisons fort simples. D'abord, le coût « financier » n'est pas entièrement négligeable. Ensuite, la configuration scolaire de l'éducation est une limite pour de nombreuses personnes. Les horaires sont peu souples et les méthodes pédagogiques utilisées nécessitent généralement un investissement intellectuel matériel assez, voire très lourd. Ce qui n'est pas une fatalité. L'apprentissage de certaines techniques pratiques serait grandement facilité, s'il n'était pas inutilement alourdi par une multitude d'enseignements annexes ou censés être fondamentaux, mais en réalité doctrinaux ou superflus, Enfin, l’École conditionne l'accès aux savoirs à l'obtention de diplômes. Ce qui constitue une limite évidente à un accès libre à ces ressources.
  • L'éducation, en France, n'est pas libre, puisque soumise à l'instruction obligatoire. Il faut souligner à cet endroit que peu de facilités sont accordées à ceux qui désirent court-circuiter l’École républicaine4 ou religieuse. Et dans les faits, s'il n'y a pas d'obligation de scolarisation, légalement parlant, il n'y a guère de moyens mis en œuvre pour défendre et protéger les partisans de la non-scolarisation régulièrement victimes d'ostracisme et de discrimination, notamment de la part des institutions étatiques. Autant dire que l’État reste encore une fois, l'adversaire principal d'une des libertés fondamentales les plus élémentaires.
  • On peut s'interroger sur la pertinence du contenu de l'enseignement scolaire – et par ricochet à celui de l'instruction obligatoire. Celui-ci demeure ouvertement orienté vers la « transmission »5 de savoirs et savoirs-faire très restreints. Dans l'école primaire, la plupart des savoirs et savoirs-faire pratiques, qui peuvent être utiles aux personnes tout au long de leur vie, ne sont pas enseignés et encore moins disponibles. Les quelques savoirs pratiques qui sont enseignés ont pour la plupart en commun d'être très abstraits et intellectualisés, ou bien, rattachés à la catégorie des loisirs. Dans un sens, c'est très surprenant. Au lieu d'apprendre des savoirs-faire utiles, bricoler l'électricité, déboucher un évier, tisser un panier, on apprend à l’École, du moins dans les troncs communs, à manier des procédés discursifs intellectuels très peu « utiles » et surtout, idéologiquement orientés. C'est le cas bien sûr de l'histoire, des matières dites « scientifiques » qui ne font que très rarement écho, quand elles sont enseignées dans les salles de cours – et cela même à un niveau supérieur – des controverses qui les traversent et des limites sur lesquelles elles butent. En résumé, on enseigne, à l’École, de fausses certitudes inutiles !
  • Hormis peut-être l'apprentissage de la lecture et des rudiments du calcul, dont l'utilité, tout au moins dans un contexte où l'écriture prédomine, paraît avérée, on peut en outre s'interroger sur l'existence d'une pénurie réelle, ou tout au moins naturelle, de l'offre d'éducation vernaculaire. D'abord, on devrait s'interroger, pour être rigoureux, sur les implications en la matière de la fermeture des espaces d'expression et du manque de moyens mis à la disposition des offreurs de savoirs, liées au monopole de l'école conventionnelle sur la diffusion du savoir, dans la construction artificielle de cette « pénurie éducative ». Mais au-delà même de cet effet, dont il faudrait pouvoir mesurer l'ampleur – sans être juge et partie, c'est à dire, sans confondre le manque de ressources éducatives et la pénurie de produits fournis par l'institution scolaire –, il est indéniable que l'éducation, la transmission de savoir, est une chose qui est naturellement bien partagée. La transmission horizontale de savoirs entre pairs, l'imitation, et même la relation plus formalisée et hiérarchique entre le maître et le disciple, sont des pratiques sociales très répandues et socialement structurantes. Elles constituent d'ailleurs des libertés fondamentales. Or, il est assez facile de constater, pour peu qu'on accepte de se pencher objectivement sur le sujet, que ces libertés élémentaires de fabrication, de diffusion, de modification et de reproduction de l'information sont remises en cause par les politiques actuelles qui étendent les brevets, les droits d'auteur, les dispositifs sécuritaires de façon progressive. Le mouvement pour la culture libre constitue d'ailleurs une réponse active à ces restrictions des libertés fondamentales.
  • Dernier point, si l'enseignement scolaire est largement inutile, et qui plus est grandement inefficace, alors, à qui profite l’École ? Certains ont mis en avant la fonction de contrôle social, ce qui semble en effet réaliste. Néanmoins, cette fonction est difficile à appréhender empiriquement, même s'il est avéré qu'elle tend davantage à rendre docile qu'à émanciper. L'intention de contrôle social a pu être proférée par les promoteurs de l’École à ses débuts, et d'ailleurs, l'idée que l'éducation puisse être une technique de « dressage », d'apprentissage de la discipline, est courante, mais cela n'explique guère l'orientation manifeste du contenu scolaire. Tout porte plutôt à croire qu'elle assure surtout un débouché économique à des professions intellectuelles, à des activités en partie abstraites, ou relativement peu monnayables. J'ai développé cette thèse ailleurs, je ne m'attarde donc pas dessus, mais je la mentionne, car elle illustre très bien un problème récurrent dans la défense des libertés individuelles. Lorsque les professions opèrent sur une activité, elles peuvent tendre à la fermer et à imposer une consommation obligatoire des extrants.

Et la liberté religieuse ?

Je termine sur la liberté religieuse. Qu'en est-il en France ? D'abord, la séparation de l’État et de l’Église est encore loin d'être acquise. D'autre part, la liberté de croyance se heurte à l'influence puissante des idéologies « scientifiques sur l’État ». Concernant la séparation de l’Église et de l’État, comment expliquer, en effet, que les cloches continuent à sonner dans les villages. Pourquoi ne sont-elles pas converties en lieu de culte ouverts à tous. Enfin, que penser de la chasse aux sectes qui sévit en France fondée sur des critères d'identification extrêmement flous et peu spécifiques – combien d'ouvrages anti-sectes, à ce titre, ont été écrits sans quasiment aucune référence empirique ? Peut-on dire, par exemple, que l'embrigadement des enfants est une particularité des sectes, quand l’État impose l'instruction obligatoire, ou pire, pour les personnes socialement défavorisées, l’Éducation obligatoire, voire le placement obligatoire.

Notes

1 Je fais référence à l’école de Palo Alto.

2 « Réflexions sur les enjeux épistémiques et politiques de la publication », GratiLab, 2016.

3 Certains arguments exposés ici peuvent être approfondis dans l'article suivant, « Instruction en famille VS école non-marchande », GratiLab, 2021.

4 Je préfère cette formule à celle d’École laïque qui prête à confusion au sens où elle laisse à penser que « l’École d’État » est idéologiquement neutre.

5 Entre guillemets car s'agit-il de les transmettre ou de les utiliser à des fins de reproduction des rapports de classe ?

<< partie II | partie IV >>

Catégories: Libertés



Suivre...
le sitela pagela rubrique



Le contenu du site GratiLab, laboratoire de recherche conviviale sur la gratuité, le DIY et la culture libre, sauf mentions contraires, ainsi que toute nouvelle contribution à ce site, est sous licence culturelle non-marchande.
Site gratuit, sans publicité, à but non lucratif, ouvert à tous ceux qui souhaitent effectuer des recherches sur les échanges non-marchands et la culture libre ou simplement partager leurs savoirs et savoirs-faire. Construit avec PmWiki.