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La recherche conviviale

Auteurs: Benjamin Grassineau (voir aussi l'historique)
Création de l'article: 2013
Etat de la rédaction: finalisé
Droit de rédaction: ouvert
Licence: Licence culturelle non-marchande


Création de la page: 16 mai 2012 / Dernière modification de la page: 21 novembre 2024 / Créateur de la page: Benjamin Grassineau



Résumé:


Définition

La notion de recherche conviviale est l'héritière des mouvements contestataires des années 1960 et 1970. Fortement imprégnée du courant de « l'anti-scientisme »1, elle a été popularisée, entre autres, par Ivan Illich2, qui a introduit le concept, ou encore, Carl Rogers et Paul Feyerabend3.

C'est une notion qui a l'avantage d'être intuitive et de ne pas être limitante. Elle autorise donc une certaine prise de distance avec les courants déjà existants de science « alternative », comme l'open-access.

L'ambition de la recherche conviviale est de libérer les outils de la recherche de l'emprise professionnelle, étatique et marchande, et de les orienter vers des finalités non-professionnelles, non-étatiques et non-marchandes. Il y a donc deux niveaux d'action, qui peuvent être indépendants:

  1. déprofessionnalisation de la recherche (transformer l'outil de recherche en outil convivial),
  2. développement d'une recherche appliquée qui ne sert plus seulement les intérêts des professionnels, du marché et de l'Etat, mais qui sert l'économie non-marchande et les usagers (donc, orientée vers la démarchandisation et l'accroissement de l'autonomie).

Principes généraux de la recherche conviviale au sein du laboratoire

Au sein du laboratoire, on parlera de recherche conviviale si deux conditions sont respectées.

C'est une recherche ouverte

Ouverte dans deux sens.

Ouverture statutaire

Les différents processus de recherche sont réellement ouverts à tous, sans conditions (pas d'obligation de posséder un diplôme), sans étiquette et sans statut. L'ouverture et la participation se fait sur un pied d'égalité.

Recherche professionnelle et recherche amateure se déroulent sur un même niveau.

Ouverture des outils

L'ouverture de l'accès aux outils et aux ressources de la recherche et les possibilités d'en faire usage sont maximisées4.

Programme d'optimisation qui implique que plusieurs conditions soient remplies:

  • L'information, aux différents processus de recherche, doit circuler librement et de façon transparente5, suivant les principes de la culture libre : matériel libre, logiciel libre, évaluation transparente. C'est une condition qui est nécessaire pour faire un plein usage de l'information et pouvoir utiliser les outils de manière optimale.
  • C'est une recherche non-marchande. Les échanges en son sein, entre les différentes personnes qui participent aux différents processus de la recherche, sont fondés sur les principes fondamentaux de l'échange non-marchand : pas d'obligation de contre-partie pour faire usage des outils. C'est une condition nécessaire pour au moins deux raisons :
    • elle limite les restrictions d'accès à l'usage liées aux inégalités économiques,
    • elle permet un développement ouvert et coopératif des outils (ceux-ci ne sont plus accaparés et développés à des fins exclusivement économiques),
    • elle limite la concurrence sur les ressources,
    • elle rend plus accessible les outils et les ressources, via le partage, le don, le prêt, etc.
  • Les différents processus de la recherche sont perméables (ils peuvent fusionner). Entendons par là qu'ils ne sont pas segmentés par la division du travail (un statut = une tâche) et par la division des activités (les processus de production, évaluation et diffusion de la recherche sont séparés temporellement, spatialement, légalement) ; ou s'ils le sont de fait, ils peuvent ne pas l'être6 !
  • C'est une recherche qui peut être non conventionnelle (conférences artistiques, caravanes itinérantes, débats dans les cafés, etc.). L'objectif étant de permettre une appropriation aussi large que possible des outils de la recherche.
  • C'est une recherche pluri-méthodologique. Là encore, le but est de permettre un accès maximal à toute personne souhaitant faire de la recherche.
  • C'est une recherche pratiquée sur le mode de la simplicité volontaire, de l'autonomie et éventuellement du DIY. Le but est d'éviter une trop grande complexité et une forte hétéronomie dans l'usage des outils.
  • La minimisation de l'intermédiarisation : il y a le moins possible d'intermédiaires institutionnels (et non techniques) entre les différents protagonistes de la recherche (le principal est Internet !). L'objectif, à nouveau, est de ne pas créer d'écran inutile, biaisant, filtrant, excluant, complexe, entre les personnes et entre les personnes et les outils.
  • La non-coercition : aucun niveau du processus de recherche n'est fondé sur une contrainte de participation7.
  • L'égalité dans l'accès aux outils. Qui n'empêche nullement les acteurs de produire des classements hiérarchisés. Néanmoins, aucun classement n'a valeur de monopole.

C'est une recherche qui tient compte de ses effets à tous les niveaux processus de la recherche.

Deux conséquences:

  • Elle a pour finalité de créer et améliorer des solutions techniques simples et autonomisantes, facilitant le développement d'une société conviviale (ici l'économie non-marchande)8. Ce n'est donc pas une recherche qui se dit neutre.
  • Elle est fondée sur un principe de réflexivité, elle est attentive aux outils qu'elle utilise et aux effets de la pratique de la recherche à ses différents niveaux.

Concrètement

Concrètement, voilà les mesures prises ou défendues pour arriver à ces fins :

  • Utilisation préférentielle d'outils de publication et d'évaluation ouverte pour toutes les recherches, quelle qu'en soit la nature.
  • Financement de la recherche par le non-marchand.
    • En particulier, développement du prêt gratuit, du don entre chercheurs.
    • Séparation de la recherche et de l'Etat. Car une telle recherche repose sur une contribution obligatoire et favorise l'académisme.
  • Utilisation et développement d'outils de recherche et de ressources exclusivement sous licence libre et libre d'accès. Pratique du clonage de certaines recherches au besoin (comme dans le logiciel libre).
  • Création et diffusion d'outils issus de la recherche facilitant l'autoproduction, un usage simple et une forte autonomie. Par exemple, des fablabs, hacklabs, des outils de publication ouverte, etc.

Pourquoi le laboratoire fait de la recherche conviviale et non académique ?

Il y a trois raisons.

  • La finalité de la recherche conviviale est de libérer les outils, ce qui permet de réaliser des recherches qui vont dans le sens du développement de l'économie non-marchande.
  • Promouvoir en soi le développement de la recherche conviviale. Et en particulier la recherche non-marchande et la recherche auto-produite. C'est donc favoriser son développement que de créer un laboratoire de recherche conviviale.
  • En tant que moyen d'action, cette modalité de recherche correspond à des principes d'action souhaitables :
    • faible intermédiarisation : il y a peu d'intermédiaire institutionnel entre les différents protagonistes de la recherche (le principal est Internet !),
    • non-directivité et non-contraignante : la recherche n'est pas dirigée et personne n'est contraint d'adhérer à ses résultats,
    • horizontalité : pas de hiérarchie et de différence de statut entre chercheur, consommateur de recherche, enseignant, élève...,
    • auto-production et autonomie : la recherche peut être produite soi-même, pour des finalités qui sont propres à celui qui la produit ; le chercheur est autonome dans son action,
    • gratuité : les produits et les outils de la recherche conviviale sont gratuits, et ceci aux différentes étapes du processus,
    • ouverture : les outils, les statuts sont accessibles à tous, sans condition,
    • liberté et transparence : les contenus informatifs sont libres et l'évaluation est transparente,
    • réflexivité sur les pratiques : outils libres et ouverts, consommation réduite, colloques ouverts.

Oui, mais alors, pourquoi ne pas faire de la recherche académique ? Eh bien, parce que la recherche académique est l'antithèse de la recherche conviviale !

  • La finalité de la recherche académique est aujourd'hui de plus en plus douteuse ! Sous couvert de neutralité scientifique, ou pire, de neutralité axiologique (le chercheur n'a même plus le droit d'avoir une position morale que viendrait contredire ou corroborer des faits qu'il met en évidence), la recherche est en fait orientée vers des finalités étatiques et marchandes9.
  • La recherche académique ne promeut pas la recherche conviviale. Il n'y a guère de signes qui vont dans ce sens. Au mieux quelques projets de science collaborative, mais il est clair que la direction de ces projets reste entre les mains des professionnels de la recherche. Il s'agit plus d'une exploitation du citoyen par l'industrie scientifique que d'une collaboration. On peut aussi s'interroger sur leur caractère réellement novateur10.
  • La recherche académique est:
    • très intermédiarisée : laboratoires, universités, revues, organisateurs de colloques sont autant d'intermédiaires.
    • fortement directive, puisque dirigée par les financeurs, l'état, les laboratoires, les revues de publication, la hiérarchie académique, les programmes d'enseignement, les évaluateurs, etc., et contraignante, via l'enseignement, l'expertise, le monopole de certaines professions (médecine).
    • fortement hiérarchique : c'est presque un euphémisme ! entre le classement des revues, la hiérarchie universitaire...
    • hétéronome : elle vise plutôt à confisquer les outils d'acquisition et de production du savoir qu'à les redistribuer, le tout se faisant sous couvert du mythe du citoyen éclairé et libéré par la science...
    • payante : pour la recherche privée, c'est évident, pour la recherche dite « publique », elle l'est à double titre, 1. les contribuables sont obligés de la financer, 2. l'accès aux produits et aux outils de la recherche académique est de plus en plus payant,
    • fermée : encore un euphémisme !
    • non-libre : il y a bien sûr la liberté des contenus, mais il faut ajouter les problèmes de plagiat, l'appropriation de pans du savoir (formules, lois, etc.), les droits d'auteurs moraux, etc.
    • peu réflexive : il suffit pour s'en convaincre d'écouter les physiciens, les biologistes parler du fonctionnement de la recherche, ou pire, parler de ce qu'ils appellent les pseudo-sciences.

Positionnement par rapport à la science

Venons-en justement au positionnement par rapport à la science. Il faut partir d'un triple constat.

  1. La notion de science est ambiguë, relative et actuellement indéfinie. Il est donc difficile de l'utiliser pour qualifier des travaux, et ceci en règle générale.
  2. Même en admettant certains critères évidents, ce n'est pas parce qu'une recherche est académique qu'elle est scientifique11. En fait, l'argument avancé aujourd'hui pour qualifier une recherche de scientifique, est qu'elle doit être approuvée par les pairs et la communauté scientifique. Ce qui est insignifiant pour plusieurs raisons :
    • En privilégiant un critère sociologique, on omet complètement des arguments épistémologiques de fond : sur quels principes concrets va-t-on s'appuyer pour juger de la validité d'une recherche scientifique ? De plus, on renforce, des procédures d'évaluation dans la science, et d'exclusion, qui sont fondées sur des phénomènes d'opinion.
    • On néglige le fait qu'il y a plusieurs formes d'évaluation possible par les pairs, donc, plusieurs qualités qui en résultent (sans forcément les hiérarchiser).
    • On néglige le fait qu'un travail comprend souvent des éléments scientifiques et non-scientifiques, dépassés et novateurs, simultanément. En éliminant l'intégralité du travail, on élimine donc des recherches qui peuvent avoir un intérêt significatif pour d'autres chercheurs.
    • La notion de communauté scientifique n'a pas de sens, ou tout au moins, est inconsistante dans la procédure d'évaluation réelle qui est généralement suivie. De même, on peut s'interroger sur la signification des « pairs ». Surtout dans des domaines très spécialisés, où les controverses et les guerres de courant ne sont pas rares.
    • Il ne faut pas surestimer l'efficacité des procédures d'évaluation du type peer-review. Sans compter que dans de nombreux cas, l'évaluation est largement opaque.
    • La méfiance à l'égard des chercheurs peut s'avérer contre-productive et est en tous les cas dévalorisante pour eux. Elle montre en tous les cas que l'outil de publication n'est plus convivial.
    • Les techniques d'évaluation contemporaines sont coûteuses et viennent se superposer à un énorme marché de la publication.
    • Elles sont souvent opaques, en particulier dans les revues à comité de lecture.
    • Il est difficile de juger de l'efficacité réelle de ces techniques de sélection, car il y a un filtrage qui s'est déroulé antérieurement : auto-censure des chercheurs, volonté d'arriver à un résultat pertinent et présentable, crainte pour la réputation, filtrage scolaire12...
  3. Il existe de nombreux procédés d'évaluation qui peuvent se greffer sur les outils publication ouverte. Ils sont simples, peu coûteux, transparents, non-discriminants, libres, au sens où ils n'induisent pas de censure et d'exclusion et où ils permettent de choisir entre plusieurs formes d'évaluation, et sont probablement tout aussi efficaces.

Positionnement par rapport à la recherche académique (ou privée)

Vous êtes déçu par la recherche académique. Celle-ci n'a pas voulu de vous ? Vous ne voulez pas d'elle ? Vous souhaitez faire de la recherche de manière indépendante et hors-circuit ? La recherche conviviale est faite pour vous !!

Elle part du postulat que le fait d'être exclu par la recherche académique ne signifie que l'on soit « mauvais », non « scientifique » - ces termes ne voulant de toute manière pas dire grand chose... -, et qu'on ne puisse plus faire de la recherche.

Au contraire, la recherche conviviale peut même se targuer d'être davantage « scientifique », démocratique et responsable que la recherche académique. Pourquoi ?

  • La recherche conviviale est autonome, indépendante et neutre, ou du moins, polyvalente. A contrario, la recherche académique est dépendante des financements publics, partisane, orientée par les financeurs et littéralement infiltrée par des courants de pensée excluant et peu enclins à laisser la place à de nouvelles tendances.
  • La recherche conviviale s'appuie sur des processus de production, d'évaluation et de diffusion des connaissance, qui sont ouverts, égalitaires et transparents. Tout le monde peut y participer et donner son avis. Il n'en va pas de même dans la recherche professionnelle où les processus sont opaques et fermés.
  • La recherche conviviale ne part pas du postulat déraisonnable que la technique et la science sont complètement coupées du reste de la société. Au contraire, elle soumet les finalités de la recherche (voir les résultats de la science) et le développement des techniques, à des processus auxquels participent directement les citoyens.
  • Les outils de recherche conviviale sont ouverts à tous. Ils sont partagés équitablement entre les différents chercheurs. Chacun a par exemple, accès aux données gratuitement.

Sur quels outils s'appuie le laboratoire ?

Il y a deux points à bien comprendre:

  1. Le présent laboratoire est un outil, et il se définit comme tel. Ce n'est pas une « organisation », un collectif13... Il se définit par la pratique, en tant qu'outil concret.
  2. C'est un outil privé, qui est mis à disposition gratuite et libre des usagers. Ceci implique :
    • qu'il obéit à certaines règles, même si celles-ci sont minimales,
    • ces règles sont spécifiées initialement par les propriétaires du site 14,
    • toutefois, elles ne sont pas fixées, elles peuvent être modifiées démocratiquement, ou par la règle du consensus, les décisions sont prises par les usagers à travers un processus de démocratie ouverte, mais, en dernier ressort, les propriétaires du site ont tout pouvoir pour prendre une décision.

En tenant compte de ces deux points, nombre de règles de fonctionnement sont exposées dans ce texte.

Un point paraît important à préciser, c'est que, conformément à notre position éthique et épistémologique, séparation de la science et de l'Etat, le laboratoire n'est pas, et ne sera pas, financé par des subventions publiques.

Il faut ajouter que le laboratoire joue aussi un rôle dans la construction du portail des échanges non-marchands et de la culture libre, qui facilite la réalisation de recherches non-marchandes (prêt de matériel scientifique, partage, dons, etc.).

Notes

1 Le courant de l'anti-scientisme n'est pas nécessairement hostile à la méthodologie « scientifique » - car encore faudrait-il pouvoir la définir ! La critique s'oriente plutôt vers le positionnement social de la science, et en particulier de la techno-science. Voilà par exemple comment Loup Verlet exposait sa vision de la recherche dans les années 1970: « Nous nous trouvions plusieurs à espérer une autre recherche, centrée sur les questions de tous, qui sont aussi nos questions, recherche ouverte sur la vie, que nous pourrions pratiquer autrement, sans souci de compétition, de hiérarchie, de signature, sans division du travail. ».

2 Voir notamment Oeuvres complètes. Tome 2.

3 Pour C. Rogers, un ouvrage fait référence sur la question : Un manifeste personnaliste. Fondements d'une politique de la personne. Quant à Paul Feyerabend, toute son oeuvre s'inscrit dans cette optique!! Il faut noter que les deux auteurs n'ont pas utilisé le concept de recherche conviviale tel quel. La similitude se fait au niveau des idées qu'ils ont défendues.

4 Notons que l'ouverture des outils implique l'ouverture statutaire. Mais pour la clarté de la présentation, il est préférable de scinder les deux.

5 Quand cela a un sens.

6 C'est le cas par exemple, dans la recherche-action et la publication ouverte

7 Par exemple, en ce qui concerne l'éducation, on adhère si on le souhaite aux résultats « scientifiques ».

8 On peut lire sur ce sujet cet article.

9 Il y a une vaste littérature sur le sujet.

10 1. Le rôle des amateurs a toujours été important dans la recherche, 2. une grande partie de la recherche académique a littéralement pillé la recherche populaire, 3. la coopération des sujets d'étude a toujours existé dans les sciences médicales, et les sciences humaines et sociales.

11 Je donnerai pour ma part l'exemple de la micro-économie !

12 Pour risquer une comparaison, c'est un peu comme si on forçait les gens à s'habiller convenablement dans la rue. C'est inutile car il y a une tendance naturelle qui s'exerce à l'alignement sur la norme. Certes, quelques personnes s'habilleront n'importe comment ! Mais, faut-il pour autant leur interdire l'accès à la rue ? On voit que le choix est en fait un problème éthique et non un problème d'efficacité.

13 Voir sur le sujet cet article

14 L'association Anomali, qui est un peu le « dictateur bénévole » du laboratoire !



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